♟ On en parle ? - Au moins 1300 personnes tuées dans un nouveau massacre à El-Geneina, dans l'ouest du Darfour au Soudan
Environ 300 000 personnes ont été tuées au cours de cette guerre, souvent qualifiée de génocidaire et qui a donné lieu à des inculpation par la CPI. Un autre nettoyage ethnique en cours
Au moins 1300 personnes tuées dans un nouveau massacre à El-Geneina, dans l'ouest du Darfour au Soudan
Des témoins et des activistes locaux ont déclaré à Middle East Eye (MME) que les Forces de soutien rapide alliées aux milices arabes ont pris pour cible des civils Massalit dans la banlieue d'Ardamata, à el-Geneina, lors de massacres fondés sur l'appartenance ethnique.
Par Mohammed Amin, le 12 novembre 2023, Middle East Eye
Environ 1 300 personnes, pour la plupart des civils appartenant à la tribu Massalit, ont été massacrées au Darfour occidental au Soudan trois jours durant, au début du mois, par les Forces de soutien rapide (FSR) et les milices arabes qui leur sont alliées, ont déclaré à Middle East Eye des témoins, des militants locaux et des défenseurs des droits de l'homme.
Les massacres d'Ardamata, zone située à la périphérie nord-est de la capitale de l'État du Darfour occidental, el-Geneina, ont été commis après que les Forces de soutien rapide (FSR), une force paramilitaire, ont expulsé les soldats soudanais d'une base militaire située dans la banlieue au cours de batailles qui se sont déroulées du 2 au 6 novembre.
Pour la deuxième fois en quelques mois, les rues d'El-Geneina et de ses environs ont été jonchées de cadavres.
Des témoins ont déclaré que ces scènes rappelaient celles du mois de juin, lorsque des milices arabes et des combattants des forces de soutien rapide (FSR) avaient tué plus de 500 personnes dans le cadre de ce que les organisations de défense des droits de l'homme ont qualifié de nettoyage ethnique contre les Massalit, une tribu d'Afrique noire.
La Roots Organization for Human Rights and Violation Monitoring, une ONG locale, a recensé 1 300 personnes massacrées à Ardamata depuis le 4 novembre, date à laquelle les FAR se sont emparées de la garnison appartenant à la 15ème division d'infanterie de l'armée soudanaise, avant de s'en prendre à la population civile locale.
Dans un nouveau rapport dont MEE a pris connaissance, l'organisation indique que plus de 2 000 personnes ont été blessées et 500 autres arrêtées lors des attaques brutales menées par les forces de sécurité et leurs alliés miliciens arabes contre les civils dans toute la région d'Ardamata. Plus de 300 personnes sont portées disparues.
Le groupe a déclaré que les forces de sécurité et les miliciens "ont multiplié les atrocités contre la communauté Massalit", notamment en tuant, violant des femmes, pillant et incendiant des maisons.
Gamal Abdullah Khamis, chef de l'organisation Roots, a déclaré qu'il y avait de nombreuses indications selon lesquelles le nombre de morts était supérieur à 1 300. Selon un média local, le nombre de morts s'élèverait à 2 000, mais d'autres rapports font état d'un nombre de morts beaucoup plus faible.
Selon Khamis, les attaques à caractère ethnique se poursuivent, les milices arabes situées près de la frontière tchadienne traquant les civils qui tentent de fuir le pays et leur tendant des embuscades.
"Notre rapport est basé sur 700 entretiens et rapports que nous avons obtenus de nos observateurs au Tchad. Nous avons recueilli les noms et les détails des 1 300 personnes qui ont été tuées jusqu'à présent ", a déclaré Khamis à MEE.
"Cependant, nous pensons que le nombre est bien plus élevé, car d'autres crimes et meurtres sont pratiqués contre des civils dans les régions de Kulbos, Sirba, Azorny, Adara et aux points de contrôle sur la route entre le Soudan et le Tchad".
