❖ Voix palestiniennes & voix du monde pour ne pas oublier la Palestine #2 - Le silence n'est plus une option !
Ils étaient des civils palestiniens ramassant du bois de chauffage, des journalistes, des travailleurs humanitaires. Ils sont médecins & humanitaires internationaux à qui Israël refuse l'accès à Gaza

Avez-vous entendu parler des derniers massacres à Gaza ?
Avez-vous entendu parler des derniers meurtres à Gaza ?
Ils viennent de massacrer neuf personnes
Des journalistes, des travailleurs humanitaires et des passants.
Mais il y a un cessez-le-feu, donc tout va bien.
Ils ont tué Amjad hier
Il n'avait que trois ans
Son père lui avait promis quelques bonbons et un vélo.
Mais Amjad n'est plus ; ce n'était pas prévu.
Le camp de Jénine est désormais désert
Tulkarem et Naplouse aussi
Ils sont un fléau pour Miriam, alors ils doivent partir.
Et les indigènes doivent être rossés à mort.
"Il va pleuvoir l'enfer", a affirmé le blob orangé
Et l'enfer au Yémen en a fauché dix-neuf.
Combien de vies vont-ils encore voler ?
L'assassinat d'Arabes est-il un simple rituel ?
Au Liban aussi, les meurtres se poursuivent
Les obus de chars, les raids aériens et les frappes de drones se succèdent.
Un cessez-le-feu a été instauré dans le nord du pays.
Mais ils s'en contrefichent. Et vous ?
Mahmoud est en prison, il ne connaît toujours pas son sort.
Que ce soit à Tibériade ou à Columbia, aucun Palestinien n'est en sécurité
La voyoucratie est le nouveau droit chemin,
Les cœurs généreux se retrouvent enchaînés ici, tandis que les fauves paissent.
En avez-vous fini de rester passifs ?
Êtes-vous prêts à briser ces chaînes ?
"J'ai entendu dire que pour se libérer du joug de l'esclavage,
c'est nourrir le moi et embrasser sa lumière."
Poème proposé par Palestine Will Be Free, Substack
SOMMAIRE :
Actualité en bref de l'armée la plus morale du monde …
Abattus pour avoir rammasé du bois pour se chauffer
Gabor Mate
Itamar Greenberg, jeune israélien
Israël poursuit les meurtres (assassinats) de journalistes, travailleurs humanitaires, civils
Israël refuse aux médecins et aux travailleurs humanitaires internationaux l'accès à Gaza dans des proportions sans précédent
Masafer Yatta, la communauté palestinienne au centre du film oscarisé No Other Land, court toujours un risque imminent de déplacement forcé
Voix palestiniennes
1 - C'est ainsi que le Ramadan commence pour nous à Gaza - Mohammed Mohisen
2 - Ramadan à Gaza : souvenirs douloureux du passé & espoir persistant pour l'avenir - Hend Salama Abo Helow
3 - Le "cadeau mortel" déposé par Israël dans ce qui restait de ma maison - Rasha Abou Jalal
4 - Une réalité imaginée - Cara MariAnna
5 - J'aimerais qu'elle puisse encore m'entendre - Mohammed R. Mhawish
6 - Une ville rurale de Gaza veut reprendre vie - Sumaya Mohammed
7 - Le goût doux-amer de la liberté : entretien avec un ex-prisonnier palestinien (23 ans de détention) - Qassam Muaddi
8 - Nous avons créé de la joie, insufflé de la vie au bonheur & peint le monde avec des moments de pure félicité - Mohammed Mohisen
9 - Partir ou rester pour mourir - Voix de Palestinien·nes - Ghaiss Jasser
Voix du monde
10 - "Nous sommes confrontés à l'une des plus grandes épreuves morales de notre temps" - Discours prononcé par Peter Slezak
11 - Pas d’espoir de paix durable sans justice - Des juristes du monde entier se mobilisent - Les invités de Mediapart
12 - Des juristes français mettent en demeure la France pour prévenir le génocide à Gaza - Webradio Media
13 - William Schabas, éminent spécialiste des génocides & avocat, dénonce la politique du deux poids deux mesures - Interview de Sebastian Shehadi
14 - Je reviens de Cisjordanie, la vie y est sans cesse plus INSOUTENABLE - Ludivine Bantigny
15 - The Lancet : Le génocide perpétré par Israël a réduit de moitié l'espérance de vie à Gaza - Andre Damon
16 - Le rapport accablant de l'ONU révèle la culture israélienne du viol qui échappe à tout contrôle - Ricky Hale
17 - "Et pourtant, nous détournons les yeux" - Patrick Lawrence
Actualité en bref de l'armée la plus morale du monde …
◾️ Abattus pour avoir rammasé du bois pour se chauffer
Lors d'une nouvelle violation du cessez-le-feu, quatre Palestiniens ont été tués lorsque les forces israéliennes ont attaqué un groupe de civils qui ramassaient du bois de chauffage près de l'école Subha Al-Harazin dans le quartier Al-Zeitoun, au sud-est de la ville de Gaza.
◾️ Gabor Mate
"J'ai été soniste. Je l'étais, jusqu'à ce que je découvre que l'État a été fondé sur l'extirpation, l'expulsion, et les multiples massacres de la population locale."
Vidéo de 5' déjà sous titrée en français
◾️ Itamar Greenberg, jeune israélien
"L'armée israélienne a finalement décidé de me libérer aujourd'hui après 197 jours de prison. Ce fut une période longue et épuisante, mais mon refus de m'enrôler n'est que la première étape de mon voyage.
Le mal devrait commencer à trembler à partir de ce jour, car je le combattrai de toutes mes forces - jusqu'à ce que ce monde soit meilleur.
Je vous invite à vous joindre à moi dans cette lutte".
Source Twitter X
◾️ Israël poursuit les meurtres (assassinats) de journalistes, travailleurs humanitaires, civils
Trois journalistes et des humanitaires ont été assassinées ce 15 mars à Gaza pour avoir utilisé un drone visant à filmer une mission d'aide humanitaire. Au total, 9 personnes ont été assassinées.
Évidemment, Israël déclare avoir ciblé une cellule terroriste qui utilisait un drone menaçant les forces israéliennes.
Qui peut parler de "cessez-le-feu", Israël continue ses tueries quotidiennement en toute impunité. Encore un massacre horrible dans le nord de la bande de Gaza, qui a pris pour cible un groupe de journalistes et de travailleurs humanitaires, en violation flagrante de l'"accord de cessez-le-feu".
Et une autre frappe de drone israélienne a tué quatre jeunes garçons palestiniens vendredi, dont deux frères en quête de bois de chauffage, a rapporté NBC News .
Les corps des deux frères, Mahmoud Alerfan, 15 ans, et Yusuf Alerfan, 13 ans, ont été amenés à leur mère sur une charrette en bois.
Deux de leurs amis, Malik Althatha, 13 ans, et Salim Hasnin, 15 ans, qui les avaient rejoints pour ramasser du bois de chauffage, ont également été tués
Depuis le début d'un "cessez-le-feu" parrainé par les États-Unis en janvier, Israël a tué 150 Palestiniens à Gaza.
Source Twitter X (vidéo) et The Cradle.
◾️ Israël refuse aux médecins et aux travailleurs humanitaires internationaux l'accès à Gaza dans des proportions sans précédent
Dans le cadre du blocus total de Gaza, Israël a imposé de nouvelles restrictions radicales aux groupes d'aide internationale.
Presque tous les médecins qui se sont vu refuser l'entrée au cours des six dernières semaines ont participé à des missions de secours à Gaza au cours des 17 derniers mois et ont été autorisés par le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), la branche de l'armée israélienne qui supervise la Cisjordanie et la bande de Gaza.
Parallèlement, le gouvernement israélien a mis en place en décembre une équipe interministérielle, dirigée par le directeur général du ministère des affaires de la diaspora et de la lutte contre l'antisémitisme, afin de superviser l'enregistrement des ONG internationales travaillant avec les Palestiniens. Les nouvelles procédures d'enregistrement signifient que le gouvernement israélien peut interdire à toute organisation d'entrer dans la bande de Gaza tant qu'elle n'est pas passée par son processus d'approbation.
[…]
"Cela pourrait complètement bouleverser le système humanitaire tel qu'il existe actuellement. Une équipe était censée entrer le 18 mars et on nous a dit d'attendre que les nouvelles conditions soient négociées", a déclaré Dorotea Gucciardo, directrice du développement chez Glia, une organisation humanitaire internationale qui opère dans la bande de Gaza. Les lignes directrices de l'équipe nouvellement formée prévoient de refuser l'enregistrement pour des raisons politiques, telles que "la négation du statut d'Israël en tant qu'État juif et démocratique" ou "le soutien aux boycotts, la négation du 7 octobre, le soutien aux efforts de résistance, les campagnes de délégitimation ou les poursuites judiciaires à l'encontre du personnel de sécurité israélien".
[…]
Alors que le système de santé de Gaza a été décimé par la guerre (un seul hôpital du territoire est pleinement opérationnel et 20 fonctionnent partiellement avec de graves pénuries de fournitures médicales essentielles, d'équipements et de lits d'hospitalisation), la politique d'Israël politique utilise la bureaucratie comme une arme supplémentaire dans sa campagne génocidaire contre les Palestiniens.
[…]
Depuis début février, les restrictions déjà draconiennes imposées par Israël se sont intensifiées et aucune explication n'est donnée.
[…]
L'OMS n'a pas commenté publiquement le nombre croissant de médecins et de travailleurs humanitaires interdits d'accès à Gaza par Israël au cours des six dernières semaines. "Il n'y a ni réaction, ni indignation, ni appel, rien", souligne Rana. "L'Organisation mondiale de la santé est restée des plus discrète à ce sujet, presque comme si elle essayait d'étouffer l'affaire. Il est devenu évident qu'à aucun des niveaux, on ne s'oppose, on ne crée pas de vague et on essaie de ne pas rendre les choses publiques parce que selon moi, tout le monde craint d'être exclu. ... Quand tout le monde n'a qu'à rentrer tranquillement chez soi alors que nous sommes rejetés et que tout s'arrête là, pourquoi les choses changeraient-elles ?"
Drop Site a interrogé l'OMS sur le nombre croissant de médecins refoulés à Gaza par l'armée israélienne et sur les raisons pour lesquelles l'organisation n'a pas commenté publiquement cette tendance croissante. Aucune réponse n'a été fournie dans l'immédiat.
[…]
Source Drop Site News
◾️ Masafer Yatta, la communauté palestinienne au centre du film oscarisé No Other Land, court toujours un risque imminent de déplacement forcé
Résumé
Depuis le début du génocide perpétré dans la bande de Gaza, Masafer Yatta, dans les collines d'Hébron, au sud de la Cisjordanie est dans la ligne de mire des forces d'occupation israéliennes et de leurs gangs de colons. La situation est passée d'attaques périodiques - mais redoutables - des colons contre les villages et les habitants de la région avant la guerre à de multiples pogroms quotidiens 16 mois plus tard. Ces attaques se déroulent sous l'œil vigilant et la protection de l'armée d'occupation, qui sert d'escorte aux colons lors de leurs exactions.
L'un des derniers pogroms de colons a eu lieu dans le village de Tuba, lorsqu'un groupe de colons armés de l'avant-poste illégal Havat Ma'on a attaqué ses habitants.
Les colons ont jeté des pierres sur les maisons, attaquant le village, y compris les enfants et les familles. Les colons ont détruit le bétail et son alimentation. Plus dangereux encore, les colons ont inccendié une voiture appartenant à un militant local, Ali Awad.
Il a fallu un véritable exploit pour éteindre le feu, et à ce moment-là, le véhicule était complètement carbonisé. Après cette agression, la police et l'armée d'occupation sont arrivées et ont évacué les militants de la solidarité internationale de la zone.
Les militants ont été détenus et arrêtés, tandis que les colons qui ont perpétré le pogrom jouissaient d'une liberté totale sous les yeux de l'armée et de la police. Encore et encore, quiconque résiste à la brutalisation est arrêté, ce qui ne fait qu'enhardir les actions des colons extrémistes.
La multiplication des pogroms de colons à Masafer Yatta fait partie de la politique israélienne. La soif insatiable de destruction ne perturbe pas seulement la vie des Palestiniens d'un point de vue pratique ; elle détruit également des ressources vitales en balançant des produits laitiers et autres denrées alimentaires, sources de subsistance pour les Palestiniens de Masafer Yatta.
La pression exercée par l'armée sur la région s'est accrue malgré le fait que les villageois aient obtenu une décision des tribunaux israéliens les autorisant à retourner dans le village. Cette décision ne signifie rien pour l'armée et les colons. L'armée a refusé de laisser les villageois qui rentraient chez eux accrocher des bâches pour couvrir leurs maisons démolies. Les colons ont envahi les lieux quotidiennement : avec des véhicules, des drones, et toujours avec le soutien de l'armée.
Il ne s'agit là que d'une maigre part des menaces et des attaques quotidiennes auxquelles les habitants de Masafer Yatta sont confrontés en raison de l'expansion des colonies et des avant-postes. Ces actes sont incessants, ininterrompus et prouvent une politique systématique à l'encontre des Palestiniens : les crimes sont perpétrés par le gouvernement d'occupation, les officiers de police, les forces armées et les gangs de colons violents. Tout cela dans le but de faire pression sur les citoyens palestiniens pour leur faire quitter les terres ancestrales qu'ils habitent depuis des siècles. Chaque jour, ils s'efforcent de nous nettoyer ethniquement de notre terre par la démolition, la destruction, l'intimidation et l'isolement.
Chaque jour, nous observons sur la scène mondiale les dirigeants qui attisent les flammes de notre disparition. En Palestine, nous nous demandons si quelqu'un fera entendre sa voix. Les mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale, les protestations et l'indignation mondiales n'ont tout simplement pas suffi. Le seul changement dont nous avons été témoins est la recrudescence de la violence et des déplacements.
Source Mondoweiss
Voix palestiniennes
1- C'est ainsi que le Ramadan commence pour nous à Gaza
Il n'y a pas de cessez-le-feu, seulement tromperie et mensonges. Il n'y a pas de paix, mais plus de mort. Je n'ai pourtant toujours attendu de cette vie que quelque chose de très simple, tout à fait ordinaire.
Par Mohammed Mohisen, le 6 mars 2025, Blog Personnel
Ouvrir le robinet et sentir l'eau éclabousser mon visage le matin.
Me rendre au marché et acheter des légumes frais sans peur au ventre.
Pétrir de la pâte sans verser de larmes.
Siroter mon café dans ma minuscule maison avant le coucher du soleil, sans que le poids du chagrin ne m'écrase la poitrine.
Mais même ces rêves les plus anodins m'ont été volés.
Ma famille est rentrée chez elle, mais quelle maison ?
Une carcasse brûlée, des murs calcinés portant toujours l'odeur du feu.
Pas d'électricité.
Pas de lumière.
Pas d'eau potable.
Pas d'internet, seulement le silence, la poussière et l'écho sans fin de la perte.
Mais nous appelons cela un abri. Nous n'avons pas d'autre choix.
Depuis cinq jours, les portes de la vie elle-même sont fermées.
Pas de nourriture. Pas de médicaments. Pas de marchandises.
Ils menacent de couper l'électricité, mais il n'y a pas d'électricité à couper.
Ils menacent de couper l'eau, mais le peu d'eau que nous avons est à peine potable.
Et la pire menace de toutes, c'est qu'ils menacent de ramener la mort.
C'est ainsi que le Ramadan commence pour nous à #Gaza
Non pas avec la chaleur des réunions de famille, les parfums des repas préparés à la maison ou la lueur des lanternes dans les rues.
Mais avec la famine, la suffocation et l'ombre menaçante d'un génocide.
Le monde observe, silencieux.
Deux millions de musulmans arabes sunnites sont affamés sous les yeux de deux milliards de concitoyens musulmans
Et pourtant, personne ne bouge.
Ce matin, j'ai marché dans les rues. J'ai vu deux types de personnes :
Un petit nombre se démenant pour acheter ce qu'elles pouvaient se permettre,
Et la grande majorité, qui ne pouvait rien acheter.
La véritable catastrophe n'est pas seulement le siège. C'est la pauvreté. C'est l'injustice. C'est que nous avons été brisés au-delà même de notre capacité à nous préparer à la survie.
Israël a toujours traité l'aide comme une équation mathématique et non une question d'humanité.
Calculant le strict minimum dont nous avons besoin pour survivre, puis nous en permettant juste assez pour que nous ne tombions pas raides morts.
Le peu de vivres qui entre à Gaza disparaît en quelques jours.
Il n'y a pas de "stock", pas d'"entrepôts regorgeant de marchandises", tout cela n'est que mensonges.
La vérité ?
Il n'y a pas un seul marchand avec 100 sacs de farine.
Il n'y a pas un seul magasin avec 100 boîtes de dattes.
Tout ce qui arrive à Gaza disparaît en une semaine, voire plus rapidement.
Et pourquoi ?
Parce qu'ils ont bombardé toutes les installations de stockage de denrées alimentaires à Gaza.
Parce qu'ils ont détruit toutes les usines d'emballage de nourriture.
Parce qu'ils veulent que nous souffrions.
Depuis des jours, les drones de reconnaissance israéliens Zananas hurlent au-dessus de nos têtes, volant si bas que leur bruit étouffe les conversations, l'appel à la prière, et même le son de nos propres pensées.
À l'heure de l'iftar, lorsque nous nous réunissons pour rompre le jeûne, ils larguent des bombes sonores qui anéantissent le seul moment de calme de notre journée.
À l'aube, alors que nous nous levons pour prier, le rugissement des chars, le sifflement des balles, la lumière aveuglante des fusées éclairantes déchirent le ciel et transforment ce qui devrait être un moment sacré en une nouvelle scène de guerre.
Imaginez vous vivre avec cette peur suffocante à chaque seconde.
Imaginez vous ne jamais savoir si vous allez survivre à cette nuit.
Et voilà qu'ils avancent un nouveau mensonge.
Affirmant que Gaza a assez de vivres pour cinq mois.
C'est leur dernier mensonge, une façon de convaincre le monde que l'interruption de la nourriture et de l'aide est "raisonnable", que cela "n'aura pas de conséquences".
Mais la vérité ? Nous n'avons rien.
Le peu qui nous est parvenu était essentiellement des produits de luxe et non de première nécessité.
Nous sommes toujours affamés.
Nous sommes toujours au bord du gouffre.
6-3-2025
Pour le cinquième jour consécutif, Gaza reste bouclée - ses lignes vitales brutalement coupées. Pas de vivres, pas de médicaments, pas d'aide.
Les rayonnages sont vides, les marchés s'effondrent et le désespoir envahit l'air. Les prix flambent, inaccessibles, tandis que la faim nous tenaille toujours plus.
La catastrophe humanitaire est en cours. Gaza est affamée.
Les bombes continuent de pleuvoir. Le sang ne cesse de couler. Les appels désespérés des mourants résonnent encore dans les ruines.
Voilà ce que personne ne vous dit.
Certainement pas les médias.
Ni les personnes influentes.
Ni les politiciens qui prétendent s'en préoccuper.
Depuis le premier jour de février, nous sommes à la recherche de la paix.
Mais la paix ne nous a pas trouvés.
Je suis épuisé.
Pas de la manière dont le sommeil peut arranger les choses.
Pas de la façon dont une respiration profonde peut apaiser.
Je suis épuisé jusqu'à l'âme.
Je ne veux pas partir, mais je n'ai plus rien à donner.
Je voudrais juste une semaine
Sans me battre pour le moindre morceau de nourriture.
Sans devoir courir après l'eau.
Sans avoir l'impression que mon corps s'effondre sous le poids de la survie.
Je suis désolé de disparaître.
Mais la vie me broie.
Depuis Gaza, la Palestine se bat pour rester en vie au milieu de la guerre. Je suis étudiant en médecine à l'université de Gaza mais mes rêves sont brisés et ma vie est suspendue https://gofund.me/6d3bce17
📰 https://substack.com/inbox/post/158540575
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2- Ramadan à Gaza : souvenirs douloureux du passé & espoir persistant pour l'avenir
Pour les familles qui ont perdu des êtres chers, le ramadan est synonyme de place laissée vide à la table de l'Iftar et du poids insupportable d'être les laissés-pour-compte.

Par Hend Salama Abo Helow, le 3 mars 2025, Mondoweiss
De toutes les occasions qui redonnent vie à Gaza, le Ramadan est la plus attendue et la plus nécessaire. C'est un mois sacré qui offre une guérison spirituelle tout en rouvrant des blessures trop profondes pour être refermées.
Pour les familles qui ont perdu des êtres chers, le ramadan c'est une place laissée vide à la table de l'Iftar. Pour les survivants, c'est une culpabilité persistante, le poids insupportable d'être les laissés-pour-compte. C'est une douleur déchirante pour les mères endeuillées dont les enfants ont été tués pour une miche de pain, sont morts de faim ou ont été massacrés. Les enfants qui peuplaient autrefois la table de l'Iftar de leurs demandes espiègles, de leurs bavardages sur ce qu'ils aimaient ou n'aimaient pas, sont désormais réduits au silence à jamais. C'est une saison douloureuse pour les orphelins, qui avaient autrefois une vie simple, un foyer et des parents veillant à ce qu'ils ne se couchent jamais le ventre vide. Aujourd'hui, il ne leur reste que des souvenirs, et même ceux-ci semblent fragiles, se dérobant comme du sable entre les doigts.
Le ramadan porte en lui les échos des souffrances de l'année passée : la famine, la destruction, la mort. Des histoires écrites dans notre propre sang. Et pourtant, au milieu de toutes ces épreuves, la résilience demeure. Les personnes déplacées deviennent des personnes qui reviennent, déblayant les amas de béton de ce qui était autrefois leur maison, montant des tentes sur les ruines, décorant les décombres et accueillant le ramadan avec ce qu'ils ont. Car l'année dernière, ils étaient affamés, déplacés et au bord de la mort. Et cette année, malgré tout, ils sont toujours là.

L'une des leçons les plus douloureuses que ce génocide m'ait apprises est de chérir chaque moment de sécurité, chaque bénédiction que je considérais comme acquise avant le 7 octobre. Il en va de même pour les habitants de Gaza. Nous avons décidé d'embrasser à nouveau la vie, d'ouvrir nos cœurs, de savourer chaque instant du Ramadan comme si c'était le dernier. C'est une joie douloureuse, une joie empreinte de chagrin. Les souvenirs se superposent aux souvenirs, les rituels sont à jamais souillés par le génocide.
En famille, nous marquions toujours le début du ramadan par le festin de ma grand-mère. Elle préparait tous les plats traditionnels, mais le plat principal était toujours le mloukhiyyeh, ce ragoût de feuilles vertes qui était sa façon de souhaiter que le mois soit toujours verdoyant pour tous. Elle nous rassemblait avec sa chaleur, ses rires et ses mains inlassablement affairées sur les casseroles. Ma grand-mère ne manquait jamais de nous réunir.
Mais cette année, ils nous ont privés de notre boussole à jamais.
Ils l'ont tuée l'année dernière, nous laissant avec des débuts vides. Le silence qu'elle a laissé derrière elle est assourdissant, son absence, un mal qui ne s'estompe pas. Sa voix ne récite plus al-Tarawih duaa, la prière de la nuit, en toile de fond de nos vies.
Je me suis toujours demandé comment l'Iftar pouvait coïncider avec le massacre d'une autre famille. Je ne pouvais le comprendre jusqu'à ce que je le vive.
Le dixième jour du Ramadan 2024, quelques semaines après notre premier déplacement, j'ai passé la journée dans la cuisine, reconnaissante d'en avoir à nouveau une. Au cours du déplacement, cuisiner était un luxe que nous ne pouvions nous permettre. Ce jour-là, j'ai préparé une pizza pour l'Iftar. Ce n'était pas rien : dans une zone de guerre, la pizza était un rêve illusoire, les ingrédients étant rares et hors de prix.
Mais je me suis débrouillée.
C'est alors qu'un bombardement brutal a secoué le sol sous mes pieds. Je me suis arrêtée. Quelle maison avait été touchée ? Quelle famille avait été effacée juste avant l'appel à la prière du maghbrib ? Personne n'en était sûr. J'ai donc continué à cuisiner, repoussant cette idée.
Quelques minutes avant l'Iftar, j'ai enfin décroché mon téléphone. Des milliers de messages ont envahi mon écran. Je me suis figée.
C'était ma meilleure amie, Buthaina.
Elle venait de rentrer de Rafah deux jours plus tôt, s'accrochant à l'espoir de lendemains meilleurs, impatiente de reprendre ses cours à l'université en ligne. Mais elle n'était plus là. Tuée alors qu'elle jeûnait. Effacée, avec sa famille.
Je me souviens d'être restée assise là, le regard vide fixé sur mon assiette intacte. Comment pouvais-je rompre mon jeûne alors que mon amie avait été fauchée de manière aussi impitoyable ?
Le ramadan est censé être le mois de l'humanité partagée. Pourtant, à Gaza, il est devenu une saison de perte, une période où même le sacré est profané. Les règles de la guerre, le caractère sacré de ce mois saint, rien de tout cela n'a compté. Le sang a coulé dans les rues, les familles ont été affamées jusqu'à la soumission, les nécessités les plus simples - la nourriture, l'eau, le gaz, la farine - sont devenues des rêves lointains et inaccessibles.
J'ai compté les jours jusqu'à l'Aïd, espérant naïvement qu'il y aurait un cessez-le-feu et que les choses se passeraient différemment. Mais la veille de l'Aïd, l'attaque aérienne a eu lieu.
Elle a touché la maison de mon voisin.
Plus de 50 personnes étaient piégées sous les décombres.
Pour le monde, elles n'étaient qu'une statistique de plus, une victime de plus dans le décompte sans fin des morts. Mais pour nous, c'étaient des rêveurs. Ils aimaient la vie. Ils avaient des projets. Ils avaient des noms.
J'aurais pu être à leur place.
Et pourtant, la guerre qui ne vous tue pas vous oblige à vivre.
Mes nièces et neveux ont décidé que si nous ne pouvions pas avoir le Ramadan que nous avons connu, ils en inventeraient un nouveau. Ils m'ont bandé les yeux, leurs petites mains me guidant dehors. Lorsqu'ils m'ont ôté le bandeau, j'ai halluciné. Ils avaient habillé notre espace de décorations de fortune - du nylon, du carton, tout ce qu'ils avaient pu trouver. Rien à voir avec les somptueuses lanternes que nous achetions autrefois, mais d'une certaine manière, encore plus belles. Ils avaient grimpé aux oliviers pour y suspendre des guirlandes, prenant soin les uns des autres tandis qu'ils œuvraient, leurs voix s'élevant dans une chanson : "Ramadan Kareem, Ya Wahawi... Iaha !".

Sur les marchés, les décorations du Ramadan - lanternes, robes, dattes, jus de caroube, cornichons acidulés, bonbons Qamar al-Din et encens - étaient de retour. Les supermarchés débordaient de produits dont nous avions été privés pendant 16 mois. Je me suis retrouvée là, accablée, ne sachant pas par où commencer. Ce génocide avait dicté notre régime alimentaire pendant trop longtemps.
Bien que de nombreuses mosquées aient été détruites, les gens ont trouvé des moyens de reconstruire - des espaces de prière improvisés sont apparus là où se trouvaient autrefois des murs. Les familles ont de nouveau pu s'inviter pour l'Iftar, partager des plats et respecter la tradition. L'appel du mu'azzin s'élèvera au-dessus des ruines. Les prières de Tarawih seront étouffées par les drones, et le msahharati parcourra les rues en sécurité, battant le rappel pour le suhur.

Nous aurons de la nourriture, et non des miettes.
Nous vivrons l'instant présent, nous le chérirons - pas seulement comme un souvenir de ce qui a été, mais comme la preuve que nous sommes toujours là. Que nous portons en nous l'héritage de tous ceux que nous avons perdus.
Et aujourd'hui, plus que jamais, la prière de ma mère prend tout son sens :
"Oh Dieu, fais que nous atteignions le Ramadan sans perdre personne ni être perdus."
Mais cette fois, je la murmure différemment.
Oh Dieu, fais que nous atteignions le Ramadan... sans perdre personne d'autre.
Et sans nous perdre.
Hend Salama Abo Helow est chercheuse, écrivaine et étudiante en médecine à l'université Al-Azhar de Gaza. Elle a publié des articles dans We Are Not Numbers, le Washington Report on Middle East Affairs, Mondoweiss et l'Institute for Palestinian Studies. Elle considère l'écriture comme une forme de résistance.
