❖ Gideon Levy : Réhumaniser les Palestiniens, le combat de sa vie
Dans un article de 2010 qui mérite d'être publié en solo, l'homme le plus détesté d'Israël mais Israélien le plus héroïque, dépeignait le sort des Palestiniens & prédisait déjà les événements actuels.
J'avais prévu de vous traduire la toute récente discussion entre Chris Hedges & Gideon Levy, intitulée "La catastrophe imminente au Moyen-Orient" mais, comme à mon habitude et même si certains de ces articles ont dejà été proposés sur ce blog, je suis partie fouiller, en quête de publications plus anciennes de ou sur ce journaliste israëlien si courageux.
La perle rare n'a pas été simple à dénicher mais elle vaut le coup ! De fait, la traduction de l'entretien entre les deux géants, Hedges & Levy, sera sans doute pour plus tard.
ndr : Vous trouverez en fin de post, les liens de deux posts publiés sur ce blog proposant Gideon Levy
Article de 2010
Gideon Levy : L'homme le plus détesté d'Israël ou simplement le plus héroïque ?
Depuis trois décennies, l'écrivain et journaliste Gideon Levy est une voix solitaire qui fait connaître à ses lecteurs la vérité sur ce qui se passe dans les territoires occupés.
Par Johann Hari, le 24 September 2010, The Independent
Gideon Levy est l'homme le plus détesté d'Israël - et tout simplement le plus héroïque. Ce "bon garçon de Tel Aviv" - un enfant sobre et sérieux de l'État juif - s'est fait tirer dessus à plusieurs reprises par les forces de défense israéliennes, a été menacé d'être "tabassé à mort" dans les rues du pays et a dû faire face à des ministres du gouvernement qui ont exigé qu'il soit étroitement surveillé car considéré comme un "danger pour la sécurité". Et ce parce qu'il a fait quelque chose de très simple, qu'aucun autre Israélien ou presque n'a fait. Quasiment chaque semaine depuis trois décennies, il se rend dans les territoires occupés et décrit ce qu'il voit, sans détour ni propagande. "Ma modeste mission", dit-il, "est d'empêcher une situation dans laquelle de nombreux Israéliens pourront dire : "Nous ne savions pas"". Et pour cela, nombreux sont ceux qui veulent le faire taire.
L'histoire de Gideon Levy - et la tentative de tourner ses paroles en dérision, de les supprimer ou de les nier - est l'histoire d'Israël distillée. S'il perd, c'est Israël lui-même qui est perdu.
Je le rencontre dans le bar d'un hôtel en Écosse, dans le cadre de sa tournée européenne de promotion de son nouveau livre, The Punishment of Gaza. Âgé de 57 ans, il ressemble à un intellectuel d'Europe de l'Est en congé : grand et costaud, il est vêtu de noir et parle un anglais teinté d'accents, sur un ton de baryton lyrique. Il semble tellement à l'aise dans le monde des festivals du livre et du café noir qu'il est difficile, au début, de l'imaginer lors de sa dernière visite à Gaza, en novembre 2006, avant que le gouvernement israélien ne modifie la loi pour l'empêcher de s'y rendre.
Ce jour-là, il a rendu compte d'un meurtre, un autre parmi les centaines qu'il a documentés au fil des ans. Alors que vingt bambins arrivaient en bus scolaire au jardin d'enfants Indira Gandhi, leur institutrice de 20 ans, Najawa Khalif, leur a fait signe de la main - un obus israélien l'a touchée et elle a été déchiquetée sous leurs yeux. Il est venu un jour plus tard pour trouver les enfants tremblants en train de dessiner des morceaux du cadavre de la jeune femme. Les enfants étaient "stupéfaits de voir un juif sans armes. Ils n'avaient jamais vu que des soldats et des colons".
"Mon plus grand combat, dit-il, est de réhumaniser les Palestiniens. Il existe en Israël toute une machinerie de lavage de cerveau qui fait son œuvre dès la petite enfance, et je suis un produit de cette machinerie autant que n'importe qui d'autre. [On nous enseigne] quelques récits qu'il est très difficile de briser. Nous, Israéliens, sommes les seules et ultimes victimes. Les Palestiniens sont nés pour tuer et leur haine est irrationnelle. Les Palestiniens ne sont pas des êtres humains comme nous... Vous obtenez ainsi une société sans aucun doute moral, sans aucun questionnement, avec très peu de débat public. Il est extrêmement difficile d'élever la voix contre tout cela".
C'est ainsi qu'il décrit la vie de Palestiniens ordinaires comme Najawa et ses élèves dans les pages de Ha'aretz, le journal de l'establishment israélien. Les récits se lisent comme des nouvelles tchékoviennes de personnes prises au piège, dans lesquelles rien et tout se passe, et la seule échappatoire est la mort. L'un des articles était intitulé "Le dernier repas de la famille Wahbas". Il y était écrit : "Ils s'étaient tous assis pour déjeuner à la maison : la mère Fatma, enceinte de trois mois, sa fille Farah, deux ans, son fils Khaled, un an, le frère de Fatma, le Dr Zakariya Ahmed, sa belle-fille Shayma, enceinte de neuf mois, et la grand-mère, âgée de soixante-dix-huit ans. Une famille Wahba se réunit à Khan Yunis en l'honneur du Dr Ahmed, arrivé six jours plus tôt d'Arabie saoudite. Un grand boum se fait entendre à l'extérieur. Fatma s'empresse d'attraper le plus petit et tente de s'enfuir dans une pièce intérieure, mais un autre boum suit immédiatement. Cette fois, c'est un coup direct".
