❖ Le prix de la résistance & son esprit
Ceux qui acceptent les risques, dont de longues peines d'emprisonnement, pénètrent la conscience de la société dans son ensemble, y compris les organes de sécurité qui la protègent.
"Les révolutions nécessitent des organisateurs compétents, de l'autodiscipline, une vision idéologique alternative, un art et une éducation révolutionnaires. Elles nécessitent des perturbations durables du pouvoir et, surtout, des dirigeants qui représentent le mouvement.
Les révolutions réussies du passé, ainsi que leurs théoriciens, devraient être notre guide, et non les images éphémères qui nous parviennent des médias de masse.
Les révolutions ne se produisent que quand quelques dissidents décident de ne plus participer à notre propre asservissement et à notre propre destruction. Une sublime folie est essentielle.
Nous devons construire des structures organisées de défiance manifeste. Cela peut prendre des années. Mais sans un contrepoids puissant, sans une vision alternative et sans structures alternatives d'autogestion, nous serons de plus en plus désarmés.
Nous devons faire comprendre que nous refusons de participer à notre propre asservissement et à notre propre destruction
Le courage est contagieux.
Notre seule chance de renverser le pouvoir des entreprises et d'arrêter l'écocide qui se profile à l'horizon vient de ceux qui ne se rendront pas, qui tiendront bon quel qu'en soit le prix
Nous n'y parviendrons peut-être pas. Qu'il en soit ainsi. Au moins, ceux qui viendront après nous, et je parle en tant que père, pourront dire que nous avons essayé."
1- Le prix de la résistance
Chris Hedges a donné une conférence au Kairos Club London le 11 septembre 2024. S'appuyant sur sa connaissance intime de la résistance et de la répression, il a détaillé les méthodes nécessaires pour vaincre les puissants intérêts, y compris l'industrie des combustibles fossiles et de l'agriculture animale, qui ont placé leurs profits au-dessus de la protection de notre espèce et de toutes les formes de vie sur terre.
Son intervention est précédée d'une introduction audio de Roger Hallam. Hallam fait partie des "Whole Truth Five", cinq membres de Just Stop Oil condamnés le mois dernier à la plus longue peine de prison jamais prononcée pour une manifestation non violente.
À la suite de leur jugement, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l'environnement, Michel Forst, a déclaré :
"Aujourd'hui marque un jour sombre pour les manifestations pacifiques en faveur de l'environnement, la protection des défenseurs de l'environnement et, en fait, toute personne concernée par l'exercice de ses libertés fondamentales au Royaume-Uni".
Par Chris Hedges, le 17 septembre 2024, Substack de l'auteur
Transcription du discours de Chris Hedges
Dans Par-delà le bien et le mal, Friedrich Nietzsche affirme que seules quelques personnes ont le courage de regarder, dans les moments de détresse, dans ce qu'il appelle le puits de fusion de la réalité humaine. La plupart l'ignorent soigneusement. Les artistes et les philosophes, pour Nietzsche, sont consumés par une curiosité insatiable, une quête de vérité et un désir de sens. Ils s'aventurent dans les entrailles du puits en fusion. Ils s'en approchent le plus possible avant que les flammes et la chaleur ne les repoussent. Cette honnêteté intellectuelle et morale, écrit Nietzsche, a un prix. Ceux qui sont brûlés par le feu de la réalité deviennent des "enfants brûlés", écrit-il, d'éternels orphelins dans des empires d'illusion.
C'est pour cette raison que les civilisations agonisantes font la guerre aux investigations intellectuelles indépendantes, à l'art et à la culture. Elles refusent que les masses regardent dans la fosse. Elles condamnent et vilipendent les "personnes brûlées" - y compris mon ami Roger Hallam. Elles nourrissent l'addiction humaine pour l'illusion, le bonheur et la manie de l'espoir. Elles colportent le fantasme d'un progrès matériel éternel et le culte du moi. Elles insistent - et c'est l'argument du néolibéralisme - sur le fait que l'idéologie dominante, fondée sur l'exploitation incessante et l'accumulation toujours croissante qui achemine l'argent vers les mains d'une classe milliardaire mondiale, est décrétée par la loi naturelle.
En temps de guerre, nous n'utilisions pas les mots "optimiste" et "pessimiste". Ceux qui ne pouvaient évaluer froidement le monde qui les entourait, ne pouvaient saisir la noirceur et le danger mortel auquel ils étaient confrontés, avaient une croyance enfantine en leur propre immortalité ou une obsession pour l'espoir, ne vivaient pas longtemps.
Il y a, comme le dit Clive Hamilton dans Requiem pour une espèce : Pourquoi nous résistons à la vérité sur le changement climatique, un sombre soulagement venant de l'acceptation du fait que "le changement climatique catastrophique est virtuellement certain".
Cet anéantissement des "faux espoirs", dit-il, nécessite une connaissance intellectuelle et une connaissance émotionnelle. Cette connaissance intellectuelle est accessible. La connaissance émotionnelle, parce qu'elle signifie que ceux que nous aimons, y compris nos enfants, sont presque certainement condamnés à l'insécurité, à la misère et à la souffrance d'ici quelques décennies, voire quelques années, est beaucoup plus difficile à acquérir. Accepter émotionnellement l'imminence d'un désastre, parvenir à comprendre au niveau de nos tripes que l'élite mondiale du pouvoir ne réagira pas rationnellement à la dévastation de l'écosystème, est aussi difficile à accepter que notre propre mortalité. La lutte existentielle la plus redoutable de notre époque est d'ingérer cette terrible vérité - intellectuellement et émotionnellement - et de s'élever pour résister aux forces qui nous détruisent.
Durant deux décennies, j'ai couvert les soulèvements et les révolutions dans le monde entier : les insurrections en Amérique centrale, en Algérie, au Yémen, au Soudan et au Pendjab, les deux soulèvements palestiniens, les révolutions de 1989 en Allemagne de l'Est, en Tchécoslovaquie et en Roumanie, et les manifestations de rue qui ont fait tomber Slobodan Milosevic en Serbie.