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3- Le "cadeau mortel" déposé par Israël dans ce qui restait de ma maison
Par Rasha Abou Jalal, le 7 mars 2025, The Electronic Intifada
Après 15 mois de déplacement dans le sud de la bande de Gaza, je pensais avoir perdu la capacité d'être surpris. Mais je me trompais.
Je suis retourné dans la ville de Gaza le 6 février, après l'accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël.
Presque tout ce qui se trouvait chez moi était réduit à l'état de ruines. Et les souvenirs enfouis parmi les décombres semblaient m'interpeller.
J'ai repéré une boîte métallique portant une mention en hébreu et une clé pour ouvrir la boîte de conserve.
Je l'ai ramassée en essayant de déterminer s'il s'agissait d'une boîte de thon ou de haricots.
J'ai pensé qu'elle avait été placée dans les décombres comme si on voulait que je la trouve. Une boule s'est formée dans ma gorge.
Depuis quand une boîte de nourriture attirait-elle autant l'attention ?
Mon esprit n'a pas saisi immédiatement, mais percevait l'étrangeté de la chose. Il n'y avait pas de date de péremption ni de nom de marque.
Lorsque je l'ai soulevée du sol, la boîte m'a semblé plus légère qu'elle n'aurait dû l'être. Cela m'a rappelé les messages textuels que les organisations internationales envoient constamment sur mon téléphone portable, avertissant la population de ne pas manipuler d'objets suspects trouvés dans les décombres des maisons.
À ce moment-là, un frisson m'a parcouru l'échine. J'ai posé la boîte, reculé d'un pas, puis d'un autre.
J'ai immédiatement appelé le numéro d'urgence gratuit (le 102). J'ai expliqué la situation à la personne qui m'a répondu et m'a dit de ne pas toucher à la boîte, de m'éloigner sur-le-champ et qu'une équipe de déminage était en route.
Deux hommes en uniforme, mais sans aucun équipement, n'ont pas tardé à arriver et se sont présentés comme des démineurs du ministère de l'intérieur de Gaza.
Ils m'ont demandé de leur indiquer où j'avais trouvé la boîte. C'est ce que j'ai fait.
Les deux hommes ont alors avancé prudemment, l'un d'eux ramassant avec précaution la boîte. Il l'a placée dans une boîte en fer dans leur véhicule.
Un piège déguisé en nourriture
Ensuite, c'est le choc qui a fait vaciller mes jambes. L'un des hommes m'a expliqué que la boîte était un piège, une bombe déguisée en nourriture.
"C'est un cadeau de la mort que les soldats israéliens ont laissé aux enfants de Gaza", a-t-il dit.
À ce moment-là, j'ai remercié Dieu de ne pas avoir ramené mes cinq enfants à la maison. Je les avais laissés avec leur grand-mère chez mes parents, dans le quartier d'al-Nasr, à l'ouest de la ville de Gaza.
L'expert en déminage a expliqué que les équipes de déminage avaient trouvé des dizaines de mines placées intentionnellement et d'autres qui étaient des munitions non explosées en raison d'un dysfonctionnement technique dans les décombres des maisons.
On pense qu'il y a encore des centaines, voire des milliers de ces munitions non explosées qui n'ont pas encore été découvertes.
Selon l'agence de presse Wafa, Muhammad al-Qadi a été tué le 7 février dans l'explosion d'un objet suspect laissé par l'armée israélienne à Rafah, la ville la plus méridionale de Gaza.
En janvier, dix personnes ont été blessées, dont quatre grièvement, à la suite d'une explosion à al-Qarara, à l'est de Khan Younis, également dans le sud de la bande de Gaza.
Les données des Nations Unies montrent que plus de 90 personnes ont été tuées ou blessées par des munitions non explosées depuis le début des attaques israéliennes en octobre 2023, a-t-on appris le 29 janvier.
Le New York Times a rapporté en décembre que l'armée israélienne avait tiré près de 30 000 munitions sur Gaza au cours des sept premières semaines de la guerre, soit plus qu'au cours des huit mois suivants combinés.
Explosion soudaine
Muhammed al-Haddad, 31 ans, ne savait pas à quoi ressemblerait sa maison dans le quartier de Shujaiya de la ville de Gaza après 15 mois de guerre et de déplacement, mais il sentait qu'elle ne serait plus celle qu'il avait quittée.
Lorsque al-Haddad est arrivé chez lui le 2 février, il a constaté que sa maison n'était plus qu'un tas de décombres, mais qu'il était possible de la sauver.
Il a trouvé ce qui restait d'un placard, quelques planches de bois et une table retournée. Alors qu'il essayait de sortir ce qu'il pouvait porter, son pied a marché sur une planche de bois à moitié enfouie dans les décombres.
Une explosion soudaine a soulevé son corps en l'air durant quelques secondes avant qu'il ne retombe brutalement sur le sol et perde connaissance.
Lorsqu'il a enfin ouvert les yeux, la lumière était blafarde au-dessus de lui. Il était allongé dans un lit, désorienté, ne sachant pas où il se trouvait.
Il se souvient avoir essayé de se lever, mais son corps ne répondait pas.
Il a essayé de bouger sa jambe droite. Elle n'était plus là.
Il se trouvait à l'hôpital Al Ahli Arab de Gaza City.
"Pendant des mois, j'ai rêvé de ce moment... de retourner dans ma maison, même s'il n'en restait rien, mais jamais je n'aurais imaginé que ce retour conduirait à une telle tragédie", a confié al-Haddad à The Electronic Intifada.
Ajoutant,
"Israël ne s'est pas contenté de détruire nos maisons, il nous a laissés mourir dans les décombres. Ils ne veulent même pas que nous fassions le deuil de nos maisons en toute sécurité".
Al-Haddad est l'une des innombrables victimes palestiniennes des mines et des munitions israéliennes.
"Nous sommes confrontés à une situation où la plupart des habitants de Gaza retrouveront soit un bâtiment gravement endommagé dans lequel ils ne pourront se réinstaller, soit un tas de ruines", a déclaré Achim Steiner, directeur du Programme des Nations unies pour le développement, à la chaîne de télévision allemande Deutsche Welle en janvier dernier.
"Et ces décombres représentent toujours un danger. Il y a des munitions non explosées et des mines terrestres. C'est un environnement extrêmement dangereux."
Muhammed Maqdad, chef du département de déminage du ministère de l'intérieur de Gaza, a déclaré à The Electronic Intifada que l'armée israélienne avait largué plus de 85 000 tonnes de bombes sur la bande de Gaza depuis le début de la guerre.
"Selon moi, le volume des munitions non explosées représente environ 9 000 tonnes", a-t-il dit, précisant que ses équipes avaient trouvé des munitions non explosées à l'intérieur de quartiers résidentiels depuis le cessez-le-feu.
Maqdad a expliqué que les experts procédaient à un examen initial des munitions avant de les éliminer en séparant le détonateur ou en les transportant vers des sites désignés en fonction du danger qu'elles présentaient.
Maqdad a souligné le besoin urgent de matériel spécialisé, tel que des engins de levage lourds et des équipements de protection modernes, afin de garantir la sécurité de la manipulation de ces munitions.
Le service de lutte contre les mines des Nations unies a indiqué en avril de l'année dernière que la sécurisation des munitions non explosées dans la bande de Gaza pourrait nécessiter 14 ans.
Rasha Abou Jalal est journaliste à Gaza.
📰 https://electronicintifada.net/content/israel-left-gift-death-my-home/50471
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4- Une réalité imaginée
Les cicatrices du sionisme, 2ème partie. (1ère partie a été traduite en français sur ce blog : voir article 8 "Les cicatrices sur la terre" via ce lien)
Ceci est le second de deux rapports sur le travail du Dr. Mazin Qumsiyeh (1), qui est une autorité - et peut-être l'autorité - sur l'environnement de la Cisjordanie et les conséquences environnementales du colonialisme de peuplement. Qumsiyeh est le fondateur et le directeur de l'Institut palestinien de la biodiversité et de la durabilité à l'université de Bethléem.
La première partie de cette série est disponible en anglais ici.
Par Cara MariAnna, le 7 mars 2025, Blog Personnel
6 mars - La création de l'État juif s'est accompagnée d'une transformation profondément destructrice de la terre historique de Palestine, y compris des territoires illégalement occupés de Cisjordanie et de Gaza. Les dommages désastreux causés aux bassins hydrographiques, un sujet que j'ai abordé dans la première partie de ce rapport, font partie des conséquences les plus graves de ce qui constitue un autre aspect de la catastrophe qui a frappé les Palestiniens victimes du régime sioniste.
Au cours de notre conversation, le professeur Qumsiyeh a évoqué trois autres domaines de dégradation de l'environnement : les effets néfastes sur les espèces végétales et animales, y compris l'extinction d'espèces ; les dommages causés aux écosystèmes fragiles par un projet cynique de plantation d'arbres non indigènes, et l'introduction d'espèces invasives.
J'ai pu saisir dans la voix du Dr Qumsiyeh et dans tout ses propos l'amour qu'il porte à la terre de Palestine. Bien qu'il soit un érudit respecté, avec des centaines d'articles publiés à son actif, le professeur a de la terre sous les ongles - au moins métaphoriquement, si ce n'est réellement.
En effet, le terrain de l'Institut est un laboratoire vivant où des expériences de culture hydroponique coexistent avec un jardin d'orchidées indigènes en voie de disparition. Un étang artificiel offre un habitat aux oiseaux locaux et migrateurs. Un espace de la propriété est consacré à la réhabilitation d'oiseaux et de petits mammifères blessés. Le miel est extrait de ruches soigneusement entretenues et vendu pour collecter des fonds destinés à soutenir l'Institut. Les olives sont récoltées sur les nombreux arbres du site et transformées en huile dans le même but.
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Lorsque Qumsiyeh a parlé de l'extinction des espèces, il a utilisé l'exemple tragique du lac Hula. L'assèchement du lac Hula et des zones humides environnantes dans les années 1950 illustre de manière frappante la décimation de la faune sauvage - indigène et migratrice - qui a commencé avec l'arrivée des premiers immigrants juifs dans les dernières décennies du 19ème siècle et qui s'est accélérée après la fondation d'Israël en mai 1948.
Le projet sioniste était de transformer ces zones humides - situées dans la partie nord-est de la Palestine et d'une superficie d'environ 177 kilomètres carrés - en terres agricoles fertiles dont les Israéliens ne cessent de se vanter. En réalité, l'opération de drainage et de conversion, menée par le Fonds national juif de 1951 à 1958, est l'un des dommages les mieux documentés des politiques coloniales d'extermination.
Dr. Qumsiyeh :
On appelait ce projet "assécher les marécages". Douze villages palestiniens ont fait l'objet d'un nettoyage ethnique. Au total, 48 villages vivaient de la pêche dans les zones humides et confectionnaient des objets avec des roseaux - nattes et paniers, radeaux de pêche et habitations. Au moins 219 espèces ont disparu, y compris des plantes et des animaux, dont certains se sont éteints.
Le lac Hula, situé directement au nord du lac de Tibériade et traversé par le Jourdain, était une vaste zone humide d'une grande diversité écologique, abritant une grande variété d'espèces animales et végétales indigènes que l'on ne trouve nulle part ailleurs. De nombreuses espèces animales ont disparu lors de l'assèchement de la zone, y compris plusieurs variétés de poissons propres au lac Hula. Un poisson appelé loche franche de Galilée et un autre appelé brème de Hula ont été complètement extirpés - et même éteints localement. On trouve encore la loche franche dans le lac de Tibériade, mais la brème de Hula a disparu de Palestine.
Le lac et les zones humides constituaient également une halte importante et un lieu où les oiseaux migrant de l'Afrique vers l'Europe se nourrissaient, notamment des milliers de pélicans, de cigognes, de hérons, de grues et de divers oiseaux de proie. Ces terres marécageuses, que les colons sionistes ne comprenaient pas et n'appréciaient pas, servaient de système naturel de filtrage et de purification pour le fleuve à mesure qu'il continuait en aval.
Bien que l'importance des écosystèmes des zones humides n'ait pas été bien connue à l'époque - l'écologie des zones humides est apparue comme un domaine d'étude distinct dans les années 1970 - de nombreuses personnes, sionistes et non sionistes, ont tiré la sonnette d'alarme avant le projet, avertissant que le sol tourbeux sous les marais ne serait pas utilement fertile. Les Israéliens n'ont tenu compte d'aucune de ces considérations et ont poursuivi leur projet avec détermination.
L'État sioniste a détourné le Jourdain en amont du lac Hula, tandis qu'en aval, il a créé des canaux de drainage, dragué et élargi le fleuve. L'ensemble du lac et de l'écosystème qui l'entoure a ainsi été drainé pour créer des colonies et des terres agricoles. Selon les estimations, entre 10 000 et 12 000 Palestiniens - chiffres prudents - ont été violemment expulsés de leurs villages et de leurs terres et dispersés dans les pays voisins ou déplacés à l'intérieur de leur propre pays, devenant tous des réfugiés.

Le désastre causé par l'arrivée des Juifs sur l'écosystème de la Cisjordanie est vite apparu. La tourbe exposée, comme on l'avait prédit, s'est révélée être un sol peu propice à l'agriculture. Pire encore : En séchant, la tourbe s'est spontanément mise à brûler. Les incendies ont couvé sous terre pendant des jours, donnant lieu à de vastes panaches de fumée et de cendres qui se sont déposés sur la région. Le sol brûlé et noirci a ensuite été balayé par des vents violents, provoquant des tempêtes de poussière qui ont endommagé les cultures agricoles et obstrué les canaux de drainage.
Les dégâts environnementaux ont été si profonds qu'Israël a dû inonder à nouveau une partie de l'ancien lit du lac afin de restaurer certaines zones humides. Cet effort a été salué par la presse américaine et israélienne. Ce renversement d'une catastrophe dont ils étaient les seuls responsables a été présenté comme un admirable projet de restauration de l'environnement. De la même manière, le drainage initial des zones humides a été salué comme un exemple de l'ingéniosité israélienne.
Il n'est jamais fait mention des habitants arabes originels qui ont été expulsés de la terre. Je ne vois pas les choses de la même manière : C'est un exemple typique de l'indulgence sans limite de l'Occident à l'égard du régime sioniste. Ne s'agit-il pas d'une autre dimension, rarement prise en compte, du « soutien inconditionnel » des puissances occidentales au projet juif ? Je ne vois pas d'autre façon d'interpréter les distorsions grossières que nous trouvons dans la version officielle des événements dont le Dr Qumsiyeh a discuté avec moi.
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Dès leur arrivée en Palestine, bien avant la création d'Israël, les sionistes se sont efforcés d'européaniser la Terre sainte et d'effacer ainsi toute trace de la présence arabe. Ils y sont parvenus en partie en créant de nouvelles forêts de pin européen, un processus connu sous le nom de boisement.
Israël a utilisé le boisement et la destruction des forêts indigènes qui l'accompagne comme une arme du colonialisme de peuplement pour faire progresser le vol de terres et l'effacement des Palestiniens. Avec le détournement des ressources en eau, le boisement était l'un des aspects du grand projet sioniste visant à "faire fleurir le désert".
Qumsiyeh, en mode professeur, a expliqué le processus pendant que je me penchais sur mon journal et griffonnais des notes :
La transformation et la destruction à grande échelle de la terre de Palestine ont commencé dans les années 1920, lorsque les immigrants européens ont commencé à déraciner les arbres et à détruire le paysage. Ils ont remplacé les arbres indigènes par le pin européen. Cette espèce a été utilisée pour sa croissance rapide et l'aspect européen qu'elle donne. Il s'agit également d'une monoculture, ce qui rend le remplacement des forêts indigènes peu coûteux et facile.
Entre les années 1920 et 1960, les sionistes ont déraciné les forêts nationales, détruisant 10 à 20 millions d'arbres indigènes, domestiques et sauvages. Il s'agissait notamment d'oliviers, de figuiers, d'amandiers, de pistachiers, de caroubiers, d'aubépines et de chênes. Le pin européen a remplacé une polyculture par une monoculture, éradiquant la diversité des espèces.
Les pins perdent leurs aiguilles, ce qui rend le sol acide et empêche l'établissement d'un sous-bois. Le pin européen a également besoin de plus d'eau que les arbres indigènes. Il est sensible aux maladies et aux incendies lors de la saison sèche. Par conséquent, nous avons assisté ces dernières années à de grands incendies de forêt jusque là inconnus.
Lors de mes déplacements en Cisjordanie, j'ai vu de vastes peuplements de pins européens dans les gouvernorats d'Hébron et de Bethléem, dont beaucoup étaient devenus bruns à cause de la maladie. Même vertes, ces forêts importées semblent étrangement silencieuses et mortes. Rien d'autre ne semble y pousser. En effet, je n'ai vu aucun sous-bois visible. Comme nous l'avons déjà suggéré, le pin européen a joué un rôle important dans la destruction de la biodiversité en Palestine. Les plantes indigènes ne peuvent pousser dans le sol acide et à l'ombre ; l'arbre importé est incapable de fournir un habitat aux animaux et aux insectes indigènes.
Ces peuplements de pins européens rabougris et malades ne sont pas des forêts au sens propre du terme. Ils ressemblent précisément à ce qu'ils sont : de vastes étendues de plantations étranges et allogènes qui se dressent isolées sur une terre ouverte et aride. Beaucoup ont écrit sur le désastre créé par l'introduction du pin européen et le projet sioniste de transformer le désert en jardin tout en effaçant cyniquement et stratégiquement la présence des Palestiniens sur le territoire.
À mon retour de Cisjordanie, à la fin de l'automne dernier, j'ai commencé à approfondir mes recherches sur les questions environnementales dont j'avais discuté avec le Pr Qumsiyeh. Au fil du temps, j'ai découvert l'ouvrage de Max Blumenthal, le célèbre journaliste, publié en 2011 dont voici un extrait du chapitre 5 d'un rapport intitulé "Greenwashing Apartheid : The Jewish National Fund's Environmental Cover Up" (L'écoblanchiment de l'apartheid : la dissimulation environnementale du Fonds national juif) :
Les pins eux-mêmes étaient des instruments de dissimulation, stratégiquement plantés par le Fonds national juif sur les sites des centaines de villages palestiniens que les milices sionistes ont évacués et détruits en 1948. Avec des forêts se développant rapidement là où se trouvaient les villes, ceux qui avaient été expulsés n'auraient plus rien à retrouver. Entre-temps, pour les étrangers qui découvrent pour la première fois le paysage étrangement alpin du nord d'Israël, les Palestiniens semblent n'avoir jamais existé. Et c'est exactement la perception que le JNF voulait créer. La pratique que David Ben Gourion et d'autres éminents sionistes appelaient "racheter la terre" était en fait la forme ultime de l'écoblanchiment.
Le travail de Blumenthal a soulevé une réalité à laquelle on est parfois confronté dans les pays du Sud. Chaque fois qu'une puissance dominante se consacre à l'élimination d'une population, en détruisant l'environnement - l'environnement naturel, l'environnement bâti - c'est une façon de détruire aussi la mémoire, et donc, avec le temps, l'identité, la cohérence et la force de la population locale. C'est l'essence même du projet sioniste dans les territoires occupés.
Aujourd'hui encore, le FJN continue de promouvoir la plantation d'arbres en Palestine occupée. L'organisation, qui se targue d'avoir planté plus de 260 millions d'arbres, est profondément impliquée dans la plupart des destructions environnementales causées par le colonialisme sioniste. L'incendie dévastateur de la forêt du Carmel en 2010, qui s'est produit sur le mont Carmel, dans le nord-ouest de la Palestine historique, et dans lequel 44 personnes ont été tuées, a ravagé plus de 12 000 acres de forêts de pins, des arbres plantés par le JNF.
Pour résumer, la création et le maintien d'un État juif ont été un désastre incessant pour l'environnement et les droits de l'homme. Mais, à moins de s'approcher et de discuter avec ceux qui ont été témoins de ces développements, ceux dont la vie a été bouleversée par ces calamités, on a peu de chances de voir certaines caractéristiques de ce désastre. La présence de l'oiseau myna dans les territoires occupés en est un exemple.
Dans les années 1990, Israël a introduit cet oiseau en Palestine, précipitant ainsi une nouvelle catastrophe environnementale. Populaire pour son chant mélodieux et sa capacité à imiter la parole humaine, le myna est généralement gardé en cage pour le plaisir et la distraction. Mais cette espèce est l'une des plus nuisibles et des plus envahissantes au monde.
Le professeur Qumsiyeh décrit ici les graves conséquences de l'ignorance et de la folie coloniales :
Dans les années 1990, des oiseaux myna étaient gardés dans un petit parc près de Jaffa. Ils se sont échappés de leurs cages ou ont été relâchés. Depuis, ils ont détruit la faune aviaire en Palestine et dans certaines régions du Liban, de Jordanie et du plateau du Golan. Ces oiseaux sont particulièrement agressifs et mauvais. Ils tuent les autres oiseaux et détruisent leurs œufs. Ils dévorent une grande partie de la nourriture disponible. Les autres espèces d'oiseaux ne peuvent rivaliser avec eux.
Le myna est connu pour causer des dommages considérables aux fruits en cours de maturation, menaçant ainsi d'importantes cultures agricoles telles que le raisin, les dattes et les mangues. Curieusement, le myna évoque, à sa manière, les sionistes, qui détruisent fréquemment les vergers et les vignobles des autochtones palestiniens.
Le sionisme est une "mentalité de destruction", m'a dit le professeur Qumsiyeh. Il a conclu notre conversation en évoquant brièvement les dégâts environnementaux causés par l'armée israélienne.
La création et la pérennisation d'une patrie juive suprématiste dans un pays historiquement arabe ont, dès le départ, nécessité la force et la création d'un immense État militaire. L'impact environnemental de l'armée israélienne et la guerre quasi incessante qu'elle mène sont également colossaux.
Là encore, citons le Dr Qumsiyeh :
La colonisation nécessite de la violence - de la violence et des armées - et les armées sont les plus grands destructeurs de l'environnement. La combustion du kérosène des bombardements israéliens sur Gaza génère plus de gaz à effet de serre que ce que de nombreux pays produisent en une année.
Nous savons qu'un nombre important de bombes utilisées à Gaza contiennent de l'uranium appauvri. Elles sont fournies par les États-Unis, qui ont admis l'utilisation d'uranium appauvri dans ces armes dans d'autres contextes. Des études menées en Irak confirment le nombre élevé de malformations congénitales causées par l'exposition à l'uranium appauvri contenu dans les armes utilisées par les États-Unis pendant et après l'invasion de 2003.
Tout ce que je rapporte ici, ainsi que dans la première partie de cette série, sont les conséquences - que Dumsiyeh qualifierait certainement de "conséquences prévisibles" - du colonialisme européen en Palestine.
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Les autochtones palestiniens ont évolué en harmonie avec la terre et l'environnement au cours des millénaires. Les colons sionistes n'ont pas eu besoin de millénaires. Leur projet était de s'emparer de la terre le plus rapidement possible et de créer un nouveau foyer là où ils n'en avaient pas et où ils n'avaient aucun droit. Ils ont donc imposé à la terre de Palestine une "réalité imaginée" - c'est le terme qu'employait le Pr Qumsiyeh - basée sur ce qu'ils connaissaient et avaient laissé derrière eux dans leurs pays d'origine.
Le colonialisme de peuplement est toujours motivé par une réalité imaginée dans laquelle la terre elle-même est rendue conforme à un fantasme. Les forêts artificielles de pins européens plantées pour faire ressembler la terre à la Suisse sont l'expression parfaite d'une réalité imaginée. Tout comme l'assèchement du lac Hula.
Mais une réalité imaginée peut être remplacée par une autre. Imaginons une autre réalité sur la terre de Palestine. Appelons-la une réalité post-sioniste, une réalité basée sur le droit international, telle qu'imaginée dans le livre de Qumsiyeh, Sharing the Land of Canaan (Pluto, 2004).
Dans cette nouvelle réalité, l'écosystème marécageux originel du lac Hula est rétabli, les forêts de pins européens sont remplacées par une flore indigène, les forêts et les espèces indigènes prospèrent, les Juifs, les Chrétiens et les Arabes vivent à nouveau côte à côte sur un pied d'égalité, comme ils le faisaient autrefois, et les communautés palestiniennes sont rétablies dans les "48 terres".
(1) Le professeur Mazin Qumsiyeh, fondateur et directeur du Musée palestinien d'histoire naturelle (PMNH) et de l'Institut palestinien pour la biodiversité et la durabilité (PIBS), a été proposé pour le prix Nobel de la paix 2025.
Mairead Corrigan Maguire, lauréate du prix Nobel, a présenté cette nomination prestigieuse en reconnaissance de l'engagement inébranlable du professeur Qumsiyeh en faveur de la paix, de la non-violence et de la durabilité de l'environnement au cours des cinq dernières décennies.
"Le travail du professeur Qumsiyeh incarne la mission de l'université de Bethléem, qui est de servir de phare d'espoir en Terre sainte", a déclaré le frère Hernán Santos, vice-chancelier de l'université de Bethléem. "Son dévouement à la promotion de la paix et de la durabilité n'élève pas seulement la Palestine, mais inspire également la recherche mondiale de la dignité humaine et de la justice".
Sous la direction du professeur Qumsiyeh, le Musée palestinien d'histoire naturelle et l'Institut palestinien pour la biodiversité et la durabilité de l'université de Bethléem sont devenus des éléments à part entière de l'engagement de l'université en faveur de la recherche, de l'éducation et de la conservation. Grâce à des initiatives novatrices, telles que la construction d'installations muséales et de salles d'exposition écologiques, ces centres font progresser la mission de l'université de Bethléem, qui est d'encourager la sensibilisation à l'environnement, la durabilité et la préservation du patrimoine naturel et culturel de la Palestine.
"Les accomplissements du professeur Qumsiyeh mettent en lumière le pouvoir de transformation de l'éducation et de la collaboration", a souligné le Dr. Iman Saca, vice-président académique de l'université de Bethléem. "Son dévouement à la biodiversité et à la préservation culturelle enrichit non seulement la communauté universitaire de l'université et renforce nos partenariats mondiaux, mais joue également un rôle essentiel dans la sauvegarde de l'identité palestinienne et la prévention de son effacement, en favorisant une meilleure compréhension de l'héritage de la Palestine dans le contexte mondial".
Pour commémorer cette étape, l'université de Bethléem lance une campagne mondiale de collecte de fonds afin de soutenir les initiatives éducatives et de recherche menées par le PMNH et le PIBS. Les contributions à la campagne permettront à l'université de Bethléem d'étendre son impact en Palestine et au-delà, en encourageant la paix, la durabilité et l'innovation.
"Cette campagne de collecte de fonds est l'occasion pour l'université de Bethléem de poursuivre son rôle essentiel dans la promotion de la paix, de la durabilité et de l'éducation", a déclaré le Dr Robert Tabash, président du conseil d'administration de l'université de Bethléem. "Grâce à cet effort, nous souhaitons renforcer notre engagement en faveur de la gestion de l'environnement et préserver le riche patrimoine de la Palestine pour les générations futures".
"L'université de Bethléem est honorée de soutenir le professeur Qumsiyeh dans ce travail important", a pour sa part fait remarquer le professeur Bart McGettrick, président du conseil d'administration international de l'université de Bethléem. "Cette nomination au prix Nobel de la paix réaffirme le rôle essentiel de l'université dans la promotion de la paix et de la durabilité, ancrée dans les valeurs catholiques et lasalliennes de l'université".
À propos du professeur Mazin Qumsiyeh
Le professeur Qumsiyeh est un scientifique, auteur et éducateur palestinien fort d'une longue expérience en biologie et en génétique médicale. Il a publié plus de 150 articles scientifiques et plusieurs ouvrages sur des sujets allant de l'héritage culturel à la biodiversité. Son engagement en faveur de la résistance non violente et de la durabilité environnementale a contribué à faire progresser la paix et l'éducation en Palestine.
Pour faire un don sécurisé, veuillez visiter la page PMNH/PIBS à https://www.bethlehem.edu/pmnh.
Source université de Bethléem.
📰 Lien de l'article original :
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5- J'aimerais qu'elle puisse encore m'entendre
J'ai essayé de m'accrocher à toi, de t'empêcher de m'échapper, mais tout ce qui me reste, ce sont des souvenirs.
Par Mohammed R. Mhawish, le 8 mars 2025, Blog Personnel
Je t'ai revue hier soir.
Tu étais assise juste là, sur les marches, faisant rouler des feuilles de vigne entre tes doigts. Tu avais le pot parfaitement équilibré entre tes genoux. La radio ronronnait derrière toi. Une vieille chanson de Fairouz passait, et tu fredonnais en même temps, à contretemps, comme toujours. Le thé sur le rebord de la fenêtre refroidissait.
