❖ Travaillez plus bande de feignants - La leçon de morale du Pr. Bayrou
Bayrou, politicien professionnel du vieux monde, a fait le job que le tout aussi vieux monde capitaliste attendait de lui : mettre le populo au boulot, ceinture resserrée, et plus vite que ça
Travailler plus ... pour produire plus d'inutile
La leçon de morale du professeur Bayrou a fait son effet : bande de feignants, va falloir travailler plus et payer vos dettes ! Et surtout faire en sorte de conforter la politique de l’offre voulue par le grand patron élyséen qui s’accroche à ce mantra du capitalisme qui nous mène dans le mur. De l’acharnement thérapeutique au vu des résultats budgétaires et économiques de ses huit ans de pouvoir.
Par Yves Guillerault, le 17 juillet 2025, Blog Mediapart
François Bayrou, politicien professionnel du vieux monde, a fait le job que le tout aussi vieux monde capitaliste attendait de lui : mettre le populo au boulot, ceinture resserrée, et plus vite que ça. Trop de jours fériés, un mois de mai qui ressemble à un mois de vacances, des vieux qui partent en retraite trop vite, etc., ça ne peut plus durer. La startup France est à la dérive, surendettée, le cash ne rentre plus, la croissance est en berne, les actionnaires sont affamés, et nos "amis" qataris, et néanmoins créanciers, commencent à froncer le sourcil tout en faisant monter la note. Mon banquier tout craché.
Bayrou, qui sait que c’est son dernier job à ce niveau (il lui reste toujours les clés de la mairie de Pau), se fout d’une éventuelle censure, même s’il la souhaite la plus tardive possible : le pouvoir a ses avantages (les balades en jet), et la retraite par capitalisation, ça se prépare. Cela lui donne la liberté… d’exécuter les basses œuvres du grand patron. Avant tout relancer la politique de l’offre, donc ne surtout pas toucher aux riches qui défiscalisent à tour de bras, et déverser un pognon de dingue sur leurs grandes entreprises. Pas moins de 211 milliards d’euros ‒ rappelons que Bayrou veut économiser 40 milliards ‒ d’argent public pour les arroser en 2023 (1), ceci sans contrôles, ni évaluation, ni contreparties. Un rêve pour tout bénéficiaire de minimas sociaux. Lors des auditions de la commission d’enquête du Sénat sur cette fuite massive d’argent public, la plupart de ces grands patrons ont été incapables de rendre compte de ce qu’ils touchaient et quelle était l’utilisation de ces fonds publics et donc leur impact. Sans doute devraient-ils se renseigner auprès de leurs actionnaires qui voient leurs dividendes flamber plus vite que les bénéfices tandis que les investissements stagnent.
C’est qui les feignants ?
Pour pouvoir financer ces œuvres de bienfaisance, l’exécutif veut donc remettre le pays au travail, parce que le Français travaille moins que ses voisins selon lui. "Il faut réconcilier notre pays avec le travail", a lancé le professeur Bayrou. Un boniment démenti par nombre d’experts, même si les comparaisons chiffrées sont délicates en fonction des règles de chaque pays. Mais la France se situe dans la moyenne européenne (2). De plus, il faut prendre en compte la productivité dont Xavier Timbeau, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), confirme qu’elle est par exemple supérieure à celle des Allemands (3). La différence qui fait le trou budgétaire ne serait-elle pas plutôt la mauvaise gestion politique, ce que les gouvernements qui se sont succédé se garderont bien d’avouer.
Partant du principe évident que les chômeurs, les vieux, les handicapés, les malades, les travailleurs précaires, se complaisent dans une inactivité fautive, le gouvernement va tailler à la tronçonneuse (c’est à la mode, mais attention à ne pas se blesser) dans les subsides dispensés par la solidarité nationale, innovation du siècle passé voulue par le Conseil national de la Résistance, mais jugée bien trop ringarde dans un contexte de grande compétition mondiale du capitalisme. Dans la course aux "charges" humaines les plus basses possibles pour l’entreprise monde, la France de Bernard Arnault a plutôt intérêt à se bouger les fesses.
