👁🗨 Leonard Peltier, ce prisonnier politique amérindien oublié, incarcéré depuis près de 47 ans
"Pour l'instant, je suis stocké comme un morceau de viande. Mais j'ai ma dignité et le respect de ma personne, et je vais les préserver, même si je dois mourir ici".
C’est un tweet du 12 septembre qui a capté mon attention et m’a donné envie de faire un article sur l’homme, symbole de la résistance amérindienne. Leonard Peltier fervents défenseur des droits de l’homme n'a eu de cesse de lutter contre les inégalités, les injustices et le racisme mais vient "fêter" son 78ème anniversaire en captivité, le 46ème qu’il passe derrière les barreaux d’une prison.
Cette publication croise plusieurs articles dénichés en ligne
📌 Depuis 1977, Leonard Peltier, indien, membre des tribus sioux, est emprisonné au pénitencier de Leavenworth, au Kansas, États-Unis. Il a 78 ans et purge une double peine de perpétuité, accusé du meurtre de deux agents du FBI. Il clame son innocence depuis vingt-cinq ans. Ses défenseurs soutiennent qu’il a été victime d’un procès politique et d’une condamnation "pour l’exemple", alors qu’il n’existe aucune preuve de sa culpabilité. Malgré la mobilisation internationale des défenseurs des droits humains et des amis des Indiens d’Amérique, Leonard Peltier est toujours emprisonné et son cas demeure peu connu du grand public.
De nombreuses personnalités - comme Nelson Mandela, Mikhaïl Gorbatchev, Mère Teresa de Calcutta, Desmond Tutu, le Président du Parlement européen David Sassoli, le Pape François et le Dalaï Lama, et avec eux des millions de personnes dans le monde entier, ainsi qu’un grand nombre d’associations humanitaires comme Amnesty International, Human Rights World et de nombreuses institutions démocratiques dont le Parlement européen et les maires de plusieurs villes italiennes - ont œuvré pour solliciter la libération de Leonard Peltier, qui serait possible par l’octroi d’une grâce du Président des États-Unis d’Amérique.
Du 1er au 5 octobre 2022, une délégation du "International Leonard Peltier Defense Committee" s'est rendue en Italie dans le cadre d’une série de manifestations européennes, dont le point culminant sera une rencontre aux Nations Unies à Genève.
📰 https://www.pressenza.com/fr/2022/09/leonard-peltier-pour-sa-liberation-delegation-de-natifs-americains-en-europe/
◾️ Bref historique de la lutte des Indiens d’Amérique du Nord
Souvent, parler des Indiens d’Amérique du Nord renvoie à des stéréotypes : plumes, bisons, tipis, etc. En 2002, environ trois millions d’Indiens, survivants du génocide commis par les colons et les militaires américains au XIXème siècle, vivent aux Etats-Unis. La réalité de leur vie quotidienne est très éloignée de tous ces clichés folkloriques. La majorité de ces peuples connaissent des difficultés économiques et des problèmes sociaux liés à la perte de repères identitaires, ce qui a entraîné une forte présence de l’alcoolisme dans nombre de tribus. Malgré ces aspects négatifs, les Indiens demeurent des rescapés de l’histoire. Depuis trente ans, un renouveau culturel, social et économique a vu le jour dans les différentes tribus et réserves. Par leurs luttes continuelles, ces oubliés de l’Amérique ont réussi à obtenir une certaine amélioration de leur sort.
Leurs combats s’expriment au quotidien dans les centres communautaires des grandes villes ou au sein des réserves, loin des feux de l’actualité, ce qui contribue à l’oubli de leur cause. Ils luttent pour la reconnaissance de leurs cultures, de leurs langues, de leur identité.
Ces combats ont pris plusieurs fois un tour violent. D’abord, bien sûr, au XIXème siècle, lorsqu’ils tentèrent de préserver leurs territoires. En particulier les Sioux, un des peuples les plus puissants d’Amérique du Nord, qui étaient entrés en contact avec les Européens dès 1660 par l’intermédiaire de trappeurs français. Ces derniers furent nombreux à prendre souche expliquant le nombre élevé de patronymes français dont Leonard Peltier.
À partir de 1854, les Sioux entrèrent en conflit avec l’armée américaine et tentèrent d’enrayer la progression des colons. Pendant vingt-cinq ans, sous la conduite de chefs mythiques comme Sitting Bull, Red Cloud et Crazy Horse, ils tinrent la dragée haute à l’armée, lui infligeant la fameuse défaite de Little Big Horn, en 1876, au cours de laquelle le général Custer fut tué. Après la mort de Crazy Horse en 1877, la soumission définitive de Red Cloud et l’assassinat de Sitting Bull en 1890, le massacre de Wounded Knee en décembre de la même année mit fin à la résistance des Sioux.
Parqués dans des réserves dans les États du Dakota du Sud et du Nord les Sioux connurent l’humiliation, la misère, l’acculturation et la dépossession. Mais l’esprit de résistance continuait de les habiter. En 1934, une nouvelle loi présentée comme plus favorable créa des "gouvernements tribaux" élus par les Indiens. En fait, ces "gouvernements" ne représentaient pas les véritables aspirations du peuple sioux. Dans les années 1950, de nombreux Indiens furent contraints de partir s’installer dans les villes. Surtout des jeunes qui s’inspirèrent de la contestation politique de cette époque (Black Panthers, Portoricains, chicanos, opposants à la guerre du Vietnam…) et créèrent, en 1968, leur propre mouvement revendicatif, l’American Indian Movement (AIM). Sur le modèle du mouvement des droits civiques des Noirs, l’AIM prit très vite un essor considérable.