J'ai voulu t'appeler, mais les mots sont restés bloqués dans ma gorge et mes pieds ont refusé de bouger.
Soudain, la théière s'est écrasée sur le sol. La radio est devenue inaudible. Et le ciel s'est ouvert.
Je me suis réveillé en sursaut, les doigts agrippés aux draps, essayant de me raccrocher à quelque chose - à ta voix, ton odeur, la chaleur de la cuisine avant l'aube. Mais il n'y avait rien, rien que ce silence qui signifie que quelque chose a été volé.
Tu n'as jamais aimé rester assise. Tu étais toujours en mouvement, toujours en train de créer quelque chose à partir de rien. Tu cousais des robes avec du fil acheté sur un étal de marché. Tu transformais de vieux livres en nouvelles histoires pour des enfants qui n'en avaient pas. Tu gravais des noms au dos des pupitres d'école, tu apposais l'encre de la poésie sur les murs.
Le matin, tu marchais avec les élèves, tes pieds foulant le pavé. Les garçons avec leurs doigts maculés d'encre, les filles ajustant leur hijab dans le reflet des fenêtres. Tu riais avec les professeurs échangeant des histoires entre deux gorgées de café à la cardamome.
À midi, tu débattais politique avec les vendeurs de fruits. Ta voix couvrait les appels de "banadoura !" et "teen baladi !". Tu achetais des figues, les pressais délicatement entre tes doigts pour tester leur maturité.
L'après-midi, tu t'asseyais avec les médecins sur les bancs de l'hôpital, les regardant éponger la sueur de leurs sourcils, l'épuisement inscrit dans leurs chairs. Tu traçais les lignes de leurs mains - des mains qui ont mis des bébés au monde, des mains qui ont recousu ce que des éclats d'obus avaient déchiqueté.
Et le soir, tu attendais les pêcheurs aux bateaux chargés de parfums de mer, rentrant les filets regorgeant d'histoires sur la distance à parcourir et le peu qu'ils pouvaient rapporter.
Tu étais magnifiquement et douloureusement partout.
Puis vint l'hiver qui t'a entièrement engloutie.
Les élèves ne sont jamais rentrés chez eux ce jour-là. Les professeurs se sont tus avant les cours. Les couloirs de l'hôpital bruissaient de voix qui ne s'exprimaient plus qu'en chiffres. Les bateaux des pêcheurs sont revenus les filets vides, l'eau derrière eux sombre, encombrée de ces choses que personne n'osait nommer.
Les boulangeries qui répandaient l'odeur du sésame et du thym se sont vidées de leur âme. Les rues, rythmées par tes pas, se sont tues.
J'ai essayé de te rejoindre. J'ai cherché les lieux où tu avais coutume d'être.
J'ai couru vers les écoles, mais il n'y avait plus de pupitres, plus de taches d'encre, plus de chaussures éraflées se balançant sous les chaises. Il n'y avait que des murs éventrés, des tableaux fendus en deux, des pages de manuels scolaires gondolées par le vent.
J'ai couru jusqu'aux hôpitaux mais les lits étaient pleins de gens qui n'ouvraient plus les yeux. Les médecins étaient assis contre les murs, les mains figées et le regard vide.
J'ai couru sur les marchés, mais les étals de fruits étaient renversés, les oranges écrasées sous les coups de bottes et le sable imbibé de sang.
J'ai crié ton nom. Je l'ai crié dans les ruines, la poussière et le silence.
Et je n'ai plus eu de nouvelles de toi.
Maintenant, je suis ici. Quelque part au loin. Le ciel est calme et les rues sont propres. Personne ne regarde par-dessus son épaule avant de traverser la route. On me dit d'être reconnaissant. Que je suis en sécurité.
Mais je ne sais pas ce qu'est la sécurité sans toi.
On me demande d'où je viens. J'essaie de le dire, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Je pourrais raconter les faits. Des données géographiques. Le nombre d'habitants. Le nombre de victimes.
Comment leur dire que tu étais les anciens qui jouaient au backgammon à l'extérieur de la mosquée ? Que tu étais l'odeur de la pluie sur la terre sèche ? Que tu étais l'appel à la prière se faufilant dans les rues et se mêlant aux rires des enfants tapant dans un ballon en lambeaux ?
Comment leur dire que tu étais ces femmes qui cuisaient le pain avant que le soleil ne se lève, ces écrivains qui griffonnaient contre le poids du temps, ces journalistes qui se précipitaient vers les flammes, ces mères qui bordaient leurs enfants dans leur lit en leur murmurant : "Tout ira bien", même en sachant que ça n'irait pas ?
Comment leur dire que tu es ma maison originelle, mon dernier refuge, ma phrase inachevée ?
Que tu es toujours là, dans la salinité de ma peau, dans la poussière sous mes ongles, dans le chagrin logé entre mes côtes.
Que je t'entends dans les sirènes d'ambulance censées ne pas exister ici. Que je te vois dans la lueur d'une bougie quand le courant est coupé. Que je te goûte dès la première gorgée de café amer avant l'aube.
Que j'essaie de te garder en vie.
Que je ne sais pas comment faire.
Que je ne sais même pas si c'est possible.
Que le monde t'a enterré vivante.
Qu'ils se tiendront au-dessus de ta tombe et la nommeront collatérale.
Qu'ils effaceront ton nom des cartes et tes histoires de l'histoire et qu'ils me diront d'aller de l'avant et de repartir de zéro.
Que j'ai passé des nuits à essayer de faire entendre au monde tes souffrances, non pas par excès de professionnalisme, mais parce que mon amour pour toi brûlait plus fort que le métal et le verre encore plantés dans mon dos la veille.
Mais je murmurerai ton nom dans le vent jusqu'à ce qu'il atteigne les lieux dont ils t'ont exclue. Je glisserai tes histoires entre les failles de leur silence et les inscrirai au cœur de ce monde qui prétend que tu n'as jamais existé.
Ils redessineront des cartes, effaceront le sang de leurs mains, te qualifieront de souvenir.
Mais je sais que tu es toujours là, respirant la poussière qui refuse de retomber. Je t'entends dans l'écho des vagues venant encore se briser sur un rivage que plus personne ne peut fouler.
Tu es la braise ensevelie sous la ruine. Tu es la lueur sous la cendre et la lumière sous les décombres.
Je sais que tu attends.
Et je sais que lorsque tu te relèveras - et tu te relèveras - ils parleront de miracle.
Mais je l'appellerai comme il se doit.
Notre terre, notre foyer, le retour à la vie.
Mohammed R. Mhawish est un journaliste palestinien originaire de Gaza, collaborateur de The Nation et écrit pour Al Jazeera, The Economist, MSNBC, +972 Magazine, The New Arab.
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6- Une ville rurale de Gaza veut reprendre vie
Par Sumaya Mohammed, le 10 mars 2025, The Electronic Intifada
Lors de notre retour à al-Zawayda en janvier dernier, après l'annonce du cessez-le-feu, il faisait froid et il pleuvait. De chaque côté de la route depuis Deir al-Balah il n'y avait que ruines d'immeubles et de maisons, tas de décombres de ciment.
Al-Zawayda était autrefois un havre calme et paisible, si tranquille que certains habitants de Gaza ne savaient même pas où il se trouvait. Nos habitants avaient l'habitude de se coucher tôt et de se lever tôt, contrairement à d'autres villes où les gens veillent tard. Il s'agissait d'une petite ville agricole du centre de la bande de Gaza.
Nous avions marché environ 3 kilomètres depuis Deir al-Balah, où nous avions été déplacés, et mon mari portait notre plus jeune enfant sur son dos tandis que je l'aidais à porter les sacs. De temps en temps, nous faisions une pause pour récupérer un peu.
Mais ce que j'ai vu tout au long de notre marche fut la chose la plus difficile. Mon esprit ne pouvait supporter la vue de cadavres et d'ossements le long de la route.
Une main ici.
Un crâne là.
Des doigts sectionnés éparpillés.
Je n'ai montré aucune émotion pour ne pas effrayer mes trois jeunes enfants, mais intérieurement, j'étais dévastée. Quelle brutalité avait été commise à l'encontre de notre peuple, simplement parce qu'il refusait de quitter son foyer ?
Il n'est donc nullement surprenant que notre quartier soit lui aussi en ruines. Nous avons constaté que le supermarché où travaillait mon mari avait également été détruit.
Nous étions conscients de l'état désastreux de notre maison, puisque nous avions pu venir sur place l'année précédente. Pourtant, ce fut tout de même un choc de la revoir, entièrement effondrée sur elle-même, le toit encastré et les murs manquants.
Nous avons installé une tente à côté des ruines et nous nous sommes couchés.
La première nuit passée à al-Zawayda nous a semblé étrangement familière et sûre. Beaucoup de nos voisins étaient revenus après le cessez-le-feu, nous n'étions donc pas seuls. Ce n'est que maintenant que nous entendons de nouveau le bourdonnement des drones israéliens au-dessus de nos têtes.
Un paradis devenu enfer
Mon jardin était autrefois un paradis. Nous avions planté des oliviers, des figuiers, des orangers et des citronniers. De la menthe, du basilic et des roses aussi.
J'aimais m'asseoir sous la tonnelle de raisin et boire mon café du matin. Mes enfants jouaient et aidaient leur père à cueillir les fruits des arbres. Chaque vendredi, nous avions l'habitude de déjeuner dans le jardin et de nous asseoir à même la terre, au pied des arbres.
Ce que je voyais maintenant était très loin du jardin que j'avais connu. Les arbres étaient déracinés, les feuilles carbonisées, les roses que j'avais plantées défigurées et la terre devenue grisâtre.
Des fragments de bombes et des éclats d'obus gisaient partout. C'était une scène de désolation, envahie par la mort.
J'avais entretenu ce jardin quotidiennement, avec le plus grand soin, et l'occupation l'avait ravagé.
Les jours suivants, nous nous sommes attelés à la tâche et avons commencé à déblayer les décombres, malgré les dangers. Mes enfants ont insisté pour aider, ne comprenant pas vraiment ce qui s'était passé. Mais je regrette de ne pas les avoir arrêtés, car mon cadet, Karam, a trébuché sur une pierre et s'est sérieusement éraflé.
Nous avons passé cinq jours entiers à évacuer les pierres, les arbres déracinés et les plantes calcinées. Pour débarrasser les lieux des éclats d'obus et des traces d'explosifs, nous avons sollicité l'aide de la défense civile palestinienne.
Après le nettoyage, nous avons trouvé un espace du jardin où nous pouvions planter des semis. Il ne restait plus qu'à attendre la pluie.
La vie qui reprend le dessus
Chaque matin, dès le réveil, mes enfants se précipitent dans le jardin pour observer les plantes en train de germer, impatients de voir les résultats. Au bout d'une semaine, une minuscule pousse de tomate a émergé du sol. À sa vue, ils se sont mis à courir dans tous les sens, tout excités.
Je me suis sentie soulagée, comme si la vie était à nouveau possible
"Tu as vu ?", ai-je demandé à mon mari. "Je savais que ça allait germer".
Il a plaisanté : "C'est une tomate robuste, à l'image de notre peuple".
Nous avons ensuite commencé à reconstruire notre maison. Mon mari refusait de rester dans l'inaction, déterminé à restaurer ce qui restait.
Il a déposé les vieilles portes et les armoires en bois encore intactes de notre maison. Il a ensuite utilisé le bulldozer d'une connaissance pour déblayer le terrain. Avec l'aide de son cousin charpentier, qui a apporté du bois supplémentaire, il a commencé à construire une pièce temporaire en bois sur le site de notre ancienne maison, dans l'espoir de procurer un meilleur abri que la tente.
Beaucoup d'autres familles étaient comme nous, en quête de panneaux métalliques (que nous appelons "panneaux zingo") et de bâches pour rafistoler certaines parties de leurs maisons. Tous, nous refusions de capituler face à la destruction.
À mesure que nous continuions à construire et à planter chaque jour, ma conviction de voir notre terre revenir progressivement à la vie, malgré les cicatrices et les blessures qu'elle portait, se renforçait.
Nous ne partirons pas et nous n'abandonnerons pas notre terre, quels que soient les défis à relever.
Nos racines sont fermement plantées.
Nous allons reconstruire nos maisons, replanter nos jardins et ne permettre à personne d'effacer notre identité. Nous ferons face aux épreuves et nous nous développerons à nouveau, tout comme le plant de tomate sous la pluie.
Sumaya Mohammed est enseignante et écrivaine à Gaza.
📰 https://electronicintifada.net/content/rural-town-gaza-comes-back-life/50478
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7- Le goût doux-amer de la liberté : entretien avec un ex-prisonnier palestinien (23 ans de détention)
Dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, Amir Abu Raddaha a été libéré de la prison israélienne après 23 ans de détention. Il s'est entretenu avec Mondoweiss sur le temps qu'il a passé derrière les barreaux et les conditions effroyables dans lesquelles vivent les prisonniers palestiniens depuis le 7 octobre.

Par Qassam Muaddi, le 11 mars 2025, Mondoweiss
Par une froide matinée du 15 février 2025, des centaines de Palestiniens se sont rassemblés au Palais culturel de Ramallah pour accueillir le sixième groupe de prisonniers libérés dans le cadre de la première phase de l'accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël. C'était le plus petit groupe d'échanges de prisonniers, puisque seuls neuf Palestiniens ont été libérés en Cisjordanie. À midi, lorsque le minibus blanc portant le logo de la Croix-Rouge est arrivé aux abords de l'entrée du bâtiment municipal, la foule a commencé à se presser pour s'approcher du véhicule.
La porte s'est ouverte et une mince silhouette en est sortie. Portant un sweat-shirt gris clair, le crâne rasé et une légère barbe blanche, l'homme sortant du bus prenait sa première bouffée de liberté depuis 23 ans. Son nom est Amir Abu Raddaha. Il avait été arrêté par l'armée israélienne en 2002 et condamné à la prison à vie.
Avant de fouler le sol, le prisonnier libéré a été soulevé sur les épaules de personnes présentes dans la foule. Il a rapidement été enveloppé dans une veste et porté vers la cour intérieure. Les mains se sont tendues pour le toucher et des chants ont résonné tandis que le prisonnier libéré suivant sortait du bus et était lui aussi porté à travers la foule.
Tout au long de son séjour dans la prison israélienne, Abu Raddaha a vécu toutes sortes de calvaires : perquisitions, restrictions des conditions de vie, grèves de la faim, refus des visites familiales, négligence médicale délibérée, et bien d'autres choses encore qu'il préfère garder pour lui - en particulier en ce qui concerne la période post 7 octobre 2023.
À un moment donné, Abu Raddaha a été détenu en Israël avec ses deux autres frères, Amin et Mousa, bien qu'ils aient été séparés la plupart du temps. Il a perdu ses deux parents en prison et sa mère n'a jamais pu lui rendre visite.

Alors que la majeure partie de la couverture médiatique des échanges de prisonniers s'est focalisée sur les captifs israéliens, sur leurs noms, leurs histoires, leurs témoignages et leur état de santé, très peu d'attention a été accordée par la presse aux prisonniers palestiniens sortant de conditions sans précédent dans l'histoire du mouvement des prisonniers palestiniens. La détention, l'emprisonnement et la libération sont presque un rite de passage en Palestine, constituant l'une des expériences collectives les plus significatives de la société palestinienne. Les prisonniers palestiniens apparaissent dans l'art, la littérature et le langage quotidien palestiniens, et ils ont conçu des rituels spéciaux de soutien communautaire, de célébration de la libération et de gestion de l'angoisse.
Depuis 1967, plus d'un million de Palestiniens ont été détenus, soit près de la moitié de la population masculine de la Palestine. On dit souvent en Palestine qu'il n'y a pas un seul foyer dont un membre n'a pas été emprisonné à un moment ou à un autre de sa vie.
C'est pourquoi l'actuel échange de prisonniers entre le Hamas et Israël constitue l'un des épisodes les plus importants de la longue histoire du mouvement des prisonniers palestiniens. Mondoweiss s'est entretenu avec Amir Abu Raddaha après sa libération, chez lui, dans le camp de réfugiés d'al-Am'ari à Ramallah, pour écouter et recueillir cette partie de l'histoire.
Mondoweiss : Quelle était votre vie avant votre première détention en 1990 ?
J'étais un enfant normal qui grandissait dans le camp. Les gens étaient très proches les uns des autres et tout le monde formait une famille. À la maison, personne n'avait le droit de manger si nous n'étions pas tous réunis à table. Je jouais dans les rues et j'ai commencé à voir la différence entre le camp de réfugiés et le reste de la ville. Adolescent, j'ai travaillé avec mon frère dans son atelier de métallurgie. J'ai réalisé pour la première fois ce qu'était l'occupation à l'âge de 14 ans, pendant la première Intifada, et je suis devenu actif dans l'Intifada. Arrêté pour la première fois à l'âge de 17 ans, j'ai été libéré en 1999, à l'âge de 27 ans, dans le cadre [de la série de grâces prévues par] les accords d'Oslo.
Comment avez-vous été arrêté la deuxième fois ?
Pendant la seconde Intifada, je travaillais dans les forces de sécurité palestiniennes et j'ai rejoint une cellule des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, la branche armée du Fatah. En 2002, lors de l'invasion israélienne de Ramallah, j'ai été assiégé avec un groupe de combattants au siège des forces de sécurité préventive palestiniennes à Beitunia, dans le sud de Ramallah. Ce siège a duré trois jours, tandis que des hélicoptères Apache israéliens ouvraient le feu sur nous. Je me suis préparé à la mort, ne pensant pas que nous en sortirions vivants. Mais l'armée israélienne a menacé de bombarder le bâtiment si nous ne nous rendions pas, et le bâtiment abritant des employés et des civils, nous avons décidé de nous rendre. Par la suite, j'ai été condamné à la prison à vie pour avoir pris les armes contre l'occupation.
Comment repensez-vous votre propre vie lorsque vous êtes condamné à la prison à vie ?
Il est difficile de survivre en prison tout en pensant à la vie que l'on a laissée dehors, il faut donc s'adapter. Les prisonniers ont créé leur propre société en prison. Nous avions notre propre bibliothèque, que nous avions constituée à partir des livres que les prisonniers de l'époque pouvaient recevoir lors des visites de leur famille, et nous avions des cours et des classes. J'ai mis mon temps à profit pour poursuivre mes études jusqu'à l'obtention d'une licence en sciences politiques et d'une maîtrise en sociologie.
Comment se passaient vos années de détention avant le mois d'octobre 2023 ?
Pendant les trois premières années, je n'ai pas été autorisé à recevoir de visites. J'ai perdu ma mère pendant cette période avant qu'elle ne puisse me rendre visite. Un jour, un prisonnier est revenu d'une visite familiale et il chuchotait quelque chose à d'autres prisonniers, alors je lui ai demandé une explication, et il m'a dit que ma mère était morte. Mon père a continué à me rendre visite jusqu'en 2008. Il perdait l'ouïe et avait beaucoup de mal à me rendre visite, alors je lui ai dit de ne plus venir. Ce sont mes sœurs qui sont venues me voir par la suite. Un jour, un autre prisonnier est revenu d'une visite et m'a appris que mon père était mort.
Au cours des deux dernières années précédant le 7 octobre, les conditions de détention se sont détériorées. L'administration pénitentiaire a supprimé de nombreuses denrées alimentaires, a remplacé le pain quotidien par du pain de mauvaise qualité ou des restes de pain, et a réduit le temps alloué à l'accès à l'eau. Les descentes dans les chambres se sont multipliées, avec des séances de fouille de plus en plus violentes. Ils nous sortaient de la pièce de 7 mètres sur 4 et passaient jusqu'à six heures à fouiller dans les moindres détails, y compris nos affaires personnelles.
Il y avait des détenus administratifs avec moi en prison, et je me souviens de Bahaa Sharawneh de Dura, près d'Hébron, qui est toujours en détention administrative pour le quatrième ou cinquième renouvellement d'affilée. Nous avons gagné de nombreux droits au fil des ans, notamment celui d'étudier en prison, d'avoir des livres, de nous auto-organiser et d'avoir une représentation collective grâce à une lutte acharnée. Il y a eu la grande grève de la faim de 2004, puis celles de 2012 et 2017, et de nombreux cycles de confrontation entre les deux. Nous avions le sentiment que l'occupation tentait de nous priver de ces droits durement acquis. Nous sentions qu'une grande attaque contre les prisonniers se préparait, qu'elle avait même déjà commencé, et nous nous préparions à y faire face.
Comment les choses ont-elles changé après le 7 octobre ?
Le 7 octobre, on a appris qu'une attaque avait eu lieu depuis Gaza et que des soldats israéliens avaient été capturés. La première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est qu'il y avait enfin de l'espoir pour un échange de prisonniers susceptible de nous permettre d'être libérés. Puis les informations ont commencé à faire état d'un nombre croissant d'Israéliens capturés : 30, puis 60, et cela n'a cessé d'augmenter. J'ai alors compris que nous nous dirigions vers la guerre.
Le lendemain, et c'était un dimanche, nous avons commencé à faire face à la réaction des services pénitentiaires de l'occupation. Ils ont fait une descente dans les chambres et ont confisqué tous les appareils électroniques. Ils ont également pris tous les livres que nous avions collectés pendant des années et les ont jetés à la poubelle, ne nous laissant que des copies du Coran. Ils ont aussi suspendu le temps de cour qui nous était accordé auparavant, et pendant six mois après le 7 octobre, nous avons été privés de tout temps de cour. Nous passions la totalité de notre temps à l'intérieur des chambres. Ils nous ont également informés qu'ils n'allaient reconnaître aucune organisation collective ou représentation de prisonniers et que chaque prisonnier ne parlait que pour lui-même.
Ils ont fermé la "cantine", ou la boutique de la prison où nous achetions notre nourriture avec le solde que nos familles mettaient à nos noms pour compenser le manque de produits alimentaires dans le système carcéral. Tout a disparu. Dans mon bloc de cellules, nous avons eu de la chance parce que l'officier responsable nous a permis de prendre la nourriture restante de la cantine avant de la fermer pour de bon, et ces vivres nous ont aidés à passer les premiers mois de la guerre. Les autres blocs cellulaires n'ont pas eu cette chance.
La qualité des repas qui nous ont été distribués a immédiatement baissé. Pour le petit-déjeuner, ils ont commencé à apporter une cuillère de yaourt de moins de 100 grammes et un morceau de pain pour chaque personne. À midi, ils apportaient le déjeuner pour chaque chambre. La quantité était si minime que chaque prisonnier recevait une ration de trois à quatre cuillères de riz, et la même quantité de soupe qui n'était que de l'eau bouillie avec quelques légumes, sans aucune saveur. La quantité était à peine suffisante pour nous maintenir en vie. J'ai vu des prisonniers s'évanouir devant moi parce qu'ils n'avaient pas assez mangé.
Les cellules ont commencé à être surpeuplées. Au début, nous étions six personnes dans une cellule de 7 mètres sur 4. Puis d'autres détenus ont été amenés, et le nombre a continué à augmenter jusqu'à ce que nous soyons 14 dans la même pièce. Quatorze hommes dans une pièce de 7 mètres sur 4, sans pouvoir sortir une seule minute, pendant six mois d'affilée. Nous nous relayions pour rester debout et marcher.
On ne nous donnait pas non plus de vêtements propres, et j'ai passé ces six mois avec les mêmes sous-vêtements, que je lavais à la main. Certains prisonniers ont attrapé la gale, et c'était horrible à voir. Un prisonnier ne parvenait pas à dormir la nuit à cause de la douleur, et sa peau était en si piteux état qu'elle semblait perforée. Il ne pouvait ni se lever ni marcher correctement.
Après les six premiers mois, ils ont commencé à nous laisser un peu de temps dans la cour et nous avons pu nous doucher. Cependant, comme il n'y avait qu'une seule douche pour tout le bloc cellulaire, nous nous relayions chaque jour, de sorte que chaque jour, six d'entre nous seulement se douchaient. On a également commencé à nous donner des vêtements de rechange.
Étiez-vous au courant de ce qui se passait à l'extérieur, en particulier à Gaza ?
Nous étions complètement coupés du monde. Nous n'avions ni radio, ni télévision, ni journaux. Notre source d'information sur ce qui se passait à l'extérieur était les prisonniers qui avaient des audiences au tribunal et pouvaient parler aux avocats, puis revenaient et nous rapportaient les nouvelles. Après les six premiers mois, nous avons commencé à être autorisés à recevoir des visites d'avocats, mais pas de familles, et nous avons alors reçu plus d'informations. C'est ainsi que nous avons appris le raid sur l'hôpital al-Shifa ou l'invasion de Rafah, par exemple, et c'est ainsi que nous avons su que le nombre de morts à Gaza avait atteint 10, puis 20, puis 30 000.
Comment avez-vous appris l'existence du cessez-le-feu ?
Le jour du cessez-le-feu, j'ai été convoqué pour un interrogatoire et j'ai demandé à l'officier de renseignement israélien quelles étaient les nouvelles et si la guerre allait se terminer. Il m'a dit ne rien savoir, puis il a reçu un message qui était manifestement une nouvelle importante, car il a réagi comme tel, mais il ne m'a rien dit. Peu après mon retour en cellule, la nouvelle qu'un accord de cessez-le-feu avait été conclu est parvenue jusqu'à une autre cellule, puis s'est répandue. Nous avons tous ressenti un immense soulagement et avons célébré l'événement. Beaucoup se sont agenouillés sur le sol pour remercier Dieu.
Nous n'avions aucune information sur les noms des personnes qui allaient être libérées. Il y a eu une première série d'échanges de prisonniers et nous avions tous de grandes attentes. Une semaine plus tard, l'officier de mon bloc cellulaire est venu dans notre chambre et m'a demandé de rassembler mes affaires. Je lui ai demandé si j'étais transféré dans une autre prison. Il m'a répondu par la négative et m'a demandé de ne plus poser de questions. Cinq autres personnes du même bloc cellulaire ont été informées de la même manière, et nous avons tous compris que nous faisions partie du prochain groupe de prisonniers libérés. J'ai dit au revoir à mes colocataires, j'ai rassemblé le peu de vêtements que j'avais et j'ai suivi le garde.
Qu'avez-vous ressenti à ce moment-là ?
Mes sentiments n'étaient pas ceux que j'avais imaginés. Ma tristesse et mon angoisse de laisser les autres derrière moi dans ces conditions étaient bien plus grandes que ma joie de quitter la prison. Tous m'ont prié de continuer à plaider leur cause, au moins pour améliorer leurs conditions de détention.
Comment s'est déroulée la procédure de libération ?
Tout d'abord, on nous a emmenés à la prison de Rimon, dans le sud. Là, nous avons été fouillés à nu. Ils ont pris tous nos vêtements et nous ont donné des combinaisons de prison. Puis ils nous ont placés dans une salle d'attente où j'ai rencontré des prisonniers d'autres prisons, et nous avons bavardé un peu avant d'être emmenés dans un bus. Ni moi, ni aucun autre prisonnier ne savait avec certitude que nous allions être libérés, alors nous avons commencé à faire des suppositions. J'ai été transféré de nombreuses fois vers et depuis la prison de Rimon, je connaissais donc le chemin presque par cœur. J'ai dit aux autres prisonniers que si le bus tournait à gauche, c'est qu'il nous emmenait dans le désert du Naqab, à la prison qui s'y trouve. Mais s'il tournait à droite, nous irions à Ramallah. Fort heureusement, le bus a tourné à droite.
À mesure que nous approchions de Ramallah, le temps se refroidissait et nous n'avions rien d'autre sur nous que les combinaisons de la prison, et à mesure que nous approchions de Ramallah, il faisait de plus en plus froid et nous commencions à trembler. Puis nous sommes arrivés à la prison d'Ofer, à l'extérieur de Ramallah. L'interrogateur m'a montré des vidéos de la destruction de Gaza et m'a dit que tout était de notre faute, à nous, les prisonniers. J'ai demandé comment cela pouvait être ma faute si j'étais en prison depuis vingt ans, et il m'a répondu que tous ces gens étaient morts juste pour que nous puissions être libérés. Je lui ai dit que je n'avais pas tué ces gens, mais que c'était le fait de son gouvernement.
On m'a ensuite fait passer un examen médical et on m'a placé dans une chambre, qui était ma dernière étape avant d'être libéré. J'y suis resté 18 jours, du 29 janvier au 15 février, attendant mon tour. Deux autres groupes ont été libérés avant moi et nous avons commencé à craindre que l'accord de cessez-le-feu n'ait échoué, mais un gardien de prison nous a dit que nous ne devions pas nous inquiéter et que si nous étions parvenus jusqu'ici, nous serions libérés.