Aucun petit détail biographique, il retrouve leur humanité dans l'obscurité d'un bilan toujours plus lourd et sinistre. Les Wahbas ont essayé pendant des années d'avoir un enfant avant qu'elle ne tombe finalement enceinte à l'âge de 36 ans. La grand-mère a essayé de soulever le petit Khaled du sol : c'est alors qu'elle a réalisé que son fils et sa fille étaient morts.
Levy utilise une technique simple. Il demande à ses compatriotes israéliens : comment nous sentirions-nous si une puissance militaire largement supérieure nous faisait subir cela ? Un jour, à Jénine, sa voiture est restée bloquée pendant une heure derrière une ambulance à un poste de contrôle. Voyant qu'une femme malade se trouvait à l'arrière, il a demandé au chauffeur ce qui se passait et on lui a répondu que les ambulances devaient toujours attendre aussi longtemps. Furieux, il a demandé aux soldats israéliens ce qu'ils penseraient si c'était leur mère qui se trouvait dans l'ambulance. Ils ont d'abord eu l'air perplexe, puis se sont mis en colère, pointant leurs armes sur lui et lui intimant de se taire.
"Je suis toujours stupéfait de voir à quel point les Israéliens ne savent pas ce qui se passe à quinze minutes de chez eux", déclare-t-il. "La machine à laver le cerveau est si efficace qu'essayer [de la détricoter] revient à essayer de faire revenir une omelette à l'état d'œuf. Elle rend les gens tellement ignorants et cruels". Il donne un exemple. Lors de l'opération Plomb durci, le bombardement par Israël de la bande de Gaza sous blocus en 2008-2009, "un chien - un chien israélien - a été tué par une roquette Qassam et a fait la une du journal le plus populaire d'Israël. Le même jour, des dizaines de Palestiniens ont été tués, en page 16, sur deux lignes".
Parfois, l'occupation lui semble moins tragique qu'absurde. En 2009, le clown le plus célèbre d'Espagne, Ivan Prado, a accepté de participer à un festival de clowns à Ramallah, en Cisjordanie. Il a été arrêté à l'aéroport en Israël, puis expulsé "pour raisons de sécurité". Levy se penche et demande : "Le clown envisageait-il de transférer de transférer les vastes réserves de rire de l'Espagne à des éléments hostiles ? Des bombes à blagues pour les djihadistes ? Une chute dévastatrice pour le Hamas ?"
Pourtant, l'absurdité a failli le tuer. Au cours de l'été 2003, il voyage dans un taxi israélien clairement identifié en Cisjordanie. Il explique : "À un moment donné, l'armée nous a arrêtés et nous a demandé ce que nous faisions là. Nous leur avons montré nos papiers, qui étaient tous en règle. Ils nous ont envoyés sur une route - et lorsque nous nous sommes engagés sur cette route, ils nous ont tiré dessus. Ils ont dirigé leurs tirs vers le centre de la fenêtre avant. Directement sur la tête. Pas de tir en l'air, pas de mégaphone appelant à l'arrêt, pas de tir dans les pneus. Tirer pour tuer immédiatement. S'il n'y avait pas eu de gilets pare-balles, je ne serais pas là maintenant. Je ne pense pas qu'ils savaient qui nous étions. Ils nous ont tiré dessus comme ils le feraient avec n'importe qui d'autre. Ils avaient la gâchette facile, comme toujours. C'était comme une cigarette. Ils n'ont pas tiré qu'une seule balle. La voiture était criblée de balles. Étaient-ils conscients qui ils allaient tuer ? Non. Et ils s'en contrefichent."
Il secoue la tête avec une perplexité endurcie. "Ils tirent sur les Palestiniens de cette manière quotidiennement. Vous n'en entendez parler que lorsque, pour une fois, ils ont tiré sur un Israélien".
I/ "Qui vivait dans cette maison ? Où est-il maintenant ?"
Comment Gideon Levy est-il devenu si différent de ses compatriotes ? Pourquoi offre-t-il de l'empathie aux Palestiniens alors que tant d'autres ne proposent que des balles et des bombes ? Au début, il était comme eux : son conflit avec les autres Israéliens est un conflit avec sa propre jeunesse. Il est né en 1953 à Tel Aviv et, dans sa jeunesse, "j'étais totalement nationaliste, comme tout le monde. Je pensais que nous étions les meilleurs et que les Arabes voulaient juste tuer. Je ne me posais pas de questions".
