❖ La longue histoire du Royaume-Uni en matière d'espionnage de l'Iran
Le Royaume-Uni a passé des décennies à tenter de subvertir le gouvernement iranien, mais lui a aussi vendu secrètement des armes chimiques & a espionné des militants de l'opposition.
La longue histoire du Royaume-Uni en matière d'espionnage de l'Iran
Le Royaume-Uni a passé des décennies à tenter de subvertir le gouvernement iranien, mais lui a aussi vendu secrètement des armes chimiques et a espionné des militants de l'opposition.
Par Martin Williams, le 25 juin 2025, Declassified
Lorsque les bombes sont tombées sur l'Iran cette semaine, le gouvernement britannique a affirmé "ne pas avoir participé" à l'action militaire menée par Israël et les États-Unis.
Mais les agences d'espionnage britanniques ont une longue histoire d'ingérence en Iran, allant d'opérations d'influence clandestines à la vente secrète de matériel d'armement chimique au régime.
Dans un cas, l'agence d'espionnage britannique GCHQ a même créé un réseau de faux comptes Twitter pour surveiller secrètement les militants de l'opposition iranienne, ceux-là mêmes qui œuvrent à la destitution du guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei.
Coup d'État
Les espions britanniques ciblent l'Iran depuis des décennies, motivés par le profit commercial et le contrôle régional.
En 1951, lorsque le premier ministre laïc du pays, Mohammed Mosaddeq, a nationalisé la compagnie pétrolière britannique Anglo-Iranian Oil Company (connue plus tard sous le nom de BP), l'ambassadeur britannique a écrit : "Il est très important d'empêcher les Perses de détruire leur principale source de revenus [...] en essayant de la gérer eux-mêmes".
Deux ans plus tard, le Royaume-Uni et les États-Unis ont secrètement soutenu un coup d'État visant à évincer Mosaddeq et à centraliser le pouvoir sous un régime répressif "pro-occidental".
Des dossiers déclassifiés ont depuis révélé le rôle central joué par le MI6, qui a recruté des agents et soudoyé des membres du parlement iranien. Un ancien espion a affirmé qu'ils avaient ainsi dépensé "plus d'un million et demi de livres".
Le Royaume-Uni et les États-Unis ont ensuite soutenu le dictateur iranien, le Shah, durant les 25 années suivantes.
En 1979, la révolution iranienne a vu la création de la République islamique, dirigée par un autre dictateur, l'ayatollah Khomeini. Cela n'a pas empêché les espions britanniques de collaborer avec ce régime lorsque c'était dans leur intérêt.
Par exemple, en 1983, les services secrets britanniques ont fourni à Khomeini une liste d'Iraniens supposés travailler pour l'Union soviétique. Ces renseignements ont été utilisés pour arrêter plus de 1 000 communistes, dont 200 ont été exécutés. Entre-temps, le parti communiste iranien, le Tudeh, a été interdit et contraint à la clandestinité.
Les relations secrètes ont de nouveau été exploitées au début des années 1990, lorsque le MI6 a contribué à fournir à l'Iran des matériaux pour la fabrication d'armes chimiques, en dépit de l'interdiction de ces ventes.
L'objectif de la Grande-Bretagne était soi-disant de se servir de ces accords comme un moyen d'introduire des agents dans le gouvernement iranien et de recueillir des renseignements sur ses programmes d'armement.
La cyberguerre
Sous la présidence de Tony Blair, le piratage des communications et la cyberguerre ont pris une place de plus en plus importante dans les opérations d'espionnage menées par le Royaume-Uni contre l'Iran.
À partir de 2005 environ, Israël et les États-Unis ont collaboré pour mettre au point la célèbre attaque du virus informatique Stuxnet, qui a été décrite comme "la première arme numérique au monde".
Quatre ans plus tard, ce virus a été utilisé contre les installations nucléaires iraniennes, et des rapports ont affirmé que les services de renseignement britanniques avaient joué un rôle dans cette opération.
En 2007, le GCHQ (pour rappel : l'agence d'écoute britannique) a intercepté des conversations téléphoniques prouvant que l'Iran avait cessé de travailler sur son programme d'armement nucléaire quatre ans plus tôt.
Bien que son gouvernement ait été victime d'espionnage, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad s'est réjoui de cette révélation, déclarant qu'elle avait laissé l'Occident "bredouille" après les "mensonges sur les armes nucléaires".
Cette révélation a également entraîné une réévaluation de la politique américaine à l'égard de l'Iran, bien que George W. Bush - président à l'époque - ait continué à mettre en garde contre la menace posée par Téhéran. "Qu'est-ce qui nous dit qu'ils ne pourraient pas lancer un autre programme secret d'armement nucléaire", a-t-il déclaré aux journalistes.
Le JTRIG (Groupe interarmées de recherche sur les menaces & le renseignement)
Les opérations les plus audacieuses et les plus troublantes du Royaume-Uni à cette époque ont été menées par une unité spécialisée du GCHQ, le Joint Threat Research Intelligence Group (JTRIG).
Les documents divulgués par Edward Snowden montrent comment le JTRIG a ciblé la "population générale" de l'Iran entre 2009 et 2011 a minima.
Son travail consistait à "discréditer les dirigeants iraniens et leur programme nucléaire", à perturber le programme nucléaire, à mener des opérations de renseignement humain en ligne et des campagnes de contre-censure.