Leonard Peltier rejoint très tôt le mouvement. Il s’engage dans des actions militantes, participe à la lutte contre l’ alcoolisme, à la distribution de nourriture et d’aides, à la création de programmes d’autosuffisance, à la restauration des activités religieuses traditionnelles, et soutient la renaissance des langues autochtones.
L’AIM entend attirer l’attention sur les conditions de vie dramatiques des Indiens par des actions spectaculaires mais non violentes. Peltier participe en 1970 à l’occupation du Fort Lawton où il rencontre les principaux dirigeants du mouvement : Dennis Banks et Russel Means. En 1972, il organise la Marche des traités violés qui se termine par l’occupation du Bureau des affaires indiennes à Washington et rencontre un formidable retentissement médiatique. Désormais, l’AIM va être considéré par le FBI comme une organisation "subversive" et ses chefs comme des "ennemis".
L’administration du président Richard Nixon met alors en place le programme de contre-espionnage interne Cointelpro pour infiltrer et déstabiliser les organisations dites "subversives", dont l’AIM. En novembre 1972, accusé d’agression contre des agents du FBI, Leonard Peltier est emprisonné cinq mois, avant d’être acquitté, car l’affaire a été montée de toutes pièces pour le compromettre. Déjà.
Parallèlement, le FBI favorise l’élection à la présidence du conseil tribal de Pine Ridge (la réserve emblématique des Sioux) de Richard "Dick" Wilson, un "collaborateur" élu avec moins de 20 % des inscrits... Celui-ci a pour mission de remettre de l’ordre dans cette réserve considérée comme le sanctuaire des "agitateurs". Avec des fonds secrets, Wilson crée une milice, les Goon Squads (Guardians Of Oglala Nation). Pour protester contre les brutalités des Goon Squads, les Sioux, aidés par des militants de l’AIM, occupent en février 1973 le village historique de Wounded Knee. Leonard Peltier participe à l’occupation. Les autorités assiègent le village pendant trois mois, hésitant à donner l’assaut, mais tuant deux Sioux. En mai 1973, les assiégés se rendent après avoir exigé que des négociations s’ouvrent sur les traités violés et les conditions de vie des Indiens. Dans les mois qui suivent, Dick Wilson et ses Goons ont carte blanche pour s’en prendre aux opposants. Une vague de terreur s’abat sur Pine Ridge : 80 militants sont assassinés entre novembre 1973 et fin 1975... Face aux crimes des milices, les anciens appellent l’AIM à l’aide. Les militants, dont Leonard Peltier, interviennent et parviennent à ralentir fortement la répression des Goons. Ils s’établissent sur la propriété d’une famille amie, près du village d’Oglala, sur la réserve de Pine Ridge.
📰 https://www.csia-nitassinan.org/spip.php?article200 (issu de l’article de Jean-Marc Bertet, publié dans le Monde diplomatique en décembre 2002)
◾️ Qui est Leonard Peltier
Onzième de 13 enfants, ses parents divorcent quatre ans après sa naissance. Avec l'une de ses soeurs, ils sont envoyés chez leurs grands-parents paternels dans la réserve de Turtle Mountain, dans le comté de Rolette, au nord du Dakota du Nord. À l'âge de neuf ans, Leonard est placé dans un pensionnat indien à Wahpeton, dans le Dakota du Nord, puis, après avoir obtenu son diplôme, à l'école indienne de Flandreau (Dakota du Sud), qu'il quittera en 3ème pour partir vivre avec son père dans la réserve de Turtle Mountain. Il connaît alors l'éducation brutale typique des enfants indiens endurés à cette époque - séparés de leur culture, forcés de parler anglais et de vivre dans le monde de l'homme blanc. C'est là, lorsqu'il fait l'expérience directe de la politique de résiliation du gouvernement américain - le retrait de l'aide fédérale, y compris la nourriture, aux Amérindiens vivant dans les réserves, dans le but de les forcer à s'assimiler à la société euro-américaine - que son militantisme prend vie.
Fils de Leo et d'Alvina Peltier, il a été élevé par ses grands-parents paternels Alex et Mary Peltier, qui l'ont brièvement emmené à Butte, dans le Montana, où son grand-père travaillait dans l'exploitation forestière et les mines de cuivre. La famille a de nouveau déménagé dans la réserve de Turtle Mountain dans le Dakota du Nord, où Peltier a vécu jusqu'à l'âge de neuf ans. Il a ensuite été envoyé à l'école indienne Wahpeton à environ 150 miles de là, et y connaîtra l'éducation brutale typique des enfants indiens endurés à cette époque - séparés de leur culture, forcés de parler anglais et de vivre dans le monde de l'homme blanc.
Peltier s'installe à Seattle en 1965. En tant que copropriétaire d'un atelier de carrosserie automobile, emploie d'autres Amérindiens et assure des réparations peu coûteuses pour ceux qui sont dans le besoin. Durant cette période, il contribue à la création d'une maison de transition pour les anciens délinquants amérindiens, s'impliquant également dans les activités des associations amérindiennes, dans les questions de revendications territoriales des Amérindiens, dans le conseil en matière d'abus d'alcool et dans la préservation des terres amérindiennes toujours à Seattle. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, il travaille comme soudeur, charpentier ou encore conseiller communautaire et s'engage dans l'American Indian Movement (AIM), une organisation militante de défense des droits civiques où il finit par rejoindre la section de Denver. Alors qu'il travaille comme conseiller communautaire à Denver, Peltier investit la majeure partie de son énergie dans les programmes de l'AIM. Il s'est impliqué dans un certain nombre de manifestations et d'actions en faveur des droits, notamment le Trail of Broken Treaties de 1972, une manifestation nationale qui s'est terminée par l'occupation des bureaux du Bureau of Indian Affairs (BIA) à Washington, D.C. Au milieu des années 1970, Peltier et d'autres membres de l'AIM se sont rendus dans la réserve indienne de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, leur objectif étant d'aider les Indiens d'Amérique du Nord à s'intégrer dans les activités communautaires, des cérémonies religieuses et des programmes d'autosuffisance et d'aider à y organiser la sécurité.