Il avait quatorze ans lors de la guerre des Six Jours et, peu après, ses parents l'ont emmené voir les territoires occupés nouvellement conquis. "Nous étions si fiers d'aller voir la tombe de Rachel [à Bethléem] et nous ne voyions pas les Palestiniens. Nous avons regardé à travers eux, comme s'ils étaient invisibles", explique-t-il. "Il en a toujours été ainsi. Enfants, nous passions devant tant de ruines [de villages palestiniens ayant fait l'objet d'un nettoyage ethnique en 1948]. Nous ne nous sommes jamais demandé : "Qui vivait dans cette maison ? Où est-il aujourd'hui ? Il doit être vivant. Il doit bien être quelque part. Cela faisait partie du paysage, comme un arbre, comme une rivière". Alors qu'il avait une vingtaine d'années, "je voyais des colons couper des oliviers et des soldats maltraiter des femmes palestiniennes aux points de contrôle, et je me disais : 'Ce sont des exceptions, cela ne fait pas partie de la politique du gouvernement'".
Levy explique qu'il est devenu différent à la suite d'un "accident". Il a effectué son service militaire à la radio de l'armée israélienne, puis a continué à travailler comme journaliste. "J'ai donc commencé à me rendre souvent dans les territoires occupés, ce que la plupart des Israéliens ne font pas. Au bout d'un certain temps, j'en suis venu à les voir tels qu'ils sont réellement".
Mais est-ce tout ? De nombreux Israéliens se rendent dans les territoires - notamment les troupes d'occupation et les colons - sans sourciller. "Je pense que c'est aussi parce que mes parents étaient des réfugiés. J'ai vu ce que cela avait provoqué chez eux. Je suppose donc que... J'ai vu ces gens et j'ai ssongé à mes parents". Le père de Levy était un avocat juif allemand originaire des Sudètes. À l'âge de 26 ans, en 1939, alors qu'il devenait évident que les nazis étaient déterminés à perpétrer un génocide en Europe, il s'est rendu avec ses parents à la gare de Prague, où ils lui ont fait un signe d'adieu. "Il ne les a jamais revus et n'a jamais eu de nouvelles d'eux", explique Levy. "Il n'a jamais su ce qui leur était arrivé. S'il n'était pas parti, il n'aurait pas survécu". Pendant six mois, il a vécu sur un bateau bondé de réfugiés, refoulé port après port, jusqu'à ce qu'ils atteignent enfin la Palestine mandataire britannique, comme c'était le cas à l'époque.
"Mon père a été traumatisé toute sa vie", explique-t-il. "Il ne s'est jamais vraiment intégré en Israël".
"Il n'a jamais vraiment appris à parler autre chose qu'un hébreu approximatif. Il est arrivé en Israël avec son doctorat et il a dû gagner sa vie, alors il a commencé à travailler dans une boulangerie et à vendre des gâteaux de porte à porte sur son vélo. Cela a dû être une terrible humiliation d'être docteur en droit et de faire du porte-à-porte à proposer des gâteaux. Il a refusé de se remettre au métier d'avocat. Il est resté un petit clerc. Je pense que c'est ce qui l'a brisé, vous savez ? Il vivait ici depuis soixante ans, il avait sa famille, il était heureux, mais il demeurait vraiment un étranger. Un étranger, dans son propre pays... Il était toujours scandalisé par des choses, des petites choses. Il ne comprenait pas comment les gens pouvaient oser téléphoner entre deux et quatre heures de l'après-midi. Cela l'horripilait. Il n'a jamais compris le concept de découvert bancaire. Tout Israélien a un découvert, mais s'il entendait que quelqu'un avait un découvert d'une livre, il était horrifié".
Son père ne parlait "jamais" de là où il venait. "Chaque fois que j'essayais de l'encourager à le faire, il se renfermait. Il n'y est jamais retourné. Il n'y avait rien [à retrouver], tout le village était détruit. Il y a laissé toute une vie. Il a laissé une fiancée, une carrière, tout. Je regrette de ne pas l'avoir poussé à parler davantage, parce que j'étais jeune et pas très intéressée. C'est là le problème. Lorsque nous nous intéressons à nos parents, ils ne sont plus là".
Le père de Levy n'a jamais vu de parallèle entre le fait qu'il ait été amené à être un réfugié et les 800 000 Palestiniens qui ont été transformés en réfugiés par la création de l'État d'Israël. "Jamais ! Les gens ne pensaient pas comme ça. Nous n'en avons jamais discuté, jamais". Pourtant, dans les territoires, Levy a commencé à voir surgir des images de son père partout - dans les hommes et les femmes brisés n'ayant jamais pu s'installer, rêvant toujours de rentrer chez eux.
