❖ Julian Assange & son triomphe tout à fait particulier
Même si le rapport de l'APCE n'a pas de force exécutoire, il peut faire une réelle différence en termes de perception, les résolutions de l'APCE revêtant une certaine importance pour la CEDH
Un triomphe tout à fait particulier
Par Craig Murray, le 5 octobre 2024, Blog de l'auteur
À la fin du témoignage de Julian Assange devant la commission judiciaire de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, 95 % des 220 personnes présentes dans la salle se sont levées pour l'ovationner.
Le public comptait des membres de l'Assemblée parlementaire, qui sont des délégués de leurs parlements nationaux, venant de toute l'Europe. Il s'agissait en outre de membres de l'ensemble du spectre politique européen, y compris des partis nationaux dominants.
Le public comprenait également des membres du personnel et des experts du Conseil de l'Europe, ainsi que des médias du monde entier. Notez bien - et je n'ai jamais été témoin d'une chose pareille - que la centaine de représentants de la presse se sont tous levés pour se joindre aux applaudissements. Je dois souligner qu'il ne s'agissait pas des médias alternatifs, mais bien de médias traditionnels dans toute leur majesté.
En regardant un peu plus haut, ils se tenaient même debout et applaudissaient derrière la vitre des cabines des interprètes.
La dignité et la limpidité de la déclaration préparée par Julian ainsi que l'honnêteté de son discours ont provoqué cette réaction, conjuguée à la sympathie pour un homme ayant injustement souffert de privations et d'épreuves extrêmes pendant des années. J'espère qu'il s'agissait d'un temps fort et précieux pour Julian, qui le méritait amplement.
Mais je dois avouer que j'ai regardé les médias applaudir et j'ai repensé à la façon dont Julian avait été calomnié et dénigré et dont son cas avait été entièrement déformé pendant plus d'une décennie. Je me suis souvenu qu'il avait été présenté à tort pendant des années non seulement comme un délinquant sexuel, mais aussi comme un fou qui barbouillait les murs d'excréments.
Oh, bien sûr, "il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent". Si les grands médias sont désormais disposés à couvrir positivement les pensées de Julian, ce sera une très bonne chose, comme cela s'est d'ailleurs produit en grande partie à l'occasion de cet événement. Ses propos sur l'assassinat de journalistes à Gaza et sur la programmation de cibles à Gaza à l'aide de l'intelligence artificielle ont été un excellent indicateur de la tendance de ses pensées.
J'étais également très inquiet pour la santé de Julian. Je ne souhaite en aucun cas déprécier son excellente performance et le succès dont il a joui et qu'il méritait. Mais pour moi, les signes indiquant que son rétablissement n'est pas encore complet étaient très évidents. Sa récupération physique semble complète ; il avait l'air en forme et avait perdu ses bouffissures de prisonnier. Mais après des années d'isolement, le cerveau met plus de temps à se réadapter aux stimuli.
Il n'avait pas encore retrouvé son éclat et sa fougue d'antan. Sa voix présentait peu de nuances de ton et de hauteur, ainsi qu'une légère hésitation dans l'élocution. Il a répondu aux questions de manière adéquate et réfléchie, mais la maîtrise du feu de son élocution n'était pas au rendez-vous et il a parfois semblé ne pas avoir saisi l'idée maîtresse de la question.
Lorsque la députée allemande Sevim Dagdelen, amie de longue date et ardente militante en sa faveur depuis de nombreuses années, lui a posé une question, il ne l'a manifestement pas reconnue et s'est alors déclaré trop fatigué pour continuer.
Je connais bien les effets du décalage horaire, et il ne s'agissait pas seulement de cela.
Je connais aussi très bien les effets de l'isolement cellulaire, pour l'avoir enduré pendant quatre mois. Julian en a enduré 17 fois plus, précédé de huit années à l'ambassade, avec de surcroît la pression extrême de ne pas savoir quand et même si cela se terminerait un jour. N'oubliez pas que, comme l'a rapporté le professeur Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, et comme le réaffirme aujourd'hui le Conseil de l'Europe, le traitement de Julian s'apparente à des années et des années de torture.
Julian lui-même a déclaré au début de sa présentation : "les années d'isolement ont fait des ravages". Lors de la conférence de presse qui a suivi, Stella a souligné, sans violer la vie privée de Julian, que sa guérison était loin d'être achevée.