Middle East Eye a demandé un commentaire aux Forces de soutien rapide.
Massalit pris pour cible
Ahmed Hajar, avocat et militant des droits de l'homme dans le camp de réfugiés d'Adre au Tchad, a déclaré à MEE qu'il avait rencontré des centaines de familles ayant fui le Darfour occidental et dû laisser plusieurs proches décédés à El-Geneina ou dans ses environs.
Hajar, qui dirige un groupe de défense des droits de l'homme et de développement social appelé al-Mawi, a déclaré que son organisation avait enregistré des centaines de cas de meurtres et d'attaques à caractère ethnique.
Depuis que la guerre a éclaté au Soudan le 15 avril entre les RSF et l'armée soudanaise, le Darfour a été le théâtre de certains des combats les plus féroces, aux côtés de Khartoum.
Entre 2003 et 2005, le Darfour a été le théâtre d'un conflit vicieux au cours duquel le gouvernement du président de l'époque, Omar al-Bashir, a armé des milliers de tribus arabes, constituant ainsi une milice connue sous le nom de Janjaweed, qu'il a utilisée contre les groupes rebelles darfouris qui s'étaient révoltés contre Khartoum en réponse à la négligence de longue date dont souffrait la population noire africaine de la région.
Environ 300 000 personnes ont été tuées au cours de cette guerre, souvent qualifiée de génocidaire et qui a donné lieu à l'inculpation par la Cour pénale internationale de plusieurs hommes à la tête de cette guerre, les Janjawids ayant pris pour cible la population noire du Darfour, chassant des millions de personnes de leurs foyers.
Aujourd'hui, l'épine dorsale des forces paramilitaires des FSR, y compris leur chef, Mohammed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom de Hemeti, est constituée de membres de tribus arabes du Darfour et de ses environs qui étaient auparavant des combattants Janjaweed.
Selon Mohamed Osman, chercheur à Human Rights Watch, la communauté Massalit, ainsi que d'autres communautés non arabes, ont été prises pour cible par les FSR et leurs milices alliées à el-Geneina depuis le mois de juin.
"Ce ciblage ethnique se traduit manifestement par des meurtres, en particulier de chefs tribaux, d'avocats et de militants Massalit", a-t-il déclaré à MEE
Ajoutant que des camps abritant 2,5 millions de Soudanais ont également été intentionnellement détruits lors du conflit du Darfour il y a 20 ans.
"Les insultes raciales proférées par les assaillants, qui exigent que les Massalit quittent leurs terres et détruisent leurs moyens de survie, ont été récurrentes lors des attaques précédentes, et comme nous l'avons entendu jusqu'à présent lors des dernières attaques à Ardamata".
Atrocités après le retrait de l'armée
Bien que les FSR aient pris le contrôle de la majeure partie du Darfour occidental au cours des premières semaines de la guerre, l'armée soudanaise s'est accrochée à la garnison de la 15ème division d'infanterie d'Ardamata. Les troupes de la base sont soutenues par des combattants irréguliers Massalit, qui appartenaient auparavant à des groupes rebelles et tenaient les districts entourant la garnison.
Toutefois, ces dernières semaines, les FSR ont mené une nouvelle campagne dans tout le Darfour, tentant de déloger l'armée des diverses bases dans lesquelles elle était retranchée alors que les parties belligérantes se réunissaient à Djeddah pour des pourparlers parrainés par les États-Unis et l'Arabie saoudite.
Fin octobre, ils ont réussi à expulser l'armée du Darfour-Sud et du Darfour-Central, portant ainsi un coup sévère à l'armée.
Le 4 novembre, les troupes en infériorité numérique de la garnison de la 15ème division ont finalement capitulé face aux combattants des FSR et aux miliciens arabes mieux armés et ont fui Ardamata pour le Tchad, ont rapporté à MEE des soldats en fuite ainsi que des témoins.