Puis, peu à peu, Levy a commencé à réaliser que leur tragédie s'était infiltrée plus profondément encore dans sa propre vie, dans le sol sous ses pieds et dans les murs mêmes de la ville israélienne où il vit, Sheikh Munis. La ville est construite sur les décombres de "l'un des 416 villages palestiniens qu'Israël a rayés de la surface de la terre en 1948", explique-t-il. "La piscine dans laquelle je nage chaque matin était le jardin d'irrigation qu'ils utilisaient pour arroser ceux du village. Ma maison se trouve sur l'un de ces jardins. La terre a été "rachetée" par la force, ses 2 230 habitants ont été encerclés et menacés. Ils ont fui pour ne plus jamais revenir. Quelque part, peut-être dans un camp de réfugiés dans une terrible pauvreté, vit la famille de l'agriculteur qui a labouré la terre où se trouve aujourd'hui ma maison". Il ajoute qu'il est "stupide et erroné" de comparer cette situation à l'Holocauste, mais il affirme que cet homme est un réfugié traumatisé au même titre que le père de Levy - et même aujourd'hui, s'il s'est retrouvé dans les territoires, lui, ses enfants et ses petits-enfants vivent sous blocus ou sous une occupation militaire brutale.
L'historien Isaac Deutscher a un jour proposé une analogie pour la création de l'État d'Israël. Un juif saute d'un immeuble en flammes et atterrit sur un Palestinien, le blessant grièvement. Peut-on blâmer l'homme qui a sauté ? Le père de Levy fuyait vraiment pour sauver sa vie : c'était la Palestine ou un camp de concentration. Pourtant, . Levy estime que l'analogie est imparfaite, car, soixante ans plus tard, l'homme qui a sauté écrase toujours la tête de l'homme sur lequel il a atterri contre le sol, et passe également à tabac ses enfants et ses petits-enfants. "1948 est toujours là. 1948 est toujours dans les camps de réfugiés. 1948 réclame toujours une solution", dit-il. "Israël fait exactement la même chose aujourd'hui... déshumaniser les Palestiniens chaque fois qu'il le peut, et procéder à un nettoyage ethnique chaque fois que c'est possible. 1948 n'est pas terminé. Loin s'en faut."
II/ L'escroquerie des "pourparlers de paix"
Levy regarde le bar de l'hôtel où nous sommes assis et le Moyen-Orient, comme si les sables secs du désert du Néguev se dirigeaient vers nous. Toute conversation sur la région est aujourd'hui dominée par une série de mythes de propagande, dit-il, dont le plus fondamental est peut-être la croyance qu'Israël est une démocratie. "Aujourd'hui, trois types de personnes vivent sous le régime israélien", explique-t-il. "Il y a les Israéliens juifs, qui jouissent d'une démocratie totale et de droits civiques complets. Nous avons les Arabes israéliens, qui ont la citoyenneté israélienne mais sont victimes de graves discriminations. Et nous avons les Palestiniens des territoires occupés, qui vivent sans aucun droit civil, sans aucun droit de l'homme. Est-ce là une démocratie ?".
Il se tiens assis et demande à voix basse, comme s'il parlait d'un ami en phase terminale : "Comment pouvez-vous dire qu'il s'agit d'une démocratie alors qu'en 62 ans, pas un seul village arabe n'a été créé ? Je n'ai pas besoin de vous dire combien de villes et de villages juifs ont été créés. Pas un seul village arabe. Comment pouvez-vous dire qu'il s'agit d'une démocratie lorsque des recherches ont montré à maintes reprises que les Juifs et les Arabes sont punis différemment pour le même crime ? Comment pouvez-vous dire qu'il s'agit d'une démocratie lorsqu'un étudiant palestinien peut difficilement louer un appartement à Tel-Aviv, car lorsqu'ils entendent son accent ou son nom, presque personne ne veut lui en louer un ? Comment pouvez-vous dire qu'Israël est une démocratie quand... Jérusalem investit 577 shekels par an dans un élève de Jérusalem-Est [palestinienne] et 2372 shekels par an dans un élève de Jérusalem-Ouest [juive]. Quatre fois moins, uniquement en raison de l'appartenance ethnique de l'enfant ! Tous les aspects de notre société sont racistes".
"Je veux être fier de mon pays", dit-il. "Je suis un patriote israélien. Je veux que nous fassions ce qu'il faut". Cela l'oblige donc à souligner que la violence palestinienne est - en vérité - beaucoup plus limitée que la violence israélienne, et qu'elle est généralement une réaction à cette dernière. "Les vingt premières années de l'occupation se sont déroulées dans le calme et nous n'avons pas levé le petit doigt pour y mettre fin. Au lieu de cela, sous le couvert de la tranquillité, nous avons construit l'énorme et criminelle entreprise de colonisation", où les terres palestiniennes sont saisies par des fondamentalistes religieux juifs qui prétendent qu'elles leur ont été données par Dieu. Ce n'est qu'ensuite, après une longue période de vol, de pillage et après que leurs tentatives de résistance pacifique ont été accueillies par une violence brutale, que les Palestiniens sont devenus eux-mêmes violents. "Que se passerait-il si les Palestiniens n'avaient pas tiré de Qassam [roquettes tirées sur le sud d'Israël, y compris sur des villes civiles] ? Israël aurait-il levé le siège économique ? C'est absurde. Si les Gazaouis se tenaient tranquilles, comme Israël attend d'eux qu'ils le fassent, leur cas disparaîtrait de l'ordre du jour. Personne ne se préoccuperait du sort des habitants de Gaza s'ils ne s'étaient pas comportés violemment".