Les révolutions et les soulèvements sont des combustions spontanées. Personne, pas même les révolutionnaires, les enfants brûlés, n'est capable de les prédire. La révolution de février 1917 a été, comme la prise de la Bastille en France, une éruption populaire inattendue et non planifiée. Comme l'a souligné l'infortuné Alexandre Kerensky, la révolution russe "est venue d'elle-même, sans que personne ne l'ait conçue, née dans le chaos de l'effondrement du tsarisme". L'amadou* est reconnaissable (* ndr : amadou, matériau spongieux constituant la partie supérieure de la chair de certains champignons, sorte de feutre naturel utilisé séché depuis la Préhistoire, principalement pour allumer le feu). Ce qui provoque son embrasement reste un mystère.
Une population se soulève contre un système délabré non pas par conscience révolutionnaire, mais parce que, comme l'a souligné Rosa Luxemburg, elle n'a pas d'autre choix. C'est l'aveuglement de l'ancien régime, et non le travail des révolutionnaires, qui déclenche la révolte. Et comme elle l'a souligné, toutes les révolutions sont en quelque sorte des échecs, des événements qui amorcent, plutôt qu'ils n'aboutissent, un processus de transformation sociale.
"Il n'y avait pas de plan prédéterminé, pas d'action organisée, parce que les appels des partis pouvaient à peine suivre le rythme soulèvement spontanée des masses", écrit-elle à propos du soulèvement de 1905 en Russie. "Les dirigeants avaient à peine le temps de formuler les revendications de la foule qui se précipitait".
"Les révolutions, poursuit-elle, ne se font pas sur commande. Ce n'est pas non plus la tâche du parti. Notre devoir est seulement de parler sans crainte ni hésitation, c'est-à-dire de présenter clairement aux masses leurs missions dans le moment historique donné, et de proclamer le programme d'action politique et les mots d'ordre qui résultent de la situation. La question de savoir si et quand le mouvement révolutionnaire de masse les reprend à son compte doit être laissée avec confiance à l'histoire elle-même. Même si le socialisme apparaît d'abord comme une voix qui se perd dans le désert, il s'assure cependant une position morale et politique dont il recueillera plus tard, à l'heure de l'accomplissement historique, les fruits avec un intérêt cumulé".
Personne n'aurait pu prédire que la première intifada, en 1987, éclaterait dans le camp de réfugiés de Jabalia après qu'un chauffeur de camion israélien eut percuté une voiture, tuant quatre travailleurs palestiniens. Personne n'aurait pu prévoir que la décision d'un vendeur de fruits tunisien, dont la balance avait été confisquée par la police parce qu'il travaillait sans permis, de s'immoler par le feu en signe de protestation en décembre 2010 déclencherait le printemps arabe.
Bien que le moment de l'explosion reste mystérieux, ce sont les visionnaires et les réformateurs utopiques tels que les abolitionnistes qui rendent possible un véritable changement social, jamais les politiciens "terre-à-terre". Les abolitionnistes ont détruit ce que l'historien Eric Foner appelle la "conspiration du silence par laquelle les partis politiques, les églises et d'autres institutions cherchaient à exclure l'esclavage du débat public".
Il écrit :
Durant la majeure partie des années 1850 et les deux premières années de la guerre civile, Lincoln, largement considéré comme le modèle de l'homme politique pragmatique, a défendu un plan visant à mettre fin à l'esclavage, qui prévoyait une émancipation progressive, une compensation monétaire pour les propriétaires d'esclaves et la création de colonies de Noirs affranchis hors des États-Unis. Ce projet farfelu n'a aucune chance d'aboutir. Ce sont les abolitionnistes, encore considérés par certains historiens comme des fanatiques irresponsables, qui ont proposé le programme - une fin immédiate et sans compensation de l'esclavage, les Noirs devenant des citoyens américains - qui a abouti (avec l'aide éventuelle de Lincoln, bien sûr).
Comme le souligne Foner, ce sont les "fanatiques" qui font l'histoire.
Vladimir Lénine affirmait que le moyen le plus efficace d'affaiblir la détermination de l'élite dirigeante était de lui dire exactement à quoi s'attendre. Cette audace attire l'attention des services de sécurité de l'État, mais elle confère au mouvement honnêteté et caractère. Le révolutionnaire, écrivait-il, doit formuler des exigences sans équivoque qui, si elles sont satisfaites, signifieront l'anéantissement de la structure actuelle du pouvoir.
Les révolutions en Europe de l'Est ont été menées par une poignée de dissidents qui, jusqu'à l'automne 1989, étaient marginaux et considérés par l'État comme sans importance, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. L'État envoyait périodiquement la sécurité nationale pour les harceler. Il les a souvent ignorés. Je ne suis même pas sûr que l'on puisse qualifier ces dissidents d'opposition. Ils étaient profondément isolés au sein de leur propre société. Les médias d'État leur refusaient la parole. Ils n'avaient pas de statut juridique et étaient exclus du système politique. Ils étaient inscrits sur des listes noires. Ils luttaient pour gagner leur vie. Mais lorsque l'Europe de l'Est a atteint son point de rupture, lorsque l'idéologie communiste au pouvoir a perdu toute crédibilité, le public ne s'est plus posé la question de savoir à qui il pouvait faire confiance. Les manifestants qui ont envahi les rues de Berlin-Est et de Prague savaient qui les trahirait et qui ne les trahirait pas. Ils faisaient confiance à ceux qui, comme Václav Havel, que d'autres journalistes et moi-même rencontrions chaque soir au théâtre de la Lanterne magique à Prague pendant la révolution, avaient consacré leur vie à lutter pour une société ouverte, à ceux qui avaient accepté d'être condamnés comme des non-personnes et emprisonnés pour leur défiance.
Notre seule chance de renverser le pouvoir des entreprises et d'arrêter l'écocide qui se profile à l'horizon vient de ceux qui ne se rendront pas, qui tiendront bon quel qu'en soit le prix, qui sont prêts à être écartés et vilipendés par un libéralisme en faillite. Ils exposent la faillite de la classe dirigeante. Ils obligent l'État à réagir, comme l'ont montré la déclaration d'urgence climatique par le parlement à la suite des manifestations de masse organisées par Extinction Rebellion et la décision des législateurs néerlandais de réduire les subventions aux carburants après le blocage des axes routiers.
Ceux qui acceptent les risques, y compris de longues peines d'emprisonnement, pénètrent la conscience de la société dans son ensemble, y compris les organes de sécurité qui la protègent. Cette imprégnation, vue de l'extérieur, est impossible à mesurer. Mais elle érode progressivement les fondations du pouvoir jusqu'à ce que ce qui semble être un édifice solide, comme j'ai pu le constater avec la Stasi en Allemagne de l'Est et la Roumanie de Ceausescu, s'écroule apparemment du jour au lendemain.