Bosser plutôt que se cultiver
D’ailleurs, qu’avez-vous de mieux à faire que d’aller bosser ? Aller vous entasser sur les plages et choper un cancer de la peau ? Rester encalminé dans une file d’attente pour visiter la Tour Eiffel ou devant des montagnes russes qui vont vous faire vomir ? La culture, le spectacle vivant ? Du temps perdu avec des artistes qui, eux aussi, pointent un peu trop au régime des intermittents du spectacle tout en nous proposant de la culture woke. Exception faite, bien entendu, des représentations du Puy-du-Fou et autres divertissements spirituels sponsorisés par Bolloré ou Stérin. Alors on coupe les vivres, surtout dans les collectivités de droite (Wauquier champion), l’offre culturelle est sacrifiée sur l’autel de l’offre économique. Rachida aura d’ailleurs, certes aux forceps, sa holding, outil capitaliste s’il en est, pour rentabiliser l’exception culturelle de l’audiovisuel français. On n’est pas là pour rigoler, encore moins se cultiver. L’éducation, de l’école à l’université, est à l’os, ce sera bientôt les tickets de rationnement pour avoir des enseignants en face des élèves. Peut-être ne faut-il pas trop éduquer et cultiver l’autonomie des futurs citoyens qui pourraient enfin se rendre compte que gouvernements et capitalistes, de concert, leur proposent des marchés de dupes.
Car la politique de l’offre et son corollaire, une croissance présentée comme vitale (pour une économie capitaliste), sont bien des marchés de dupes pour les populations laborieuses. Contrairement à la fiction du ruissellement, la politique de l’offre est une réalité du capitalisme moderne. Elle est même son moteur (à explosion) principal qui fait tourner le cycle de la production et de la consommation, consommation qui ne se maintient que si on produit, même pour des salaires de misère, mais dont les actionnaires savent écrémer les profits. Il s’agit d’inonder les marchés de tout et n’importe quoi (surtout de n’importe quoi), créer la dépendance et la frustration par le harcèlement publicitaire. Le n’importe quoi étant de piètre qualité, jetable ou vite obsolète, souvent inutile, le moteur tourne à fond, à l’exemple de l’usine Chine qui "tourne à plein régime"(4). Cette politique de l’offre remplit avant tout les poubelles du monde, complètement déconnectée de nos besoins réels, ignorant également le partage des ressources et la réduction des inégalités. Voir la crise du recyclage des textiles qui inondent les marchés occidentaux puis les décharges de l'Afrique ou de l'Asie. La surabondance ne fait pas la richesse de ceux qui produisent. Mais le principal pour le monde capitaliste étant de faire de la croissance, les déchets, comme les maladies du monde moderne, deviennent des bizness profitables.
Par contre, selon ce même principe, les dépenses publiques sont vues comme un fléau qui signifie fiscalité sur l’accumulation de richesses. La redistribution est un terme qui n’entre pas dans le vocabulaire du capitaliste et qui lui donne même des boutons. Depuis 1974, date du dernier budget en équilibre, la course est permanente entre la dépense publique et la croissance du PIB. C’est dans ce contexte que le tandem Macron-Bayrou taille dans les budgets de solidarité, de santé et culturels tandis que la politique de l’offre exige de ne pas toucher au pactole des riches (ou à la marge pour calmer les récriminations) comme à celui des grandes entreprises qu’on va continuer d’alimenter en argent public.
La guerre pour booster la croissance
Produire donc, tout et n’importe quoi, et désormais des armes. Une bonne guerre remettra tout ça d’aplomb. Tout capitaliste avisé sait que, si une guerre détruit du patrimoine, elle est un marché très profitable, surtout que la France dispose d’un complexe militaro-industriel qui n’est pas manchot, et qu’après les destructions, il faut reconstruire. Là aussi, nous avons des champions du béton, certains piaffant déjà d’impatience aux portes de l’Ukraine, Trump s’étant réservé la bande de Gaza. Alors on sonne la charge tout en haut de l’État. Ça suinte la testostérone sur toutes les ondes, en éditions spéciales et en défilé sur les Champs-Élysées ‒ au moins un spectacle "culturel" gratuit ! ‒ et un peu partout sur la planète. On les sent tout excités, investi d’une mission. Tous des hommes, majoritairement blancs et puissants, "les burnes remontées jusqu’aux narines". Ils passent en revue les troupes, inventorient leurs chars et leurs missiles, sanctuarisent leur budget défense et préparent les esprits avec des discours martiaux bien sentis : la guerre, on va l’avoir, on va la faire. Bien sûr, ça va coûter quelques menus frais, alors que l’on met le peuple au régime sec. Pour préparer le terrain, le général Thierry Burkhard, képi cinq étoiles de luxe à la tête de l’état-major, qui n’est pas du genre "baveux", est sorti en personne de sa caserne pour sonner l’alerte à coups de clairon, en mission commandée pour dire que nous sommes cernés par l’ennemi, que le danger est partout, que la cinquième colonne est déjà dans nos murs. Il préparait le terrain au chef des armées, le général cravaté Emmanuel Macron, chargé de distribuer, là encore, un pognon de dingue à la soldatesque qui va devoir combattre les hordes de barbares. Fabriquer la paix et une prospérité partagée, ce n’est pas leur job, même si Trump s’est lancé dans la course au Nobel de la Paix et que Macron en rêve peut-être.