J'espère que le soutien du Conseil de l'Europe a donné un véritable coup de fouet au moral de Julian, mais j'espère aussi qu'il va maintenant se concentrer sur son rétablissement et ne pas chercher à se replonger trop vite dans les affaires publiques.
Je constate que Julian est soumis à de fortes pressions de la part de ceux qui souhaitent, avec les meilleures intentions du monde, l'impliquer dans diverses causes en ce moment crucial de crise, qui n'est pas seulement un conflit armé, mais une crise des valeurs et des convictions exacerbée par la technologie.
Julian a indiqué qu'à l'avenir, il pourrait s'intéresser principalement à l'IA, à la cryptologie et à la neurotechnologie, ainsi qu'à leurs utilisations et abus. Lors de la conférence de presse sans Julian, Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de Wikileaks, a indiqué que l'avenir de Wikileaks et le rôle de Julian seraient discutés, mais que Julian n'était libre que depuis quelques semaines et qu'il lui fallait plus de temps avant de prendre de grandes décisions.
Je suis persuadé que c'est exact, et je vous prie de considérer cet article comme un appel à tout un chacun à laisser Julian tranquille et à lui accorder plus de temps - autant qu'il le souhaite - pour se rétablir complètement. Julian est un homme, pas une cause ou un principe.
Je dois ajouter ici que mes 14 années de campagne pour la libération de Julian sont manifestement terminées. Ce fut une coda triomphante. Me voici, bien plus jeune, prononçant un discours devant l'ambassade d'Équateur le jour où Julian y est entré (19 août 2012).
Et, plus de dix ans plus tard, prononçant un discours à l'issue de sa dernière audience d'appel en matière d'extradition devant la Haute Cour (21 févr. 2024) :
Le chemin a été long et difficile, il m'a fait traverser le monde, m'a permis de rencontrer de nombreux militants et de me faire des amis extraordinaires, chacun d'entre eux ayant contribué à créer le climat qui a finalement conduit à la libération de Julian.
Vous pouvez retrouver l'intégralité du discours de Julian et de la session de questions-réponses ci-dessous (ndr : traduit en français sur ce blog ici) :
Le Conseil de l'Europe est le grand-père des institutions européennes. Il n'est ni l'Union européenne ni l'Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe. Le mandat du Conseil de l'Europe est de promouvoir la démocratie et les droits de l'homme, et il a été un instrument clé de la détente, bien que la Russie ait récemment quitté le processus en raison de l'hypocrisie du ciblage exercé par ce Conseil.
Contrairement à l'Union européenne, le Conseil de l'Europe n'a pas de rôle économique. Contrairement au Parlement européen de l'UE, qui légifère en collaboration avec le Conseil et la Commission, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) n'est pas un organe législatif. Elle n'est pas non plus directement élue.
Les parlements nationaux des États membres du Conseil de l'Europe envoient des délégués parmi leurs membres pour composer l'APCE qui est donc composée de députés nationaux.
Dans le cas du Royaume-Uni, plusieurs d'entre eux sont membres de la Chambre des Lords. Il est donc anormal que la commission judiciaire devant laquelle Julian a comparu, dans un organe européen voué à la promotion de la démocratie, ait été présidée par un homme politique britannique pour lequel personne n'avait jamais voté, Lord Richard Keen, un pur conservateur écossais.
Le débat qui a suivi a adopté une résolution (ndr : que vous pouvez retrouver traduite en français sur ce blog ici) reconnaissant spécifiquement que Julian Assange avait été un prisonnier politique. C'est le seul aspect du rapport et de la résolution sur lequel les atlantistes ont tenté de mener un combat d'arrière-garde. Ils n'ont pas essayé de supprimer les éléments sur la liberté d'expression et d'information, sur les crimes de guerre américains et sur la fin de l'impunité, sur la protection des lanceurs d'alerte, sur l'abus de procédure judiciaire ou sur les conditions épouvantables de la détention de Julian. Mais ils ont tenté de supprimer le terme "prisonnier politique".
Ils ont échoué. Seuls les atlantistes les plus extrêmes ont voté en faveur des amendements à cet effet, principalement ceux du parti conservateur britannique et du parti polonais Droit et Justice. Lors du vote final sur la résolution, ils n'ont pu réunir que 13 voix contre 88.