◾️ L’affaire
Le 25 juin 1975, Jack R. Coler et Ronald A. Williams, des agents spéciaux du FBI recherchant pour interrogatoire un jeune homme à la suite de l'attaque de deux ranchs, sont tués dans une fusillade dans la Réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. Dans une déclaration publiée par son comité de défense, Peltier dit qu'il se souvient avoir été allongé dans sa tente, profitant du temps qu'il faisait et écoutant les femmes rire et bavarder à l'extérieur pendant qu'elles préparaient le petit-déjeuner. Lorsqu'il a entendu des coups de feu, il a d'abord considéré qu'il s'agissait d'un exercice de tir dans les bois. Puis il a entendu des cris. Il dit qu'il a attrapé sa chemise et son fusil et a commencé à courir vers les maisons voisines où il craignait que les Jumping Bulls ne soient piégés.
Les deux agents du FBI avaient emprunté un chemin de terre menant au camp dans des voitures séparées, à la poursuite du jeune Jimmy Eagle, accusé d'avoir volé une paire de bottes de cow-boy. Eagle, selon les agents, conduisait un pick-up rouge. Mais bientôt, leurs messages radio ont tourné à la panique. "Si vous n'arrivez pas rapidement, nous sommes morts", ont communiqué les agents par radio au FBI à Rapid City. Un troisième agent, Gary Adams, qui se trouvait dans la région, s'est immédiatement rendu sur les lieux.
Des coups de feu ont éclaté. Les membres de l'AIM Bob Robideau et Norman Brown, qui se trouvaient dans l'enceinte, ont déclaré que les agents avaient tiré les premiers et qu'ils avaient riposté. D'autres les ont rejoints. Coler a été le premier touché au bras. Le FBI a déclaré que Coler et Williams, qui n'avaient que des 38, essayaient de prendre leurs fusils dans le coffre. Robideau dira plus tard que les membres de l'AIM ne savaient pas que les hommes étaient des agents. Williams, qui a levé la main comme pour parer à une attaque, a reçu une balle à bout portant dans la tête, traversant sa main. Coler a lui aussi été touché à la tête. Et Stuntz a également été tué au cours des tirs croisés - bien que sa mort n'ait jamais fait l'objet d'une enquête.
◾️ Une chasse à l'homme amérindienne
Adams, qui a d'abord déclaré avoir vu un pick-up rouge sortir de l'enceinte à 12 h 18, est arrivé peu après et a signalé des tirs nourris. Il a rapidement été rejoint par 350 marshals américains, agents du FBI et policiers de la BIA, qui ont entamé une vaste chasse à l'homme.
Robideau, Darrelle Butler, Jimmy Eagle et Peltier ont été accusés de la mort des agents. Mais dans un premier temps, ces derniers ont tenté d'échapper à la loi : avec les autres membres armés de l'AIM, ils se sont enfuis vers des terres plus élevées, où, diront-ils plus tard, ils ont prié pour que les esprits des trois victimes puissent voyager en toute sécurité dans l'autre monde. Pendant un certain temps, ils se sont cachés dans la maison d'un vieil homme appelé Crow Dog. Quelques jours plus tard, Butler et Robideau ont été arrêtés ; Peltier a, lui, réussi à passer la frontière canadienne.
Il y sera arrêté lui aussi le 2 février 1976. Mais les négociations en vue de son extradition ont été retardées, de sorte que le juge, Edward McManus, a décidé de poursuivre le procès de Robideau et de Butler (les charges contre Eagle avaient été abandonnées) à Cedar Rapids, dans l'Iowa, en juin de la même année. De nombreuses sources décrivent ce qui a suivi comme une erreur judiciaire.
Le gouvernement avait pour tâche de prouver que les accusés avaient été complices des meurtres, ce qui, selon la loi, les rendait aussi coupables que la personne qui avait tiré les coups de feu mortels. Mais les accusés ont fait valoir qu'ils avaient tiré pour se défendre et ont critiqué la médiocrité des preuves circonstancielles de l'accusation. Le témoin vedette, un homme du nom de James Harper, qui prétendait avoir entendu Butler se vanter de son crime en prison, a également été discrédité : Sa logeuse l'a traité de voyou et de menteur. Lorsque le jury a rendu son verdict "non coupable", la communauté indienne s'est réjouie.
Les partisans de l'AIM ont supposé qu'ils n'avaient plus à s'inquiéter du sort de Peltier ; son extradition a été mise en place en décembre 1976. Mais les événements ont pris une tournure inattendue. La principale preuve dont disposait le gouvernement pour étayer son dossier d'extradition était un trio d'affidavits d'une femme indienne nommée Myrtle Poor Bear, dont on pensait généralement qu'elle était mentalement instable. Les déclarations sous serment étaient étrangement incohérentes : Dans la première, elle a déclaré qu'elle n'était même pas dans l'enceinte de Jumping Bull ; dans la seconde, qu'elle était sur place avec Peltier et qu'elle était sa petite amie ; dans la troisième, elle a fourni encore plus de "détails". Poor Bear dit aujourd'hui que les affidavits étaient une imposture. Dans le documentaire Incident At Oglala, cette femme en surpoids et aux dents béantes affirme que les agents ont menacé de lui retirer sa fille et lui ont affirmé : "Nous allons te passer dans un broyeur à viande". Dans le film, Poor Bear ajoute : "Je ne connaissais même pas Leonard ; je ne savais pas à quoi ressemblait Leonard jusqu'à ce que je le rencontre dans la salle d'audience".