Finalement, un matin, le directeur adjoint de la prison d'Ofer est venu et a appelé les noms de sept d'entre nous, et on nous a emmenés dans une autre salle d'attente où nous avons attendu plusieurs heures, jusqu'à ce que les employés de la Croix-Rouge arrivent. Ensuite, les gardiens nous ont apporté le petit-déjeuner. La Croix-Rouge a pris toutes nos informations personnelles et, à partir de ce moment, nous n'étions plus sous la garde de l'armée d'occupation, mais sous celle de la Croix-Rouge. Avant de partir, les gardiens de la prison nous ont donné des sweat-shirts gris portant l'inscription "Nous n'oublions pas, nous ne pardonnons pas" et nous ont enlevé nos menottes. J'ai dit aux prisonniers qui m'accompagnaient que ce seraient les dernières menottes que nous porterions. Nous sommes ensuite montés dans le bus de la Croix-Rouge, qui a commencé à rouler vers Ramallah.

Quelle était l'ambiance dans le bus ?
Nous nous sentions comme des gamins en voyage scolaire, excités et presque incrédules. Je comptais les secondes et tout le monde parlait en même temps. Lorsque le bus est arrivé au palais culturel de Ramallah, j'ai été le premier à en descendre. Pour la première fois depuis plus de vingt ans, j'étais libre. Ma famille ne m'a pas reconnue, et ma sœur s'est évanouie en me voyant parce qu'elle ne me reconnaissait pas.
Comment vous adaptez-vous à votre nouvelle vie jusqu'à présent ?
La première nuit à la maison, je n'ai pas dormi, restant éveillé, essayant de comprendre que je n'étais plus en prison. Je n'arrivais pas à croire que j'avais un oreiller sous la tête, ce dont j'avais été privé pendant un an et demi. C'était un sentiment étrange de pouvoir se doucher librement le lendemain matin, de ne pas avoir à se tenir debout pour compter, et de voir mes petits neveux au lieu de mes geôliers.
J'ai encore du mal à m'y habituer. Je pense aussi aux prisonniers que j'ai laissés derrière moi. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à eux et à ce qu'ils vivent en ce moment.
Qassam Muaddi est rédacteur spécialiste de la Palestine pour Mondoweiss. Suivez-le sur Twitter/X à @QassaMMuaddi.
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8- Nous avons créé de la joie, insufflé de la vie au bonheur & peint le monde avec des moments de pure félicité
Par Mohammed Mohisen, le 15 mars 2025, Blog Personnel
14 jours de famine, de siège & de blocus
Quatorze jours.
Quatorze jours sans qu'un seul gramme de farine n'entre sur le territoire. Pas d'eau potable, pas d'eau pour se laver, pas de gaz, pas de carburant, rien.
Les familles sont obligées d'allumer des feux avec des débris de bois, comme si on nous avait renvoyés des siècles en arrière.
Il n'y a plus de viande sur les marchés. Les légumes, les rares qui restent, se vendent comme autant de trésors que nous ne pouvons pas nous permettre.
Je n'ai jamais voulu écrire cela. Je ne représente pas une organisation. Je ne représente pas une organisation caritative. Je ne collecte aucun don au nom de qui que ce soit.
Mais je ne pouvais me taire. Je ne pouvais rester là à regarder nos enfants souffrir sans essayer de faire quoi que ce soit pour soulager leur douleur.
J'ai déjà parlé de notre souffrance, de notre faim sans fin, mais aujourd'hui, je veux parler de nos enfants.
Des enfants autrefois remplis de joie, aujourd'hui contraints de porter le poids de la survie sur leurs frêles épaules.
Des enfants dont la vie n'est plus qu'une suite de routines douloureuses : porter de lourds seaux d'eau depuis des puits éloignés, ramasser du bois avec leurs petites mains nues, faire la queue des heures durant pour une simple miche de pain, attendre devant des cuisines de charité juste pour un repas, vendre tout ce qui est possible dans les rues pour rapporter quelques pièces à la maison.
À cause de cette guerre, ces enfants ne sont plus des enfants.
Ils ont perdu leur maison.
Leur chambre.
Leurs jouets.
Leur école.
Leur innocence.
À cause de ce génocide, ils ont perdu leur enfance, leur dignité, leur humanité.
Ma sœur Dalia et moi, nous ne pouvions plus ignorer la situation. Même si nous ne pouvions changer le monde, même si nous ne pouvions mettre fin à la souffrance, nous nous devions de faire quelque chose.
Nous avons donc essayé.
Tout d'abord, nous nous sommes efforcés de fournir un simple baril d'eau à un quartier où les enfants ont la responsabilité d'aller chercher l'eau.
Mais ici, rien n'est simple.
L'eau est à 4 kilomètres. Le voyage pour aller la chercher est exténuant. Il n'y a ni véhicule approprié, ni équipement moderne pour nous aider, juste une vieille charrette et la volonté de persévérer.
Nous avons tiré, nous avons poussé, nous avons trébuché, nous avons souffert.
Mais nous ne nous sommes pas arrêtés.
Nous avons alors préparé un repas. Nous avons distribué des biscuits. Nous avons cherché à leur redonner ne serait-ce qu'un instant d'enfance.
Pendant des jours, je me suis interrogée.
Est-ce suffisant ? Cela changera-t-il quelque chose ?
L'occupation a fait de chaque pas un combat. Les restrictions, les dangers, l'épuisement m'ont presque brisée. À un moment donné, j'ai failli abandonner.
Mais alors ... un enfant a souri.
Un petit sourire épuisé, mais sincère.
Un "merci" chuchoté.
Une petite main tendue vers un biscuit, comme si c'était le plus beau cadeau du monde.
Et soudain, toute douleur s'est envolée.
Parce qu'ils méritent le bonheur.
Ils méritent l'enfance.
Ils méritent un monde où ils n'ont pas à être des guerriers pour survivre.
Si j'en avais le pouvoir, j'emmènerais chaque enfant de Gaza là où il ne connaîtrait que chaleur, sécurité et paix.
Un lieu où leur seule préoccupation serait de choisir leur prochain jeu.
Ils le méritent.
Mais pour l'instant, tout ce que je peux faire, c'est vous remercier.
D'abord, je remercie Dieu.
Ensuite, je remercie chaque personne qui a fait un don, qui m'a fait confiance en me témoignant sa générosité.
Votre bonté s'est transformée en nourriture, en eau, en espoir.
Votre générosité est devenue un moment de joie au cœur d'un lieu qui a oublié ce qu'est la joie.
Que cet acte d'amour vous revienne d'une manière que vous ne pouvez pas imaginer.
Nous avons tout documenté. Mais par respect pour la dignité de nos enfants, nous avons caché leurs visages du mieux que nous pouvions.
Mais par souci d'honnêteté, nous allons partager quelques moments.
Et oui, vous me verrez chevauchant une vieille charrette à chevaux, non pas comme une guerrière armée d'une épée, mais comme une combattante portant un tonneau d'eau.
ndr : Voir quelques autres photos dans l'article original.
📰 https://substack.com/inbox/post/159144228
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9- Partir ou rester pour mourir - Voix de Palestinien·nes
En regardant des images de jeunes gens tirer des cadavres de sous les décombres à Gaza, une seule interrogation nous taraude : que s’est-il passé pour que nous en soyons là ? Cette situation qui dure depuis bien longtemps nous fait penser aux paroles de Malcolm X :
"Si vous n’êtes pas vigilants, les journaux vous apprennent à détester les opprimés et à aimer ceux qui les oppriment".
Par Ghaiss Jasser, le 3 mars 2025, Blog Mediapart
À partir de 1967, la saveur de l’attente s’est gâtée comme un vin trop vieux. De ce bonheur d’antan, il ne me reste que le souvenir. Douceur enfouie, brûlure profonde, avivée par l’exil qui transforme la mémoire en glace.
- Liana Badr, Etoiles sur Jéricho.
Depuis la Nakba (catastrophe de 1948), les Palestinien·nes ont compris que désormais leur destin ne sera plus celui de leurs parents ou de leurs grands-parents qui sont partis de Palestine pour ne pas mourir, mais dans l’espoir de revenir. Aujourd’hui, après 470 jours de guerre israélienne meurtrière contre Gaza et dès le début du cessez-le-feu, presque un million de Gazaoui·es, après avoir fui le nord, sont en train de le regagner, même si ils et elles étaient sûr·es de ne trouver que des décombres, même si ils ou elles ne pouvaient même pas espérer avoir des tentes qui les protègeraient d’un climat froid et pluvieux, mais de toute façon plus clément que les bombes, dont l’armée israélienne s’est employée à arroser indistinctement maisons, arbres, récoltes, hôpitaux, écoles, universités, églises, mosquées, personnes âgées, femmes, jeunes et enfants. Il nous était devenu insoutenable de regarder des jeunes gens tirer des cadavres de sous les décombres lorsqu’ils en avaient la possibilité ou le temps, pour les ranger auprès d’autres cadavres, faire une petite prière, puis les enterrer n’importe où, n’importe comment.
En regardant ces images, une seule interrogation nous taraude : que s’est-il passé pour que nous en soyons là ? Une réponse unique s’impose : les choses n’arrivent jamais subitement et sans antécédent, car l’indifférence, la lâcheté, le cynisme, le pouvoir de l’argent, la perte des repères, la spoliation des valeurs auxquelles nous avons toujours cru et que nous avons toujours défendu ne sont-ils pas les conséquences d’une démission et d’un sentiment général d’impuissance ? Que s’est-il donc passé pour que Trump soit réélu une seconde fois dans les conditions que nous connaissons ? Pour que la gauche soit aussi démantelée en France, en Europe et dans le monde et que les extrêmes-droites y gagnent du terrain d’une manière si inquiétante ? La liste pourrait être encore beaucoup plus longue, mais aujourd’hui nos yeux sont braqués sur les Gazaoui·es qui reviennent vers le nord pour vivre sur les décombres. Braqués également sur Israël qui continue d’interdire la livraison promise des tentes, des médicaments et des vivres, et sur Donald Trump qui propose d’acheter Gaza et d’en faire un lieu de rêve. Quant aux Palestinien·nes de Gaza, il les invite à aller vivre en Jordanie et en Égypte, puisque les États-Unis donnent des milliards à ces deux pays. Netanyahou surenchérit : et pourquoi n’iront-ils pas s’installer dans le vaste désert d’Arabie ? Et si les élucubrations de Trump et de Netanyahou devenaient réalité, la réponse de l’Europe refusant fermement le départ de leur pays des deux millions et demi de Palestinien·nes est-elle assez claire, assez engagée ? Qu’attendent les pays arabes du Golfe pour dire à Trump : "Ne donnez plus de milliards à la Jordanie et à l’Égypte, nous nous en chargerons" ? À quel moment les régimes arabes vont-ils cesser de trahir la cause palestinienne en l’instrumentalisant ? Pour quelle raison les peuples arabes ne descendent-ils pas dans les rues pour soutenir leurs frères et sœurs palestinien·nes ? Ont-il encore quelque chose à perdre ? N’auront-ils pas plutôt tout à gagner s’ils se révoltent contre le silence coupable, les manœuvres et la démagogie éhontée de leurs dirigeants ? Qu’attendent l’autorité palestinienne et Hamas pour construire une unité nationale vivement souhaitée par tout le peuple palestinien ? Est-il difficile de comprendre aujourd’hui que le gouvernement Netanyahou ne cessera plus jamais ses agressions multiples et diversifiées parce qu’il considère que tou·te Palestinien·ne qui demeure sur la terre de Palestine est considéré par Israël comme un ou une potentiel·le ennemi·e ?
Parmi les Arabes ou Franco-arabes, nous avions été nombreux·ses pour dire et écrire que le 7 octobre, Hamas a commis un crime de guerre contre Israël et les Israélien·nes. Mais qui oserait aujourd’hui faire le bilan de tous les crimes perpétrés par Israël contre le peuple palestinien depuis 1948 ? Qui va pouvoir briser le mur de silence construit par Israël autour de la Palestine et des Palestinien·nes ? Depuis le cessez-le-feu à Gaza, Israël s’acharne à nouveau, mais cette fois-ci avec une violence sans précédent, contre les Territoires Occupés. La presse française et internationale garde le silence sur cette autre tragédie qui vient s’ajouter à celle de Gaza. Cette situation qui dure depuis bien longtemps nous fait penser aux paroles de Malcolm X : "Si vous n’êtes pas vigilants, les journaux vous apprennent à détester les opprimés et à aimer ceux qui les oppriment".
L’ennemi utile
Ariel Sharon était encore au pouvoir lorsque Pascal Boniface en 2003 formule quelques critiques à l’encontre de l’Etat d’Israël. Les attaques virulentes dont il fut l’objet le poussèrent à écrire ceci :
"Les Juifs de France sont divers, beaucoup d’entre eux critiquent le gouvernement d’Israël et se rattachent au parti de la paix, tandis que la droite et l’extrême-droite ont lancé sur la "communauté" une OPA intolérante, visant à rallier tous les Juifs français à un soutien inconditionnel envers la politique de la droite israélienne. Dès lors, toute critique de la politique israélienne, toute tentative de traiter du conflit israélo-palestinien est assimilée à une volonté de détruire Israël et à une position antisémite". [1]
Par ailleurs, en 2020, dans son livre L’État d’Israël contre les Juifs [2], Sylvain Cypel dénonce la politique au double visage de Netanyahou. Après la victoire du Hamas aux élections en 2006, Benjamin Netanyahou, écrit-il, a ensuite tout fait pour préserver le pouvoir du Hamas sur Gaza ! L’historien israélien Adam Raz a amplement documenté cette stratégie de l’ennemi utile. Lors d’une réunion de son parti en mars 2019, Netanyahou déclarait :
"Ceux qui veulent empêcher la création d’un État palestinien doivent soutenir le renforcement du Hamas (…) cela fait partie de notre stratégie : séparer les Palestiniens de Gaza de ceux de Judée-Samarie (Cisjordanie) [3]".
Son conseiller, le général Hacohen, enfonçait le clou :
"Disons la vérité. La stratégie de Netanyahou est d’empêcher l’option à deux États. Il fait donc du Hamas son partenaire le plus proche. Le Hamas est ouvertement un ennemi. Secrètement, c’est un allié" [4].
Plus loin, Sylvain Cypel critique la démocratie israélienne en déliquescence. Il cite Gidéon Levy qui est, selon lui, une "figure médiatique de la dissidence". Celui-ci écrit :
"Les Israéliens ne voient pas en face d’eux des êtres humains. À Gaza, des tireurs d’élite abattent des manifestants "comme s’ils étaient au stand de foire" et la plupart des médias applaudissent. Si des Israéliens s’élèvent contre ce mal, c’est parce qu’ils appartiennent encore à la "gauche morale", mais, ajoute-t-il, il s’agit là "d’une espèce en voie de disparition" [5].
Enfin, Sylvain Cypel insiste beaucoup sur le danger de la propagation du "racisme antimusulman" qui tôt ou tard, débouchera sur un "racisme antisémite" :
"C’est que les institutions juives françaises et leurs partisans refusent de considérer, sans comprendre que l’islamophobie constitue une composante de plus en plus centrale de la vulgate pro-israélienne et que, ce faisant les Juifs qui y adhèrent se tirent une balle dans le pied". [6]
Sans aucune prétention exhaustive, nous souhaitons par solidarité et fidélité à la cause palestinienne, faire entendre les voix de quelques Palestinien·nes qui par leurs paroles, leurs écrits et leurs analyses ont toujours reflété avec force, déchirement et dignité l’actualité qu’ils et elles traversent ou celle qu’ils ou elles augurent.
Étranger·es sur leur propre terre
Des Palestinien·nes bien avisé·es, ont rapidement compris les intentions du colonisateur sioniste formulées depuis le 19ème siècle et qui consistent non seulement à occuper la Palestine, mais à la vider de tous ses habitants. Nous pouvons dire que cette idée est le leitmotiv et le cœur du livre passionnant d’Elias Sanbar Figures du Palestinien [7], car les trois figures que l’auteur dégage pour nous de cette œuvre foisonnante d’informations et d’analyses historiques éclairantes, nous mènent toujours à ce destin tragique vécu par les Palestinien·nes. La première figure est celle des gens de la Terre Sainte. Cette terre unie dans sa diversité favorisait "une symbiose dont on chercherait vainement les équivalents en d’autres sociétés", atteste l’historien Claude Cahen, lorsqu’il dresse un état des lieux de la Palestine du Moyen-âge.
La deuxième figure est celle des Arabes de Palestine, du temps du mandat britannique, lorsque se bâtit le "foyer sioniste", ils sont pris dans la double tourmente des colonialismes britannique et juif et deviennent, malgré résistance et révolte, des étrangers sur leur propre terre. L’idée du "transfert des Palestiniens ne naîtra donc pas d’un néant". L’Angleterre en sera la championne. Elias Sanbar nous rappelle que l’opposition palestinienne au mouvement sioniste naît bien avant la publication en 1896 de L’État des Juifs, de Théodore Herzl.
"En fait", écrit Elias Sanbar, "les Palestiniens pressentent dès les premières vagues de colonisation et la fondation des premières colonies la nature spécifique du danger qui les guette, celui de leur remplacement sur leur terre". [8]
"Dans le projet sioniste", ajoute-t-il, "les Palestiniens n’apparaissent jamais en tant que peuple détenant des droits sur sa terre. Tandis que le texte de la promesse Balfour fixe le statut des Palestiniens : ils seront désormais définis comme les communautés non-juives présentes en Palestine [9]. Ben Gourion accepte le plan de partage de l’ONU, mais avec toujours "un double langage" : "Tel sera", explique Elias Sanbar, "la différence fondamentale entre sa tactique d’étapes et la cible stratégique entre un foyer national né du partage et le foyer national à naître de l’expulsion, entre un État à majorité juive et l’État exclusivement juif d’où les autochtones auront disparu". [10]
La troisième figure du Palestinien est la plus poignante parce qu’elle est définie par l’auteur comme celle de l’absent :
"La conclusion est dès lors absolue : la Palestine a été "bradée" à l’ennemi et toute la planète a trempé dans le "vol" [11]. Cette figure a plusieurs déclinaisons dont la plus frappante est "la disparition des lieux et des noms de lieux". Cette disparition est perçue par les Palestiniens comme le plus grand des périls (…) la lutte pour la survie, c’est "préserver le nom dans son temps historique et à venir. Préserver le nom dans son lieu (…) une évidence en somme : la Palestine ne peut être sauvée qu’en Palestine".
Ainsi, la Nakba revêt tout son sens car elle a été l’occasion idéale pour Israël d’enterrer le vocable palestinien : la disparition des noms et des lieux va permettre la disparition, voire l’oubli de tout un peuple.
"Les expulsés de 1948 seront des "réfugiés arabes", les Palestiniens demeurés en Israël seront des "Arabes d’Israël" et ceux de Cisjordanie et de la bande de Gaza, rattrapés 20 ans plus tard en juin 1967, par la machine de guerre et d’occupation, deviendront des "Arabes de Territoires"". [12]
Souviens-toi, mon fils
La dernière guerre débute du côté israélien le 9 octobre, au lendemain d’un crime de guerre commis par le Hamas. [13]
Si Elias Sanbar tient à souligner dans son tract la responsabilité du Hamas, il ne le fait qu’après avoir, quelques pages auparavant, précisé que
cette "guerre qui culmine aujourd’hui à Gaza est aussi une guerre contre la Palestine, toute la Palestine. Le fait que ces terrains soient d’inégale intensité ne changent rien à la finalité d’une entreprise d’annihilation, de destruction des Arabes de Palestine" [14].
Il est convaincu "que le nettoyage ethnique des Palestiniens par les Israéliens est en cours". C’est pourquoi il tient à revenir aux origines, c’est-à-dire à la Nakba de 1948, quand sa mère le porta vers un exil que ses parents pensaient de courte durée. C’était un matin d’avril 1948, il avait 14 mois, 76 ans déjà :
"J’étais parti dans les bras de ma mère, à bord d’un convoi de véhicules escortés de blindés anglais, qui déchargea au poste frontière de Naqoura, au sud-Liban, "l’excédent de sa cargaison" de femmes et d’enfants" [15].
Mais la dernière guerre aura-t-elle une fin ? Le narrateur nous confie son désir de revenir à Gaza : "
J’ai besoin de revenir à Gaza, dans la bande de terre étroite et pauvre, peuplée par ses hommes, ses femmes et ses enfants martyrs. Ce peuple, le mien, je l’appelle depuis des années "les Peaux Rouges de Palestine" et je suis atterré de voir comment Gaza subit le sort autrefois réservé aux "réserves indiennes"".
Cette tragédie palestinienne qu’Elias Sanbar a vécue dans sa chair d’enfant qui ne cesse d’interroger, trouve un écho non moins déchirant dans la voix du père dans Le bien des absents [16] :
"Souviens-toi, mon fils, souviens-toi que nous n’avons jamais vendu nos terres". Cette phrase, mon père me l’a répétée mot pour mot, mon enfance durant ! En un éclair, une question s’impose à moi, nous avions l’habitude de dire : "les Palestiniens sont les Juifs des Israéliens et s’ils étaient en réalité leurs "Peaux-Rouges"" ? [17]
La défaite de 1967
Lorsque nous sommes originaires du Proche-Orient et que nous pensons à la guerre de 1967, une seule idée nous obsède. Comment a-t-on pu perdre à la fois Jérusalem et les Territoires en Palestine, le Golan en Syrie et le Sinaï en Égypte ? Que fabriquaient les dirigeants de nos pays pour que le résultat de cette guerre soit aussi désastreux, aussi humiliant ? Comment ont-ils échoué encore une fois à défendre nos frères et nos sœurs palestinien·nes ? Les conséquences ont pétrifié les peuples syrien, égyptien et jordanien, mais nous étions loin de deviner les ravages subis par les Palestinien·nes avant d’en parler avec eux et elles ou avant d’en découvrir les échos dans leurs poèmes et leurs récits : "En 1967, une nouvelle ère s’ouvrait pour Jéricho, l’ère du calvaire. Nous sommes devenus vents, comme avant la Genèse", écrit Liana Badr dans son récit Étoiles sur Jéricho, puis elle ajoute,
"Comment oublier les corps gisant au bord des routes, les milliers de personnes qui les piétinent, la ruée vers un abri. Cadavres de femmes, d’enfants et d’hommes nus dans la poussière, les buissons, les pierres. Jamais je n’aurais pensé qu’en courant pour échapper aux bombardements aériens, j’emprunterai une route ensanglantée, jonchée de lambeaux humains calcinés. Irréelle, cette odeur de chair humaine carbonisée qui régnait autour de nous quand nous nous jetions sur la chaussée, cherchant quelques pierres pour nous protéger des cyclopes de l’air qui nous pourchassaient en rugissant" [18]. Puis, dit la narratrice un peu plus loin, comme pour nous rappeler que les soucis d’une Palestinienne ne s’arrêtent pas avec la guerre : "Lorsque je fus convoquée au poste de police au sujet des manifestations, je m’attendais à des gifles, à des coups de pieds. Rien de tout cela. Mais je leur dois d’avoir passé la moitié de ma vie à pleurer, après la défaite" [19].
Jérusalem, Haïfa, Tibériade, Nazareth et Saint-Jean d’Acre…, cités à jamais perdues
L’exil, la nostalgie, la colonisation, le déracinement… jalonnent la vie d’Edouard Saïd :
"Je me suis donc vu raconter, écrit-il, l’histoire de ma vie, avec en toile de fond, la seconde guerre mondiale, la perte de la Palestine, la création d’Israël, la fin de la monarchie en Égypte, les années Nasser, la guerre de 1967, la naissance du mouvement palestinien, la guerre civile du Liban et le processus de paix d’Oslo" [20].
Son récit personnel traversé par une relation complexe et riche avec sa mère, difficile avec son père, il nous le confie avec une profonde sincérité qui lui permet de communiquer non seulement ses émotions mais aussi ses agacements, ses frustrations et ses révoltes. Néanmoins, c’est son rejet de la colonisation qui assombrit souvent son existence :
"J’ai découvert une fois encore que le réseau de villes et de villages où habitaient autrefois tous les membres de ma famille, au sens large du terme, était devenu un ensemble de localités israéliennes – Jérusalem, Haïfa, Tibériade, Nazareth et Saint-Jean d’Acre – dans lesquelles les minorités palestiniennes vivent sous la souveraineté d’Israël. (…) Vers le début du printemps 1948, toute ma famille avait été balayée de cette région, contrainte depuis lors à vivre en exil. Pourtant, en 1992, et pour la première fois depuis notre départ en 1947, j’avais pu visiter la maison de ma famille où je suis né dans Jérusalem-Ouest, la maison d’enfance de ma mère à Nazareth, la maison de mes oncles à Safad et ainsi de suite. Toutes étaient maintenant occupées par de nouveaux habitants et une émotion indéfinissable m’a littéralement paralysé, m’empêchant d’y entrer une fois encore, même pour jeter un simple coup d’œil" [21].
Vient par la suite l’expression de la douleur provoquée par le déracinement et l’exil.
"J’ai encore du mal à accepter le fait que ces quartiers même de la ville où je suis né, où j’ai vécu et où je me suis senti chez moi aient été colonisés et conquis par des émigrés polonais, allemands et américains, pour faire de cette cité le symbole unique de leur souveraineté, sans laisser la moindre place à la vie palestinienne qui semble avoir été confinée dans la partie orientale de la ville que j’ai à peine connue, Jérusalem-Ouest est devenue entièrement juive, ces habitants d’origine expulsés à jamais, dès mi-1948" [22].
"Nous n’avions jamais imaginé que nous finirions par en payer le prix"
En évoquant la période d’entre-deux guerres, Sirine Husseini-Shahid exprime sa tristesse et son attachement douloureux à Jérusalem qu’elle va finir par perdre définitivement :
"Nous étions informés, bien sûr, de ce qui se passait en Allemagne, mais nous n’avions jamais établi le lien entre ces événements et notre existence personnelle, et n’avions jamais imaginé que nous finirions par en payer le prix" [23].
En 1948, la guerre de Palestine éclata et la majeure partie du pays fut occupée par "la nouvelle entité juive, Israël", le quartier de Jérusalem où se trouvait la maison de Sirine tomba aux mains des Israéliens. Le cyclone qui s’était abattu sur la Palestine avait dispersé ses habitants de par le monde, le père de Sirine littéralement hébété, ne fut plus jamais le même par la suite. Depuis 1947, les Israéliens occupent l’intégralité de la ville, mais les yeux de Sirine restent toujours rivés sur son ancienne maison.
"Nous entendîmes mère demander poliment mais fermement : "M’autorisez-vous à voir l’intérieur de ma maison ?" – "Votre maison ?", suffoqua la femme. "Mais nous l’avions achetée". – "Je ne l’ai pas vendue", lui répondit mère" [24]. (…) "À chaque coin de rue", écrit Sirine, "des images de l’occupation militaire israélienne nous sautaient au visage, à chaque coin de rue, c’était le passé qui ressurgissait, notre émotion était si vive que c’est à peine si nous échangions quelques paroles. Si nous avions essayé de parler, nous aurions eu de la peine à maîtriser notre chagrin, le silence était notre meilleure défense".
Enfin, l’exil n’est pas évident même dans un pays frère. En 1975, Sirine raconte son exil libanais :
"Cela faisait plus de 40 ans que je vivais au Liban, j’avais un passeport libanais, j’avais appris à apprécier la générosité et l’amitié de ce peuple, mais je restais Palestinienne de cœur, non seulement parce que la Palestine était mon pays d’origine, mais parce qu’elle avait disparu et que j’espérais de toute mon âme la voir renaître un jour". [25]
L’intifada vient secouer la terre et dépoussiérer les âmes
Dans son roman L’impasse de Bab Essaha, [26] Sahar Khalifa fait exploser la révolte des femmes contre leur destin doublement tragique parce que Palestiniennes vivant dans un pays colonisé et parce que femmes devant subir le poids d’une tradition patriarcale ancestrale :
"Elle comprit qu’elle était encore empêtrée dans un cercle fermé de nœuds et de relations complexes. Ici, dans cette maison elle n’était pas plus qu’un insecte dans une toile d’araignée. Où passaient alors ses idées et ses théories ? (…) Contrairement à la morale, la religion ou l’esthétique, les questions politiques peuvent être tranchées. Pas celles des traditions et de la femme". [27]
Il est interdit de manifester, disaient les frères à leurs sœurs, avant de se raviser, surpris que les manifestations parviennent aux femmes jusqu’au fond des maisons, mais grâce à l’intifada, la narratrice comprend
qu’"elle avait un monde que personne ne pouvait lui ravir. Elle avait sa conscience, ses fardeaux, une patience de chameau, une peau de reptile et de tortue (…) Dans une révolution, on naît cent fois et on meurt des milliers de fois. La révolution n’est pas une fusée, mais un fleuve qui coule". [28]
L’intifada est rattrapée par la "peur", nous confie la narratrice : "J’ai peur de rester, de fuir, je crains que la nuit m’emporte, que j’oublie mes promesses" [29]. Une prise de conscience aigüe de la réalité ne se contente pas de révéler un seul visage de la répression, celle du colonisateur sur la colonisée, mais aussi celle de l’homme sur la femme et parfois même celle de la femme sur sa propre fille :
"Nous constatons que la répression ne provient pas seulement de l’homme, mais aussi des femmes qui dévorent leur propre chair et jettent les os aux chiens des rues" [30]. La peur est un bouclier qui "ne protège même pas les sages, c’est ça la solution, le bouclier : mourir vivante, cesser de vivre, marcher les yeux bandés, fermer ta porte, vivre ta ruine et t’envelopper dans les couvertures de la mort" [31].