Les systèmes de gouvernance calcifiés - dont témoignent, aux États-Unis, nos élections gérées par les entreprises, notre système de corruption légalisé, notre presse marchandisée et notre système judiciaire captif, qui a légalisé le "gerrymandering" (ndr : découpage électoral partisan ou encore le charcutage électoral est le découpage des circonscriptions électorales ayant pour objectif de donner l’avantage à un parti, un candidat ou un groupe donné), version actualisée du "rotten borough" britannique du 19ème siècle - exposent la classe politique en tant que marionnettes de la cabale corporatiste au pouvoir. Il est impossible de réformer par le biais de ces structures. Au fur et à mesure que le système se calcifie, il exerce une répression de plus en plus draconienne.
Les abus de pouvoir, les politiques gouvernementales illégales, qu'il s'agisse des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan révélés par WikiLeaks, de l'incendie de Grenfell ou du refus de s'attaquer à une crise climatique qui conduira à des décès massifs et à l'effondrement de la société, sont ignorés et ceux qui les dénoncent sont persécutés.
La condamnation à cinq ans de prison de Roger et à quatre ans de prison des autres militants de Just Stop Oil est justifiée par des lois formulées par l'industrie des combustibles fossiles, telles que la "conspiration visant à interférer avec les infrastructures nationales" ou la nouvelle loi "Lock on", qui prévoit qu'un manifestant qui s'attache à un objet, à un terrain ou à une autre personne au moyen d'un adhésif ou de menottes est condamné à quatre ans et demi de prison. Les audiences et les procès des militants de Just Stop Oil, comme ceux de Julian Assange, refusent à l'accusé le droit de présenter des preuves objectives. Ces procès-spectacles sont une farce à la Dickens. Ils se moquent des idéaux de la jurisprudence britannique et reproduisent les pires jours de la Loubianka. Ces militants n'ont pas été condamnés pour avoir participé aux manifestations, mais pour les avoir planifiées. Les preuves utilisées au tribunal pour les condamner provenaient d'une réunion Zoom en ligne capturée par Scarlet Howes, une journaliste se faisant passer pour une sympathisante du Sun. Il ne fait aucun doute qu'un groupe de réflexion sur les combustibles fossiles est en train d'imaginer un prix de journalisme à lui décerner.
Et, comme le souligne Linda Lakhdhit, directrice juridique de Climate Rights International, les peines prononcées à l'encontre de ceux qui participent à des manifestations en faveur du climat sont de plus en plus sévères, plus longues que celles infligées à ceux qui se sont livrés à des actes de violence lors des émeutes racistes de Southport.
Ce n'est pas un hasard si l'emprisonnement de ces militants pour le climat coïncide avec l'arrestation de journalistes et de militants désireux de mettre un terme au génocide à Gaza - notamment Sarah Wilkinson, Richard Barnard, cofondateur de Palestine Action, qui a perturbé le travail d'usines d'armement liées au génocide d'Israël, y compris Elbit Systems, ainsi que l'arrestation du journaliste britannico-syrien Richard Medhurst (ndr : publié sur ce blog), qui a vu son avion bloqué sur le tarmac par des véhicules de police afin d'être appréhendé avant qu'il n'atteigne la porte d'embarquement, et de l'ancien ambassadeur et journaliste britannique Craig Murray (ndr : publié sur ce blog), détenu en vertu de l'annexe 7 de la loi sur le terrorisme du Royaume-Uni.
L'annexe 7 est l'outil orwellien par excellence qui définit l'État corporatif. Il autorise la police, ainsi que les agents des douanes, à arrêter toute personne à tout point d'entrée maritime, terrestre ou aéroportuaire et à l'interroger pendant une durée maximale de six heures. On ne peut prétendre à refuser de répondre aux questions. On ne peut non plus prétendre à être assisté d'un avocat. Tout document, code PIN ou mot de passe doit être fourni sur demande. Les empreintes digitales et des échantillons d'ADN peuvent être prélevés. Toute personne reconnue coupable d'avoir "fait obstacle" à une demande au titre de l'annexe 7 est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 2 500 livres et d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois mois.
Le gouvernement britannique a usé des pouvoirs de l'annexe 7 pour interroger et obtenir des informations de centaines de milliers de personnes, voire plus, depuis 2001. 419 000 personnes ont fait l'objet d'une arrestation en vertu de cette annexe entre 2009 et 2019. Une analyse publiée par l'université de Cambridge en 2014 a conclu que 88 % des personnes interpellées et interrogées - sans aucun soupçon de délit - étaient musulmanes. Le gouvernement a refusé de publier des données sur le nombre de personnes contrôlées entre 2001 et 2009. Des centres communautaires ont été perquisitionnés, des manifestants ont été arrêtés et poursuivis, des fonds ont été saisis, des familles ont été terrorisées, intimidées et brisées. C'est cette ingérence de l'État qui s'abat aujourd'hui sur le reste d'entre nous, y compris les défenseurs du climat et ceux qui, sur les réseaux sociaux, soutiennent la résistance palestinienne, condamnent l'apartheid et le génocide de l'État d'Israël ou s'opposent même à l'OTAN.
Les services de renseignement des Five Eyes construisent des diagrammes de Venn* pour relier tous ceux qui s'opposent au sionisme, au néolibéralisme, au militarisme, à la censure de la presse, à la domination des entreprises et à l'industrie des combustibles fossiles. (*ndr : également appelé diagramme logique, un diagramme de Venn illustre toutes les relations logiques possibles dans une collection finie de différents ensembles).
La situation ne fera qu'empirer. Les administrations des universités américaines ont passé l'été à travailler en tandem avec des consultants en sécurité, dont beaucoup ont des liens avec Israël, pour déterminer les meilleurs moyens d'étouffer les manifestations de cet automne. Elles ont imposé des interdictions quasi universelles sur les campements, les installations temporaires, les systèmes de sonorisation, les inscriptions à la craie, les panneaux autoportants, les prospectus, les expositions en plein air et les tables de manifestation. Au moindre murmure de désaccord, dans ou hors de la salle de cours, les étudiants et les enseignants protestataires seront expulsés ou arrêtés.
