♟ Le Nez du Chameau
Bottes françaises ou américaines, c'est kif-kif. Si la Russie laisse le nez du chameau français entrer dans la tente ukrainienne, le cou de l'OTAN viendra ensuite, accompagné du corps américain.
Le Nez du Chameau
Par Scott Ritter, le 22 mars 2023, Blog de l'auteur
À l'été 1997, au plus fort d'une nouvelle crise entourant la saga apparemment sans fin des équipes d'inspection des armes de l'ONU, dirigées par votre serviteur, qui tentaient d'accéder à des sites considérés par l'Irak comme sensibles pour sa sécurité nationale, j'avais encerclé le siège des services de renseignement irakiens (les Moukhabarat) et insisté pour qu'on m'accorde l'accès à des lieux spécifiques à l'intérieur du complexe, jugés pertinents pour le mandat du Conseil de sécurité régissant le désarmement des programmes d'armes de destruction massive de l'Irak. Mon principal interlocuteur était le général Amer al-Sa'adi, ancien chef de l'industrie militaire irakienne et, à l'époque, conseiller spécial du président irakien Saddam Hussein.
J'ai informé le général Sa'adi de mon souhait d'accéder à deux endroits spécifiques, l'un au sein de la direction M-4 (opérations) et l'autre au sein de la direction M-5 (contre-espionnage). Le général Sa'adi m'a informé qu'il s'agissait des aspects les plus sensibles du travail des moukhabarat et qu'il serait impossible de me donner accès à ces lieux. J'ai cependant persisté et, à l'époque, je disposais du soutien du Conseil de sécurité, qui avait clairement indiqué dans une résolution récente qu'un refus d'accès à mon équipe constituerait une violation matérielle des obligations de désarmement de l'Irak, ouvrant ainsi la voie à une attaque des États-Unis contre l'Irak. Il ne s'agissait pas d'une menace en l'air : dans le golfe Persique, les États-Unis avaient déployé un porte-avions, des navires et des sous-marins porteurs de missiles, soutenus par des chasseurs-bombardiers de l'armée de l'air américaine opérant à partir de bases situées dans les pays voisins.
Après nous avoir refusé l'accès pendant plusieurs heures, le général Sa'adi a finalement cédé et j'ai emmené mon équipe dans les bureaux que nous avions désignés comme pertinents, où nous avons trouvé des documents qui nous ont permis de mieux comprendre comment l'Irak avait procédé à l'achat clandestin d'articles interdits au cours des premières années de notre travail de désarmement en Irak. Une fois l'inspection terminée, je me suis approché du général Sa'adi et l'ai réprimandé. "Nous aurions pu en finir depuis des heures et sans drame", lui ai-je dit.
Plus tôt dans la journée, alors que mon équipe était stationnée aux différentes entrées du complexe des Mukhabarat, empêchant toute sortie de personnel, véhicules et/ou documents, les forces de sécurité irakiennes chargées de notre protection ont intercepté un citoyen irakien furieux qui, armé d'un fusil automatique AK-47, prévoyait de nous attaquer, moi et mon équipe, au volant de sa voiture. Il a été arrêté à moins de 50 mètres de l'endroit où mon équipe de commandement et moi-même nous trouvions.
"Mr. Scott", a répondu le général Sa'adi, "nous n'aimons pas que vous mettiez votre nez là où il ne faut pas".
"Vous avez vu vous-même que les informations que nous avons trouvées étaient pertinentes pour notre mandat. Nous ne faisons que notre travail", ai-je rétorqué.
"Oui. C'était pertinent. Mais seulement en tant qu'histoire. Nous n'avons plus les armes que vous recherchez. Nous avons tout déclaré. Et maintenant, vous vous livrez à un exercice académique mettant en péril notre sécurité nationale", m'a signifié Sa'adi.
Je me suis offusqué de ses propos.
"Nous vous avions interrogé sur les relations entre les Mukhabarat et l'achat d'armes par le passé. Vous avez nié l'existence de ce lien. Nous disposions d'informations indiquant qu'il y en avait un. En tant que tel, nous avions le devoir de supposer que vos dénégations constituaient une preuve de facto que ces activités d'approvisionnement se poursuivaient".
J'ai pointé du doigt le bâtiment principal du quartier général, où nous avions effectué les perquisitions.
"Et les documents que nous avons découverts ont prouvé que nous avions raison - il y avait un lien entre les Mukhabarat et l'achat d'armes secrètes".
Le général Sa'adi m'a répondu :
"Oui, vous aviez raison. Mais nous aussi. Les documents ont également prouvé que cette activité d'approvisionnement avait été interrompue il y a des années. Comme nous l'avions dit."
"Alors pourquoi ne pas laisser entrer mon équipe et fermer la porte à ce chapitre ? Pourquoi nous retarder et nous harceler ?"
Le général Sa'adi s'est tourné vers moi et a souri.
"Il y a un dicton parmi les tribus bédouines qui dit : "Si le chameau met une fois le nez dans la tente, son corps suivra bientôt. Ceci", déclara Sa'adi en faisant un geste vers l'enceinte des Mukhabarat, "est notre tente. Nous ne pouvons pas vous permettre de mettre votre nez sous le rabat de la tente. Si nous le faisons, vous ne vous arrêterez pas avant d'être à l'intérieur. Et une fois à l'intérieur, vous ne partirez jamais."