Mais si la peur s’installe, elle engendre le désespoir : C’est sur le cri de révolte de Nouzha, un personnage de femme central et éblouissant, que se ferme le roman de Sahar Khalifa.
"Où est l’issue, Miséricordieux ? Où est l’issue, ô Puissant ? À chaque journée, sa blessure nouvelle et la roue tourne et se complique. Où est la sortie ? Hier, nous étions dans la maison de Sakina, aujourd’hui nous supplions la Tunisie, avant c’était Beyrouth, et demain ce sera le désert de la Mecque et ses flots de pétrole. Préparez-vous pour la virée, que les pur-sang arabes soient bien dressés ! Ah, je crains que notre humiliation soit pire que dans les rêves. (…) Maudit soit ton père, Palestine ! Maudit celui qui t’a donné la vie ! Maudit soit ta poussière, ta terre, ton ciel et quiconque se dit Palestinien ! Tu m’as pris la mère, le père, le frère, la terre, l’honneur. Tu ne m’as rien laissé, Palestine. Que me reste-t-il, ô Palestine, ni parents, ni proches en vie. Ils sont tous partis, tous morts, tous malheureux, écartelés. Allez loin de moi, débarrassez le plancher ! (…) Assez de Dieu, de Mohamed, de Jésus, de Moïse, de la Croix-Rouge, de l’ONU. Personne ne veut voir ni entendre. Depuis quand le monde nous considère-t-il comme des humains ? Et celui qui est Assis là-haut sur son Trône, tu ne le vois pas ? Appelle-le, dis-lui : pourquoi Seigneur n’as-tu d’yeux que pour les salauds, qu’avons-nous fait ? Pourquoi nous regardes-tu de biais ? Nous sommes des pauvres sans soutien. Elle fixa Samar des yeux et la secoua : il n’y a pas que moi, toi aussi, méfie-toi pauvre débile, ne t’attache pas à l’absent. Tu crois qu’il va revenir (…) Comment peut-il marcher alors qu’il est estropié ? Comment peut-il s’envoler sans ailes ?" [32].
Presque toutes les informations historiques ou politiques sur la Palestine nous sont communiquées par des Palestinien·nes qui, avec volonté, obstination et grande précision, essaient ainsi de sauver la mémoire de la Palestine. L’historienne Sandrine Mansour-Mérien nous renseigne sur cette grande et interminable entreprise de sauvetage :
"Un lieu symbolise et rassemble toute cette entreprise de sauvetage du passé : l’Institut des études palestiniennes fondé à Beyrouth en 1963 qui compile l’intégralité de ce qui touche à l’histoire de la Palestine en général, aux réfugiés palestiniens et à la Nakba en particulier, et en constitue en quelque sorte la mémoire".
Elle ajoute aussi que :
"Cinq millions de Palestiniens sont éparpillés à travers la planète, principalement dans les pays arabes, mais aussi aux États-Unis, en Amérique latine, en Europe et en Afrique, sans oublier ceux qui ne se réclament pas du statut de réfugié mais qui, en tant que Palestiniens, ont perdu leur pays. La population palestinienne entière est estimée à plus de 10 millions d’habitants aujourd’hui. Malgré les innombrables processus et tentatives pour permettre aux Palestiniens d’obtenir un État sur 22 % de leur terre historique, aucun État libre et indépendant n’est constitué à ce jour". [33]
Femmes palestiniennes
C’est autour du rôle incontestable des femmes palestiniennes dans l’histoire récente de la Palestine – de 1920 à nos jours – que Norma Marcos construit son livre Le désespoir voilé où elle brosse des portraits de femmes actives et témoins de différentes périodes :
"Sans l’avoir délibérément cherché, le mouvement des femmes allait désormais constituer une part active de l’histoire du peuple palestinien. 1929, 1936, 1948, 1967 et 1987… Autant de dates – symboles de l’histoire de la Palestine – qui sont aussi celles qui ont vu les femmes palestiniennes affirmer leur rôle et pris conscience de leur capacité à participer directement aux activités économiques, politiques et sociales du pays" [34].
Grâce à son talent de cinéaste, l’auteure de ce livre réussit à tisser avec le fil de l’histoire, les souvenirs, les anecdotes et les impressions évoquées par ces personnages :
Samiha Khalil, témoin depuis les années 1920, fondatrice de l’association caritative Renaissance de la famille, ne laisse personne indifférent. La presse locale parle constamment d’elle et elle n’hésite pas exprimer son opinion sur les événements politiques majeurs qui traversent le pays. [35]
Rima Nasir, témoin depuis les années 30. Un demi-siècle d’expérience d’une artiste au service de son pays : "Je suis consciente, dit-elle, que le désespoir mine le moral de mon peuple. C’est pourquoi mes chansons ont depuis toujours été porteuses d’un message d’espoir". [36]
May Sayyegh, témoin des années 70, poétesse engagée et femme d’action politique. Elle espère que d’autres femmes pourront devenir plus tard des porte-paroles non seulement de la cause palestinienne, mais aussi et en même temps de la cause des Palestiniennes. [37]
Zahira Kamal, témoin des années 1980-1990, mène un double combat pour la Palestine et pour les droits des femmes. Zahira est parmi les personnalités les plus actives et politiquement les plus remarquées dans les Territoires Occupés. Après l’intifada et les punitions collectives infligées par le gouvernement israélien à la population, Zahira témoigne : "Aucune famille n’a été épargnée par la répression et la vague d’arrestations, c’est pourquoi l’organisation de la désobéissance civile, visant à couper tout lien avec l’administration israélienne et à réclamer l’indépendance est devenue très difficile. Cependant, l’intifada permet que l’autorité palestinienne apprécie et reconnaisse l’importance de l’engagement politique et social de l’Union des Femmes" [38].
Souad Amiry, témoin des années 1980-1990, intellectuelle politisée investie dans la préservation et le progrès culturel de son pays. "Jamais dans l’histoire, on n’a vu un peuple devoir mettre en place sa propre infrastructure avec autant d’obstacles de la part d’un État voisin obstiné à nier son existence. Il ne serait pas juste de blâmer uniquement les dirigeants palestiniens (…), j’ai consacré 5 ans de ma vie à faire progresser le dialogue avec les Israéliens, et je suis très déçue par la gauche israélienne et les Israéliens tout court. Je croyais vraiment que nous pourrions arriver à une entente (…) notre problème avec les Israéliens est celui de la terre… mais si la terre disparaît, nous ne pouvons rien espérer" [39].
"Dans les coulisses du Mouvement National Palestinien"
C’est grâce à son histoire familiale et à son engagement politique que Hassan Balawi nous permet d’entrer "dans les coulisses du Mouvement National Palestinien" : "À Gaza, le passé et le présent ne cessent de se répondre. Les mythes rejoignent la réalité et l’histoire la plus ancienne éclaire l’actualité" [40].
Après nous avoir décrit les raisons multiples de la tension entre l’OLP et le Hamas, il tient à ajouter :
"Comme les Américains ont soutenu ceux qui allaient devenir les Talibans contre les Soviétiques en Afghanistan, Israël a utilisé le Hamas contre l’OLP qui appelait à la lutte armée" [41].
Il témoigne de la diversité des Gazaoui·es qui explique à la fois selon lui, leur ouverture et leur force. Après avoir parlé de l’épanouissement de la communauté chrétienne à Gaza, il nous précise par exemple que la majorité des gens qui y fêtent Noël ne sont pas chrétiens mais musulmans. Enfin, il nous éclaire sur la nature propre de Gaza rétive à tous les pouvoirs qui ont voulu y établir leur domination :
"Au cours des croisades, la ville fut la dernière de Palestine à tomber aux mains des croisés. En 1917, les Anglais mirent 8 longs mois pour la conquérir. Et dans l’histoire la plus récente, on notera que les deux intifadas y éclatèrent, qu’elle fut le théâtre des plus violents affrontements et qu’elle demeure le cœur de la résistance palestinienne" [42].
Après avoir souligné les "erreurs d’Arafat" et les "graves erreurs du Hamas", Balawi pense qu’aujourd’hui, il est impossible d’exclure celui-ci du jeu politique. Il pense que :
"Seul une OLP forte, unifiée, ayant intégré toutes les composantes politiques palestiniennes (…) pourra reprendre et faire revivre un processus de paix agonisant. Nous devons la remettre sur les rails du projet national palestinien qui défend d’une part la création d’un État palestinien souverain, avec Jérusalem-Est pour capitale et d’autre part, la résolution de la question des réfugiés. Il est du devoir moral humain et politique de la communauté internationale d’intervenir pour sauver Gaza, pour que cette ville, "porte de l’Asie", "pont vers l’Afrique", comme l’a qualifiée Napoléon, redevienne un carrefour de civilisation et de paix et non plus ce chaudron de tous les dangers" [43].
"L’industrie de la cause"
La première œuvre littéraire de Azmi Bishara, Checkpoint, raconte une Palestine désarticulée par les colonies de peuplement, les routes de contournement et le mur de séparation. Dans cette œuvre originale et singulière, l’auteur alterne des épisodes de la vie quotidienne, des portraits, des souvenirs de jeunesse, des récits absurdes, des dialogues, des méditations… Il en profite pour dénoncer avec un humour décapant le sort réservé aux Palestiniens par les "maîtres du checkpoint". Mais il n’épargne guère son propre camp avec ses politiciens opportunistes, ses idéologues obtus et tous les autres profiteurs de "l’industrie de la cause" [44].
L’œuvre foisonne de passages qui nous font penser aussi bien à Kafka, qu’à René Crevel ou Antonin Artaud. Mais il s’en dégage surtout une Palestine démantelée et des Palestinien·nes fièr·es mais brisé·es. Nous nous contenterons de citer un seul passage :
"De nos jours, beaucoup de gens errent au pays des checkpoints à la recherche de quelqu’un qui puisse le comprendre (…) Il s’agit tout simplement de crises émotionnelles. Le matin, tout un chacun se demande s’il n’a pas perdu son humanité, chacun cherche du sens : pourquoi se lève-t-il ? Pourquoi travaille-t-il ? Quel est le but de tout cela ? (…) Tel individu dira par exemple aux médias que personne ne le comprend et qu’il vit une crise identitaire grave, ne sachant pas s’il est arabe avant tout, s’il est israélien et arabe ensuite, puis s’il est un homme ou une femme, s’il est chrétien ou musulman d’abord ou ensuite… Il affirmera que cela entrave son intégration, que les Arabes le traitent comme un Juif et les Juifs comme un Arabe" [45].
Épouser la mémoire de l’Autre
Ilan Halevi trouve qu’à "la faveur des événements sanglants de Palestine, une idée fausse est en train de gagner du terrain jusqu’au ventre mou de l’intelligentsia française et européenne". Comme Sylvain Cypel, il met en cause cette idée qui "prétend que toute critique de la politique israélienne renforce l’antisémitisme. Elle fait écho aux accusations classiquement lancées par le gouvernement israélien dès que ses pratiques sont contestées" [46].
Ilan Halevi développe un chapitre sur la "formation et la déformation de la mémoire", car il s’agit pour lui de sauver la mémoire de la Palestine et des Palestinien·nes qu’Israël déforme sans cesse. Il y a, selon lui, des "démarches politiques conçues pour organiser l’oubli". "Car", ajoute-t-il "entre la mémoire et l’oubli, il y a le mensonge : la propagande et la falsification historique" [47].
Ilan Halevi se souvient du film d’Eyal Sivan, Izkor (rappelles-toi) (ndr : extrait ici), où le réalisateur nous fait assister à travers un cycle de fêtes et commémorations, comment est structurée l’année scolaire en Israël dès la crèche.
"C’est", ajoute l’auteur, "la fabrication d’une mémoire collective unique et standardisée, amalgamant les faits, les mythes et les prismes idéologiques permettant de les décliner en un discours unique" [48].
Halevi poursuit,
"Ce dont les Israéliens ont peur, n’est pas la démographie, mais la morale de l’histoire : la reconnaissance du crime, la fin de la prétention d’innocence, la fin de la bonne conscience, la fin de cette certitude du bon droit" [49].
Avec une démarche non utopique mais généreuse, ouverte et qui ne peut s’inscrire que dans la reconnaissance de l’Autre, il nous invite à
"aspirer individuellement et collectivement, à ce qu’on pourrait appeler la mémoire globale – c’est-à-dire celle qui contient aussi la mémoire reconstituée de l’Autre. Assumer la mémoire de l’Autre, en tant que sienne, c’est donner naissance au concept d’une histoire commune, où la violence subie et dispensée apparaîtrait rétrospectivement comme l’une des figures de l’interdépendance et du déchirement, c’est-à-dire à terme, comme une souffrance commune partagée" [50].
Il est enfin intéressant de découvrir les mots que choisit l’éditeur Farouk Mardan-Bey pour parler d’Ilan Halevi :
"Quand on lui demandait qui il était exactement, lui qui a tant changé de nom et de prénom, il répondait : "Je suis 100 % juif et 100 % arabe". En fait, il n’était ni juif, ni arabe, le monde entier était sa patrie et il rêvait d’une citoyenneté universelle, libre de toute sorte de discrimination. S’il a choisi d’être Palestinien, c’est parce qu’il était convaincu que la cause palestinienne était une partie intégrante de la cause de l’émancipation humaine"" [51].
Sans aucun état d’âme, Israël continue le massacre dans les Territoires Occupés, comme il l’a déjà fait – peut-être il continuera à le faire – à Gaza. Ce qui est inquiétant, ce ne sont pas seulement les agissements d’Israël, mais aussi le silence coupable et complice de ses amis inconditionnels. Ce qui encore plus inquiétant, c’est l’apathie et la lâcheté des amis de la Palestine et des Palestinien·nes. Comment allons-nous sortir de cette impasse qui bloque nos indignations, nos clairvoyances, nos intelligences et nos solidarités ? Nous sommes Arabes et Français, mais nous sommes aussi citoyen·nes de ce monde qui vacille sous nos pas et où tout ce à quoi nous avons cru et défendu depuis notre adolescence est en train de s’effondrer. Les guerres meurtrières sont-elles vraiment les seules issues de nos dérives ? N’y a-t-il vraiment plus une solution pour la paix que des hommes et des femmes de bonne volonté vont réussir à construire ? Notre devoir de citoyen·nes est de continuer à croire à ce qui nous a toujours réuni, contre toute discrimination, toute injustice et pour la liberté et la dignité.
Française et syrienne, Ghaïss Jasser est établie en France depuis 1969. Elle est docteur d'État ès Lettres, chercheuse dans les études féministes et compositrice-pianiste.
Après sa thèse d’État sur Les personnages de femmes dans le roman français entre les deux guerres, elle écrit plusieurs articles sur la hiérarchie des genres dans les romans de cette époque. Elle prépare un livre intitulé Pour une critique littéraire féministe. Elle est présidente du Festival international de films de femmes de Créteil
Notes
[1] Pascal Boniface, Est-il permis de critiquer Israël ?, Ed. Robert Laffont, 2003, 4ème de couverture.
[2] Sylvain Cypel, L’État d’Israël contre les Juifs, après Gaza. Nouvelle édition augmentée, Ed. la Découverte, 2020, 2024.
[3] Adam Raz, "A brief history if Netanyahou-Hamas alliance", Haaretz, 20/10/2023, dans L’État d’Israël contre les Juifs, op. cité, p. 20.
[4] Dimitry Shumsky, "Why did Netanyahou want to strengthen Hamas ?", Haaretz, 11/10/2023, dans L’État d’Israël contre les Juifs, p. 21.
[5] Gidéon Levy, "It is not Netanyahou, it is the nation", Haaretz, 5/05/2018, in L’Etat d’Israël contre les Juifs, p. 199.
[6] Sylvain Cypel, op. cité, p. 324.
[7] Elias Sanbar, Ed. Gallimard, 2004.
[8] Op.cité, p. 91. C’est nous qui soulignons.
[9] Op. cité, p. 101. C’est nous qui soulignons.
[10] Op. cité, p. 143. C’est nous qui soulignons.
[11] Op. cité, p. 218.
[12] Op. cité, p. 220.
[13] Elias Sanbar, La dernière guerre, "Tract Gallimard n° 56", 1956, Palestine 7 oct. 2023-2 avril 2024, Ed. Gallimard, p. 16.
[14] Op. cité, p. 5.
[15] Op. cité, p. 4.
[16] Elias Sanbar, Le bien des absents, récit, Actes Sud, 2001.
[17] Le bien des absents, p. 95.
[18] Liana Badr, Étoiles sur Jéricho, Ed. Cambourakis, 1993, pour la traduction française 2024, p. 173.
[19] Liana Badr, op. cité, p. 228-229.
[20] Edouard W. Saïd, À contre-voie, Ed. le Serpent à plumes, 2002 pour la traduction française, p. 18.
[21] Edouard Saïd, op. cité, p. 16-17.
[22] Op. cité, p. 172-173.
[23] Sirine Husseini-Shahid, Souvenirs de Jérusalem, Ed Arthèm Fayard, 1999, 2005 pour la traduction française, p. 136.
[24] Op. cité, p. 194-195, 198.
[25] Op. cité, p. 251.
[26] Sahar Khalifa, L’impasse de Bab Essaha, mai 1990, pour la traduction française, Ed. Flammarion, 1997.
[27] Op. cité, p. 103.
[28] Op. cité, p. 104-105.
[29] Op. cité, p. 142.
[30] Op. cité, p. 145.
[31] Op. cité, p. 146.
[32] Op. cité, p. 161.
[33] Sandrine Mansour-Mérien, L’histoire occultée des Palestiniens, 1947-1953, Ed. Privat, 2013, p. 223.
[34] Norma Marcos, Le désespoir voilé : femmes et féminisme de Palestine, Riveneuve Editions, 2013, p. 15. Un compte-rendu détaillé de ce livre et fait par Ghaïss Jasser a paru dans Nouvelles Questions Féministes, Féminismes dans les pays arabes, Ed. Antipodes, vol. 35, n° 2, 2016.
[35] Id. p. 77.
[36] N. Marcos, op. cité, p.116-117.
[37] N. Marcos, op. cité, p. 170.
[38] N. Marcos, op. cité, p. 194.
[39] N. Marcos, op. cité, p. 234.
[40] Hassan Balawi, Gaza : dans les coulisses du Mouvement National Palestinien, Ed. Denoël, 2008, p. 14.
[41] Hassan Balawi, op. cité, p. 18.
[42] Op. cité, p. 25.
[43] Op. cité, p. 201-202.
[44] Azmi Bichara, Checkpoint, Ed. Actes Sud, 2004 pour la traduction française, 4è de couverture.
[45] Azmi Bichara, op. cité, p. 268-269.
[46] Ilan Halevi, Du souvenir, du mensonge et de l’oubli, chroniques palestiniennes, Actes Sud, 2016, p. 151.
[47] Ilan Halevi, op. cité, p. 270-278.
[48] Ilan Halevi, op. cité, p. 280.
[49] Op. cité, p. 281.
[50] Op. cité, p. 283-284.
[51] Op. cité, p. 292.
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Voix du monde
10- "Nous sommes confrontés à l'une des plus grandes épreuves morales de notre temps"
Discours prononcé par Peter Slezak lors du rassemblement pour Gaza, le 5 mars 2025, Pearls & Irritations
Comme de nombreux Juifs d'ici et du monde entier, je suis fier de me tenir à vos côtés, une fois de plus, en solidarité avec la Palestine. À cette occasion, je voudrais parler de l'hystérie croissante de l'antisémitisme.
Je salue toujours les Juifs contre l'occupation, qui sont venus chaque semaine avec leur bannière. Notre présence et notre solidarité sont une réponse claire à l'accusation selon laquelle ces rassemblements sont antisémites. Aujourd'hui, nous, les Juifs ne sommes pas les victimes, nous sommes les auteurs. Depuis plus d'un an, les horreurs du génocide à Gaza signifient que nous sommes tous, et en particulier les Juifs, confrontés à l'une des plus grandes épreuves morales de notre temps.
Nous avons tous vu les images des drones. Gaza renvoie à Hiroshima après la bombe atomique de 1945. Qui, dans son esprit, peut croire la propagande israélienne selon laquelle il s'agit d'un acte de légitime défense visant les militants du HAMAS ?
Compte tenu de la dévastation et du nombre astronomique de bombardements sur Gaza, les propos de Chomsky (1971) sur la guerre du Viêt Nam sont d'actualité. Il a déclaré :
"Sans autre information que celle-ci, une personne qui n'a pas perdu la raison doit se rendre compte que la guerre est une atrocité écrasante".
Nous sommes soumis à d'intenses efforts de propagande pour nier les crimes d'Israël, mais cela ne fonctionne pas parce que tout le monde peut voir la vérité - l'obscénité - sur nos téléphones portables. Israël et ses larbins du lobby sioniste ont dû se tourner vers leurs méthodes traditionnelles.
Ils ont intensifié à des niveaux sans précédent une campagne obsessionnelle et hystérique contre l'antisémitisme. Cette campagne est destinée à faire diversion, à détourner l'attention des horreurs du génocide israélien. Les médias nous inondent de messages de panique à propos d'une prétendue explosion de l'antisémitisme et d'inquiétudes concernant la sécurité des Juifs. Ce ne sont que des conneries.
Et l'on attend des Palestiniens qu'ils mettent de côté leurs souffrances, leurs traumatismes et leur chagrin, et qu'ils se plient au malaise juif à propos d'un slogan ou d'une affiche. Le commentateur de cricket Peter Lalor a été licencié parce que des personnes ont déclaré avoir été "déclenchées" par le son de sa voix. Et nous sommes censés nous préoccuper des sentiments des Juifs qui ne se sentent pas en sécurité parce qu'ils ont vu un keffieh. Eh bien, je les emmerde !
La brillante Randa Abdel-Fattah l'a exprimé avec plus d'éloquence : Elle interroge :
"Depuis quand les victimes d'un génocide ont-elles la responsabilité de s'en remettre aux sentiments de ceux qui promulguent, soutiennent et permettent leur génocide, et de les protéger ?"
Pour son courage et sa puissante voix morale, Randa a été prise pour cible par la police de la pensée sioniste dans le cadre d'une chasse aux sorcières à la McCarthy. Sa bourse de recherche gouvernementale a été suspendue par le ministre de l'éducation Jason Clare. Il s'agit là d'une ingérence politique flagrante dans l'indépendance des universités, comme on pourrait s'y attendre en Chine ou dans l'ex-Union soviétique.
Ce criminel de guerre inculpé, Benjamin Netanyahou, a clamé : "Le sentiment anti-israélien est de l'antisémitisme". Mais il s'agit d'une profanation de la mémoire des victimes du véritable antisémitisme lorsque celui-ci est utilisé pour faire taire les critiques justifiées à l'encontre de l'État raciste et criminel d'Israël. Un juif en ligne y a répondu de manière appropriée :
"Ne commettez pas de génocide au nom du peuple juif et peut-être que le peuple juif subira moins de représailles ? Merci de nous mettre tous en danger, espèce de maniaque génocidaire".
C'est pourquoi tant de juifs honnêtes, ici et dans le monde entier, disent "pas en notre nom".
L'Australian Jewish News a titré "L'antisémitisme, priorité absolue de l'ASIO" (ndr : Australian Security Intelligence Organisation, service de renseignement intérieur australien), c'est-à-dire "le problème de sécurité numéro un" en termes de menace potentielle pour la vie des gens. Mais selon la police fédérale, l'antisémitisme terrifiant en Australie inclue des graffitis réalisés par des personnes payées par des acteurs étrangers (SMH 30 janvier 2025) et qui ne savent même pas orthographier Israël correctement. D'ailleurs, il n'y a pas d'antisémitisme quand un graffiti dit "Fuck Israel". Et ces clowns ne savent pas non plus orthographier "Fuck" correctement.
L'ensemble de la classe politique et des médias australiens est en pleine crise d'antisémitisme. Il y a quelques jours, Sky News a organisé un "sommet sur l'antisémitisme" et le codirecteur du Conseil exécutif des juifs australiens (CEJA), Alex Ryvchin, a déclaré : "Nous sommes confrontés à une crise qui a amené un soutien ouvert au terrorisme dans nos rues". Il parle de nous ! Ryvchin a donc proposé un plan d'action en 15 points. Il s'agit de mécanismes totalitaires de contrôle de la pensée qui auraient impressionné Staline ou Mao Tsé Toung. Comme l'a fait remarquer un commentateur, "en bref, le CEJA s'est enivré des possibilités d'utiliser l'État pour faire progresser le sionisme et réprimer ses détracteurs".
Ainsi, Ryvchin a proposé la création d'une déclaration d'URGENCE NATIONALE sur l'antisémitisme et d'une task force conjointe contre le terrorisme.
Déclaration d'URGENCE NATIONALE sur l'antisémitisme et mise en place d'une Task Force conjointe de lutte contre le terrorisme.
Et il devrait y avoir :
Une législation plus sévère pour surmonter les restrictions sur les mesures disciplinaires à l'encontre des universitaires.
Cela signifie qu'il faut réduire les protections traditionnelles de la liberté académique, en sapant le fondement même des universités avec des mesures punitives contre des universitaires critiques comme Randa Abdel-Fattah.
Abraham Edwards dans Medium
Les propositions du CEJA sont précisément ce que l'universitaire juif américain Peter Beinart (14 février 2025) a récemment décrit comme "les dangers des rapports universitaires non scientifiques sur l'antisémitisme" réalisés par des organisations pro-israéliennes.
Cependant, dans une société saine, Noam Chomsky (1969) suggère que "le rôle social et intellectuel de l'université devrait être subversif". Il affirme que les étudiants devraient apprendre "l'autodéfense intellectuelle" - contre "l'assaut" de la propagande du gouvernement et des médias de masse dans leur allégeance, "non pas à la vérité et à la justice, mais au pouvoir et à l'exercice efficace du pouvoir".
En effet, les 39 universités publiques australiennes ont adopté une version de la définition pernicieuse de l'IHRA, vigoureusement promue par les groupes de lobbying israéliens tels que l'ECAJ, y compris son ancienne responsable Jillian Segal, qui est l'"envoyée spéciale sur l'antisémitisme" du gouvernement. Mais la définition de l'IHRA a même été rejetée par son auteur, Kenneth Stern, qui affirme qu'elle sert d'arme pour faire taire les critiques à l'égard d'Israël.
Plus de 1000 universitaires juifs aux États-Unis ont condamné la définition de l'IHRA parce qu'"elle délégitimera et réduira au silence les Américains juifs - entre autres - qui défendent les droits de l'homme des Palestiniens ou qui critiquent les politiques israéliennes".
Dans mon article sur la définition de l'IHRA paru dans ABC Religion & Ethics, il est significatif que l'éditeur ait judicieusement supprimé ma phrase originale dans laquelle je mentionne que "six des onze exemples illustratifs qui l'accompagnent concernent la critique d'Israël".
Par exemple, selon la définition de l'IHRA, il est antisémite de dire qu'Israël est une entreprise raciste. Or, en 2018, Israël a adopté une loi sur l'État-nation selon laquelle Israël est l'État des seuls Juifs. Les organisations de défense des droits de l'homme HRW, Amnesty et l'organisation israélienne B'Tselem ont récemment publié des rapports montrant qu'Israël est un régime ethno-suprémaciste et d'apartheid. L'ONG israélienne Adalah énumère plus de 50 lois discriminatoires à l'encontre des citoyens israéliens qui sont des Palestiniens.
Si ceux qui promeuvent et adoptent la définition de l'IHRA se souciaient réellement de l'antisémitisme et non de la protection d'Israël contre les critiques, ils approuveraient la déclaration alternative de Jérusalem sur l'antisémitisme (JDA), rédigée par des centaines d'experts juifs de l'Holocauste et de l'antisémitisme.