◾️ Procès avec jury
Le procès de Peltier en 1977 a été déplacé à Fargo, dans le Dakota du Nord. Le jury était entièrement blanc ; et le juge initial, à Cedar Rapids, a été remplacé par le juge Paul Benson, lequel avait été révoqué par la Cour d'appel du huitième district pour ses déclarations anti-indiennes au cours d'au moins un de ses précédents procès. En fait, le juge Benson s'est exprimé à plusieurs reprises contre la défense au cours du procès de Peltier.
Les procureurs du gouvernement ont également adopté une stratégie plus agressive, estimant apparemment qu'il fallait rappeler au jury que les agents avaient été abattus à bout portant ; des photos sanglantes de la scène du crime ont été exhibées à plusieurs reprises. Le témoin Mike Anderson a déclaré qu'il avait vu le véhicule de Peltier pénétrer dans l'enceinte, que Peltier en était sorti et avait tiré sur les agents. Les procureurs ont également montré aux jurés une douille de calibre 223 qui, selon eux, avait été trouvée dans le coffre de la voiture de Coler ; elle provenait d'un AR-15 dont on a retrouvé la trace chez Peltier. Les jurés ont été convaincus : Peltier a été reconnu coupable et condamné à deux peines consécutives de prison à vie.
Une longue série d'appels infructueux a suivi. Les plaidoiries devant la cour d'appel du huitième district en 1985 n'ont pas été couronnées de succès ; la cour n'a pas estimé que le critère légal d'annulation était rempli. Mais la cour conclut un an plus tard que la suppression d'informations par le FBI "met fortement en doute les arguments du gouvernement".
Une des sources de doute était les affirmations du gouvernement concernant la douille. La défense a demandé un nouveau procès au motif que les documents obtenus des dossiers du FBI en vertu de la loi sur la liberté d'information comprenaient, entre autres preuves supprimées, un télex du 2 octobre 1975 d'un expert en balistique du FBI déclarant que l'arme supposée de Peltier contenait un "percuteur différent" de celui utilisé dans les meurtres. Le rapport était basé sur des tests effectués sur des douilles de balles trouvées sur les lieux du meurtre. Lors d'une audience du tribunal de district en 1984, l'expert en balistique Evan Hodge a déclaré que le télex faisait référence à d'autres douilles trouvées sur les lieux. Mais la défense a présenté des preuves supplémentaires montrant que l'arme présumée de Peltier avait été exclue en tant qu'arme du crime.
Une autre source de contestation était la camionnette rouge censée avoir pénétré dans l'enceinte, avec les agents Coler et Williams en poursuite. À la barre des témoins, l'agent Gary Adams est revenu sur sa description initiale des événements, disant qu'il avait vu un pick-up rouge et blanc quitter les lieux à 13h26 (et non un pick-up rouge à 12h18, comme il l'avait initialement déclaré). Les avocats de la défense ont déclaré que cela permettait au gouvernement d'attribuer les meurtres du FBI à Peltier, qui possédait une camionnette de banlieue rouge et blanche, présente au campement.
L'incohérence la plus forte est peut-être venue de l'aveu même du gouvernement : le procureur Lynn Crooks a déclaré à la cour d'appel que, bien que le gouvernement ait jugé Peltier pour meurtre au premier degré, le désignant comme "l'homme qui est descendu et a tué ces agents de sang-froid", il ne savait pas vraiment que c'était le cas. Crooks a défendu cette déclaration lors d'une audience du tribunal en 1991, en soulignant que les complices sont condamnables au même titre que les auteurs principaux. Après le procès et après la condamnation de Peltier, le gouvernement a semblé modifier sa théorie pour faire de Peltier un complice plutôt que le meurtrier prémédité comme il l'avait initialement désigné. Crooks a déclaré au tribunal : "Mon point de vue personnel est que [Peltier] est descendu et a fait sauter la tête de ces agents. Toutes les preuves l'indiquaient. Mais nous ne l'avons pas prouvé."
Pour brouiller les pistes, le journaliste Peter Matthiessen (auteur de 'In the Spirit of Crazy Horse', un livre de 1983 sur l'affaire Peltier dont la publication a été bloquée pendant huit ans par des procès en diffamation intentés en vain par un agent du FBI et le gouverneur du Dakota du Sud) a interviewé en 1990 un témoin appelé "M. X". M. X a déclaré à Matthiessen qu'il était l'auteur des coups de feu mortels, mais il n'a pas voulu se dénoncer, estimant qu'il avait agi en état de légitime défense.
Outre l'importante couverture médiatique de l'audience de juillet 1991, d'autres événements se sont produits cette année-là : Le juge d'appel Gerald Heaney, qui avait rédigé les conclusions du huitième district, est apparu dans l'émission West 57th de CBS, qualifiant l'affaire Peltier de "décision la plus difficile que j'aie jamais eu à prendre en 22 ans de carrière". Heaney a également écrit une lettre extraordinaire au sénateur d'Hawaï Daniel Inouye, président de la commission sénatoriale des affaires indiennes, dans laquelle il soulignait "la possibilité que le jury ait acquitté Leonard Peltier si les rapports et les données retenus à tort avaient été mis à sa disposition afin de mieux exploiter et de renforcer les incohérences qui remettaient fortement en question le dossier du gouvernement".