Une décennie de soulèvements populaires s'est écoulée entre 2010 et la pandémie mondiale de 2020. Ces soulèvements ont ébranlé les fondements de l'ordre mondial. Ils ont dénoncé la domination des entreprises, les mesures d'austérité, l'absence de réponse à la crise climatique et ont réclamé la justice économique et les droits civiques. Aux États-Unis, des manifestations nationales ont eu lieu autour des campements Occupy, qui ont duré 59 jours. Des soulèvements populaires ont eu lieu en Grèce, en Espagne, en Tunisie, en Égypte, au Bahreïn, au Yémen, en Syrie, en Libye, en Turquie, au Brésil, en Ukraine, à Hong Kong, au Chili et lors de la révolution des bougies en Corée du Sud. Des hommes politiques discrédités ont été chassés du pouvoir en Grèce, en Espagne, en Ukraine, en Corée du Sud, en Égypte, au Chili et en Tunisie. La réforme, ou du moins sa promesse, a dominé le discours public. Elles semblaient annoncer une nouvelle ère.
Puis ce fut le retour de bâton. Les aspirations des mouvements populaires ont été broyées. Le contrôle de l'État et les inégalités sociales, au lieu d'être réduits, se sont étendus. Il n'y a pas eu de changement significatif. Dans la plupart des cas, les choses ont empiré. L'extrême droite a triomphé.
Que s'est-il passé ? Comment une décennie de manifestations de masse qui semblaient annoncer l'ouverture démocratique, la fin de la répression étatique, l'affaiblissement de la domination des entreprises et des institutions financières mondiales et une ère de liberté a-t-elle pu se solder par un échec ignominieux ? Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Comment les banquiers et les politiciens détestés ont-ils gardé ou repris le contrôle ?
Comme le souligne Vincent Bevins dans son livre If We Burn : The Mass Protest Decade and the Missing Revolution, les "techno-optimistes" qui prêchaient que les nouveaux médias numériques étaient une force révolutionnaire et démocratisante n'avaient pas prévu que les gouvernements autoritaires, les entreprises et les services de sécurité intérieure pourraient exploiter ces plateformes numériques et les transformer en moteurs de surveillance généralisée, de censure et en vecteurs de propagande et de désinformation. Les plateformes de réseaux sociaux qui ont rendu possibles les manifestations populaires se sont retournées contre nous.
Nombre de mouvements de masse, faute d'avoir mis en place des structures organisationnelles hiérarchiques, disciplinées et cohérentes, n'ont pas été en mesure de se défendre. Dans les rares cas où des mouvements organisés ont obtenu le pouvoir, comme en Grèce et au Honduras, les financiers et les entreprises internationales ont conspiré pour le récupérer de manière impitoyable. Dans la plupart des cas, la classe dirigeante a promptement comblé les vides de pouvoir créés par ces protestations. Elle a proposé de nouvelles formulations pour reconditionner l'ancien système. C'est la raison pour laquelle la campagne 2008 d'Obama a été nommée "Marketer of the Year" par Advertising Age. Elle a remporté le vote de centaines de spécialistes du marketing, de directeurs d'agences et de fournisseurs de services de marketing réunis lors de la conférence annuelle de l'Association of National Advertisers. Elle a devancé Apple et Zappos.com. Les professionnels le savaient. La marque Obama était le rêve des spécialistes du marketing. Ils ont reproduit la même arnaque avec Kamala Harris.
Trop souvent, les manifestations ont ressemblé à des foules éclair, les participants se déversant dans les espaces publics et créant un spectacle médiatique, au lieu de s'engager dans une perturbation soutenue, organisée et prolongée du pouvoir. Guy Debord saisit la futilité de ces spectacles/manifestations dans son livre La société du spectacle, notant que l'ère du spectacle signifie que ceux qui sont envoûtés par ses images sont "façonnés par ses lois". Les anarchistes et les antifascistes, comme les black blocs, ont souvent brisé des vitrines, jeté des pierres sur la police et renversé ou brûlé des voitures. Les actes aléatoires de violence, de pillage et de vandalisme étaient justifiés dans le jargon du mouvement, comme des composantes de l'insurrection "férale" ou "spontanée". Cette "pornographie de l'émeute" a ravi les médias, beaucoup de ceux qui y ont participé et, ce qui n'est pas une coïncidence, la police, qui en a usé pour justifier la poursuite de la répression et diaboliser les mouvements de protestation. L'absence de théorie politique a conduit les militants à utiliser la culture populaire, à l'instar du film V pour Vendetta, comme point de référence. Les outils beaucoup plus efficaces et paralysants que sont les campagnes d'éducation populaire, les grèves et les boycotts ont été ignorés ou mis de côté, peut-être parce qu'ils sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre et moins prestigieux.
ndr : Voir en relation cet article Guy Debord : La société du spectacle publié sur ce blog fin janvier 2023.
Comme l'a compris Karl Marx, "ceux qui ne peuvent se représenter eux-mêmes seront représentés".
Seuls des mouvements très organisés et structurés autour de la représentation nous sauveront.
"Nous pensions que la représentation était élitiste, mais elle est en fait l'essence même de la démocratie", explique Hossam Bahgat, journaliste d'investigation et défenseur des droits de l'homme égyptien, à Bevin dans le livre.
Et tous les mouvements révolutionnaires doivent être ancrés dans le monde du travail, sinon tout espace libre de pouvoir qui s'ouvrira sera comblé par les élites corporatistes, qui, elles, sont bien sûr très bien organisées.
Le problème est que les institutions et les structures de contrôle de la décennie de protestations sont restées intactes. Elles ont pu, comme en Égypte, se retourner contre les figures de proue de l'ancien régime, mais elles se sont également employées à saper les mouvements populaires et les leaders populistes. Elles ont saboté les efforts visant à arracher le pouvoir aux multinationales et aux oligarques. Elles ont empêché les populistes d'accéder au pouvoir ou les ont démis de leurs fonctions. Ainsi, la campagne vicieuse menée à l'encontre de Jeremy Corbyn et de ses partisans lorsqu'il dirigeait le Parti travailliste lors des élections générales de 2017 et 2019 au Royaume-Uni a été orchestrée par des membres de son propre parti, des entreprises, des sionistes, l'opposition conservatrice, des chroniqueurs célèbres, une presse mainstream qui a amplifié les calomnies et les assassinats de personnalités, des membres de l'armée britannique et les services de sécurité de la nation.