La raison pour laquelle les délégués de l'ADLE et du PPE ont soutenu la résolution à l'APCE, alors que leurs collègues du Parlement européen bloquaient une telle action, est que les directions des partis ont beaucoup moins de contrôle à l'APCE. Le Parlement européen a donc été en mesure de mettre en place une commission chargée d'enquêter sur l'affaire, avec un excellent rapport produit par sa rapporteure islandaise.
Je me suis entretenu avec trois membres de la commission, et tous m'ont dit combien ils avaient été choqués par l'écart entre les faits réels de l'affaire et les comptes-rendus des médias.
Le Parlement européen, en revanche, a refusé de se pencher sur l'affaire Assange et le PPE et l'ADLE ont carrément refusé d'en discuter, et ce, même lors de réunions internes du groupe.
Même si ce rapport de l'APCE n'a pas de force exécutoire, il peut faire une réelle différence en termes de perception. Le rapport et la résolution de l'APCE sur la torture et les restitutions extraordinaires, par exemple, pour lesquels j'ai moi-même témoigné, ont eu un effet majeur sur l'opinion publique et politique et ont amené les médias à accepter ces événements comme des faits.
La Cour européenne des droits de l'homme est un organe du Conseil de l'Europe. Les résolutions de l'APCE revêtent une certaine importance pour la Cour européenne des droits de l'homme. Une chose que nous avons apprise de Julian, c'est que son accord de plaidoyer inclut des dispositions l'empêchant de saisir la CEDH quant au traitement qu'il a subi, et de présenter des demandes au titre de la liberté de l'information.
Je suppose que s'il ne respecte pas ces conditions, il existe aux États-Unis un mécanisme permettant de rouvrir les poursuites ou tout au moins la condamnation. Mais je ne vois pas comment ce mécanisme pourrait être appliqué contre lui en Europe. La CEDH n'acceptera pas que le droit de recours en matière de droits fondamentaux puisse être abandonné dans le cadre d'un accord coercitif, et je ne vois même pas le Royaume-Uni chercher à extrader quelqu'un vers les États-Unis parce qu'il a fait appel auprès de la CEDH.
C'est impensable.
Il est peut-être intéressant de noter que parmi l'entourage étrangement nombreux d'Assange se trouvaient les avocats belges et français qui avaient été spécifiquement chargés de préparer son recours devant la CEDH si les tribunaux britanniques avaient ordonné son extradition. À suivre donc...
Il convient également de noter que l'APCE a sélectionné la Suède pour un examen périodique de son bilan en matière de droits de l'homme, qui débutera l'année prochaine. Les personnes à l'origine de cette sélection l'ont proposée spécifiquement pour qu'un rapport puisse être produit afin d'examiner en profondeur l'extraordinaire concoction d'allégations d'allégations sexuelle à l'encontre d'Assange et leur utilisation abusive par les autorités, comme l'explique en détail le remarquable livre de Nils Melzer (ndr : ce lien mène aux éditions Critiques pour le livre en français). Alors, encore une fois, surveillez ce site...
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Julian Assange : L'intelligence artificielle utilisée pour les assassinats de masse à Gaza
"Alors qu'il existait auparavant une différence entre les assassinats et les guerres, les deux sont désormais liés : de nombreuses cibles, sinon la majorité d'entre elles, sont bombardées à Gaza par le biais d'un ciblage effectué à l'aide de l'intelligence artificielle"
Par la rédaction du Palestine Chronicle, le 4 octobre 2024
Julian Assange, fondateur de Wikileaks, a déclaré que l'intelligence artificielle était utilisée pour "mener des assassinats de masse" à Gaza.
"Alors que je sors de prison, je constate que l'intelligence artificielle est utilisée pour commettre des assassinats de masse", a-t-il déclaré au Conseil de l'Europe (APCE) cette semaine, dans sa première déclaration publique depuis sa libération en juin, après 14 ans d'incarcération.
Ajoutant,
"Là où il y avait auparavant une différence entre les assassinats et la guerre, les deux sont désormais liés, et de nombreuses cibles à Gaza, sinon la majorité, sont bombardées grâce au ciblage de l'intelligence artificielle".