"Mais je suis entré", ai-je dit.
"Oui, mais nous avons fait en sorte que cela soit le plus gênant possible pour vous. Et maintenant, vous partez. Et si vous revenez, nous vous gênerons encore plus."
Il s'est arrêté, me regardant fixement.
"Nous ne voulons pas du chameau de l'UNSCOM dans la tente irakienne. Parce qu'avec l'UNSCOM vient l'Amérique. Et avec l'Amérique, la mort et la destruction."
J'ai souvent réfléchi aux paroles du général Sa'adi ce jour-là, et à leur prescience - l'UNSCOM a fini par mettre son nez sous la tente irakienne.
Et avec nous, l'Amérique.
Et la mort a suivi.
L'expression "ne pas laisser passer le nez du chameau sous la tente" est devenue une partie de mon lexique personnel, à prononcer chaque fois que je pensais qu'une présence indésirable cherchait à se frayer un chemin dans mon univers.
La semaine dernière, le président français Emmanuel Macron a déclaré qu'il n'y avait pas de "lignes rouges" en ce qui concerne la perspective d'un déploiement de troupes françaises en Ukraine. Les premiers rapports indiquaient que l'armée française se préparait à accélérer le renforcement d'une force opérationnelle de la taille d'un bataillon (environ 700 hommes) actuellement déployée en Roumanie, pour en faire une brigade (environ 2 000 hommes). La France s'était préparée à prendre cette mesure en 2025, mais l'effondrement précipité de l'armée ukrainienne sur les lignes de front de la guerre en cours avec la Russie a décidé Macron à accélérer l'opération en prévision de l'envoi de cette brigade en Ukraine.
Dans l'ensemble, un contingent militaire français de 2 000 hommes ne modifiera pas, en soi, l'équilibre stratégique des forces sur le terrain en Ukraine. Au mieux, le groupement tactique français serait en mesure de soulager une unité ukrainienne de taille similaire servant à la sécurité, de sorte que les Ukrainiens pourraient être redéployés sur le front, où l'on peut s'attendre à ce qu'ils soient réduits en miettes en quelques jours.
Les Français ont tenté de brouiller davantage les pistes en déclarant qu'un contingent français, s'il était déployé en Ukraine, le serait en tant que troupes "neutres".
La question est de savoir dans quelle mesure la Russie autoriserait un tel déploiement de forces étrangères sur le sol ukrainien, même si ces troupes n'étaient pas directement engagées dans des combats.
La réponse ?
La Russie ne permettrait pas un tel déploiement. Tout d'abord, l'idée que la France adopte une position "neutre" dans un conflit dans lequel elle a déjà désigné les Russes comme son "adversaire" est risible. Les adversaires, par définition, ne peuvent être neutres.
Mais la principale raison pour laquelle la Russie ne peut autoriser un déploiement militaire français, même limité, en Ukraine est la suivante : "Si le chameau met une fois le nez dans la tente, son corps ne tardera pas à suivre".
Ces 2 000 soldats ne sont que le nez du chameau plus grand qu'est l'OTAN. La France s'est déjà déclaré prête à déployer jusqu'à 20 000 soldats en Ukraine, à l'avant-garde d'une coalition de forces issues des pays de l'OTAN qui pourrait compter jusqu'à 60 000 hommes.
Et une fois que 60 000 soldats seront déployés en Ukraine, l'OTAN brandira inévitablement l'article 4 de la Charte de l'OTAN pour définir une situation de grave importance pour la sécurité nationale du collectif de l'OTAN et convertir ces 60 000 soldats en une force de l'OTAN soutenue par la pleine puissance de cet organisation.
Le chameau sera pleinement installé dans la tente ukrainienne.
Et pour que la Russie puisse faire sortir le chameau de la tente, il faudrait qu'elle entre en guerre contre l'OTAN.
Non pas une guerre par procuration, comme celle actuellement menée en utilisant l'Ukraine comme outil de l'Occident collectif, mais bien un conflit à grande échelle qui conduira inévitablement à l'utilisation d'armes nucléaires, d'abord sur le sol européen, puis plus tard dans le cadre d'un conflit nucléaire général entre la Russie et l'Occident collectif.
Bref, la fin du monde tel que nous le connaissons.
Le degré d'implication des États-Unis dans les plans de la France et de ses partenaires européens n'est pas entièrement connu. L'administration Biden s'est toujours opposée à toute escalade susceptible d'entraîner l'envoi de troupes américaines sur le terrain, de peur de laisser la situation échapper à tout contrôle et d'aboutir à une troisième guerre mondiale qui dégénérerait rapidement en guerre nucléaire.
La Russie, cependant, ne fait pas de différence entre les bottes françaises et les bottes américaines - ce sont toutes des bottes de l'OTAN.
Si la Russie laisse le nez du chameau français entrer dans la tente ukrainienne, le cou de l'OTAN viendra ensuite, accompagné du corps américain.
Et la mort suivra.
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