Inouye a fait une proposition au président George Bush pour une commutation de peine. Cinquante membres du Congrès ont signé un mémoire d'"ami de la cour" en faveur de Peltier. Et Amnesty International, année après année, a continué d'inscrire Peltier sur sa liste de prisonniers politiques, citant non seulement le cas du leader de l'AIM, mais également la "mauvaise conduite du FBI" dans les procès d'autres membres de l'AIM. D'autres ont rassemblé des preuves de la collusion du gouvernement dans le meurtre par embuscade de Pedro Bissonnette, leader des droits civiques des Sioux Oglala, l'exécution d'Anna Mae Pictou Aquash, membre de l'AIM, et les nombreuses tentatives d'assassinat contre Russell Means, leader de l'AIM.
Lors d'une audience de libération conditionnelle en décembre 1995, le procureur Lynn Crooks a admis une nouvelle fois qu'il n'existait aucune preuve contre Peltier, déclarant en outre que le gouvernement ne l'avait jamais vraiment accusé de meurtre et que s'il était rejugé, le gouvernement ne pourrait pas le condamner à nouveau. Néanmoins, la Commission des libérations conditionnelles a décidé de ne pas accorder la libération conditionnelle au motif que Peltier continue de clamer son innocence et qu'il est le seul à avoir été condamné. Bien que ce raisonnement puisse paraître ridicule, il est resté inchangé jusqu'à présent, et un recours en grâce adressé à l'exécutif est resté sans réponse trois ans après avoir été déposé auprès du ministère de la justice.
Peltier, quant à lui, reste en prison et poursuit son appel. Il est devenu un artiste accompli sur des thèmes amérindiens ; ses peintures, qui se vendent jusqu'à 6 000 dollars, rapportent de l'argent à son comité de défense. En 1999, il a rédigé un ouvrage intitulé 'Prison Writings : My Life Is My Sun Dance' qui a été publié. Peltier est fiancé à Lisa Faruolo, membre de l'équipe de sa défense. Peltier a fait savoir par l'intermédiaire de Faruolo que, s'il était libéré, il continuerait à œuvrer en faveur de l'investissement économique et des services sociaux dans la réserve. "Pour l'instant, je suis stocké comme un morceau de viande", a déclaré Peltier dans le documentaire Incident à Oglala. Mais, a-t-il ajouté, "j'ai ma dignité et le respect de ma personne, et je vais les préserver, même si je dois mourir ici".
📰 https://www.dedicatedwriters.com/biographies/Leonard_Peltier-31738.html
◾️ Lettre de Paul Berg adressée à l'attention du Président Clinton
Le 20 décembre 2000,
À l'attention du Président des États-Unis
Bureau du Conseil de la Maison Blanche
1600 Pennsylvania Avenue
Washington, D.C.
Monsieur le Président,
Mon nom est Paul Berg et je vous écris au sujet de l'affaire Leonard Peltier. Durant mes fonctions d'employé pour le Bureau des Affaires Indiennes -BIA-(1), j'ai été amené à travailler avec le FBI au moment où s'est produit l'assaut lancé sur le site de Wounded Knee en 1973 (2), et j'ai des informations à vous faire part qui sont susceptibles de vous intéresser. Avant mon arrivée sur la réserve de Pine Ridge, j'avais été dans les services de renseignements pour le compte de la Marine pendant la guerre du Vietnam. Je faisais partie d'une équipe chargée de localiser des bunkers, des positions d'artillerie et points de ravitaillement dans les environs de Khe Salm. Mon expérience militaire m'a permis d'acquérir des connaissances limitées, quoique très utiles pour des opérations à mener dans des situations de siège.
Après mon service dans la Marine, j'ai été diplômé en Licence de Sciences de l'Education à l'Université Luthérienne du Pacifique à Tacoma, Etat de Washington. J'ai été professeur sur la réserve de Pine Ridge de 1971 à 1976 et ai eu l'unique opportunité d'observer par moi-même cette période d'adversité. Après avoir quitté la réserve, j'ai vécu et travaillé en Alaska comme professeur en milieu rural et éducateur spécialisé pour le Département de l'Education d'Alsaka ainsi que comme membre à la faculté de l'Université d'Alsaka. En 1991, j'ai été engagé par le Ministère pour rédiger un rapport à soumettre lors de la réunion de la Commission Spéciale sur les Nations Indiennes à Risque qui s'est tenue à la Maison Blanche. Le Ministère de l'Education américain m'a gratifié du titre d'"expert national" en la matière. J'ai aussi écrit un certain nombre d'articles et collaboré à la rédaction de plusieurs ouvrages dans le champ des sciences de l'éducation. A présent, je suis propriétaire et directeur de l'Académie Thunder Mountain, une école secondaire privée située à Juneau en Alaska.