Le lien entre l'intelligence artificielle et la surveillance est important, a-t-il poursuivi.
"L'intelligence artificielle nécessite des informations pour trouver des cibles, des idées ou de la propagande. Lorsque nous parlons du recours à l'intelligence artificielle pour mener des assassinats de masse, les données de surveillance provenant des téléphones et de l'internet sont essentielles pour former ces algorithmes", a expliqué Assange.
Israël a perpétré plusieurs massacres dans le cadre de l'assaut génocidaire qu'il mène depuis un an contre la bande de Gaza assiégée. Cette semaine, près de 100 Palestiniens ont été tués en 24 heures lorsque l'armée israélienne a pris pour cible des maisons, une école abritant des familles déplacées ainsi qu'un orphelinat.
J'ai plaidé coupable pour journalisme
Libéré à la suite d'un accord avec les autorités américaines, Assange a déclaré :
"J'ai finalement choisi la liberté plutôt qu'une justice irréalisable, après avoir été détenu pendant des années et avoir risqué une peine de 175 ans sans aucun recours efficace".
"Si je suis libre aujourd'hui, ce n'est pas parce que le système a fonctionné. Je suis libre aujourd'hui après des années d'incarcération parce que j'ai plaidé coupable de journalisme", a-t-il ajouté dans son discours devant la commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l'APCE.
Assange a souligné :
"les droits des journalistes et des éditeurs dans l'espace européen sont sérieusement menacés".
Ajoutant :
"La criminalisation des activités de collecte d'informations est une menace pour le journalisme d'investigation partout dans le monde. J'ai été formellement condamné par une puissance étrangère pour avoir demandé, reçu et publié des informations véridiques sur cette puissance alors que je me trouvais en Europe".
Bibliothèque des documents persécutés
Assange s'est fait connaître avec la création de WikiLeaks en 2006, une plateforme de divulgation en ligne qui, selon son site web, "se spécialise dans l'analyse et la publication de vastes ensembles de données de documents officiels censurés ou soumis à d'autres restrictions concernant la guerre, l'espionnage et la corruption".
"WikiLeaks est une bibliothèque géante des documents les plus persécutés au monde. Nous donnons asile à ces documents, nous les analysons, nous les promouvons et nous en obtenons davantage", a déclaré Assange dans une interview accordée à Der Spiegel en 2015.
Parmi les fuites figuraient près de 400 000 documents militaires américains classifiés et des images des guerres d'Afghanistan et d'Irak. Les fuites de 2010 ont révélé des rapports de terrain et des journaux de guerre, détaillant la torture et les exécutions sommaires.
Câbles sur la Palestine
Dans ce rapport de la Palestine Chronicle, Robert Inlakesh écrit que l'une des diverses contributions de Wikileaks à la Palestine a été des câbles qui ont travaillé à confirmer un élément de l'agenda d'Israël dans la bande de Gaza, aidant à façonner notre compréhension globale de la réalité sur le terrain aujourd'hui dans le cadre de l'assaut génocidaire lancé par le gouvernement israélien.
Des câbles secrets datant de mars 2008 ont révélé que des diplomates américains avaient appris les intentions de Tel-Aviv concernant le siège total imposé à la bande de Gaza, à savoir "maintenir le fonctionnement de l'économie gazaouie au niveau le plus bas possible tout en évitant une crise humanitaire".
Les documents divulgués confirment qu'Israël poursuit la stratégie exposée en 2006 par Dov Weisglass, conseiller principal du Premier ministre israélien de l'époque, Ehud Olmert, qui parlait de mettre les "Palestiniens au régime, mais pas assez pour les faire mourir de faim".
En 2011, les câbles Wikileaks ont également corroboré les Palestine Papers divulgués par Al-Jazeera, qui exposaient la profondeur de la collusion entre des fonctionnaires corrompus appartenant à l'Autorité palestinienne et leurs homologues israéliens.
En 2019, l'administration américaine a inculpé Assange de 17 chefs d'accusation pour violation de la loi sur l'espionnage (Espionage Act).
Au cours de ses 14 dernières années d'incarcération, il s'est réfugié à l'ambassade de l'Équateur, dans le centre de Londres, et a passé cinq ans à la prison britannique de Belmarsh.
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