P.S. : en hommage à Gilles Rotillon, membre des économistes atterrés, qui m'a beaucoup apporté, notamment avec son dernier ouvrage, Le climat et la fin du mois.
À Gilles Rotillon
Gilles Rotillon, membre des économistes atterrés, est décédé le 11 juillet. Très actif dans notre collectif, il alimentait régulièrement un blog sur Mediapart. Jean-Marie Harribey lui rend ici hommage pour l'ensemble du collectif, terriblement attristé par la nouvelle.
Par Les économistes atterrés, le 16 juillet 2025, Blog Mediapart
À Gilles Rotillon
Quand un collègue disparaît, pour atténuer sa tristesse réelle, on dresse un portrait élogieux de sa carrière, de son apport intellectuel et de sa notoriété. Avec notre ami Gilles Rotillon qui vient de nous quitter, pour retracer ce qu’il était, ce n’est pas tout à fait la même chose. Certes, il a accompli un parcours universitaire exemplaire. Professeur émérite de sciences économiques, spécialiste reconnu de l’économie de l’environnement, il a publié plusieurs ouvrages qui sont des manuels de référence, montrant ainsi ses qualités pédagogiques.
Mais ce qui éclaire particulièrement l’homme Gilles Rotillon, c’est que, escaladeur de premier plan, il faisait de sa pratique sportive de haut niveau une sorte de modélisation de sa prise de conscience écologique pour le conduire à la conclusion que le changement de mode de production était la clé de voûte d’une transformation socio-écologique véritable. Il faut lire notamment l’un de ses textes "Escalade et climat : pourquoi vos efforts individuels ne suffiront pas". On aura beau avoir les bons gestes individuels, multiplier les initiatives vertueuses pour escalader les montagnes et les falaises, "le mode d’organisation général de la société impose ses contraintes".
Et c’est l’escalade qui donnait à Gilles Rotillon l’azimut : "Les montagnards ont la possibilité de témoigner de cette urgence, non pas en tant que pratiquants s'interrogeant sur leurs pratiques, mais en tant que citoyens témoignant de l'ampleur des transformations de notre écosystème". En faisant sienne cette formule de passer du statut de "conquérants de l'inutile" à "défenseurs du nécessaire", il concluait : "Nous ne sommes qu'une partie de l'écosystème et il est en train d’être détruit. Il faut arrêter cette destruction, non pas pour que les fleurs et les insectes aient le droit d'exister, mais parce que sans eux, nous n'existerions pas non plus. Il n'y a que les humains qui peuvent décider de l'avenir de tous".
Grimpeur de "l’inutile", Gilles Rotillon nous lègue une petite boussole et la corde qui relie les humains entre eux et les rattache à la nature.
ndr : Gilles Rotillon était professeur émérite de sciences économiques, spécialiste de l'escalade et grimpeur chevronné membre de la FSGT (Fédération Sportive et Gymnique du Travail).
Notes
2. https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/cartes-qui-travaille-le-plus-en-europe/.
3. franceinfo.tv le 16/07.
Yves Guillerault se définit ainsi : "Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active. Une longue balade de vie sur la planète Terre à poursuivre mes rêves d’enfant autiste… et à les rattraper. Un kaléidoscope de rencontres exceptionnelles. Un patchwork de métiers exercés. Un rapport viscéral à la nature. Un refus obstiné de toute domination. Tout ça pour forger mes convictions d’anarco-écolo-humaniste".
J’avoue que ça me plaît !
📰 https://blogs.mediapart.fr/yves-guillerault/blog/170725/travailler-plus-pour-produire-plus-dinutile
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