Les témoins ont déclaré que l'effondrement a conduit à de nombreuses atrocités perpétrées à l'encontre des Massalit dans la région.
Près de 500 000 Soudanais, pour la plupart originaires du Darfour occidental, s'étaient déjà réfugiés au Tchad voisin. Depuis les dernières atrocités et la prise de contrôle d'Ardamata par les FSR, 20 000 personnes supplémentaires ont fui en traversant la frontière, ont indiqué à MEE des personnes ayant récemment réussi à s'enfuir.
Depuis le Tchad, des témoins ont déclaré par téléphone à Middle East Eye qu'ils avaient vu des miliciens arabes tuer des centaines de personnes, agresser sexuellement des femmes et détruire des maisons civiles à Ardamata.
Selon eux, des centaines de corps ont été laissés dans les rues, dans les centres médicaux proches de la garnison et à l'intérieur des maisons, ainsi que le long des routes menant à la frontière tchadienne.
Mohamed Hussien, un réfugié récemment arrivé, a déclaré avoir compté près de 200 corps autour du marché principal d'Ardamata, alors que les combats entre les anciens rebelles Massalit et les milices arabes et du FSR faisaient rage à la suite de l'effondrement de la garnison.
Il a déclaré avoir assisté à des "attaques racistes et vengeresses contre les tribus d'Afrique noire".
Nasr Aldin Mohamed, un habitant d'Ardamata, a déclaré à MEE que certains membres de sa famille avaient été abattus par des combattants des FSR.
J'ai vu des combattants en uniforme des FSR tuer brutalement des soldats qui s'étaient rendus, tuer des gens en criant :
"Esclave Massalit stupide, nous n'aurons jamais de pitié pour toi. Le seul sort que nous te réservons est la mort", a-t-il dit.
"Trois membres de ma famille, dont un enfant, ont été assassinés à Ardamata. D'autres sont portés disparus et certains ont fui à Adre avec moi. Nous n'avons même pas eu le temps d'enterrer nos morts ni de rechercher nos disparus."
Mohamed a marché deux jours pour atteindre le Tchad et le camp de réfugiés d'Adre. Mais il raconte que les milices arabes les ont traqués, ses compagnons et lui, pendant tout ce temps et qu'elles ont tué de nombreuses personnes à Kulbos, Adara ainsi que dans d'autres régions proches de la frontière.
" Tout au long du chemin, j'ai également pu voir des dizaines de cadavres éparpillés dans les rues. Les milices nous ont arrêtés à la recherche de combattants Massalit et de soldats de l'armée, et les ont tués sur le coup", a-t-il déclaré.
Un autre réfugié d'Adre, Adam Mohamed, a expliqué à MEE que trois membres de sa famille étaient détenus par des miliciens à Kulbos et qu'on lui avait demandé de payer une rançon pour les libérer.
"Nous n'avons aucun moyen de les libérer à moins de payer 3 milliards de livres soudanaises, soit environ 3 000 dollars", a-t-il précisé.
Images d'abus
Ardamata comprend neuf petits quartiers, la garnison militaire ainsi qu'un camp pour les personnes déplacées lors du dernier conflit, situé à l'est de la banlieue.
Des habitants et des soldats ont déclaré à Middle East Eye que l'assaut des FSR s'était intensifié le 2 novembre, attaquant de différentes directions à l'aide de drones, provoquant des dégâts considérables à la base militaire et aux quartiers résidentiels environnants.
L'armée a riposté, échangeant des tirs avec les FSR et les milices arabes jusqu'à ce qu'elle se retire. Les FSR et leurs alliés se sont alors emparés de la base, ainsi que des positions tenues par les combattants Massalit soutenant l'armée, et de tous les quartiers résidentiels.
Les combats se sont poursuivis à Ardamata pendant une journée après le retrait du gros des troupes de l'armée, et de nombreux civils auraient été pris entre deux feux.