Je crois qu'il est très important, lorsque vous vous déterminerez sur la question de la grâce présidentielle concernant Leonard Peltier, que vous soyiez pleinement conscient des contextes historique et social qui ont conduit aux disparitions tragiques des agents Williams et Coler, survenues sur la réserve de Pine Ridge en juin 1975. En 1971, quand je suis arrivé sur la réserve de Pine Ridge, dans l'État du Dakota du Sud, le poids des événements historiques était manifeste, même chez les enfants. Lorsque j'ai demandé à mes élèves de 5ème de rédiger une composition sur le thème "dix ans après", la moitié d'entre eux a écrit en évoquant leur propre mort. Ce désespoir trouve sa source dans un passé récent. Les Sioux et la 7ème Cavalerie se sont affrontés durant la bataille de Little Big Horn en 1876 (3). Par la suite, les bandes de Sioux qui y ont participé ont été pourchassées puis confinées à vivre dans des conditions sordides sur des réserves fédérales. En 1880 les Sioux étaient brisés au niveau culturel etindividuel. Ils ont collectivement embrassé la Danse des Esprits, une sorte d'hystérie culturelle (4). Les agents du gouvernement servant sur Pine Ridge ont interprété à tort la Danse des Esprits comme une menace d'aggression dirigée en direction des non-Indiens et ils ont fait appel à l'Armée. Et l'ironie du sort a voulu que ce soit l'unité de la 7ème Cavalerie qui réponde, une unité de l'Armée qui avait des comptes à régler avec les Sioux. Dans la crique de Wounded Knee au cours d'une glaciale journée d'hiver, la 7ème Cavalerie a pris sa revanche en massacrant plus de 200 hommes, femmes et enfants. On insistera jamais assez sur le fait que la bataille de Little Big Horn était un face à face entre des protagonistes armés dans chaque camp. Wounded Knee, au contraire, a été un massacre de personnes pour la plupart sans arme par un escadron militaire motivé par la revanche. Des femmes et des enfants ont été retrouvés jusqu'à plus de 3 kms du site. Les femmes avaient disposé des couvertures sur les enfants afin qu'ils ne voient pas ceux qui allaient les exécuter. Le Congrès a décoré de médailles d'honneur plusieurs soldats qui avait participé au massacre. L'attribution de ces médailles n'a jamais été révoquée. La communauté de la réserve de Pine Ridge a vécu avec une mémoire collective et culturelle conditionnée par l'impact d'un massacre perpétré par le gouvernement.
En 1973, le deuxième jour après le début de l'occupation de Wounded Knee, j'ai ramené une lunette téléscopique puissante sur les collines surplombant le site et j'ai commencé à observer. Au bout d'une heure je me suis rendu à un barrage routier tenu par le FBI au nord de Wounded Knee et les ai informés de la construction en cours d'un bunker au nord de l'église catholique dans le village. J'ai également indiqué aux agents que ce bunker ne présentait aucune menace, seulement une mise en scène à l'attention des médias, car il était construit loin devant la zone militarisée de la crète de la colline, à un emplacement exposé. Les agents ont réagi avec inquiétude à mon rapport concernant ce nouveau bunker et n'étaient visiblement pas capables de saisir le caractère tactique de cette information. Ces agents n'avaient aucune expérience militaire sur ce terrain.
Le jour suivant, j'ai été détaché de mes fonctions courantes de professeur du BIA (les écoles étaient fermées de toute manière) afin de servir d'observateur pour le FBI. J'ai été équipé d'un fusil d'assaut et ai intégré les opérations menées par le FBI. Pendant que j'assumais ce rôle, j'ai eu la possibilité d'observer les manouvres du FBI dans des situations d'échanges de tirs. J'ai eu plusieurs moments d'effarement. Le premier lorsque j'ai constaté que les agents du FBI n'étaient pas formés ni entraînés à des opérations tactiques sur une réserve indienne. Ils n'avaient aucune compréhension des manouvres de terrain et n'étaient pas préparés physiquement, émotionnellement ni intellectuellement à la conduite d'un siège. Ensuite, la plupart des agents arrivaient de milieux urbains et se trouvaient désorientés jusqu'à la confusion. C'était un peu comme être expédié vers un pays étranger où les habitants avait l'air insolite, sans carte routière ni plan d'action. Placés dans ce type de situation, les plus jeunes agents étaient plus particulièrement disposés à réagir hors proportion à ce qu'ils percevaient être comme des menaces. Enfin, au cours de la progression du siège, plusieurs agents parmi ceux qui étaient les moins expérimentés ont infligé des brutalités à des habitants des environs.
Les agents du FBI avait la sale habitude de stationner leurs voitures sur les routes de la réserve et de pointer les canons de leurs M-16 en direction de véhicules à l'approche. Dans la mesure où les voitures du FBI ne présentaient aucun signe particulier permettant de les identifier, les personnes qui roulaient dans leur direction étaient souvent saisies de panique et prenaient la fuite. Les agents les prenaient en chasse et arrêtaient le véhicule. Une de ces poursuites s'est produite avec l'escadron du FBI dans lequel on m'avait affecté. Un vieil homme et une vieille femme accompagnés de leurs petit-fils et petite-fille âgés respectivement de 6 et 10 ans ont été poussés sur le bas côté de la route. Il leur a été intimé l'ordre à chacun de s'allonger à terre bras et jambes écartés. Un des agents donnaient des coups à l'aide du canon de son arme à la petite fille comme s'il cherchait à la retourner. L'enfant tremblait et pleurait de frayeur. Un employé tribal et moi-même avons rapporté ces faits auprès des officiers du FBI à Pine Ridge. Les deux agents en question ont nié toute exaction. Cependant, d'autres agents fédéraux du coin qui avaient été témoins ont été en mesure de corroborer notre rapport. Je me souviens d'un homme qui est venu vers moi, et qui, d'après ce qu'on m'a dit, était l'officiel numéro 2 du FBI en charge des opérations du siège. Je lui ai expliqué que ce qui venait d'être infligé à l'enfant l'affecterait toute sa vie. Je lui ai dit que j'étais professeur et que je ne voulais pas être impliqué dans des situations de conflit direct avec des agents du FBI armés et incapables de se contrôler. Il m'a informé que les deux agents seraient renvoyés de la réserve sur le champ. Il a aussi ajouté qu'il avait besoin de moi et m'a demandé de rester en tant qu'officier de liaison avec le FBI. Il m'a dit qu'un certain nombre de jeunes agents ne savaient pas ce qu'ils faisaient, qu'ils avaient besoin d'être pris en main, sinon des gens allaient être tués. Il a aussi promis de me soutenir si quelque chose devait à nouveau se produire. A partir de l'instant où il m'a confié cette responsabilité, j'étais d'accord pour continuer.