Les organisations politiques disciplinées ne sont pas suffisantes en elles-mêmes, comme l'a prouvé le gouvernement grec de gauche Syriza. Si les dirigeants d'un parti anti-establishment ne sont pas prêts à s'affranchir des structures de pouvoir existantes, ils seront cooptés ou écrasés lorsque leurs revendications seront rejetées par les centres de pouvoir en place. Syriza est finalement devenu un appendice du système bancaire international.
Le sociologue irano-américain Asef Bayat, qui a vécu à la fois la révolution iranienne de 1979 à Téhéran et le soulèvement de 2011 en Égypte, fait la distinction entre les conditions subjectives et objectives des soulèvements du printemps arabe qui ont éclaté en 2010. Les manifestants se sont peut-être opposés aux politiques néolibérales, mais ils ont également été façonnés, selon lui, par la "subjectivité" néolibérale.
"Les révolutions arabes étaient dépourvues du type de radicalisme - dans les perspectives politiques et économiques - qui a marqué la plupart des autres révolutions du 20ème siècle", écrit Bayat dans son livre Revolution without Revolutionaries : Making Sense of the Arab Spring. "Contrairement aux révolutions des années 1970 qui ont épousé une puissante impulsion socialiste, anti-impérialiste, anticapitaliste et de justice sociale, les révolutionnaires arabes étaient davantage préoccupés par les questions générales des droits de l'homme, de la responsabilité politique et de la réforme juridique. Les voix dominantes, qu'elles soient laïques ou islamistes, considéraient le marché libre, les relations de propriété et la rationalité néolibérale comme allant de soi - une vision du monde non critique qui ne répondait que du bout des lèvres aux véritables préoccupations des masses en matière de justice sociale et de répartition".
Comme l'écrit Bevins,
"une génération d'individus élevés dans l'optique d'une entreprise commerciale a été déradicalisée, en est venue à considérer cet ordre mondial comme "naturel" et est devenue incapable d'imaginer ce qu'il faut faire pour mener une véritable révolution".
"Les soulèvements populaires", dit-il, "ont très bien réussi à faire exploser les structures sociales et à créer des vides politiques".
Mais ces vides politiques ont été rapidement comblés en Égypte par l'armée. Au Bahreïn, par l'Arabie saoudite et le Conseil de coopération du Golfe, et à Kiev, par un "ensemble différent d'oligarques et de nationalistes militants bien organisés". En Turquie, c'est finalement Recep Tayyip Erdoğan qui a pris la relève. À Hong Kong, c'est Pékin.
"La protestation de masse structurée horizontalement, coordonnée numériquement et sans leader est fondamentalement illisible", écrit Bevins. "Vous ne pouvez pas l'observer ou la questionner et en tirer une interprétation cohérente basée sur des preuves. Vous pouvez rassembler des faits, absolument - des millions de faits. Mais vous ne pourrez pas les utiliser pour construire une lecture qui fasse autorité. Cela veut dire que la signification de ces événements leur sera imposée de l'extérieur. Pour comprendre ce qui pourrait se produire après une explosion de protestation donnée, il ne faut pas seulement prêter attention à ceux qui attendent dans les coulisses de combler un vide de pouvoir. Il faut savoir qui a le pouvoir de définir le soulèvement lui-même".
L'absence de structures hiérarchiques dans les récents mouvements de masse, dans le but d'éviter un culte du leadership et de s'assurer que toutes les voix sont entendues, bien qu'elle soit noble dans ses aspirations, fait de ces mouvements des proies faciles. À l'époque où le parc Zuccotti comptait des centaines de personnes participant aux assemblées générales, par exemple, la diffusion des voix et des opinions était synonyme de paralysie, en particulier lorsque le mouvement a été fortement infiltré par la police, le FBI et la sécurité intérieure. Peter Kropotkin insiste sur ce point, en écrivant que le consensus fonctionne dans les petits groupes - il plafonne le nombre à 150 - mais paralyse les grandes organisations.
Les révolutions nécessitent des organisateurs compétents, de l'autodiscipline, une vision idéologique alternative, un art et une éducation révolutionnaires. Elles nécessitent des perturbations durables du pouvoir et, surtout, des dirigeants qui représentent le mouvement. Les révolutions sont des projets longs et difficiles qui prennent des années à se mettre en place, sapant lentement et souvent imperceptiblement les fondations du pouvoir. Les révolutions réussies du passé, ainsi que leurs théoriciens, devraient être notre guide, et non les images éphémères qui nous parviennent des médias de masse.
La révolution n'est pas, en fin de compte, un calcul politique. C'est une question de morale. Elle est fondée sur la vision d'un autre monde, d'une autre façon d'être. Elle est motivée, en fin de compte, par un impératif moral, d'autant plus que beaucoup de ceux qui initient une révolution ne survivent pas pour en voir l'accomplissement. Les révolutionnaires savent que, comme l'a écrit Emmanuel Kant : "Si la justice périt, la vie humaine sur terre a perdu son sens". Cela signifie que, comme Socrate, nous devons arriver à un point où il vaut mieux souffrir du mal que de faire le mal. Nous devons à la fois voir et agir, et compte tenu de ce que signifie voir, cela exigera de surmonter le désespoir, non par la raison, mais par la foi.
J'ai vu dans les conflits que j'ai couverts la puissance de cette foi, qui se situe en dehors de tout credo religieux ou philosophique. Cette foi, c'est ce que Havel a appelé dans son essai "Le pouvoir des sans-pouvoirs" vivre dans la vérité. Vivre dans la vérité expose la corruption, les mensonges et la tromperie de l'État. C'est refuser de participer à la mascarade.
"On ne devient pas "dissident" simplement parce qu'on décide un jour d'embrasser cette carrière des plus inhabituelles", écrit Havel. "On y est projeté par votre sens de la responsabilité personnelle, combiné à un ensemble complexe de circonstances extérieures. Vous êtes exclu des structures existantes et placé en position de conflit avec elles. Cela commence par essayer de bien faire son travail et se termine par être qualifié d'ennemi de la société. ... Le dissident n'opère pas du tout dans le domaine du véritable pouvoir. Il ne cherche pas le pouvoir. Il n'a aucun désir d'occuper une fonction et ne cherche pas à récolter des voix. Il n'essaie pas de charmer le public. Il n'offre rien et ne promet rien. Il ne peut offrir que sa propre peau - et il l'offre uniquement parce qu'il n'a pas d'autre moyen d'affirmer la vérité qu'il défend. Ses actions expriment simplement sa dignité de citoyen, quel qu'en soit le prix".