Personne ne se préoccupe plus que moi de l'antisémitisme. Ma mère et ma grand-mère ont survécu au camp d'extermination nazi d'Auschwitz et j'ai grandi en écoutant leurs histoires. Je pense donc savoir reconnaître l'antisémitisme quand je le vois. En fait, il n'y a jamais eu d'antisémitisme lors de nos rassemblements, dans les universités ni où que ce soit en Australie au cours de ma vie.
Le politologue John Mearsheimer fait la même remarque à propos des États-Unis. Il pose la question : "Avant le 7 octobre, avez-vous entendu parler d'antisémitisme sur les campus universitaires ?".
Le fondement d'une société libérale décente repose sur la protection de la dissidence. C'est la doctrine énoncée par le philosophe J.S. Mill dans son célèbre essai Sur la liberté, dans lequel il affirme que même l'Église la plus intolérante, l'Église catholique, entend le pire de ce que peut dire l'avocat du diable avant de canoniser un saint.
Dans cet esprit, malgré les avertissements officiels sur les "espaces sécurisés", j'ai l'habitude de commencer mes cours en expliquant que mes classes ne sont pas un espace sécurisé pour les idées que vous n'aimez pas ou avec lesquelles vous êtes en désaccord. Les universités étaient traditionnellement conçues comme des institutions qui protégeaient les idées impopulaires - c'est la raison pour laquelle la titularisation est accordée afin que les universitaires ne puissent être licenciés pour des opinions impopulaires. Cette conception traditionnelle des universités est mise à mal par les propositions totalitaires du lobby israélien et de nos propres gouvernements.
Enfin, il est important pour moi de dire quelque chose à propos de notre chant entendu lors de rassemblements dans le monde entier : "Du fleuve à la mer...". Les apologistes des crimes d'Israël prétendent que ce slogan est antisémite, voire qu'il appelle à l'anéantissement des Juifs. Mais la charte du Likoud, le parti au pouvoir en Israël, stipule qu'il n'y aura pas d'État palestinien entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Benjamin Netanyahou a rejeté à plusieurs reprises la possibilité d'un État palestinien et, en juillet 2024, la Knesset israélienne a voté massivement contre la création d'un État palestinien.
Dans ce contexte, ma collègue palestinienne Lana Tatour a souligné la "nécessité d'écouter les Palestiniens qui ont présenté la libération comme un projet inclusif d'égalité des droits pour tous". Selon elle, cette libération signifie "l'égalité pour tous les habitants de la terre - et le démantèlement du colonialisme et du régime d'apartheid qui existent aujourd'hui". C'est "la revendication du droit des Palestiniens à vivre dans la dignité et l'égalité dans leur patrie". Ce n'est en rien de l'antisémitisme.
Nous devrions également écouter le Palestinien Nasser Mashni, président de l'APAN (Australia Palestine Advocacy Network) :
"L'appel est "une vision pour une réalité politique partagée au-delà de l'apartheid colonial brutal actuel d'Israël". Le rejet de l'oppression par les Palestiniens ou leur aspiration à la libération, à une vie dans leur propre patrie, libérée du système de contrôle raciste d'Israël, ne devrait pas être controversé". ...
"C'est pourquoi nous disons que la Palestine sera libre du fleuve à la mer pour tout le monde. Et si vous avez un problème avec le fait que tout le monde soit libre, parce que vous ne voulez que certaines personnes soient libres, le problème ne vient pas du chant, le problème vient de vous."
Alors, la prochaine fois, qui que vous soyez, veillez à orthographier correctement : "Fuck Israel. Fuck Zionism" (J'emmerde Israël. J'emmerde le sionisme).
Du FLEUVE à la MER, la Palestine sera libre.
Peter Slezak est professeur associé honoraire de philosophie à l'UNSW et président adjoint de BDS-Australia (Boycott, Désinvestissement, Sanctions participe à l'effort mondial visant à mettre fin au soutien à l'oppression des Palestiniens par Israël et à faire pression sur Israël pour qu'il se conforme au droit international).
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11- Pas d’espoir de paix durable sans justice
Des juristes du monde entier se mobilisent pour que le crime de génocide soit reconnu
Plus de 230 juristes, avocats, juges, et professeurs de droit du monde entier se joignent aux experts et rapporteurs de l'ONU pour qualifier juridiquement les crimes commis à Gaza de "génocide", et rappeler ainsi les obligations légales des États. Ce texte veut contribuer à la préservation du droit international aussi mis en péril à Gaza, afin d'éviter de nouvelles atrocités de masse en toute impunité. "L'histoire enseigne que la paix durable ne peut être construite sans justice".
Tribune Les invités de Mediapart, le 4 mars 2025, Blog Mediapart
"Plus jamais ça". Au lendemain de la libération du camp d’Auschwitz, dont nous fêtons les 80 ans, la communauté internationale a établi des règles de droit pour empêcher de nouvelles atrocités de masse et obliger les auteurs de ces actes à rendre des comptes. Pourtant, "nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux", écrivait le 28 octobre 2023, Craig Mokhiber, l’ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU, dans sa lettre publique de démission.
"J’ai travaillé lors des génocides contre les Tutsis, les musulmans bosniaques, les Yézidis et les Rohingyas. […] En tant que juriste spécialisé dans les droits humains, avec plus de trente ans d’expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l’objet d’exploitation politique abusive. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, […] ne laisse aucune place au doute ou au débat. […] Il s’agit d’un cas typique de génocide". Raz Segal, historien israélien et directeur du programme sur l’Holocauste et le génocide à l’Université de Stockton aux États-Unis, parle encore d’"un cas d’école de génocide". Un nombre important de rapports et d’enquêtes d’experts, de comités, et de rapporteurs spéciaux des Nations Unies corroborent cette conclusion.
Si le cessez le feu de janvier laisse entrevoir la fin des massacres systématiques à Gaza, l'histoire enseigne que la paix durable ne peut être construite sans justice. Il est donc impératif de ne pas y laisser mourir aussi le droit international, en commençant par qualifier correctement les crimes commis par Israël au regard de ce droit. Des dizaines de juristes, avocats, juges, et professeurs de droit du monde entier se joignent aux experts et rapporteurs de l'ONU pour affirmer dans cette tribune qu’il convient de qualifier ces crimes de génocide, et rappeler ainsi les obligations légales des États dès lors qu'il existe un "risque sérieux" de génocide.
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, dont découlent toutes les règles de droit national en la matière, définit le génocide comme un ou plusieurs "actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Ces actes incluent notamment le meurtre, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique. La commission d’un seul de ces actes suffit à caractériser l’élément matériel du génocide. Or, Israël a commis au moins l’ensemble de ces trois actes à Gaza, sur lesquels cette tribune se concentrera, bien que les crimes commis contre le peuple palestinien dans les autres territoires palestiniens occupés doivent être pris en considération pour mesurer leur ampleur.
Premièrement, depuis le 8 octobre 2023, les frappes de l’armée israélienne ont tué plus de 48 348 personnes à Gaza, dont plus de 14 500 enfants. 60% des victimes sont des femmes, des enfants et des personnes âgées. Plusieurs milliers de personnes restent ensevelies sous les décombres. Deuxièmement, outre la commission avérée de ces meurtres, des atteintes physiques et psychologiques considérables sont caractérisées : on dénombre plus de 111 761 blessés, dont une grande partie souffrent de blessures graves. Israël a fait de Gaza le territoire qui compte le plus d'enfants amputés par habitant au monde. Les Palestiniens à Gaza subissent des traumatismes psychologiques inimaginables dans ce climat de terreur et d’impuissance créé par la constance des attaques aériennes et terrestres, et l’effondrement des infrastructures vitales. "La quasi-totalité des 1,1 million d’enfants de Gaza ont un besoin urgent de protection et de soutien en matière de santé mentale". Un recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements a également été observé en cas de détention.
Troisièmement, en ce qui concerne l’acte de "soumission d’un groupe à des conditions de vie entraînant sa destruction partielle ou totale", la jurisprudence internationale a précisé qu’il s’agit de situations où les membres du groupe sont condamnés "à mourir à petit feu".
Or d’une part, depuis octobre 2023, Israël a procédé méthodiquement au bombardement des moyens de subsistance des Palestiniens à Gaza, déjà dépendants à 80% de l’aide humanitaire du fait d’une occupation imposée depuis 1967 et un blocus illégal de Gaza. Ces frappes ont abouti à la destruction de 92% de leurs logements, des points d’accès à l’eau, des terres agricoles, du bétail, des installations sanitaires et électriques (entraînant un nombre record d’infections et de maladies), de 84% des établissements de santé, tuant plus de 340 professionnels de santé et condamnant les nombreux blessés à ne pas pouvoir être soignés. Israël a ainsi procédé au déplacement forcé et répétitif de 1,9 millions de personnes, soit 90% de la population, dans des camps privés de tout, et qu’il a continué de bombarder. La promiscuité ainsi que l'absence d'installations sanitaires qui prévalent dans ces camps y favorisent aussi la propagation rapide des maladies infectieuses.
D’autre part, Israël a bloqué les camions acheminant l’aide humanitaire, y compris les fournitures médicales, qui ne pénètrent qu’au compte-gouttes à Gaza. "Il ne s’agit pas juste de négligence, mais d’une politique délibérée de privation ayant entraîné des milliers de décès par déshydratation et maladie", explique la directrice exécutive de Human Rights Watch, Tirana Hassan. "Pour que le siège soit efficace, nous devons empêcher les autres de porter secours à Gaza […] Il faut dire aux gens qu’ils ont le choix entre deux options : rester et mourir de faim, ou partir", expliquait en octobre 2023 Giora Eiland, conseiller auprès de Yoav Gallant, alors ministre israélien de la défense jusqu'à fin novembre 2024. Ce dernier confirmait publiquement avoir ordonné "un ‘siège complet’ de la ville de Gaza, qu’il n’y aurait 'pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de combustible' et que 'tout [étai]t fermé'" Afin d’obstruer l’accès à l'aide humanitaire, Israël a été jusqu’à bombarder des infrastructures de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), la principale organisation d'aide à Gaza et dans la région, tuant plus de 258 de ses employés depuis octobre 2023.
Selon des chiffres des Nations Unies, dès mars 2024, "100 % de la population de Gaza [était] dans une situation d’insécurité alimentaire grave (ou de famine). C’[était]la première fois qu’une population entière [était] ainsi classée". D'après l’UNICEF, la malnutrition "aiguë a atteint des niveaux alarmants [...]. Chaque journée sans traitement peut leur être fatal. [...] Si nous n’agissons pas immédiatement, nous risquons de perdre une génération entière [...].". En juillet 2024 le Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation a clairement affirmé qu'"Israël utilise la famine comme stratégie dans le cadre du génocide qu’il mène actuellement contre le peuple palestinien à Gaza". Ces conditions sont donc bien de nature à entraîner "la destruction physique totale ou partielle" des Palestiniens à Gaza.
Contrairement à l’idée couramment répandue, le crime de génocide n’est pas subordonné à un nombre plancher de personnes tuées. En novembre 2021, le tribunal régional supérieur de Francfort a par exemple reconnu un membre de l’État islamique coupable de génocide pour les atteintes graves à l’intégrité physique et psychique commises envers une femme yézidie et sa fille, réduites en esclavage après leur capture lors du massacre par l’État Islamique de plus de 5000 Yézidis en 2014 à Sinjar. En mars 2016, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a aussi condamné un membre des forces serbes pour génocide, en raison des massacres de Srebrenica de 1995, entraînant la mort d’au moins 7000 hommes et garçons musulmans.
En ce qui concerne l’élément intentionnel du génocide, la caractérisation de l'intention génocidaire n'est pas non plus subordonnée à une volonté d’anéantissement d’un groupe entier, et peut être constituée dès lors que l’un des actes susvisés a été commis dans l’intention spécifique de détruire "tout ou partie" du groupe.
Sur la « partie » du groupe, la jurisprudence internationale admet qu'elle peut être "au sein d’une zone géographique précise" et non "dans le monde entier". Elle apprécie alors le contrôle et l’opportunité de l’auteur du crime de génocide sur cette zone. Gaza est enclavée et sous le contrôle d'Israël qui a donc la "possibilité" d'en anéantir la population. En ce sens, Amos Goldberg, historien israélien spécialiste de la Shoah, déclarait que "ce qui se passe à Gaza est un génocide, car Gaza n’existe plus".
La jurisprudence exige aussi que cette partie du groupe soit "substantielle", ce qui s’apprécie au regard de "l’élément quantitatif ainsi que de la localisation géographique et de la place occupée par cette partie au sein du groupe". Or, les gazaouis représentent 40% des 5,5 millions de palestiniens des territoires occupés, soit une partie "suffisamment importante pour que sa disparition ait des effets sur le groupe tout entier". Le critère quantitatif étant tragiquement rempli, la CIJ, la plus haute instance de justice chargée de poursuivre les crimes internationaux des États, a reconnu en janvier 2024 qu’il s’agissait d’une partie "substantielle" du groupe, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres critères.
Par ailleurs, l’intention génocidaire (ou le dol spécial) d’Israël de détruire cette partie du groupe peut être démontrée par des preuves directes (déclarations ou documents provenant des autorités étatiques) ou se déduire des preuves indirectes.
En premier lieu, les responsables israéliens ont publié des déclarations et des documents qui traduisent clairement leur intention de détruire les Palestiniens à Gaza. Yoav Gallant, annonçait par exemple en ces termes le 10 octobre 2023, en quoi consistait leur plan méthodique connu sous le nom de "Glaives de fer" : "nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence […] Gaza ne reviendra pas à ce qu’elle était avant. Nous détruirons tout. […] Cela prendra des semaines, voire des mois, aucun endroit ne nous échappera". Isaac Herzog, le président d’Israël, ajoutait deux jours plus tard : "c’est toute une nation qui est responsable […] et nous nous battrons jusqu’à leur briser la colonne vertébrale".
37 experts et rapporteurs de l’ONU dès novembre 2023 se sont alarmés d’une "rhétorique manifestement génocidaire et déshumanisante des hauts responsables israéliens", appelant à la "destruction totale et à l’effacement" de Gaza, et à la nécessité de "les achever tous", rhétorique largement répandue "dans plusieurs secteurs de la société israélienne".
En second lieu, en matière de preuves indirectes de "l’existence d’une ligne de conduite délibérée" d’Israël et de son intention génocidaire, les experts susvisés n'ont pu que constater la présence d'un grand nombre d'indices pris en compte par la jurisprudence internationale, tels que "l’ampleur des atrocités commises, le fait de viser systématiquement certaines victimes en raison de leur appartenance à un groupe particulier, ou la récurrence d’actes destructifs et discriminatoires" ; "les armes utilisées et la gravité des blessures subies par les victimes, le caractère méthodique de la planification ; le caractère systématique du crime", et "plus de victimes et de dégâts que ce qui était nécessaire d’un point de vue militaire".
Sur ce seul dernier indice des pertes disproportionnées, il sied de rappeler que l’analyse des attaques montre qu’Israël a visé la population civile plutôt que des cibles militaires, pour raser des quartiers entiers, en violation manifeste du droit des conflits armés. "Des Palestiniens ont été tués chez eux ou dans leur lit d'hôpital". Les experts ont relevé que pendant les premiers mois de l’attaque, Israël a largué plus de 25 000 tonnes d'explosifs, équivalant à deux bombes nucléaires, sur Gaza, une zone de seulement 41 km de long sur 6 à 12 km de large, soit moins de la moitié de la superficie de Madrid.
Des méthodes de guerre planifiées et rarement employées en temps de guerre ont aussi été relevées, comme la privation délibérée des besoins fondamentaux, des pilonnages incessants pendant 15 mois et l’utilisation d’armes à rayon large contre les bâtiments d’habitation et infrastructures publiques dans des quartiers densément peuplés, utilisant des munitions non guidées (ou "bombes muettes") et principalement durant la nuit; les tirs des forces israéliennes sur la foule alors qu’elle venait récupérer des denrées alimentaires; les attaques sur la route empruntée par la population alors qu’elle était évacuée de force en 24h ; les déplacements répétés des Gazaouis vers des "zones de sécurité" désignées comme des camps de réfugiés et ensuite bombardés ; et la destruction des hôpitaux et des écoles où se réfugiaient les survivants.
La poursuite des crimes par Israël malgré les avertissements répétés de l’ONU, malgré les trois ordonnances de mesures provisoires de la CIJ, établissant qu’il existe un "risque réel et imminent" de génocide, et par conséquent malgré la parfaite conscience des responsables israéliens de l’impact des crimes sur le groupe ciblé est un autre indice déterminant pour la qualification de l’élément intentionnel. La CIJ lui a ordonné sans succès dès janvier 2024 de "prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire" et de "cessez immédiatement toutes ses opérations militaires".
Enfin, Israël ne saurait invoquer le mobile de ses crimes pour les justifier, puisque l’intention génocidaire peut être "une méthode de conduite des hostilités" pour atteindre d’autres objectifs militaires, tels qu’en l’espèce l’éradication du Hamas. Il ne saurait non plus invoquer le droit à la légitime défense puisqu’il ne respecte pas les principes de nécessité et de proportionnalité. En tout état de cause, un État occupant ne peut y recourir, si la menace émane du territoire occupé.
Au vu de tout ce qui précède, les signataires de cette tribune urgent donc tous les États à respecter leurs obligations de droit international : prévenir tout acte génocidaire envers les Palestiniens à Gaza et dans les autres territoires palestiniens occupés; mettre tout en œuvre pour maintenir un cessez le feu durable; imposer un embargo total sur les armes et des sanctions économiques à Israël; cesser tout type d’aide financière, militaire à Israël ou tout soutien passible de poursuites pour complicité de génocide et suspendre les accords de coopération avec Israël ; soutenir l’application des ordonnances de la CIJ ; arrêter les responsables contre lesquels un mandat d’arrêt a été émis par la Cour Pénale Internationale ; et poursuivre dans leurs systèmes judiciaires les personnes physiques et morales responsables et complices du génocide, notamment au titre de la compétence universelle.
Recherche et rédaction :
- Marie-Laure Guislain, avocate de formation, spécialisée dans les crimes internationaux en France, à l’origine notamment des plaintes pour complicité de crimes contre l’humanité contre Lafarge ou complicité de génocide contre BNP au Rwanda,
- Tamsin Malbrand, avocate de formation, spécialisée dans les crimes internationaux en France, à l’origine notamment de la plainte pour complicité de génocide contre BNP au Rwanda.
Contributeurs :
Joel Bedda, juriste en droit international pénal et humanitaire
Yasmina El Moussaid, juriste en droit international
Signataires :
Abdul Kadir, Refel, avocat, Royaume-Uni
Abramowitch, Laure, avocate, France
Al Subihat, Khaled, avocat, Jordanie
Alizada, Hakima, avocate en exil, Afghanistan
Alonso Merino, Alicia, juriste, Espagne
Andersland, Geir Kjell, avocat, Norvège
Angulo Quintana, Laura, avocate, France
Appelman, Marga, avocate retraitée, Pays-Bas
Arraf, Rawan, avocate, Australie
Atkins, Robert, avocat, Royaume-Uni
Barrière, Marina, juriste, France
Bartlam, Ciara, avocate, Angleterre et Pays de Galles
Ben Imran, Hassan, conseiller juridique et chercheur, Irlande
Bennat, Hadjer, juriste, France
Bergem, Siri, avocate, Norvège
Blanc, Michèle, avocate, France
Bodin, Thomas, avocat, France
Boeglin, Nicolas, professeur de droit international public, Faculté de droit, Université de Costa Rica UCR, San José, Costa Rica
Bonaglia, Matteo, avocat, France
Boukara, Nohra, avocat, France
Boumediene Thiery, Alima, avocate, France
Bourgeois, Emmanuelle, avocate, France
Bouyer, Bruno, avocat, France
Bowring, Bill, avocat, Angleterre
Braconnier Moreno, Laetitia, docteure en droit, France
Brahimi, Sarah, juriste, France
Brel, Julien, avocat à la Cour, France
Brengarth, Vincent, avocat au Barreau de Paris, France
Breyer, Lucie, chercheuse en droit, Belgique
Brion, Fabienne, professeur titulaire, Belgique
Brosnan, Leigh, avocat, Irlande
Bruschi, Myrtho, avocat honoraire retraité, France
Brygfjeld, Kjell, avocat de la Cour Suprême, Norvège
Burgos, Osvaldo, avocat, Argentine
Cahen, Nicole, avocat honoraire, Belgique
Caillet, Marie-Caroline, juriste, docteure en droit, France
Capron, Michel, professeur, France
Castiaux, Gérald, avocat, Belgique
Cebulak, Pola, professeur adjoint en droit, Pays-Bas
Chabaud, Alexandra, juriste en droit international, France
Chada, Raj, avocat, Angleterre
Chaudhry, Farheen, avocat, Londres, Angleterre, et Pays de Galles
Chopard-Hargas, Hélène, juge, France
Christ, Alexander, avocat, docteur en droit, Allemagne
Christian, Weaver, avocat, Royaume-Uni
Cloutier, Camille, avocate, Canada
Cochain, Dominique, avocat, France
Cociani, Francesca, avocat, Royaume-Uni
Corre, Salomé, juriste, France
Crokart, Hélène, avocate, Belgique
Crusoé, Lionel, avocat, France
Cunha Neto, Marconi, juriste, Brésil
Dabed, Emilio, professeur de droit, France/Palestine
Daieff, Guillaume, juge, France
Daly, Gary, avocat, Irlande
Damiano, Mireille, avocate, France
Daoud, Emmanuel, avocat au Barreau de Paris, France
De Moerloose, Bénédict, avocat, Suisse
Delwiche, Louise, avocate, Belgique
Deniz, Ozkil, avocat, Pays-Bas
Denolle, Anne-Sophie, enseignante-chercheuse, France
Derouet, Sarah, avocate de formation, France
Deswaef, Alexis, avocat et vice-président de la FIDH, Belgique
Di Meo, Veronique, juriste, France
Didi, Estelle, avocate, Belgique
Djata, Nora Dian Diang, avocate, Belgique
Djinderedjian, Karine, avocate, France
Donon, Océane, juriste, France
Drias, Amira, avocate, Canada
Dubinsky, Laura, avocate, Royaume-Uni
Dubois, Dalphée, rapporteure juriste, France
Ducos, Saskia, avocate, France
Ducuing, Charlotte, chercheuse post-doctorale, Belgique
Dufourcq, William, juriste, Paris
Dupont, Marie, juriste, France
Dutton, Sophia, avocat, Angleterre
Einarsen, Terje, professeur en droit international, Norvège
Elborno, Lara, avocat, France
Endresen, Bent, avocat de la Cour Suprême, Norvège
Erakat, Noura, professeur, États-Unis
Escobar, Sebastian, avocat, Colombie
Fanon Mendes France, Mireille, consultante juridique, France
Farheen, Farheen, avocat, Royaume-Uni
Fernández Aransay, Fernando, avocat, Espagne
Finch, Nadine, académicienne juridique, Angleterre
Fiorini, Benjamin, maître de conférences, France
Francos, Benjamin, avocat, France
Frulli, Micaela, professeur de droit international, Italie
Félim Ó Maolmhána, Félim, avocat, Irlande
Gaff, Angela, avocat, Royaume-Uni
Gafsia, Nawel, avocate, France
Gagliardini, Pauline, avocate, France
Gartland, Rose, avocat, Irlande
Gavarri, Bruno, juriste, La Réunion
Genot, Madeleine, avocate, Belgique
Ghosh, Sohinee, avocate, Paris
Gilot, Alice, avocate, Belgique
Godel-Rouschmeyer, Thelma, avocate, France
Goodman, Tom, avocat, Royaume-Uni
Goubau, Guerric, avocat, Belgique
Guedj, Caroline, avocat, France
Guiot, Lucie, avocate, Belgique
Haar Wilderink, Jade, avocat, Australie
Haigar, Lyne, avocate, France
Hala, Hala Abu Hijleh, avocat, Australie, Jordanie, Nations Unies
Hammad, Mura, avocat, Royaume-Uni
Hayez, Thomas, avocat, Bruxelles (Belgique)
Henry, Nolwenn, juriste, France
Hurel, Morgane, délégué à la protection des données, France
Icard, Philippe, universitaire, France
Jacotin, Salome, juriste, France
Jain, Meetali, avocat, États-Unis
James Henderson, James, chercheur, Royaume-Uni
Jeet, Jamal, avocat, Jordanie
Jegou, Guillemette, doctorante, France
Joychild, Frances, avocate, King's Counsel, Aotearoa Nouvelle-Zélande
Kamoun, Sara, avocate, France
Kay, Sarah, avocat, Irlande
Kermache, Yasmina, responsable juridique, France
Kerriou, Philippe, ancien secrétaire de CHSCT, France
Khaled, Al Masri, avocat, Droit
Khawari, Ali Reza, avocat en exil, Afghanistan
Kikas, Keiu, avocat, Angleterre
Kobbe, Anne, avocate, Norvège
Kulinowski, Léa, juriste, France
Kurtoglu, Kenan, traducteur judiciaire, Allemagne
Lacassagne, Sabine, avocate, France
Lafouge, Marion, avocate, Paris
Lanoy, Marine, avocate, Belgique
Lanthier-Veilleux, Annabelle, avocate, Montréal
Larsen, Tonje Lilaas, avocat, Norvège
Lassoie, Olivier, avocat, Belgique (Bruxelles) et Italie (Milan)
Lauriot, Elise, juriste, France
Leins, Kobi, docteur, Australie
Lenglet, Mathias, avocat, Paris, France
Lesfauries, Valentin, avocat - docteur en droit public, France
Lewis, Lilian, avocat, Royaume-Uni
Lidén, Emma, avocat, Suisse
Lino, Maya, avocat, France
Linus, Gardell, avocat, Suède
Lorant, Nicole, magistrat administratif, France
Lowy, Tamara, avocate, France
Lutze, Tobias, avocat, Allemagne
Lyon, Wendy, avocat, Irlande
Machover, Daniel, avocat, Angleterre
Madi, Rania, juriste, Suisse
Magis, Noël, juriste, France
Magnette, Elaine, avocate, Belgique
Maison, Rafaelle, professeur de Droit International, France
Marie, Jadoul, doctorante et chargée de cours invitée UCLouvain, Belgique
Marsacq, Loïc, juriste, France
Martin Cambon, Hélène, avocate, France
Masoud, Lucy, avocate, Angleterre
Mayo, Mélissane, juriste, France
McKay, Fiona, avocat, Royaume-Uni et international
Meloni, Chantal, conseillère juridique principale Ecchr, Berlin
Mena, Kenza, juriste, Suisse
Mensous, Chanez, juriste, France
Meystre, Benoit, avocat, Suisse
Mezzatesta, Vincent, juriste, France
Millou, Mariama, avocat, France
Miyar, Ghazal, docteur en droit (droits de l'homme), France
Mohammad Alaa All Hiyari, Alaa, avocat, Jordanie
Molin, Marie-Liesse, juriste, France
Mommer, Caroline, avocate, Belgique
Monnier, Laura, avocate, Paris
Moreau, Juliette, avocate, Belgique
Mostaert, Maude, avocate, Belgique
Mostyn, Piers, avocat, Grande-Bretagne
Mputu, Babaka, juriste, Suisse
Mustin, Léopold, avocat, Belgique
Müller Ceretti, Florencia, professeur, Argentine
Nawaiseh, Ibrahem, avocat, Jordanie
Obeidat, Omar, avocat, Irak
Oette, Lutz, professeur en droit international des droits de l'Homme, Londres, Royaume-Uni
Oner, Merve, avocat, candidat au doctorat, Pays-Bas
Ouled, Olfa, avocat, France
Owens, Declan, avocat, Irlande
Oyediran, Joanna, avocat, Angleterre et Pays de Galles
O’Shea, Elizabeth, avocat, Australie
Peden, Helen, avocat, Royaume-Uni
Peeva, Milena, avocate, Suisse
Pettifer, Wendy, avocate retraitée, Royaume-Uni
Pin Hamdi, Haïfa, professeur, France
Playfair, Emma, avocat, Royaume-Uni
Poissonnier, Ghislain, magistrat, France
Porteilla, Raphaël, professeur de science politique, France
Prieur, Cyril, avocat, France
Rajbenbach, Hanna, avocate, France
Ralle, Elise, avocate, France
Rambolamanana, Vony, juriste, Suisse
Ravey, Kathryn, consultante juridique, États-Unis
Reberteau Gouraud, Clarisse, juriste, France
Rolin, Xavier, avocat, Belgique
Roquain, Sylvie, ancienne avocate, juriste, France
Rudloff, Constance, avocate, France
Saunders, Emma, juriste, Royaume-Uni
Scheer, David, professeur, Belgique
Schmitt, Daisy, juriste, France
Schneegans, Vincent, avocat, France
Shaheen, Mohammad, avocat, Jordanie
Sobiecki, Monica, avocate, Royaume-Uni
Souron Cosson, Alix, avocate, France
Sterckx, Maay, juriste, France
Strickland, Melanie, avocat, Royaume-Uni
Sæther, Marit Lomundal, avocat, Norvège
Séguin, Lilia, juriste, France
Taylor, Mark Beaumont, chercheur, Norvège
Tesson, Jeanne, juriste, Paris
Teyssyre, Hélène, avocate, France
Tourme Jouannet, Emmanuelle, professeure, France
Turgeon, Rodrigue, avocat, Canada
Uzma Sadaf Bhatti, Uzma Sadaf, conseillère générale / avocat, Norvège
Vail, Elise, avocate, France
Van Beneden, Élise, avocate, France
Van Den Broeck, Mieke, avocat - avocat au barreau, Belgique
Van Der Plancke, Véronique, avocate et maître de conférence, Belgique
Van Edom, Justine, avocate, Belgique
Van Vyve, Antoinette, avocate, Belgique
Vannier, Camille, avocate, France
Vaz Semedo, Kelly, responsable juridique et contentieux Ghett’up, France
Verdicchio, Thibault, juriste, France
Villetard, Jim, avocat, France
Von Dewitz, Clivia, juge, France, Allemagne
Wangen, Juliette, juriste, France
Wawanoloath, Alexis, avocat, ancien conseiller au Conseil des Abénakis d'Odanak et ancien député d'Abitibi-Est, Québec (Canada)
Welchman, Lynn, professeur de droit, Londres - Royaume-Uni
Welkenhuysen, Simok, avocat, Belgique
Youchenko, Marlene, avocate, France
Younes, Josef Adam, avocat, Norvège
Zahnd, Patrick, professeur, France et Mexique
Zongo, Arzouma, chercheur, Belgique
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12- Des juristes français mettent en demeure la France pour prévenir le génocide à Gaza
L'Association des juristes français pour le respect du droit international (JURDI) demande des mesures concrètes pour éviter un génocide à Gaza. (ndr : bon, soyons précis, le génocide est déjà en cours !)