Levy condamne sans équivoque les tirs de roquettes sur les civils israéliens, mais ajoute : "Les Qassam ont un contexte. Ils sont presque toujours tirés après une opération d'assassinat perpetrée FDI, et il y en a eu beaucoup. Pourtant, l'attitude israélienne est la suivante : "Nous avons le droit de bombarder tout ce que nous voulons, mais ils n'ont pas le droit de lancer des Qassam". C'est un point de vue résumé par Haim Ramon, ministre de la justice à l'époque de la deuxième guerre du Liban : "Nous sommes autorisés à tout détruire"".
Même les termes utilisés pour parler de l'opération Plomb durci sont erronés, affirme Levy. "Ce n'était pas une guerre. C'était un assaut brutal contre une population emprisonnée et sans défense. On peut qualifier de match de boxe entre Mike Tyson et un enfant de 5 ans, mais les proportions, oh, les proportions". Israël "a fréquemment pris pour cible les équipes médicales, [et] a bombardé une école gérée par l'ONU qui servait d'abri aux habitants, qui se sont vidés de leur sang pendant des jours alors que les FDI empêchaient leur évacuation par des tirs et des bombardements... Un État qui prend de telles mesures ne peut plus être distingué d'une organisation terroriste. Pour se justifier, ils disent que le Hamas se cache parmi la population civile. Comme si le ministère de la défense à Tel Aviv n'était pas situé au cœur d'une population civile ! Comme s'il y avait des endroits à Gaza qui n'étaient pas au cœur d'une population civile !".
Il lance un appel à tous ceux qui sont sincèrement préoccupés par la sécurité d'Israël pour qu'ils se joignent à lui afin de dire la vérité aux Israéliens dans un langage clair. "Un véritable ami ne paie pas la facture de la drogue d'un toxicomane : il l'envoie plutôt en cure de désintoxication. Aujourd'hui, seuls ceux qui s'élèvent contre la politique d'Israël - qui dénoncent l'occupation, le blocus et la guerre - sont les vrais amis de la nation. Les personnes qui défendent l'orientation actuelle d'Israël "trahissent le pays" en l'encourageant sur "la voie du désastre". Un enfant qui a vu sa maison détruite, son frère tué et son père humilié ne pardonnera pas facilement".
Ces prétendus "amis d'Israël" sont en fait des amis du fondamentalisme islamique, estime-t-il. "Pourquoi doivent-ils donner aux fondamentalistes plus d'excuses, plus de fureur, plus d'opportunités, plus de recrues ? Regardez Gaza. Il n'y a pas si longtemps, Gaza était totalement laïque. Aujourd'hui, il est difficile de se procurer de l'alcool à Gaza, après toutes les brutalités. Le fondamentalisme religieux est toujours le langage vers lequel les gens se tournent en désespoir de cause, lorsque tout le reste échoue. Si Gaza avait été une société libre, elle n'en serait pas arrivée là. Nous leur avons donné des recrues".
Levy estime que le plus grand mythe - celui qui plane sur le Moyen-Orient comme un parfum vaporisé sur un cadavre - est l'idée des "pourparlers de paix" actuels menés par les États-Unis. Il fut un temps où lui aussi y croyait. Au plus fort des négociations d'Oslo dans les années 1990, lorsque Yitzhak Rabin négociait avec Yassir Arafat, "à la fin d'une visite, je me suis retourné et, dans un geste tout droit sorti d'un film, j'ai fait un signe d'adieu à Gaza. Adieu Gaza occupée, adieu ! Nous ne nous reverrons plus jamais, du moins pas dans votre État occupé. Quelle bêtise !"
Aujourd'hui, il est convaincu qu'il s'agissait d'une "arnaque" dès le départ, vouée à l'échec. Comment le sait-il ? "Il existe un test décisif très simple pour tout pourparler de paix. Pour qu'il y ait paix, il faut qu'Israël démantèle les colonies en Cisjordanie. Donc, si vous allez bientôt démanteler les colonies, vous devriez cesser d'en construire alors, n'est-ce pas ? Ils ont continué à en construire tout au long d'Oslo. Et aujourd'hui, Netanyahou refuse de geler la construction, le strict minimum. C'est tout ce qu'il faut savoir".
Il affirme que Netanyahou - tout comme les alternatives supposées plus à gauche, Ehud Barak et Tzipip Livni - s'est toujours opposé à de véritables pourparlers de paix et s'est même vanté en privé d'avoir détruit le processus d'Oslo. En 1997, lors de son premier mandat à la tête d'Israël, il a insisté sur le fait qu'il ne poursuivrait les négociations que si une clause était ajoutée, stipulant qu'Israël n'aurait pas à se retirer de "sites militaires" non définis - et il a ensuite été filmé en train de se vanter : "Pourquoi est-ce important ? Parce qu'à partir de ce moment-là, j'ai mis fin aux accords d'Oslo". S'il s'est vanté d'avoir "stoppé" le dernier processus de paix, pourquoi voudrait-il que celui-ci aboutisse ? Levy ajoute : "Et comment peut-on faire la paix avec seulement la moitié de la population palestinienne ? Comment pouvez-vous laisser de côté le Hamas et Gaza ?".