Après cela, j'ai reçu un message de l'American Indian Movement. En substance le message disait qu'aussi longtemps j'empêcherais "ces animaux de tuer des gens", je n'aurais aucun problème avec eux. Il m'a aussi été recommandé par l'AIM de ne jamais pointer ni faire usage de mon arme en direction de qui que ce soit.
Quelques semaines plus tard, j'ai été témoin d'une scène où deux jeunes agents du FBI ont été pris de panique lors d'échanges de coups de feu. Ils se trouvaient dans le périmètre du bunker. Ils essuyaient les tirs du camp adverse et un des spectacles les plus étranges que j'ai pu observer a été lorsqu'ils ont perdu leur sang froid. Ils ont réagi d'une manière complètement disproportionnée en hurlant et pleurant pour qu'on vienne les aider. J'ai demandé aux Marshals fédéraux d'aller les chercher en M113 (véhicule blindé), ce qui a plutôt contrarié ces derniers.
Le siège de Wounded Knee a duré plus de 70 jours. Les deux années suivantes ont été un enfer sur la réserve de Pine Ridge. Beaucoup de personnes ont été tuées lors de passages à tabac, de coups de feu tirés depuis des voitures ou lors de disparitions. Les archives du gouvernement ont documenté une soixantaine de meurtres non élucidés durant cette période. Le nombre exact pourrait bien s'élever à plusieurs centaines de victimes. Les principaux instigateurs de cette violence étaient les Guardians of Our Oglala Nation -l'escadron des Goons. Ils soutenaient le Chef Tribal Dick Wilson. Tout le monde savait sur la réserve à cette époque-là que plusieurs membres des Goons étaient des agents de la police tribale agissant en dehors de leur fonctions. Il y avait en Amérique dans les plaines du Dakota du Sud, une situation assez semblable à ce qui se passe aujourd'hui en Colombie ; la police était partie constituante des escadrons de la mort qui avaient pour rôle de neutraliser toute opposition politique. Ces officiers recevaient des rétributions de source fédérale et la situation se développait sur une réserve fédérale. Les victimes étaient pour la plupart des Indiens de pure souche et des traditionalistes Sioux qui s'étaient positionnés au plan politique en opposition à un leadership tribal qu'ils considéraient comme corrompu et ne défendant que ses propres intérêts.
Beaucoup de gens sur la réserve de Pine Ridge craignaient pour leur vie à cette époque. J'ai pu observer les effets pernicieux de cette peur lors d'un grand nombre d'occasions. Une fois, alors que je conduisais sur la route entre le village de Pine Ridge et le hameau de Wounded Knee, j'ai vu 8 ou 9 véhicules garés au bord de la route. Je me suis arrêté pour voir ce qu'il se passait. Les gens étaient alignés sur le bas côté en train de regarder en direction d'une femme qui gisait dans le fossé. J'ai alors remarqué que son corps bougeait. Personne n'a fait un geste pour l'aider. Les gens se sentaient concernés mais avaient trop peur d'apporter directement leur aide. Lui porter secours revenait à s'opposer à ceux qui l'avaient laissée dans cet état. Moi, en tant que non-Indien et professeur au sein d'une mission (j'avais démissionné du BIA après le siège), je n'étais pas astreint à cette règle. Je suis descendu, je me suis adressé à elle en l'appelant "Grand-Mère" et l'ai aidée à remonter jusqu'à ma voiture. Personne ne nous a aidé. La peur des sanctions l'emportait sur les sentiments de sympathie.
Les traditionalistes de la réserve se sentaient lésés de toute forme de protection civilisée. Et c'était vrai en réalité. Lorsque l'escadron des Goons a fait une descente sur le village de Wamblee pour y mener des représailles contre la communauté en raison de son opposition au président tribal Dick Wilson, les résidents ont appelé le bureau du FBI situé à Rapid City. Ils ont informé les agents que la communauté était en train de subir une attaque. Il leur a été répondu que le FBI était un bureau d'investigation, et non une agence au service du maintien de l'ordre. Le FBI n'est pas intervenu et le mitraillage a duré toute la nuit en l'absence de toute assistance. Un résident a été tué cette nuit-là (cet incident a été vérifié par la Commission Américaine pour les Droits Civils).
Pendant mon travail avec le FBI, plusieurs autres agents de liaison et moi-même avons fait des efforts afin d'éduquer les jeunes agents du FBI sur les risques que cela comportait de réagir agressivement dans une telle atmosphère de peur. Nous leur expliquions que les résidents avaient peur de se faire tuer. Je me souviens d'un incident particulièrement décourageant à l'issue duquel je me suis mis à hurler après plusieurs agents leur disant qu'ils allaient finir par se faire tuer s'il continuaient à pointer leurs fusils vers les gens. J'ai essayé de leur faire comprendre que le grand jeu avec une arme ne prendrait pas sur la réserve. Le coup du "haut-les-mains où je tire!" fonctionnait peut-être dans l'Amérique urbaine, mais sur une réserve les gens considéraient que si vous pointiez votre canon sur eux, c'est que vous aviez l'intention de les tuer. Ils savaient également que personne ne serait rendu responsable de leur mort. Nous recommendions aux agents de ne pas mener leurs interpellations avec leur arme mais avec courtoisie. Qu'ils s'adressent aux hommes en leur disant "Monsieur" et "Madame" pour les femmes, même s'ils devaient effectuer une perquisition ou mettre quelqu'un aux arrêts.