Par Webradio Media, le 7 mars 2025
Une association de juristes a "mis en demeure" la France vendredi pour qu’elle prenne des mesures "visant à prévenir le crime de génocide à Gaza", a-t-on appris auprès du conseil de l’association qui rassemble des avocats, magistrats et juristes, Me Vincent Brengarth. Cette action en justice émane de l’Association des juristes français pour le respect du droit international (Jurdi), qui souhaite rappeler à la France ses engagements.
La mise en demeure de l'Association des juristes français pour le respect du droit international
"Nous sommes contraints d’adresser ce jour à l’État français une mise en demeure (afin) de nous indiquer la manière dont il a, par des mesures concrètes, mis en œuvre depuis le 26 janvier 2024, l’obligation de prévenir la commission du crime de génocide par l’État d’Israël dans la bande de Gaza", a écrit l’Association des juristes français pour le respect du droit international (Jurdi) dans une lettre adressée au chef de l’État.
Les étapes précédant la saisie d'une juridiction compétente
Une mise en demeure est l’étape précédant la saisie éventuelle d’une juridiction compétente. L’association a regretté que ses précédents courriers soient restés "sans réponse". "Nous regrettons ce silence, qui nous apparaît en profond décalage avec les engagements de la France", estime l’association.
Les obligations de prévention du crime de génocide
"La mise en œuvre de l’obligation de prévention du crime de génocide implique de s’assurer de n’apporter aucune aide et assistance à la commission de ce crime, ce qui implique de s’assurer que l’État, les acteurs publics et privés français ne soient associés d’aucune façon à la commission de ce crime de génocide", indique l’association dans sa lettre.
Les décisions de la Cour internationale de justice
En janvier 2024, la Cour internationale de justice avait sommé Israël de prévenir tout éventuel acte de génocide et de permettre l’accès de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza.
Les conséquences de la campagne de représailles israélienne
Au moins 48 446 Palestiniens, majoritairement des civils, ont été tués à Gaza dans la campagne de représailles de l’armée israélienne, selon les chiffres du gouvernement du Hamas à Gaza, fiables selon l’ONU.
Cette mise en demeure souligne l'importance des engagements internationaux de la France et rappelle la nécessité de prévenir les crimes de génocide, en particulier dans des zones de conflit comme Gaza.
◾️ ◾️ ◾️
13- William Schabas, éminent spécialiste des génocides & avocat, dénonce la politique du deux poids deux mesures
"Ceux qui commettent des génocides sont nos ennemis, pas nos amis" : William Schabas, éminent spécialiste des génocides et avocat, dénonce la politique de deux poids deux mesures adoptée quand il s'agit de dénoncer les crimes horribles commis par Israël à Gaza.
The New Arab a rencontré l'avocat William Schabas qui explique les raisons pour lesquelles le génocide perpétré par Israël à Gaza, y compris sa rhétorique d'autodéfense, a peu de chances d'aboutir devant les tribunaux.
Par Sebastian Shehadi, le 11 mars, 2025, The New Arab
En tant qu'universitaire et juriste, rares sont les spécialistes à avoir étudié le génocide comme William Schabas l'a fait pendant plus de 35 ans.
Au début de sa carrière, il a été l'une des premières voix occidentales à mettre en garde contre l'imminence d'un génocide au Rwanda en 1993. Aujourd'hui, il est professeur de droit international à l'université de Middlesex et professeur de droits de l'homme internationaux à l'université de Leiden.
Né au Canada, Schabas, qui a perdu des parents dans l'Holocauste, siège également au conseil consultatif de l'Israel Law Review et du Journal of International Criminal Justice, et a publié des dizaines d'ouvrages, dont Genocide in International Law : The Crime of Crimes (Cambridge University Press).
En tant que juriste, Schabas a été l'un des commissaires de la Commission vérité et réconciliation de la Sierra Leone, qui a présenté son rapport aux Nations unies en 2004, ainsi que commissaire de la Commission vérité du Tribunal pénal international pour l'Iran en 2012. Deux ans plus tard, il a été nommé à la tête d'un comité de l'ONU chargé d'enquêter sur le rôle d'Israël dans la guerre de Gaza de 2014, avant de s'impliquer dans l'affaire opposant la Croatie et la Serbie devant la Cour internationale de justice (CIJ), concernant des allégations de génocide.
En 2019, Schabas a représenté l'État du Myanmar devant la CIJ, soutenant que les crimes contre les Rohingyas n'atteignaient pas le seuil du génocide, suscitant des critiques de la part de ses amis et de ses ennemis. À propos de ces critiques, Schabas a déclaré à Reuters : "Je suis engagé en tant qu'avocat, ils sont mes clients... Les deux parties ont le droit d'être représentées de manière compétente".
The New Arab s'est entretenu avec William Schabas pour en savoir plus :
Quel est le consensus parmi les spécialistes du génocide en ce qui concerne Gaza ?
Dans beaucoup d'études sur le génocide, les gens sont (maintenant) assez disposés à décrire ce qui se passe en Palestine comme un génocide. Il y a probablement un grand contingent de juristes internationaux qui le font aussi, bien que moins, les juristes internationaux ayant généralement une mentalité du type "attendons de voir ce que dira le tribunal".
Mais il est difficile pour les universitaires, en tout cas dans les pays occidentaux, de faire cet appel sans payer un prix potentiel pour la condamnation du génocide israélien. Un prix en termes de promotions de carrière, de nominations, voire de menace de licenciement dans certains cas. Les jeunes universitaires ont donc fortement tendance à faire profil bas.
Une partie du problème dans ce domaine réside dans le fait que les études sur le génocide sont souvent liées au département d'études sur l'Holocauste des universités. Cela a selon moi contribué à alimenter la réticence à qualifier ce qui se passe à Gaza de génocide, car beaucoup de ces personnes se concentrent sur les souffrances du peuple juif, ce qui les rend potentiellement moins enclines à être aussi critiques qu'elles le devraient à l'égard d'Israël.
Comment se fait-il que vous ne craigniez pas de perdre votre emploi pour avoir dénoncé le génocide israélien ?
J'aimerais dire que c'est parce que j'ai des principes. Ou peut-être que j'ai 74 ans et que je n'ai plus grand-chose à perdre.
Comment analysez-vous le fait que l'Occident soit si incapable d'utiliser le mot "génocide" concernant Gaza ?
Nous vivons dans un monde où le terme de génocide est utilisé de manière créative et large à des fins politiques, et où il est rejeté et nié pour les mêmes raisons. Ainsi, il y a quatre ans, le gouvernement américain a publié des déclarations condamnant la Chine pour un génocide contre les Ouïghours. Les États-Unis n'ont eu aucun scrupule à dénoncer ce génocide, pas plus que le Royaume-Uni, alors que la Chine n'a jamais tué des dizaines de milliers de civils, comme Israël l'a fait à Gaza.
Ils parleront de génocide lorsque cela les arrange politiquement, parce que la Chine est considérée comme une menace et un pays à attaquer. Mais ils ne l'appliqueront pas lorsqu'il s'agit d'un de leurs amis, comme Israël.
Biden a parlé d'un génocide perpétré en Ukraine par les Russes. C'est une affirmation absurde. Et ensuite, lorsque l'Afrique du Sud revendique un génocide contre Israël, ils le rejettent comme étant sans fondement et frivole ; Starmer et Lammy se contredisent et déclarent que "de telles revendications devraient être laissées à l'appréciation des tribunaux".
Ces hommes politiques reconnaissent volontiers les génocides perpétrés contre les Juifs, les Arméniens, les Rwandais et les Musulmans bosniaques, mais ils n'osent plus dénoncer les agissements d'Israël. S'ils peuvent qualifier les autres cas de génocide, ils devraient, selon la même logique, remettre en question ce qu'Israël fait subir aux Palestiniens. Ces deux poids, deux mesures sont flagrants.
Un jour, les pays occidentaux reconnaîtront tous que ce qui s'est passé à Gaza est un génocide. Ce sera comme l'apartheid en Afrique du Sud, lorsque l'Occident s'est tu des décennies durant, puis a soudainement pris conscience de la situation lorsqu'il a estimé qu'il n'y avait aucun risque à le faire.
Quels sont les facteurs qui vous amènent à penser qu'un génocide a lieu à Gaza ?
Lorsque j'ai visité le Rwanda au début de 1993, environ 15 mois avant le véritable génocide (dans le cadre d'une mission d'enquête), nous avons averti les Nations unies d'un génocide parce que des déclarations très visibles appelaient à la destruction d'un groupe et que de véritables massacres étaient commis avec la bénédiction des plus hautes autorités du pays.
Il s'agissait d'une combinaison de ces facteurs, et je vois la même chose à l'œuvre à Gaza. Il suffit de prendre la déclaration tristement célèbre de Yoav Gallant selon laquelle Israël prive Gaza d'eau, de nourriture, d'électricité et de carburant - ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres. Mais dénoncer un génocide n'est pas une simple formule sur votre téléphone. Nous interprétons la convention des Nations unies sur le génocide à la lumière de la manière dont elle a été interprétée dans le passé. Il apparaît que l'intention des dirigeants d'Israël est de détruire le peuple palestinien, et en particulier la population de Gaza.
Quelle stratégie sera la plus efficace pour ceux qui poursuivent Israël en justice ?
Il serait utile que le tribunal adopte une interprétation plus large de la définition du génocide que celle adoptée dans les affaires précédentes. Dans certains cas de génocide dans les Balkans, la CIJ a appliqué une définition assez étroite. Mais de nombreux éléments laissent penser que cela ne se reproduira pas, étant donné le nombre de pays qui interviennent dans la procédure et demandent une interprétation plus large.
Fin 2023, le Royaume-Uni, le Canada, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark sont intervenus pour demander à la CIJ d'adopter une approche plus souple de la convention sur le génocide, afin qu'il soit plus facile de prouver l'intention génocidaire. Ils ont plaidé cette cause dans l'affaire du Myanmar, où ils entendaient étayer l'argument selon lequel le Myanmar commettait un génocide. Ils ne pouvaient pas savoir ni prévoir que, quelques mois plus tard, l'Afrique du Sud porterait plainte contre Israël et que tous leurs arguments seraient utiles à l'Afrique du Sud et très défavorables à Israël. C'est quelque chose que nous voyons se dérouler à la CIJ, ce qui renforce l'idée que la Cour adopte un point de vue plus large sur le génocide.

Que répondez-vous à l'argument israélien selon lequel "nous ne commettons pas de génocide, nous sommes en guerre" ?
Si l'on se réfère au génocide des Arméniens par les Ottomans pendant la Première Guerre mondiale ou au génocide des Juifs par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, tous deux, et d'autres encore, ont été perpétrés dans le contexte d'une guerre, cet argument n'aura pas beaucoup de succès devant la CIJ.
Israël pourrait également affirmer que les membres de son gouvernement ayant fait des déclarations génocidaires sont des personnes marginales. Mais dans tous les génocides reconnus, on trouve des personnes idéologiquement fanatiques et d'autres faisant simplement leur travail. Le mantra de la légitime défense d'Israël n'ira pas non plus très loin devant les tribunaux. Il s'agit là d'un argument familier. Encore une fois, presque tous les cas reconnus de génocide impliquaient des auteurs affirmant se battre en état de légitime défense.
Que répondez-vous à l'argument israélien selon lequel : "Notre ratio combattants tués/civils tués n'est pas aussi mauvais que celui des guerres américaines et britanniques en Irak" ?
Ils disent : "Nous ne sommes pas aussi mauvais que vous". Cela n'ira pas loin devant les tribunaux. La règle de proportionnalité (telle qu'elle est connue dans le droit international) s'applique lorsque vous attaquez réellement des objectifs militaires. Or, les Israéliens ne s'attaquent pas à des objectifs militaires à Gaza. Ils frappent des hôpitaux, des écoles, des résidences et des communautés civiles.
La question de la proportionnalité ne se pose donc pas. Les Israéliens ne devraient pas attaquer ces sites et avancer l'excuse pathétique que les combattants du Hamas se cachent sous chaque bâtiment, ce dont nous n'avons tout simplement pas de preuve.
Dans quelle mesure les États-Unis sont-ils responsables des actions d'Israël ?
Nous ne devons absolument pas sous-estimer la participation directe des États-Unis à ce qui se passe. Ils aiment dépeindre l'ensemble comme une tentative de tenir en laisse ce chien enragé avec lequel ils sont amis. Mais en réalité, ils donnent de la viande rouge au chien enragé. C'est leur chien, et rien de tout cela ne serait arrivé s'ils ne l'avaient pas permis.
C'est la politique américaine qui est à l'œuvre. Ils veulent contrôler une partie du monde. Ils ont divers intérêts financiers, politiques et militaires au Moyen-Orient et, depuis les années 1940, leur principale politique a consisté à conserver un allié militaire puissant dans la région à travers Israël, un "État occidental" auquel ils font pleinement confiance, ce qui n'est pas le cas avec un État arabe.
Les médias et la classe politique occidentaux ont notamment justifié les actes d'Israël en décrivant ce qui s'est passé le 7 octobre avec des mots tels que "barbare". C'est un exemple classique de forces européanisées qui cherchent à diaboliser les peuples d'autres régions du monde en suggérant qu'ils ne sont pas civilisés, qu'ils ne se battent pas selon les mêmes règles et qu'ils se livrent à des activités sauvages et primitives.
C'est une vision profondément raciste. Elle est caractéristique de la propagande américaine et britannique depuis très longtemps. Et selon moi, c'est une caractéristique de la façon dont ils ont parlé des Palestiniens en général, et pas seulement de ceux qui ont participé à l'attaque du 7 octobre 2023.
Quelle est, selon vous, la stratégie d'Israël pour l'avenir ?
Ils ont fait de Gaza un endroit inconcevable et je crains que la situation ne s'aggrave de plus en plus. En Cisjordanie, la même chose se produira avec la poursuite du mouvement des colons.
Israël est un pays qui s'est construit dans une large mesure sur l'usage de la force contre des populations dont on avait volé les terres. Ces actions ont influencé tout ce qui s'est passé depuis lors. Ils ont eu l'occasion d'essayer de parvenir à des accords et de revenir au processus d'Oslo. À l'époque, certains acteurs israéliens étaient prêts à essayer de trouver une voie pacifique. Il n'y a pas de raison intrinsèque pour que les deux peuples ne puissent pas coexister. Mais Israël a été absolument incapable de faire les compromis radicaux indispensables pour vivre en paix avec les Palestiniens.
Sebastian Shehadi est journaliste indépendant et collaborateur au New Statesman Suivez-le sur X : @seblebanon
📰 https://www.newarab.com/features/william-schabas-genocide-others-why-not-gaza?s=09
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14- Je reviens de Cisjordanie, la vie y est sans cesse plus INSOUTENABLE
Fil de Ludivine Bantigny* en réponse à ce tweet de Gabriel Attal :
Arrivé en Israël.
Pendant plusieurs jours, je rencontrerai des acteurs politiques, économiques, associatifs, pour évoquer les relations franco-israéliennes et les initiatives à défendre pour la stabilité dans la région.
Je me rendrai sur les lieux où ont été perpétrées les attaques du 7 octobre, aux côtés des survivants et des familles de victimes.
Ce déplacement a commencé ce soir par une rencontre avec nos compatriotes établis en Israël. Un échange franc, direct, constructif.
Thread Twitter de Ludivine Bantigny, le 14 mars 2025
De mon côté je reviens de Cisjordanie. La vie y est sans cesse plus INSOUTENABLE : personnes sans armes tuées sans sommation, enfants abattus sous les yeux de leurs parents, habitants empêchés de circuler dans leur propre ville, parfois sous peine de mort. Un fil pour raconter
Chaque année quand on se rend à Jérusalem-Est, dans les villages alentours et en Cisjordanie, on voit la colonisation progresser de manière vertigineuse et terrible. Ces quartiers, ces rues, ces terres deviennent alors doublement inaccessibles aux Palestiniens : volés et dangereux
Toute personne palestinienne qui s'approche de ces terres colonisées risque une atteinte grave à son intégrité physique voire à sa VIE. Qu'on lise bien : d'immenses territoires de la Cisjordanie sont inaccessibles aux Palestiniens sous peine de mort (être abattu sans sommation).
En Cisjordanie des routes entières, pourtant décisives pour circuler, sont strictement interdites aux Palestiniens et réservées aux colons. Quiconque s'en approche se met en danger. Les Palestiniens doivent faire des détours parfois considérables pour aller d'un village à l'autre.
Un deuil a frappé la famille où je me trouvais (dans la région d'Hébron). Malgré leur fervent souhait d'assister aux funérailles, ces personnes en ont été privées parce que c'était en pratique impossible : des barrages menaçants de l'armée d'occupation bloquaient les routes.
On connaît de longue date l'arbitraire total imposé à la population palestinienne par l'armée d'occupation. Mais les intimidations violentes se sont considérablement aggravées y compris depuis le cessez-le-feu lui-même très fragile comme l'indiquent les menaces de Netanyahou.
Cela signifie au quotidien que vous ne pouvez jamais savoir si vous allez pouvoir circuler ou non sur votre propre terre, dans votre propre ville, si vous allez pouvoir parcourir la dizaine de km que vous devez faire chaque jour. Cela rend la vie infernale. Et il y a pire ...
Il y a non seulement les tentatives d'humiliation et d'intimidation permanentes, les fouilles, les menaces. Mais la mort, infligée comme si elle était banale, même sur des enfants de 13 ans comme ça a été le cas dans le nord de la Cisjordanie encore ces dernières semaines.
Le gouvernement israélien entend expulser toute la population palestinienne des "camps de 48". Ces camps sont de petits villages, villes, communautés où s'est installée la population chassée de chez elle lors de l'épuration ethnique décrite par Illan Pappé dans son livre Le nettoyage ethnique de la Palestine (voir mon tweet du 31 décembre 2023 ici).
C'est une catastrophe : ce sont des dizaines de milliers de personnes qui sont chassées du lieu où elles vivent depuis des décennies, parfois depuis toujours. En réalité, il s'agit bel et bien et rien de moins que d'expulser les Palestiniens de la Palestine. Avec des horreurs.
Par exemple, il y a trois semaines, lors des expulsions brutales menées dans les camps de Jenine, une femme est revenue devant l'entrée du camp parce que tout simplement elle voulait RENTRER CHEZ ELLE. Elle a été abattue, sauvagement. C'est l'horreur absolue. Chaque jour.
Existence "invivable", que la population palestinienne endure malgré tout, avec un courage immense. On se l'imagine mal. Il faut se rappeler notamment que les Palestiniens de Cisjordanie ne peuvent pas se rendre dans les villes "palestiniennes" situées sur le territoire israélien
Des villes "palestiniennes" en Israël parce qu'elles sont habitées quasi totalement par des populations arabes (que là-bas on n'appelle pas arabes mais palestiniennes). Exemple: Nazareth, inaccessible aux Palestiniens de Cisjordanie, leurs frères, leurs cousins, leurs voisins.
Mais au sein même de la Cisjordanie, des Palestiniens ne peuvent pas se rendre dans la ville voisine. Par exemple la vieille ville d'Hébron est sous contrôle de l'armée israélienne et les habitants des villes et villages voisins ne peuvent pas y accéder, sauf rares exceptions.
Et puis il y a à Hébron, cette ville magnifique, historique, des zones entières strictement interdites aux HABITANTS MÊMES de la ville. Des zones colonisées, dont les habitants ont été chassés et dont ils ne peuvent plus approcher sous peine d'atteinte à leur vie.
J'ai rencontré à Hébron un vieux monsieur qui avait été à l'école non loin de l'endroit où se trouve aujourd'hui encore sa petite boutique (où par ailleurs il n'y a plus personne: plus de touristes, plus de pèlerins). Cette école a été prise par l'occupant israélien. Fortifiée
Dans la vieille ville d'Hébron, les habitants palestiniens sont obligés de tendre des filets au-dessus de certaines ruelles et marchés parce que des résidents des zones colonisées, sur les hauteurs, leur jettent des détritus voire des excréments.
D'autres territoires situés EN CISJORDANIE ne sont pas accessibles aux PALESTINIENS DE CISJORDANIE (est-ce qu'on arrive à bien se le représenter?) Par exemple non loin de Jéricho, les rives du Jourdain sont sous haute surveillance de l'armée d'occupation israélienne, interdites.
Ce sont des violences permanentes, qu'on peine à imaginer. J'avais déjà raconté ici ce qui est arrivé récemment à un de mes amis, paysan dans une coopérative de raisin, à qui l'armée coloniale du jour au lendemain décide d'interdire une route. Avec une brutalité sans nom.
Arrêté parce qu'il a emprunté cette route où il passait tous les jours et depuis toujours, comme ses parents et grands-parents. Menotté et attaché à son tracteur, laissé comme ça pendant des heures, en pleine nuit, près d'un mirador menaçant qui est toujours un risque de mort.
Ou, plus tard, attaqué à cinq contre un par des colons qui lui ont cassé plusieurs dents parce qu'il leur résistait en les empêchant de s'installer sur sa parcelle de vigne (celle de ses ancêtres). Dormant la nuit dehors sur cette parcelle pour la protéger de la prédation.
La vie économique est rendue catastrophique par l'occupation renforcée. Évidemment. Quand vous êtes bloqué toute une journée ou plusieurs jours dans une ville ou un village parce que l'armée a fermé les routes, ce que vous fabriquez ou récoltez ne peut être vendu ou distribué.
La situation est terriblement aggravée par le renforcement de l'occupation et le fait qu'il n'y ait plus du tout de touristes ou de pèlerins, et très peu de personnes venues aider dans des réseaux de solidarité active. Bethléem, vide ; Jéricho, privée de ses habituels visiteurs.
Les dangers très graves s'amoncellent sur la population palestinienne de Cisjordanie -je fais ce fil sur ce que j'ai vu directement, sans même parler des atrocités à Gaza. Outre l'expulsion massive et violente des camps de 48, Netanyahou menace plus que jamais d'annexer la zone C.
Ce serait une annexion israélienne totale dans cette partie de la Cisjordanie (plus de 60% du territoire) déjà occupée, mais où il reste beaucoup de terres agricoles (souvent de petites parcelles) cultivées par les familles palestiniennes. Vignes et oliveraies en particulier.
Peut-on imaginer le désastre que ce serait, ajouté à la catastrophe plus générale dans l'ensemble de la Palestine ? Cela signifierait que, dans une petite ville, officiellement les Palestiniens pourraient continuer d'habiter leurs maisons, mais seraient spoliés de leurs terres.
Autre population particulièrement touchée par les exactions de l'armée d'occupation israélienne: les populations bédouines du désert du Néguev/Naqab. Privées de ressources, beaucoup deviennent sédentaires dans des habitats misérables, que j'ai vus: vraiment, quasi invivables.
Depuis le début de l'année, soldats et bulldozers israéliens ont détruit par 3 fois les tentes et minuscules maisons des communautés bédouines d'Al-Araqib. Les familles se retrouvent sans ressources. Des coopératives agricoles palestiniennes leur apportent régulièrement de l'aide.
Il y a une semaine 2 écoles de la communauté bédouine ont été démolies à Ararat An-Naqab & Az-Zarnuq. Elles s'ajoutent aux destructions pratiquées chaque jour à Naplouse, Jenine, Tulkarem … Et aux écoles détruites en Cisjordanie (comme celle de Yatta près d'Hébron, en juillet).
Comment aider ? Via les réseaux de solidarité (relayés notamment par l'Association France Palestine Solidarité @AFPSOfficiel). Et en y allant. Vraiment. Parce qu'aujourd'hui la population palestinienne de Cisjordanie est très, très isolée, il est très important d'y retourner.
D'après l'UNICEF, tous les deux jours un enfant a été tué en Cisjordanie, en moyenne, depuis octobre 2023. "Les enfants expriment leur peur de se promener dans leur quartier ou de se rendre à l’école".
J'ajoute deux commentaires faits à ce fil de Ludivine Bantigny, tous deux révoltants mais pour des raisons totalement opposées :
Celui de @SianAlma :
"C'est parce que vous êtes antisémite que vous dites ça".
Ce à quoi Ludivine Bantigny répond :
"C'est ignoble. Et vous semblez ne pas même vous rendre compte du mal que vous faites à la lutte contre l'antisémitisme avec une telle accusation."
Et celui de @arabeducoin :
"Hebron H2 : 30 000 habitants palestiniens enfermés par Tsahal dans leurs quartiers, surplombés par 700 colons israéliens qui leur balancent leurs déchets (y compris organiques) dessus depuis les étages supérieurs, sous la protection des snipers. Faut le voir pour le croire".
Ludivine Bantigny est une historienne et universitaire française, spécialiste des mouvements sociaux et des engagements politiques, autrice notamment de "1968, de grands soirs en petits matins", "Révolution", "La Commune au présent" et co-autrice d'"Une histoire globale des révolutions". Elle a été maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'université de Rouen-Normandie. Depuis septembre 2021, elle enseigne en lycée puis en collège, actuellement au Collège Guy-Flavien dans le 12ème arrondissement de Paris.
Je l'ai rencontrée a plusieurs reprises, principalement pour la cause Assange.
Retrouvez les publications de ce blog de ou relatifs à cette historienne en tapant Ludivine Bantigny dans la petite loupe de reccherche en haut à droite via ce lien, notamment "L'ensauvagement du capital".
📰 https://x.com/LBantigny/status/1900272404473016740
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15- The Lancet : Le génocide perpétré par Israël a réduit de moitié l'espérance de vie à Gaza
Une espérance de vie inférieure à celle de n'importe quel autre pays du monde.
Par André Damon, le 31 janvier 2025, World Socialist Web Site
L'espérance de vie à Gaza a chuté de près de 50 % au cours de la première année du génocide israélien dans l'enclave assiégée, selon une étude publiée dans le Lancet.
L'étude, dirigée par Michel Guillot, professeur de sociologie à la School of Arts & Sciences de l'université de Pennsylvanie, a révélé que l'espérance de vie à Gaza a chuté de façon stupéfiante de 34,9 ans, effaçant ainsi plus d'un siècle de progrès en matière d'espérance de vie en une seule année.
Pour les hommes, l'espérance de vie qui était de 73,6 ans avant la guerre est tombée à 35,6 ans, soit une baisse de plus de 50 %. Pour les femmes, l'espérance de vie est passée de 77,5 ans à 47,5 ans.
À titre de comparaison, l'espérance de vie à la naissance est de 54,46 ans au Nigeria, pays qui affichait auparavant l'espérance de vie la plus faible. Les résultats de l'étude indiquent que la population de Gaza a aujourd'hui une espérance de vie inférieure à celle de n'importe quel autre pays du monde.