Ces faux pourparlers de paix sont pires que l'absence de négociations, estime Levy. "S'il y a des négociations, il n'y aura pas de pression internationale. Si nous sommes tranquilles, nous discutons, le règlement peut se poursuivre sans interruption. C'est pourquoi les négociations futiles sont des négociations dangereuses. Sous le couvert de telles négociations, les chances de paix s'amenuiseront encore davantage... Le sous-texte est clairement la volonté de Netanyahou d'obtenir le soutien des Américains pour bombarder l'Iran. Pour ce faire, il pense qu'il doit au moins répondre du bout des lèvres aux demandes de négociations d'Obama. C'est la raison pour laquelle il fait cela".
Après avoir dit cela, il se tait et nous nous regardons l'un l'autre pendant un moment. Puis il dit, d'une voix plus calme : "Les faits sont clairs. Israël n'a aucune intention réelle de quitter les territoires ou de permettre au peuple palestinien d'exercer ses droits. Aucun changement ne se produira dans l'Israël complaisant, belliqueux et condescendant d'aujourd'hui. Il est temps d'élaborer un programme de réhabilitation pour Israël".
III/ Agiter des drapeaux israéliens made in China
Selon les sondages, la plupart des Israéliens sont favorables à une solution à deux États, mais ils élisent des gouvernements qui étendent les colonies et rendent ainsi impossible une solution à deux États. "Il faudrait un psychiatre pour expliquer cette contradiction", s'exclame Levy. "S'attendent-ils à ce que deux États tombent du ciel ? Aujourd'hui, les Israéliens n'ont aucune raison de changer quoi que ce soit", poursuit-il. "La vie en Israël est merveilleuse. On peut s'asseoir à Tel-Aviv et avoir une vie formidable. Personne ne parle de l'occupation. Alors pourquoi se donneraient-ils la peine [de changer] ? La majorité des Israéliens pensent aux prochaines vacances et à la prochaine jeep, et tout le reste ne les intéresse plus". Ils sont imprégnés d'histoire, mais n'y prêtent aucune attention.
En Israël, la "place de la ville est vide depuis des années. S'il n'y a pas eu de protestations significatives pendant l'opération Plomb durci, il n'y en a plus à proprement parler. Le seul groupe qui fait campagne pour autre chose que ses caprices personnels, c'est celui des colons, qui sont très actifs". Alors, comment le changement peut-il se produire ? Il se dit "extrêmement pessimiste", et l'avenir le plus probable est celui d'une société qui se tourne vers un "apartheid" de plus en plus nu. En secouant la tête, il déclare : "Nous avons eu deux guerres, la flottille - il ne semble pas qu'Israël ait tiré la moindre leçon, et il ne semble pas qu'Israël paie le moindre prix. Les Israéliens ne paient pas le prix de l'injustice de l'occupation, de sorte que l'occupation ne prendra jamais fin. Elle ne prendra fin que lorsque les Israéliens comprendront le lien entre l'occupation et le prix qu'ils seront contraints de payer. Ils ne s'en débarrasseront jamais de leur propre initiative".
On a l'impression qu'il plaide en faveur du boycott d'Israël, mais sa position est plus complexe. "Premièrement, l'opposition israélienne au boycott est incroyablement hypocrite. Israël lui-même est l'un des boycotteurs les plus prolifiques au monde. Non seulement il boycotte, mais il prêche aux autres, et parfois même les oblige à le faire. Israël a imposé un boycott culturel, académique, politique, économique et militaire aux territoires. Le boycott le plus brutal et le plus cru est, bien sûr, le siège de Gaza et le boycott du Hamas. À la demande d'Israël, presque tous les pays occidentaux ont adhéré au boycott avec un empressement inexplicable. Il ne s'agit pas seulement d'un siège qui a laissé Gaza dans un état de pénurie pendant trois ans. Il s'agit d'une série de boycotts culturels, universitaires, humanitaires et économiques. Israël exhorte également le monde à boycotter l'Iran. Les Israéliens n'ont donc pas le droit de se plaindre si cela est utilisé contre eux".
Il se déplace sur son siège. "Mais je ne boycotte pas Israël. J'aurais pu le faire, j'aurais pu quitter Israël. Mais je n'ai pas l'intention de quitter Israël. Jamais. Je ne peux pas demander aux autres de faire ce que je ne ferai pas... Il y a aussi la question de savoir si cela fonctionnera. Je ne suis pas sûr que les Israéliens fassent le lien. Regardez la terreur qui a sévi en 2002 et 2003 : la vie en Israël était vraiment horrible, les bus qui explosaient, les kamikazes. Mais aucun Israélien n'a fait le lien entre l'occupation et la terreur. Pour eux, le terrorisme n'était que la "preuve" que les Palestiniens sont des monstres, qu'ils sont nés pour tuer, qu'ils ne sont pas des êtres humains, et c'est tout. Et si vous osez faire le lien, les gens vous diront que vous justifiez la terreur et que vous êtes un traître. Je soupçonne qu'il en irait de même avec les sanctions. La condamnation après Plomb durci et la flottille n'a fait que renforcer le nationalisme d'Israël. Si [un boycott était] perçu comme le jugement du monde, il serait efficace. Mais les Israéliens sont plus susceptibles de les considérer comme une "preuve" que le monde est antisémite et qu'il nous haïra toujours."