C'est dans ce climat d'intimidation, de peur et d'assassinats que sont arrivés les deux jeunes agents Williams et Coler. Selon des témoignages, Williams et Coler ont pénétré sur un terrain avec leurs armes à la main. Cette attitude, à cet endroit et à ce moment-là, signifiait "Nous sommes venus pour vous tuer!". Ils n'étaient apparemment pas conscients de l'héritage de violence autorisée et approuvée laissé par l'histoire sur la réserve de Pine Ridge, tout comme ils n'avaient aucune idée de l'étendue de la peur dans l'esprit des traditionalistes sioux. Leurs morts sont une tragédie, se mêlant à la tragédie humaine qui continue de se dérouler sur la réserve de Pine Ridge. Les preuves falsifiées au détriment de Leonard Peltier sont un autre sujet préoccupant que je ne peux pas développer dans cette lettre, mais qui a été documenté avec précision par d'autres.
Ce qui se passe, M. le Président, est que le Bureau Fédéral d'Investigation réclame une victime pour payer la mort de ces deux jeunes hommes. Cette agence et le gouvernement fédéral n'ont jamais reconnu leurs responsabilités dans les circonstances qui ont conduit à la mort des deux agents. Et personne ne se soucie de l'assassinat de l'Amérindien Joe Stuntz survenu lors de ce même incident qui a pris les vies des agents Williams et Coler.
Je vous en prie, regardez au-delà des enjeux politiques et du racisme et permettez que Leonard Peltier obtienne justice. Laissez-le retourner chez lui. Je vous exhorte d'avoir le courage moral de faire ce qu'il faut faire pour cela. L'Histoire vous remerciera.
Salutations sincères,
Paul Berg
Notes :
(1) Le Bureau des Affaires Indiennes (BIA) a été créé par les Etats-Unis en 1824 à une époque où ils ont commencé à réduire les Indiens au statut de "pupilles" afin de placer leurs intérêts et leurs terres sous la tutelle administrative du gouvernement. Le BIA a d'abord été placé sous la coupe du Ministère de la Guerre puis transféré en 1849 au Ministère de l'Intérieur.
(2) L'occupation du hameau de Wounded Knee sur la réserve de Pine Ridge (Dakota du Sud) s'est déroulée du 27 février au 8 mai 1973 à l'initiative d'Indiens traditionalistes oglala lakota soutenu par l'AIM (American Indian Movement) pour protester contre le règne de terreur instauré par le conseil tribal corrompu.
(3) Le Général Custer, ennemi juré des Indiens, a été tué pendant la bataille de Little Big Horn.
(4) D'une manière moins péjorative, la Danse des Esprits était en fait un rituel religieux institué vers 1880 chez les Indiens Paiute par leur guide spirituel Wovoka. Il prophétisait la disparition des Blancs et la réappropriation de leurs terres par les nations indiennes. La pratique de ce rituel qui s'est étendue à d'autres cultures indiennes se déroulait sur cinq jours consécutifs et était accompagnée de transes.
Groupe de Soutien à Leonard Peltier - LPSG-France
📰 http://mapuche.free.fr/Berg.html
◾️ Deux poèmes extraits de 'Prison Writings : My Life Is My Sun Dance'
Péché "aboriginel"
Nous naissons tous innocents.
Nous devenons tous coupables.
Dans cette vie tu deviens coupable d’être toi.
Être soi-même, c’est ça le Péché « aboriginel »,
Le pire de tous les péchés.
C’est un péché que l’on ne te pardonnera jamais.
Nous les Indiens sommes tous coupables,
Coupables d’être nous-mêmes.
On nous enseigne cette culpabilité dès la naissance.
Nous l’apprenons consciencieusement.
A chacun de mes frères et à chacune de mes sœurs
Je dis,
Sois fier de cette culpabilité.
Tu n’es coupable que de ton innocence,
D’être toi-même,
D’être indien,
D’être humain.
Être coupable te rend sacré.
Cri d’aigle
Écoutez –moi !
Écoutez !
Je suis la voix indienne.
Entendez mon cri porté par le vent,
Entendez mon cri porté par le silence.
Je suis la voix indienne.
Écoutez-moi !
Je parle au mon de nos ancêtres.
Leurs âmes tourmentées vous appellent depuis la tombe.
Je parle pour les enfants à naître.
Ils vous appellent depuis le silence inexprimé.
Je suis la voix indienne.
Écoutez-moi !
Je suis le porte-parole de millions de voix.
Entendez-nous !
Notre cri d’aigle ne sera pas bâillonné !
Nous sommes votre conscience qui appelle.
Nous sommes vous
Pleurant silencieusement à l’intérieur.
Que ma voix étouffée soit entendue.
Que mon cœur parle et dise les mots en un murmure porté par le vent
À des millions de gents,
À tous ceux qui compatissent,
À tous ceux qui ont des oreilles pour entendre et un cœur qui bat à l’unisson
Avec le mien.
Mettez votre oreille contre la terre,
Et entendez le battement de mon cœur.
Mettez votre oreille contre le vent
Et entendez ma voix.
Nous sommes la voix de la Terre,
Du futur,
Du Grand Mystère.
Entendez-nous !
📰 https://www.paperblog.fr/5990214/leonard-peltier-poemes/