Le long, très long chemin de sacrifices et de souffrances qui a conduit à l'effondrement des régimes communistes s'est étendu sur des décennies. Ceux qui ont rendu le changement possible sont ceux qui avaient abandonné toute notion pratique. Ils n'ont pas essayé de réformer le parti communiste. Ils n'ont pas essayé de travailler au sein du système. Ils ne savaient même pas ce que leurs minuscules protestations, ignorées par les médias contrôlés par l'État, allaient accomplir, si tant est qu'elles le fussent. Mais à travers tout cela, ils se sont accrochés à des impératifs moraux. Ils l'ont fait parce que ces valeurs étaient justes et équitables. Ils n'attendaient aucune récompense pour leur vertu ; ils n'en ont d'ailleurs reçu aucune. Ils ont été marginalisés et persécutés. Et pourtant, ces dissidents, poètes, dramaturges, acteurs, chanteurs et écrivains ont finalement triomphé de l'État et du pouvoir militaire. Ils ont attiré le bien vers le bien. Ils ont triomphé parce que, même si les masses qui les entouraient semblaient lâche et brisée, leur message de défi n'est pas resté inaudible. Il n'est pas passé inaperçu. Le rythme régulier de la rébellion a constamment mis en évidence la main dormante de l'autorité et la pourriture de l'État.
En 1989, par une froide nuit d'hiver, j'étais aux côtés de centaines de milliers de Tchécoslovaques révoltés sur la place Venceslas de Prague, alors que la chanteuse Marta Kubisova s'approchait du balcon de l'immeuble Melantrich. Elle avait été bannie des ondes en 1968, après l'invasion soviétique, pour son hymne de défiance Modlitba pro Martu (Prière pour Marta). Tout son répertoire, comprenant plus de 200 titres, avait été confisqué et détruit par l'État. Elle avait disparu de la scène publique. Ce soir-là, sa voix a soudain inondé la place. Autour de moi se pressaient des milliers et des milliers d'étudiants, dont la plupart n'étaient pas nés lorsqu'elle a disparu. Ils ont commencé à entonner les paroles de l'hymne. Des larmes coulaient sur leurs visages. C'est alors que j'ai compris le pouvoir de la rébellion. C'est alors que j'ai su qu'aucun acte de rébellion, aussi futile qu'il puisse paraître sur le moment, n'est perdu. C'est alors que j'ai su que le régime communiste était fini.
"Le peuple décidera à nouveau de son propre destin", a entonné la foule à l'unisson avec Kubisova. En cet hiver glacial, les murs de Prague étaient couverts d'affiches représentant Jan Palach. Étudiant à l'université, Palach s'est immolé par le feu sur la place Venceslas le 16 janvier 1969, en pleine journée, pour protester contre l'écrasement du mouvement démocratique dans le pays. Il est mort de ses brûlures trois jours plus tard. L'État a rapidement tenté d'effacer son acte de la mémoire nationale. Les médias d'État n'en ont fait aucune mention. Une marche funèbre organisée par des étudiants de l'université a été brisée par la police. Sur la tombe de Palach, qui est devenue un sanctuaire, les autorités communistes ont exhumé son corps, incinéré ses restes et les ont envoyés à sa mère, à condition que ses cendres ne puissent reposer dans un cimetière. Mais cela n'a pas fonctionné. Son défi est resté un cri de ralliement. Son sacrifice a incité les étudiants de l'hiver 1989 à agir. Peu après mon départ pour Bucarest afin de couvrir le soulèvement en Roumanie, la place de l'Armée rouge de Prague a été rebaptisée place Palach. Dix mille personnes ont assisté à l'inauguration.
Comme ceux qui se sont opposés à la longue nuit du communisme, nous ne disposons plus d'aucun mécanisme au sein des structures officielles du pouvoir pour protéger ou faire progresser nos droits. Nous avons nous aussi subi un coup d'État perpétré non pas par les dirigeants au visage de pierre d'un parti communiste monolithique, mais par l'État corporatif.
Face à la destruction impitoyable de notre nation, de notre culture et de notre écosystème par les entreprises, nous pouvons nous sentir impuissants et faibles. Mais ce n'est pas le cas. Nous avons un pouvoir qui terrifie l'État corporatif. Tout acte de rébellion, quel que soit le nombre de personnes qui s'y joignent ou la censure dont il fait l'objet, ébranle le pouvoir de l'entreprise. Tout acte de rébellion entretient les braises de mouvements plus vastes qui nous suivent. Il nourrit un autre récit. Au fur et à mesure que l'État se consumera, il attirera un nombre toujours plus grand de personnes. Peut-être que cela ne se produira pas de notre vivant. Mais si nous persistons, nous maintiendrons cette possibilité en vie. À défaut, elle mourra.
Reinhold Niebuhr a qualifié cette capacité à défier les forces de répression de "sublime folie de l'âme". Il écrit que "rien d'autre que la folie ne peut lutter contre le pouvoir malin et la "méchanceté spirituelle en haut lieu"". Cette folie sublime, comme l'a compris Niebuhr, est dangereuse, mais elle est vitale. Sans elle, "la vérité est obscurcie". Il savait également que le libéralisme traditionnel était une force inutile dans les moments extrêmes. Le libéralisme, disait Niebuhr, "manque d'esprit enthousiaste, pour ne pas dire de fanatisme, si nécessaire pour sortir le monde de ses sentiers battus. Il est trop intellectuel et trop peu émotionnel pour être une force efficace dans l'histoire".
Les prophètes de la Bible hébraïque avaient cette sublime folie. Les paroles des prophètes hébreux, comme l'a écrit Abraham Heschel, étaient "un cri dans la nuit. Alors que le monde est à son aise et endormi, le prophète ressent le souffle du ciel". Le prophète, parce qu'il a vu et affronté une réalité désagréable, a été, comme l'a écrit Heschel, "contraint de proclamer le contraire de ce que son cœur attendait".
Cette sublime folie est essentielle. C'est l'acceptation du fait que lorsque vous vous tenez aux côtés des opprimés, vous êtes traités comme des opprimés. C'est l'acceptation du fait que, même si empiriquement tout ce pour quoi nous avons lutté au cours de notre vie peut être pire, notre combat se valide lui-même.