Selon les témoins, des centaines de civils s'étaient rendus dans la garnison en espérant que les soldats les protégeraient.
Une fois que les FSR ont pris la base et que les soldats et les combattants de Massalit se sont retirés, les atrocités se sont rapidement multipliées, ont-ils raconté.
Middle East Eye a visionné des vidéos qui montreraient des dizaines de civils rassemblés par des miliciens et fouettés. L'un des miliciens insulte les captifs en disant : "Où sont les armes, où les avez-vous cachées, fils de chien ?".
Une autre vidéo, provenant apparemment de l'hôpital militaire d'Ardamata, montre une pièce pleine de corps sans vie et de blessés gisant sur un sol ensanglanté. On entend des combattants chercher des soldats des forces armées soudanaises parmi eux.
Une autre image circulant largement en ligne montre environ 16 cadavres gisant dans une rue d'Ardamata.
MEE n'a pas été en mesure de vérifier immédiatement ces images.
Préoccupation internationale
Les Nations Unies et d'autres organisations internationales ont condamné l'attaque, accusant les FSR et les milices alliées d'avoir commis de graves violations et appelant à une enquête.
La mission intégrée d'assistance à la transition des Nations unies au Soudan a déclaré que les tueries indiquaient que la communauté Massalit était particulièrement visée et que les milices rassemblaient les personnes soupçonnées de collaborer avec l'armée.
Parallèlement, le Conseil souverain, organe exécutif dominé par le chef de l'armée et dirigeant de facto du Soudan, Abdel Fatteh al-Burhan, a déclaré qu'un haut dirigeant local Massalit avait été "assassiné" à el-Geneina par des "milices des FSR".
"Les crimes des FSR ne se sont pas arrêtés à l'assassinat du chef, mais ont aussi tué son fils et huit de ses petits-enfants dans un incident qui enflammera le tribalisme et la haine parmi les habitants de la région", a souligné l'organisation dans un communiqué.
Les FSR ont nié être responsables d'un quelconque massacre et ont publié en début de semaine des vidéos d'el-Geneina montrant une vie normale, avec des dizaines de personnes assistant aux prières du vendredi dans la principale mosquée.
Le jour de la chute de la garnison, les FSR ont également nommé leur commandant le plus haut gradé au Darfour occidental, Abdul Rahman Gumaa, au poste de gouverneur de l'État.
Vendredi, les FSR ont publié une vidéo de Gumaa promettant de stabiliser l'État et de mettre fin aux activités des "hors-la-loi" à Ardamata et à el-Geneina.
Abdul Rahman Gumaa a déclaré vouloir rétablir les services dans l'ouest du Darfour, faisant ainsi écho aux initiatives prises à Nyala, dans le sud du Darfour, et à Zalingi, dans le centre du Darfour, villes récemment saisies par les FSR, qui ont depuis cherché à assurer des services administratifs au niveau local.
Des analystes ont précédemment déclaré à Middle East Eye que les FSR cherchaient à mettre en place un gouvernement parallèle au Soudan, ce qu'ils font en mettant en place des administrations locales chargées de fournir des services.
Mohammed Amin est un journaliste soudanais spécialisé dans la géopolitique et les violations des droits humains au Soudan et au Soudan du Sud, ainsi qu'ailleurs en Afrique du Nord-Est. Il travaille pour de nombreux médias régionaux et internationaux. En novembre 2022, le Rory Peck Trust lui a décerné le prix Martin Adler pour son travail pour Middle East Eye, dans lequel il a couvert les massacres du groupe Wagner et le coup d'État soudanais.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et inégalées du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et au-delà. Pour en savoir plus sur la republication de ce contenu et les frais associés, veuillez remplir ce formulaire . Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici .
📰 https://www.middleeasteye.net/news/sudan-west-darfur-ardamata-new-massacre
◾️ ◾️ ◾️