Ces conclusions montrent clairement que la guerre d'Israël à Gaza n'est pas une guerre, mais un génocide, qui ne vise aucun objectif militaire, mais vise à tuer le plus grand nombre possible de Palestiniens et à détruire la plus grande partie possible de Gaza afin de procéder à un nettoyage ethnique du territoire, de le coloniser et de l'annexer au "grand Israël".
Tel est l'objectif de l'État israélien depuis la Nakba de 1948-1949 et son modus operandi depuis des décennies, y compris l'occupation illégale des territoires palestiniens en 1967. Avec le soutien de l'administration Biden, le gouvernement de Benjamin Netanyahou a initié un génocide à grande échelle en octobre 2023, en utilisant les attentats du 7 octobre comme prétexte.
Les chiffres de la dernière étude du Lancet sont probablement largement sous-estimés, car ils ne tiennent pas compte des morts non comptabilisés dans les statistiques officielles du gouvernement ou ceux dus à la politique délibérée d'Israël en matière de famine, de déshydratation et de destruction de l'infrastructure médicale de Gaza. L'étude se fonde sur les données du ministère de la santé de Gaza, qui estime que les forces israéliennes ont directement tué 45 936 Palestiniens (ndr : cet article est de janvier 2025).
Les auteurs ont noté que "notre approche de l'estimation de perte d'espérance de vie dans cette étude est conservatrice car elle ignore l'effet indirect de la guerre sur la mortalité... Les pertes réelles sont probablement plus élevées".
Au début du mois, une autre étude publiée dans le Lancet estimait que les Palestiniens morts à Gaza par balles et sous les bombes israéliennes "dépassaient probablement les 70 000". Une étude antérieure du Lancet suggérait que la mortalité toutes causes confondues due au génocide, y compris la malnutrition et les maladies, pourrait s'élever à 186 000 voire davantage.
En novembre, le Bureau des droits de l'homme des Nations unies a publié un rapport faisant état de près de 70 % de femmes et d'enfants parmi les décès vérifiés à Gaza, soulignant ainsi davantage la réalité d'un génocide perpétré par Israël dans la bande de Gaza.
Alors qu'un cessez-le-feu a été instauré à Gaza le 19 janvier, les forces israéliennes poursuivent leurs raids et leurs bombardements quotidiens en Cisjordanie.
Dans une déclaration, le porte-parole des Nations unies, Stéphane Dujarric, a appelé Israël à cesser son offensive militaire en Cisjordanie, centrée sur la ville de Jénine. L'ONU "reste profondément préoccupée par la situation humanitaire dans le nord de la Cisjordanie alors que les opérations israéliennes à Jénine se poursuivent pour la onzième journée....La quasi-totalité des 20 000 résidents du camp de réfugiés de Jénine ont été déplacés au cours des deux derniers mois dans le cadre d'opérations de sécurité".
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou se rendra à Washington la semaine prochaine pour deux réunions avec le président américain Trump mardi. "Je peux confirmer que le Premier ministre Netanyahou sera ici le mardi 4 février pour une réunion de travail et une visite avec le président", a déclaré la secrétaire de presse de la Maison Blanche, Karoline Leavitt.
Malgré le cessez-le-feu nominal à Gaza, le gouvernement israélien, en coordination avec l'administration Trump, fait de nouveau pression pour expulser le peuple palestinien de Gaza.
Le week-end dernier, Donald Trump a demandé à Israël de "nettoyer" Gaza de ses habitants arabes, appelant ouvertement au nettoyage ethnique. "Vous parlez probablement d'un million et demi de personnes, et nous allons simplement nettoyer tout cela", a déclaré le président américain.
Par cette déclaration, l'État américain embrasse ouvertement et publiquement la politique actuelle du gouvernement de Netanyahou, à savoir l'extermination et l'élimination systématiques de la population palestinienne de Gaza. Lundi, Trump a réitéré son appel au nettoyage ethnique de Gaza, déclarant qu'il "aimerait que [les Palestiniens de Gaza] vivent dans une zone où peuvent le faire sans perturbations, sans révolution et sans violence".
Mercredi, l'envoyé du président américain au Proche-Orient, Steve Witkoff, a rencontré le premier ministre israélien pour discuter, selon le Times of Israel, de "l'idée de Trump d'envoyer la population de Gaza en Jordanie et en Égypte".
Le Times of Israel a rapporté : "la réunion a duré deux heures et demie, et a cité des hauts fonctionnaires israéliens qui ont dit que les fonctionnaires ont discuté des grandes lignes possibles pour le transfert de la population de Gaza, conformément à la suggestion répétée du président américain que des millions de Gazaouis devraient se réinstaller en Égypte et en Jordanie afin de permettre la reconstruction de la bande".
Le projet de Trump de procéder à un nettoyage ethnique de Gaza constituerait une violation majeure du droit international. Lors d'une conférence de presse lundi, le porte-parole de l'ONU, Stéphane Dujarric, a condamné les appels du président américain : "Nous sommes opposés à tout plan qui conduirait au déplacement forcé de personnes ou à tout type de nettoyage ethnique".
Michael Becker, professeur de droit international des droits de l'homme au Trinity College de Dublin, a déclaré à Al Jazeera : "La proposition de relocaliser les Palestiniens de Gaza dans les États voisins ressemble à un déplacement forcé, ce qui violerait le droit international humanitaire".
Et de poursuivre : "Les tribunaux internationaux ont également estimé que la question de savoir si un transfert de population constitue un déplacement forcé dépend du fait que les personnes ont un véritable choix en la matière... Cela signifie que même si certains Palestiniens semblent consentir à la relocalisation, cela ne rendrait pas nécessairement leur déplacement licite".
📰 https://www.wsws.org/en/articles/2025/02/01/tjvd-f01.html
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16- Le rapport accablant de l'ONU révèle la culture israélienne du viol qui échappe à tout contrôle
Netanyahou qualifie le Conseil des droits de l'homme d'"organe antisémite, pourri, soutenant le terrorisme et non pertinent"
Ce comportement n'est pas celui d'un pays légitime.
Par Ricky Hale, le 14 mars 2025, Council Estate Media
Un rapport des Nations unies (ndr : de 49 pages) révèle qu'Israël a recours au viol et à la torture d'hommes, de femmes et d'enfants en tant qu'armes de guerre, non seulement pour humilier et supplicier les victimes, mais aussi pour instiller la peur au sein de l'ensemble de la population civile et la chasser de son territoire. En d'autres termes, il ne s'agit pas seulement de crimes individuels contre l'humanité, mais d'un effort de guerre psychologique contre chaque Palestinien.
Les médias occidentaux ont rendu compte de cette affaire de manière inquiétante, en accordant la même importance aux multiples preuves recueillies par la commission de l'ONU et aux dénégations d'Israël. Imaginez un instant leur réaction si ces accusations étaient portées à l'encontre de la Russie...

En réponse au rapport de l'ONU, Netanyahou a qualifié le Conseil des droits de l'homme d'"organe antisémite, pourri, soutenant le terrorisme et non pertinent". Avez-vous remarqué qu'Israël est en désaccord avec littéralement tous les groupes de défense des droits de l'homme ? Peut-être que ce ne sont pas les groupes de défense des droits de l'homme qui posent problème, peut-être qu'il s'agit simplement d'Israël.
On pourrait penser qu'une telle pensée aurait déjà effleuré les médias occidentaux, n'est-ce pas ? Ils voudraient vous faire croire que le rapport du Conseil des droits de l'homme, légalement mandaté, n'est qu'une accusation lancée au hasard par une personne animée par la haine des Juifs. Tout ce que je peux vous dire, c'est que vous pouvez lire le rapport et vous faire votre propre opinion.
La presse occidentale n'a trouvé aucune place pour le doute lorsqu'il s'est agi d'accuser, sans preuves, des viols en masse le 7 octobre. On nous a dit que ces accusations avaient été confirmées par un autre rapport de l'ONU, mais vous ne serez pas surpris d'apprendre que cette affirmation n'est pas tout à fait exacte. Les allégations proviennent d'un rapport de Pramila Patten, mais nous y reviendrons plus tard. Il suffit de savoir que les médias sont ravi de se référer aux rapports de l'ONU pour étayer leurs récits et de les minimiser s'ils ne le peuvent pas et que ça les arrange.
La commission de l'ONU note que les rapports de viols massifs ont été utilisés pour motiver les soldats israéliens en qualifiant le Hamas de "régime violeur", l'implication étant que "le Hamas viole nos femmes, il est donc normal de violer les leurs". Il fait référence à l'histoire de Dinah (une victime de viol biblique) pour expliquer comment, dans la culture israélienne, le viol est perçu comme une menace pour la collectivité dominée par les hommes, et nécessite une vengeance. L'histoire de Dinah est souvent invoquée par les soldats pour justifier leurs actions.
Les médias mainstream ont incontestablement joué un rôle dans la motivation des soldats israéliens à commettre des viols de vengeance, il n'est donc pas surprenant qu'ils préfèrent ne pas mettre l'accent sur ces derniers.
En ce qui concerne les viols de masse perpétrés par Israël, les mainstream ont soudain jeté le doute sur des crimes contre l'humanité avérés. Comme le souligne le Conseil des droits de l'homme, les crimes liés à la violence sexuelle, procréative et sexiste sont considérés comme l'un des plus graves en vertu du statut de Rome. Seuls les pires criminels de guerre se livrent à de tels actes et Israël les perpètre systématiquement tandis que la presse occidentale les minimise afin de se dédouaner de toute responsabilité.
Le rapport du Conseil des droits de l'homme du 7 octobre indique que la commission a sollicité des preuves de viols massifs et n'a reçu aucune réponse. La commission a expliqué ne pas avoir pu vérifier les rapports de viols et de mutilations génitales émanant de journalistes et de la police israélienne. Elle a indiqué qu'un rapport distinct réalisé par Pramila Patten (non légalement mandaté) faisait état de viols et de violences sexuelles et a donc demandé que ces allégations fassent l'objet d'une enquête. L'impartialité de Pramila Patten suscite des inquiétudes en raison de son amitié avec Ruth Halperin-Kaddari, propagandiste au sein du ministère israélien des affaires étrangères.
S'il est tout à fait possible que des viols et des violences sexuelles aient eu lieu le 7 octobre, rien n'a été prouvé jusqu'à présent, et l'affirmation selon laquelle le Hamas s'est livré à une vague de viols en masse semble de ce fait peu plausible.
Comparez le rapport de l'ONU sur le 7 octobre avec celui portant sur les viols perpétrés par Israël depuis le 7 octobre. Soudain, le langage est sans ambiguïté, décrivant le traitement des Palestiniens comme "dépassant ce qu'un être humain peut supporter".
La commission de l'ONU a déclaré :
"La fréquence, la prévalence et la gravité des crimes sexuels et à caractère sexiste perpétrés dans les territoires palestiniens occupés amènent la commission à conclure que la violence sexuelle et à caractère sexiste est de plus en plus utilisée comme méthode de guerre par Israël pour déstabiliser, dominer, opprimer et détruire le peuple palestinien".
Nous savons que nombre des affirmations de ce rapport sont vraies, car elles sont étayées par des vidéos, des aveux et autres preuves à l'appui. Il s'agit notamment de nudité publique forcée, de harcèlement sexuel, de menaces de viol et d'agressions sexuelles, dont on nous dit qu'il s'agit de modes opératoires courants. Il est important de le souligner, car les rares fois où la presse admet que quelque chose d'atroce s'est produit, elle individualise le crime, alors que le rapport indique clairement que ce comportement est systémique.
Fait troublant, le rapport souligne que les viols et les violences génitales ont souvent été commis sur ordre explicite et que ces comportements ont été encouragés par les hauts gradés de l'armée. Il évoque une culture de l'impunité dans laquelle les soldats israéliens savent qu'ils sont libres de violer et de torturer sans répercussion. Le rapport détaille une à une les histoires de viols et de violences sexuelles qui ont pu être vérifiées.
Il ne s'agit pas seulement de viols et de violences sexuelles, mais aussi d'actes tels que la destruction de moyens de procréation (y compris d'embryons), le manque d'assainissement, d'eau et de structures médicales, qui causent de graves dommages à la procréation. Le rapport souligne que la prévention des naissances est l'une des définitions juridiques du génocide.
Les femmes et les jeunes filles palestiniennes sont directement visées par les armes israéliennes, ce qui se traduit par un nombre sans précédent de victimes féminines, un phénomène encouragé par des personnes telles que le général de division Giora Eiland, qui a déclaré aux médias :
"Après tout, qui sont les femmes âgées de Gaza - les mêmes mères et grands-mères des combattants du Hamas qui ont commis les crimes horribles du 7 octobre ? Dans cette situation, comment peut-on parler de considérations humanitaires, surtout lorsqu'il y a encore des personnes kidnappées dont Dieu sait ce qu'il en est ?"
Les femmes palestiniennes ne sont pas les seules à être traitées de manière atroce. Nous savons que des hommes palestiniens sont violés et torturés parce que les soldats des FDI sont à ce point stupides qu'ils diffusent leurs propres images et séquences en ligne dans le but d'humilier leurs victimes. Il est difficile de prétendre qu'il s'agit d'une théorie du complot antisémite lorsque les coupables s'incriminent eux-mêmes.
Sachez que ce genre d'horreurs se produisait bien avant le 7 octobre 2023. Ce qui suit date d'il y a dix ans :
La culture israélienne du viol échappe tellement à tout contrôle que les Palestiniens ne sont pas les seuls à en être victimes, les conscrits israéliens le sont aussi. Oui, vous avez bien lu.
Un rapport a établi qu'une femme sur quatre parmi les conscrits de la police et de l'administration pénitentiaire est victime d'abus sexuels de la part de ses collègues. Avant que quiconque ne suggère qu'il s'agit d'une nouvelle théorie du complot antisémite, le rapport émane d'une agence de surveillance du gouvernement israélien qui a enquêté auprès de 13 000 femmes.
Voici d'autres rapports de viols et d'agressions sexuelles tirés des publications israéliennes Haaretz et The Jerusalem Post :
Si Israël abuse sexuellement d'une de ses propres femmes sur quatre, on peut aisément imaginer ce qu'il réserve aux Palestinien(ne)s. Pourtant, peu importe à quel point les actes d'Israël sont répugnants et dépravés, peu importe le nombre de personnes violées, kidnappées, torturées et tuées, les médias minimisent les faits, prétendent une quelconque ambiguïté afin d'atténuer la colère du public, puis retournent cette colère contre les détracteurs d'Israël. La presse défend les violeurs et les assassins et, franchement, je ne vois rien de plus méprisable que de commettre soi-même les viols et les meurtres.
La politique de Ricky Hale, offre un point de vue anti-establishment et de la classe ouvrière.
📰 Lien de l'article original :
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17- "Et pourtant, nous détournons les yeux"
Le miroir que nous tendent les Palestiniens.
Par Patrick Lawrence, le 15 mars 2025, The Floutist
Des images et des articles de presse - photos, vidéos, reportages - me parviennent ces derniers temps, me parvenant séparément, l'un après l'autre, sur une période de quelques jours. J'ai envie de les partager aujourd'hui parce que, prises ensemble, elles produisent un effet cumulatif dépassant largement leur puissance de présentation individuelle, qui est déjà considérable.
De très nombreuses autres images de ce type nous parviennent plus ou moins quotidiennement. J'espère réussir à expliquer que ce sont celles-là que j'ai envie de mettre en exergue. Au cours de mes années de correspondance, j'ai constaté qu'à force de côtoyer les autres, de discuter avec eux, de les questionner, de les voir tels qu'ils sont, les autres finissent par devenir des miroirs dans lesquels on voit son propre reflet. C'est l'effet qu'ont eu sur moi ces images et ces récits.
La première de ces images m'est parvenue le week-end dernier. Elle provient de Palestine Will Be Free, un groupe qui publie une lettre d'information sur Substack. La vidéo que j'ai en tête, celle que je suis incapable de chasser de mon esprit, montre un homme qui s'adresse directement à une caméra. Il est jeune, entre 20 et 30 ans ; il est bouleversé mais calme, parfaitement cohérent. Il parle depuis Gaza. La vidéo est datée du 26 décembre, je viens de la voir.
Voici une partie de ce que dit Saleh al-Jafarawi, qui se décrit comme un journaliste indépendant :
"Nous sommes épuisés, par Allah, nous sommes exténués. Nous n'avons plus de force. Cela fait plus de 420 jours que nous vous interpellons. Depuis 420 jours, il n'y a pas un seul cliché que nous n'ayons pas pris. Nous avons documenté, photographié et exposé les crimes de l'occupation. Nous vous avons dit : Regardez, monde, regardez ce qui nous est fait.
Nous sommes morts par le feu, par les bombardements, par les tirs de snipers, par les écrasements.... Il n'y a aucune image que nous ne vous ayons pas montrée. Et qu'avons-nous gagné ? Rien. Nous perdons nos proches, nous nous perdons nous-mêmes, nous perdons nos amis. Voilà, ce qu'il en est."
La vidéo se poursuit pendant quelques minutes. C'est ce que dit ensuite cet homme meurtri, mais parfaitement authentique, qui m'incite à partager cette vidéo avec les lecteurs de Global Bridge :
"Jusqu'à quand ? Dites-nous simplement : jusqu'à quand ? Quand le monde va-t-il enfin ressentir notre douleur ?"
La vidéo de Saleh al-Jafarawi a apparemment bien circulé. Au moment de la rédaction, Saleh semble être l'objet d'un des exercices de hasbara typiquement écœurants et ignobles de l'État sioniste, une campagne de diffamation qui a commencé il y a quelques jours - apparemment avec la collaboration de l'Autorité palestinienne. Meta, le conglomérat de réseaux sociaux (Facebook, Instagram), a supprimé les comptes de Saleh.
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Dimanche dernier, alors que j'étais encore à réfléchir à la question posée par la vidéo de Gaza, un rapport de Drop Site News, un site web indépendant récemment créé et qui fait toujours du bon travail, est tombé. L'article a été publié sous le titre "Le DHS détient le négociateur principal du campement de solidarité avec Gaza de Columbia après une campagne en ligne lancée par des groupes pro-israéliens". Il concerne l'arrestation par le ministère de la sécurité intérieure, ce week-end, de Mahmoud Khalil, l'un des leaders des manifestations qui ont éclaté à l'université de Columbia au printemps dernier en réponse à la campagne de terreur menée par les Israéliens dans la bande de Gaza. (ndr : voir le post à ce sujet publié sur ce blog)
Le cas de Mahmoud Khalil est depuis devenu une cause célèbre, comme il se doit. Palestinien résidant légalement aux États-Unis, il a été détenu sans inculpation samedi soir dernier, quelques jours après que l'administration Trump a déclaré son intention de révoquer les visas des "sympathisants du Hamas". Comme l'a rapporté Drop Site, "la détention a suivi une campagne en ligne ciblée de deux jours contre Khalil par des groupes et des individus pro-israéliens, y compris le professeur pro-israélien très en vue de Columbia, Shai Davidai". Ces campagnes sont courantes depuis que les Israéliens ont commencé leur invasion de la bande de Gaza. Elles donnent la mesure des dégâts effrayants que les sionistes et leurs sympathisants américains ont causés à la liberté d'expression et, plus généralement, au discours logique. Davidai est un professeur de commerce israélien dont l'extrémisme choquant dans la défense de l'État sioniste est devenu si vicieux que l'administration de Columbia lui a interdit l'accès au campus en octobre dernier.
L'article de Drop Site m'a été transmis par John Whitbeck, l'avocat international qui, après de nombreuses années de travail juridique pour les Palestiniens, vit aujourd'hui à Paris. "Transmis ci-dessous", écrit Whitbeck, "est un rapport sur un nouvel exemple de l'intensification de l'assaut totalitaire contre le militantisme pro-palestinien et anti-génocide aux États-Unis". C'est un bon résumé des événements rapportés par Drop Site News et de leurs implications plus larges. Depuis, nous avons eu beaucoup plus de détails sur la situation de Khalil. Au moment de la rédaction du présent rapport, il est en détention dans l'attente de son expulsion, sans pouvoir s'entretenir avec ses avocats alors que son dossier est déjà devant les tribunaux.
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Mi 2024, la BBC a commencé à tourner un documentaire intitulé Gaza : How to survive a warzone (Gaza : comment survivre dans une zone de guerre). Il s'agissait d'une enquête audacieuse et sans complaisance sur la vie des enfants de Gaza qui subissent les dommages physiques, psychologiques et émotionnels infligés par l'armée israélienne. La BBC a fait preuve d'une imagination admirable en développant le projet : Le narrateur est un Palestinien de 13 ans prénommé Abdullah.
Abdullah se comporte avec un aplomb admirable dans les images. Il est le fils d'Ayman Alyazouri, qui a été à un moment donné vice-ministre dans l'administration du Hamas. Je ne vois pas en quoi cela aurait dû être un sujet de controverse, mais pour éviter que cela ne le devienne, étant donné le pouvoir vénéneux que les sionistes et leurs lobbies exercent sur toutes sortes d'institutions occidentales, la BBC a ouvert le film sur un bandeau blanc sur noir indiquant ce qui suit :
Le narrateur de ce film est Abdullah, 13 ans.
Son père a travaillé comme vice-ministre de l'agriculture pour le gouvernement du Hamas à Gaza.
L'équipe de production a exercé un contrôle éditorial total sur le tournage avec Abdullah.
C'est une façon très professionnelle de gérer une circonstance que les cyniques et les manipulateurs des médias - et ils sont loin d'être rares dans ma profession - pourraient mettre à mal. Le film qui suit, d'une durée de 59 minutes et demie, est également réalisé de manière professionnelle - révélateur, efficace, adéquatement provocateur, laissant les images et les enfants qui y figurent parler d'eux-mêmes. Abdullah se révèle être un guide remarquable lorsqu'il se fraye un chemin dans les décombres de Gaza, escaladant les restes de la maison de son grand-père, nous guidant à travers des rues qui ne ressemblent plus du tout à des rues. Toujours, toujours, on voit des gens courir - vers des hôpitaux, vers des abris de fortune, ou simplement pour mettre de la distance entre eux et les bombes israéliennes qui pleuvent. Gaza : Comment survivre dans une zone de guerre (How to survive a warzone) est un documentaire remarquablement bien conçu et réalisé, notamment grâce au jeune homme remarquable qui en relate l'histoire.
Et c'est bien là le problème du film. Pour dire les choses simplement, How to survive a warzone est trop vrai, tout simplement trop bien fait et trop efficace : La direction de la BBC l'a retiré de l'antenne il y a deux semaines - en prétendant, mais précisément, qu'il était inapproprié de choisir Abdullah comme narrateur parce que son père était son père.
La BBC a fait preuve d'une extrême partialité dans sa couverture de la crise de Gaza depuis qu'elle a éclaté le 7 octobre 2023. Son parti pris quotidien en faveur de l'État sioniste, qui relève de l'apologie flagrante et éhontée, est aujourd'hui tristement célèbre grâce au travail de journalistes tels qu'Owen Jones. Et comme je l'explique clairement dans mon résumé du travail de Jones et d'autres, ces corruptions ne sont en aucun cas limitées à la BBC. Elles sont endémiques dans les médias occidentaux. Dans le cas de la BBC, il semble qu'il y ait un nombre considérable de journalistes dévoués qui protestent contre la suppression par la direction d'une bonne couverture des événements, ce qui est une question de routine quotidienne.
Comment survivre dans une zone de guerre est un exemple irréfutable. J'ai mentionné la grande qualité du film. Nous le savons parce que des professionnels des médias l'ont capturé avant que la BBC ne l'autocensure, et ces professionnels le rendent maintenant accessible. Vous trouverez ici l'une de ces versions. Elle vaut la peine de prendre une heure pour la visionner. Au cours de ce visionnage, j'ai eu l'impression de regarder des documents piratés ou de contrebande transmis clandestinement par le biais d'une version occidentale de l'ancien samizdat du bloc de l'Est.
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Je reviens au jeune homme qui face caméra demandait où nous étions, où était notre humanité au cours des 420 derniers jours (et bientôt 500). "Dites-nous simplement : jusqu'à quand ?. Quand le monde ressentira-t-il notre douleur ?", a-t-il interrogé. Si nous avons la moindre prétention à la sensibilité, nous ferions mieux de nous voir dans le visage de cet homme, car il s'adresse à chacun d'entre nous.
Individuellement, et certainement institutionnellement, nous, Occidentaux, avons détourné les yeux depuis près de 500 jours. Nous sommes restés les bras croisés pendant que nos institutions politiques réduisaient au silence ceux qui s'exprimaient autour de nous. Ce n'est pas vrai pour tous, mais il semble que ce soit le cas pour la plupart d'entre nous. Trop peu d'entre nous semblent vouloir regarder. Trop de nos institutions se consacrent à nous encourager à ne pas le faire, à ne pas voir. Récemment, le New York Times a publié un article intitulé "Nous avons testé 50 sortes de chips, et voici ce que nous avons trouvé". J'ai une vaste collection de ce genre d'articles. Ils me font presque exploser, chacun d'entre eux étant l'expression inconsciente d'un égocentrisme collectif et d'une indifférence à l'égard d'autrui qui en découle.
Il est temps pour nous, Occidentaux, d'affronter le miroir que nous tendent les Palestiniens et de voir ce qu'il montre sans détourner les yeux. Je n'ai pas l'intention de jouer les rabat-joie, mais simplement d'insister pour que nous nous rendions compte de ce que la cause sioniste et le dévouement pitoyable de l'Occident à son égard ont fait de nous. C'est un moment profondément propice pour nous réconcilier avec nous-mêmes de cette manière, étant donné que le régime sioniste a commencé à gazéifier - un nouveau mot - la Cisjordanie. Allons-nous refuser de voir une fois de plus ? Je ne souhaite pas recevoir de réponses pour l'instant, par pure crainte de ce qu'elles pourraient être, mais nous verrons bien.
Certains refusent de détourner les yeux. Trois exemples, chacun offrant l'occasion de réfléchir, voire d'agir, selon les possibilités qui s'offrent à chacun d'entre nous.
Dans un article publié dans The Independent il y a dix jours, une présentatrice de la BBC, Karishma Patel, une jeune femme de 29 ans, a annoncé avoir quitté son emploi en réaction à la décision de la direction de la chaîne de retirer le documentaire sur Gaza.
Elle a notamment écrit :
Je m'apprête à faire une déclaration audacieuse : la vérité est là.... Nous avons dépassé le stade où les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par Israël sont discutables. Les preuves sont plus que suffisantes - de la part des Palestiniens sur le terrain, des organisations d'aide, des organes juridiques - pour parvenir à des conclusions sur ce qu'Israël a commis et qui permettent d'assurer la couverture de l'événement.
Alors que Karishma Patel exposait ses arguments face à l'impudeur de la direction de la BBC, Abdullah, le jeune narrateur du film, a réalisé une vidéo de six minutes et demie dans laquelle il apporte lui-même une réponse polie mais cinglante. Jonathan Cook, le célèbre journaliste britannique, l'a relayée dans un article de sa lettre d'information Substack. Abdullah déclare notamment :
"Je suis Abdullah al-Yasuri, et j'ai contribué au récent documentaire de la BBC Gaza : Comment survivre dans une zone de guerre, en tant que narrateur. J'ai travaillé pendant neuf mois sur ce documentaire, et je le vois maintenant effacé et supprimé.... Voici mon message à la BBC : S'il m'arrive quoi que ce soit, la BBC en portera la responsabilité."
C'est un discours sévère mais soft, un peu trop à mon goût. Mais il porte l'attribution d'une responsabilité - le non-Occident tenant le miroir de ce que j'écris à l'Occident - et les paroles sereines d'Abdullah dégagent un parfum d'avenir.
Et enfin ceci, une image avec laquelle je souhaite clore ces réflexions empreintes d'angoisse et de désarroi. Il s'agit d'une autre vidéo postée par Palestine Will Be Free il y a quelques jours. Il n'y a pas de mots, juste des actes. On y voit une petite fille palestinienne - qui a cinq, six, sept ans maximum ? - avancer en courant dans une rue de Cisjordanie, au bout de laquelle se trouve un véhicule de l'armée israélienne. Elle aurait tout aussi bien pu courir avec des amis, mais alors que son frère aîné se précipite derrière elle, elle s'arrête et jette deux pierres, une de chaque main, sur le char de Tsahal (ou quoi que ce soit d'autre). Puis elle se retourne et court vers son frère, les yeux vifs, grands ouverts.
Ceci est une version mise à jour et rééditée d'un essai paru pour la première fois dans Global Bridge.
📰 Lien de l'article original :
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