Comme l'écrit Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme, les seules personnes moralement fiables ne sont pas celles qui disent "ceci est mal" ou "il ne faudrait pas faire ceci", mais celles qui disent "je ne peux pas".
Karl Popper, dans La société ouverte et ses ennemis, écrit que la question n'est pas de savoir comment faire pour que de bonnes personnes gouvernent. Selon Popper, ce n'est pas la bonne question. La plupart des personnes attirées par le pouvoir, écrit-il, "ont rarement été au-dessus de la moyenne, que ce soit sur le plan moral ou intellectuel, et ont souvent été en dessous". La question est de savoir comment construire des forces pour limiter le despotisme des puissants. Il y a un passage dans les mémoires d'Henry Kissinger - n'achetez pas le livre - où Nixon et Kissinger regardent les dizaines de milliers de manifestants anti-guerre qui ont encerclé la Maison Blanche. L'administration Nixon avait placé des bus municipaux vides autour de la Maison Blanche pour retenir les manifestants. "Henry, dit-il, ils vont franchir les barricades et venir nous chercher".
Et c'est exactement ce que nous voulons pour les personnes au pouvoir. C'est pourquoi, bien qu'il n'ait pas été libéral, Nixon a été notre dernier président libéral. Il redoutait les mouvements. Et si nous ne parvenons pas à faire trembler les élites, nous échouerons.
Nous devons construire des structures organisées de défiance manifeste. Cela peut prendre des années. Mais sans un contrepoids puissant, sans une vision alternative et sans structures alternatives d'autogestion, nous serons de plus en plus désarmés. Chaque action que nous entreprenons, chaque mot que nous prononçons doit clairement faire comprendre que nous refusons de participer à notre propre asservissement et à notre propre destruction.
Le courage est contagieux. Les révolutions commencent, comme je l'ai vu en Allemagne de l'Est, avec quelques membres du clergé luthérien tenant des bougies alors qu'ils défilaient dans les rues de Leipzig, en Allemagne de l'Est. Elles finissent avec un demi-million de personnes manifestant à Berlin-Est, la défection de la police et de l'armée aux côtés des manifestants et l'effondrement de l'État de la Stasi. Mais les révolutions ne se produisent que lorsque quelques dissidents décident de ne plus coopérer.
Nous n'y parviendrons peut-être pas. Qu'il en soit ainsi. Au moins, ceux qui viendront après nous, et je parle en tant que père, pourront dire que nous avons essayé. Les forces corporatistes qui nous tiennent dans leur étau détruiront nos vies. Elles détruiront la vie de mes enfants. Elles détruiront la vie de vos enfants. Elles détruiront l'écosystème qui rend la vie possible. Nous devons à ceux qui viendront après nous de ne pas être complices de ce mal. Nous leur devons de refuser d'être de bons Allemands.
En fin de compte, je ne me bats pas contre les fascistes parce que je vais gagner. Je combats les fascistes parce qu'ils sont fascistes.
ndr : Lire ou relire cet article de Chris Hedges publié sur ce blog intitulé Pourquoi nos mouvements populaires de masse échouent.
Vidéo : Chris Hedges, Le prix de la résistance, 48' sous titres disponibles.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Chris Hedges …
Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été correspondant à l'étranger pendant quinze ans pour le New York Times, où il a occupé les fonctions de chef du bureau du Moyen-Orient et de chef du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l'étranger pour The Dallas Morning News, The Christian Science Monitor et NPR. Il est l'animateur de l'émission The Chris Hedges Report.
Il a fait partie de l'équipe qui a remporté le prix Pulitzer 2002 du reportage explicatif pour la couverture du terrorisme mondial par le New York Times, et a reçu le prix mondial Amnesty International 2002 pour le journalisme sur les droits de l'homme. Hedges, titulaire d'une maîtrise en théologie de la Harvard Divinity School, est l'auteur des best-sellers American Fascists : The Christian Right and the War on America, Empire of Illusion : The End of Literacy and the Triumph of Spectacle et a été finaliste du National Book Critics Circle pour son livre War Is a Force That Gives Us Meaning. Il écrit une chronique en ligne pour le site Web ScheerPost. Chris a enseigné à l'Université Columbia, à l'Université de New York, à l'Université de Princeton et à l'Université de Toronto.
📰 Lien de l'article original :
◾️ ◾️ ◾️
2- Résister : L'esprit de résistance
19ème amendement, Adversité, Anonymous, Droits civiques, Égalité, Greta Thunberg, Histoire, Julian Assange, Justice, Mahatma Gandhi, Martin Luther King Jr, Nelson Mandela, Rébellion, Résilience, Résister, Résistance, Suffragette, suffragettes
Par Pen Vs Words, le 16 juillet 2024, Promises Project
Les multiples facettes du mot "résister"
Le mot résister est un terme compact, mais aux multiples facettes, qui trouve un écho chez les individus du monde entier. Il possède la capacité profonde d'englober un éventail d'actions, d'émotions et d'idéaux, tous axés sur la notion de défi, de détermination et d'engagement inébranlable à prendre position ou à relever divers défis. Dans son essence, résister évoque l'esprit de résistance, de rébellion et de résilience, reflétant la volonté humaine d'affronter, de s'adapter et de triompher de l'adversité. Cet article examine les tréfonds du mot résister afin de découvrir sa signification en tant que force puissante qui alimente l'effort humain et façonne le cours de l'histoire.
Le paysage lexical de résister
Pour comprendre le sens du mot résister, il est impératif d'explorer son paysage lexical. En tant que verbe, résister a de multiples connotations et interprétations, qui peuvent être résumées en trois aspects fondamentaux : l'opposition, la résilience et l'affirmation de valeurs.
L'opposition :
Le terme résister désigne essentiellement l'opposition à une force, une influence ou une idée extérieure. Cette forme de résistance est souvent associée à la lutte contre l'oppression, l'injustice ou la tyrannie. Elle signifie le refus de se conformer ou de se soumettre à des mesures coercitives. Tout au long de l'histoire, d'innombrables individus et mouvements ont eu recours à cette forme de résistance pour contester des régimes oppressifs, des politiques discriminatoires et des injustices sociales. Des icônes telles que Mahatma Gandhi, Nelson Mandela et Martin Luther King Jr. illustrent le pouvoir de la résistance non violente face à des adversaires redoutables.