Levy pense qu'un seul type de pression pourrait ramener Israël à la raison et à la sécurité : "Le jour où le président des États-Unis décidera de mettre fin à l'occupation, celle-ci cessera. Parce qu'Israël n'a jamais été aussi dépendant des États-Unis qu'aujourd'hui. Jamais. Non seulement sur le plan économique, non seulement sur le plan militaire, mais surtout sur le plan politique. Israël est totalement isolé aujourd'hui, à l'exception de l'Amérique". Il a d'abord espéré que Barack Obama le ferait - il se souvient avoir eu les larmes aux yeux lorsqu'il a prononcé son discours de victoire à Grant Park - mais il dit qu'il n'a encouragé que "de minuscules pas, presque rien, alors que des pas de géant sont nécessaires". Ce n'est pas seulement mauvais pour Israël, c'est mauvais pour l'Amérique. "L'occupation est la meilleure excuse pour de nombreuses organisations terroristes dans le monde. Elle n'est pas toujours authentique, mais elles l'utilisent. Pourquoi les laissez-vous l'utiliser ? Pourquoi leur donner cette rage ? Pourquoi ne pas régler le problème une fois pour toutes, alors que la solution est si simple ?".
Pour progresser, "les juifs américains de droite qui deviennent orgiaques chaque fois qu'Israël tue et détruit" devraient être démasqués et étiquetés comme "ennemis d'Israël", condamnant le pays qu'ils sont censés aimer à une guerre éternelle. "Ce sont les juifs américains de droite qui écrivent les lettres les plus abjectes. Ils disent que je suis le petit-fils d'Hitler, qu'ils prient pour que mes enfants aient un cancer... C'est parce que je touche un point sensible chez eux. Il y a quelque chose là-dedans". Ces gens de droite prétendent être opposés à l'Iran, mais Levy souligne qu'ils s'opposent avec véhémence aux deux mesures disponibles qui permettraient d'isoler immédiatement l'Iran et de priver Mahmoud Ahmadinejadh de ses meilleures excuses de propagande : "La paix avec la Syrie et la paix avec les Palestiniens, toutes deux proposées et toutes deux rejetées par Israël. C'est le meilleur moyen d'affaiblir l'Iran".
Il refuse de céder Israël à des gens "qui agitent leurs drapeaux israéliens made in China et rêvent d'une Knesset nettoyée des Arabes et d'un Israël sans [l'organisation de défense des droits de l'homme] B'Tselem". Il a l'air en colère, indigné. "Je ne partirai jamais. C'est ma place sur cette planète. C'est ma langue, c'est ma culture. Même les critiques et la honte que je porte viennent de mon appartenance profonde à ce lieu. Je ne partirai que si on me force à partir. Il faudrait qu'ils m'arrachent".
IV/ Un sifflement dans l'obscurité
Levy pense-t-il qu'il s'agit d'une possibilité réelle - que sa liberté pourrait lui être retirée, en Israël même ? "Oh, très facilement", répond-il. "Elle m'a déjà été retirée en m'interdisant de me rendre à Gaza, et ce n'est qu'un début. J'ai une grande liberté d'écrire et d'apparaître à la télévision en Israël, et j'ai une très belle vie, mais je ne considère pas ma liberté comme acquise, pas du tout. Si l'atmosphère nationaliste extrême qui règne actuellement en Israël se poursuit dans un, deux ou trois ans...". Il soupire. "Il peut y avoir de nouvelles restrictions, Ha'aretz peut fermer - ce qu'à Dieu ne plaise - je ne prends rien pour acquis. Je ne serai pas surpris si les partis israélo-palestiniens sont criminalisés lors des prochaines élections, par exemple. Ils s'en prennent déjà aux ONG [organisations non gouvernementales qui font campagne pour les droits des Palestiniens]. Dans les sondages d'opinion, une majorité souhaite déjà punir les personnes qui dénoncent les méfaits de l'armée et limiter les groupes de défense des droits de l'homme".
Il y a aussi le risque d'une attaque de la part d'un indépendant. L'année dernière, un homme accompagné d'un gros chien s'est approché de Levy près de son domicile et lui a annoncé : "Cela fait longtemps que je veux te réduire en bouillie". Levy l'a échappé belle, et l'homme n'a jamais été arrêté. Il déclare aujourd'hui : "J'ai peur, mais je refuse de vivre dans la peur. Mais de là à vous dire que mon sommeil nocturne est le même que le vôtre... Je n'en suis pas sûr. Quel que soit le bruit, ma première réaction est de me dire "c'est peut-être pour maintenant". Mais il n'y a jamais eu de cas concret où j'ai vraiment pensé "ça y est". Mais je sais que cela pourrait arriver".