La résilience :
Résister n'est pas seulement un acte de défi, c'est aussi un témoignage de la résilience humaine. Ce mot incarne la capacité à résister à l'adversité, aux difficultés et aux épreuves. Lorsqu'une personne résiste, elle fait preuve de force et de ténacité face aux défis de la vie. Cet aspect de la résistance se retrouve dans la vie de tous les jours, lorsque les individus font appel à leur force intérieure pour endurer des luttes personnelles, qu'elles soient physiques, émotionnelles ou psychologiques. Il nous rappelle que la résilience est une composante essentielle de l'expérience humaine, qui nous permet de persévérer à travers les tribulations de la vie.
L'affirmation des valeurs :
La résistance n'est pas seulement une question d'opposition ou d'endurance ; c'est aussi un moyen d'affirmer ses valeurs et ses principes. Elle implique de prendre position pour ce en quoi l'on croit, même si cela va à l'encontre des normes en vigueur ou des pressions sociétales. Cette résistance est souvent associée aux mouvements qui défendent les droits civiques, l'égalité des sexes, la préservation de l'environnement et diverses causes de justice sociale. Elle signifie un refus de compromettre ses convictions profondes et un engagement inébranlable à provoquer un changement positif.
L'histoire de la résistance
Tout au long de l'histoire, le concept de résistance a joué un rôle essentiel dans le destin des nations et le progrès de l'humanité. Les livres d'histoire regorgent d'histoires d'individus et de communautés qui, inspirés par l'idée de résister, ont légué au monde une trace indélébile.
L'un des exemples les plus célèbres de résistance face à l'oppression est le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Mené par des visionnaires comme Martin Luther King Jr, ce mouvement a symbolisé l'engagement inébranlable à résister à la ségrégation et à la discrimination raciales. Par des manifestations non violentes, des sit-in et la désobéissance civile, les militants de ce mouvement ont affirmé leurs valeurs d'égalité et de justice, ce qui a finalement conduit au démantèlement des lois Jim Crow et à la mise en place d'une législation conséquente en matière de droits civiques.
De même, le mouvement des suffragettes, à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, a illustré le pouvoir de la résistance dans la quête de l'égalité hommes-femmes. Des femmes comme Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton ont résolument résisté aux normes sociétales qui leur refusaient le droit de vote. Leur plaidoyer inlassable et leur désobéissance civile ont ouvert la voie à l'adoption du 19ème amendement de la Constitution américaine, qui a accordé le droit de vote aux femmes.
Sur la scène mondiale, des personnalités comme Nelson Mandela et sa résistance inébranlable contre l'apartheid en Afrique du Sud sont emblématiques de la pérennité de l'esprit humain. Ses 27 années d'emprisonnement ne l'ont pas dissuadé de défendre la cause de l'égalité raciale et de la réconciliation. L'engagement sans faille dont il a fait preuve pour résister au régime oppressif de l'apartheid a finalement abouti au démantèlement de l'apartheid et à son élection en tant que premier président noir de l'Afrique du Sud.
Le pouvoir de la non-violence
Un aspect frappant de la résistance est le pouvoir de la non-violence en tant que moyen d'apporter un changement transformateur. Le Mahatma Gandhi, souvent appelé le "père de la nation" en Inde, a démontré l'efficacité remarquable de la résistance non violente, ou Satyagraha, dans la quête de l'indépendance contre la domination coloniale britannique. Les principes de Gandhi en matière de désobéissance civile, de boycott et de protestation pacifique ont incité des millions de personnes à se joindre à la lutte pour la liberté. Grâce à son engagement inébranlable à résister à la tyrannie sans recourir à la violence, l'Inde a finalement obtenu son indépendance en 1947.
La résistance non violente a également joué un rôle déterminant dans des mouvements contemporains tels que le Printemps arabe, où des citoyens ordinaires de divers pays du Moyen-Orient se sont soulevés contre des régimes oppressifs. Ces mouvements, caractérisés par des manifestations de masse et la désobéissance civile, ont mis en évidence le pouvoir de l'action collective fondée sur la non-violence.
Résister à l'injustice aujourd'hui
Le sens du mot résister continue d'évoluer et de s'adapter aux défis toujours changeants du monde contemporain. Au 21ème siècle, la résistance se manifeste sous diverses formes, de l'activisme numérique à la protection de l'environnement.
L'activisme numérique, souvent désigné par le terme "hacktivisme", s'appuie sur la technologie pour résister à la censure, défendre les droits de l'homme et exposer la corruption. Des organisations comme WikiLeaks et Anonymous ont exploité le pouvoir de l'internet pour remettre en cause le secret, faire la lumière sur les abus des gouvernements et amplifier les voix des communautés marginalisées.
La résistance environnementale est une autre facette essentielle de la résistance contemporaine. Alors que le monde est confronté au problème urgent du changement climatique, des individus et des organisations résistent à la dégradation de l'environnement par des efforts de conservation, la promotion des énergies renouvelables et des pratiques durables. Le mouvement mené par les jeunes, illustré par les "Vendredis pour l'avenir" de Greta Thunberg, a galvanisé des millions de personnes à travers le monde pour résister à la voie destructrice du changement climatique et exiger des mesures immédiates.
Le sens de résister est un tableau aux couleurs d'opposition, de résilience et d'affirmation des valeurs. Il englobe la capacité de l'esprit humain à défier l'injustice, à supporter l'adversité et à défendre ce qui est juste. Des mouvements historiques pour les droits civiques et l'égalité des sexes aux luttes contemporaines contre l'oppression et la dégradation de l'environnement, la résistance a façonné le cours de l'histoire de l'humanité.
En somme, résister est une lueur d'espoir qui rappelle que les individus et les communautés ont le pouvoir d'apporter des changements positifs face à des défis apparemment insurmontables. C'est un appel à l'action, une déclaration de détermination inébranlable et un testament éternel de l'esprit humain indomptable. Dans un monde où règnent l'incertitude et la complexité, résister est un symbole intemporel et universel de la résilience humaine et de la quête perpétuelle de la justice et de l'égalité.
📰 https://promisesproject.net/pen-vs-sword/sword/resist/
◾️ ◾️ ◾️
Magnifique hymne à la résistance qui devrait constituer le bréviaire de tout citoyen du monde encore en possession de tous ses moyens cognitifs.
Force est de constater qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, et que la gestation du nouveau monde auquel nous aspirons sera longue et…dystocique….