A-t-il déjà envisagé de ne pas dire la vérité et de diluer ses déclarations ? Il rit - et pour la seule fois de notre entretien, ses torrents de mots éloquents se mettent à sortir en bafouilles. "J'aimerais pouvoir le faire ! Pas question. Je veux dire, ce n'est pas du tout une option. Vraiment, je ne peux pas. Comment le pourrais-je ? Pas du tout. Je me sens seul, mais mon entourage privé me soutient, en partie du moins. Et il y a encore des Israéliens qui apprécient ce que je fais. Si vous marchez avec moi dans les rues de Tel Aviv, vous verrez toutes sortes de réactions, mais aussi des réactions très positives. C'est difficile, mais je veux dire que c'est... c'est... quel autre choix ai-je ?".
Il affirme que sa vie privée le soutient "en partie". Quelle est la partie qui ne l'est pas ? Ces dernières années, il a fréquenté des femmes non israéliennes - "Je ne pouvais pas être avec une personne nationaliste qui disait ces choses sur les Palestiniens" - mais ses deux fils ne lisent rien de ce qu'il écrit, "et ils n'ont pas les mêmes opinions politiques que moi. Je pense que cela a été difficile pour eux, très difficile". Sont-ils de droite ? "Non, non, non, rien de tel. Au fur et à mesure qu'ils grandissent, ils viennent de plus en plus souvent me voir. Mais ils ne lisent pas mon travail. Non", dit-il en baissant les yeux, "ils ne le lisent pas".
La longue histoire du peuple juif a un rythme récurrent : tous les quelques siècles, une figure juive courageuse se lève pour avertir son peuple qu'il s'est engagé dans une voie immorale ou insensée ne pouvant aboutir qu'à une catastrophe, et l'implore de changer de cap. Le premier prophète, Amos, a averti que le royaume d'Israël serait détruit parce que le peuple juif avait oublié le besoin de justice et de générosité - et il a été rejeté pour cela. Baruch Spinoza a vu au-delà du fondamentalisme juif de son époque un univers matérialiste qui pouvait être expliqué scientifiquement - et il a été excommunié, même s'il a ouvert la voie aux grands génies juifs à venir. Levy pourrait-il, à terme, être considéré comme un prophète juif dans le désert improbable d'un État juif, appelant son peuple à retrouver une voie morale ?
Il hoche faiblement la tête et sourit. "Noam Chomsky m'a écrit un jour que j'étais comme les premiers prophètes juifs. C'est le plus beau compliment qu'on m'ait jamais fait. Mais... eh bien... Mes adversaires diraient qu'il s'agit d'une longue tradition de Juifs qui se haïssent eux-mêmes. Mais je ne prends pas cela au sérieux. Il est certain que j'ai le sentiment d'appartenir à une tradition d'autocritique. Je crois profondément à l'autocritique". Mais il se retrouve dans des situations déconcertantes : "Il m'est souvent arrivé de me trouver au milieu de manifestants palestiniens, le dos tourné aux Palestiniens et le visage tourné vers les soldats israéliens, alors qu'ils tiraient dans notre direction. C'est mon peuple et c'est mon armée. Les gens au milieu desquels je me trouve sont censés être l'ennemi. C'est...". Il secoue la tête. Il doit y avoir des moments, dis-je, où l'on se demande ce qu'un gentil garçon juif fait dans un État comme celui-ci.
Mais, comme s'il s'agissait d'une question lancinante, il revient alors brusquement à une question antérieure. "Je suis très pessimiste, bien sûr. Les pressions extérieures peuvent être efficaces si elles sont exercées par les Américains, mais je ne les vois pas se produire. D'autres pressions provenant d'autres parties du monde pourraient ne pas être efficaces. La société israélienne ne changera pas d'elle-même, et les Palestiniens ne pèsent pas assez lourd pour la faire changer. Cela dit, je dois dire que si nous avions été assis ici à la fin des années 1980 et que vous m'aviez dit que le mur de Berlin tomberait en quelques mois, que l'Union soviétique tomberait en quelques mois, que certaines parties du régime sud-africain tomberaient en quelques mois, je vous aurais ri au nez. Le seul espoir que j'ai est peut-être que ce régime d'occupation soit déjà tellement pourri qu'il tombera peut-être un jour de lui-même. Il faut être assez réaliste pour croire aux miracles".
En attendant, Gideon Levy continuera patiemment à documenter les crimes de son pays et à tenter de ramener son peuple sur le droit chemin. Il fronce un peu les sourcils - comme s'il imaginait Najawa Khalif déchiquetée devant son bus scolaire, ou son propre père brisé - et me dit : "Un sifflement dans l'obscurité reste un sifflement".
Le livre de Gideon Levy "The Punishment of Gaza" est disponible chez Verso Books. Vous pouvez l'acheter ici.
◾️ ◾️ ◾️
Articles de Gideon Levy parus sur ce blog
- Article n°9 de la publication intitulée L'armée la plus morale du monde, soutenue par les États-Unis & ses vassaux
- Témoignage sur le Guantanamo israélien, par Gideon Levy & Alex Levac, du 23 mars 2024, Haaretz
◾️ ◾️ ◾️