Un rapport de 2011 explique : "Le personnel du JTRIG emploie une série de techniques pour, par exemple, discréditer, perturber, retarder, nier, dégrader et dissuader.
"Ces techniques comprennent : le téléchargement de vidéos YouTube contenant des messages persuasifs ; la création de pseudonymes en ligne avec des comptes Facebook et Twitter, des blogs et des adhésions à des forums pour mener des opérations de renseignement humain (HUMINT) ou encourager la discussion sur des questions spécifiques ; l'envoi de faux courriels et de faux SMS ainsi que la fourniture de fausses ressources en ligne ; et la création de faux sites commerciaux."
Lurl.me
Un autre document divulgué, publié par NBC News en 2014, montre comment le JTRIG a localisé ses cibles grâce à un service de raccourcissement d'URL qu'elle a spécialement créé, appelé lurl.me.
Ce service permettait aux espions d'envoyer des liens web d'apparence innocente à des individus et d'accéder à leur adresse IP, leurs courriels et leurs réseaux sociaux.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, l'usage de lurl.me par le JTRIG peut encore être trouvée en ligne aujourd'hui. Les liens ont été postés par un réseau de faux bots Twitter qui sont devenus actifs autour de l'élection présidentielle iranienne de 2009.
Mais plutôt que de viser le régime répressif de Khamenei, les tweets s'adressent aux militants antigouvernementaux. Ils appellent à une révolution et fournissent des liens vers des serveurs Internet, des organes de presse occidentaux et des sites Web bloqués par le gouvernement iranien.
Il semble que le JTRIG essayait d'encourager la dissidence tout en surveillant secrètement les dissidents.
À peu près à la même époque, l'unité avait également accès à un vaste catalogue d'autres outils de cyberguerre, sans que l'on sache lesquels ont été utilisés contre des cibles iraniennes.
Ces outils allaient des pièges à miel en ligne à l'usurpation d'adresses électroniques, en passant par la modification des résultats des sondages en ligne et l'amplification des messages sur YouTube.
Les opérations d'espionnage britanniques de ce type n'ont pas été menées de manière isolée. Des documents datant de 2013, publiés par WikiLeaks, révèlent que le GCHQ "a longtemps préconisé de travailler avec la NSA et le service SIGINT israélien (ISNU) dans le cadre d'un accord trilatéral pour poursuivre la cible iranienne".
"Les Palestiniens"
D'autres documents indiquent clairement que les "Palestiniens" sont l'un des "sujets de renseignement spécifiques" partagés entre les agents du GCHQ et leurs homologues américains et israéliens.
Le document ajoute qu'en raison des "sensibilités" de l'implication israélienne, le programme n'inclut pas le ciblage direct des Palestiniens eux-mêmes.
En 2012, le chef du MI6 de l'époque, Sir John Sawers, s'est vanté d'avoir empêché l'Iran de développer des armes nucléaires grâce à des opérations secrètes menées par des espions britanniques.
Sawers a admis que le MI6 avait "mené une série d'opérations pour s'assurer que les sanctions introduites au niveau international soient mises en œuvre, et que nous fassions tout ce que nous pouvons au Moyen-Orient pour ralentir les problèmes qui subsistent".
Mais des fuites de courriels montrent que des fonctionnaires de l'administration Obama ont réagi avec consternation lorsque les commentaires de Sawers ont été rendus publics.
Hilary Clinton, alors secrétaire d'État, a répondu : "Estomaquant".L'un de ses fonctionnaires a quant à lui qualifié la révélation de "fâcheuse à bien des égards, c'est le moins que l'on puisse dire".
Accord sur le nucléaire iranien
Les États-Unis ont quitté l'accord sur le nucléaire iranien en 2018, mais le Royaume-Uni en reste membre. Cela aurait pu freiner les espions britanniques, mais au lieu de cela, ils ont discrètement oeuvré pour trouver des solutions de contournement qui empêchent l'accord d'être mis en péril.
Par exemple, en 2018, le MI6 aurait aidé un scientifique nucléaire iranien à se rendre au Royaume-Uni. Mais au lieu de le faire venir directement par avion, ils l'ont fait entrer clandestinement en infiltrant un groupe de migrants qui ont traversé la Manche en canot pneumatique.
L'Iran a ensuite été désigné comme l'une des deux principales cibles d'une nouvelle unité appelée National Cyber Force, dirigée conjointement par le GCHQ et le ministère de la défense. Créée en 2020, cette unité a pour tactique de lancer des "opérations secrètes" contre les réseaux informatiques et d'essayer d'"influencer les acteurs hostiles".
En mai dernier, le gouvernement a annoncé que l'unité travaillerait aux côtés d'un nouveau commandement cybernétique et électromagnétique, afin de "placer le Royaume-Uni à l'avant-garde des opérations cybernétiques".
Entre-temps, une base du GCHQ située près de l'Iran a fait l'objet d'importants travaux de construction. Des images satellites analysées par Declassified l'année dernière ont montré des travaux de construction sur le site à Oman, l'autocratie pro-britannique située entre l'Iran et le Yémen.
À l'époque, un porte-parole du GCHQ avait déclaré : "Nous ne sommes pas en mesure de commenter les questions opérationnelles".
Martin Williams est l'enquêteur en chef de Declassified UK. Il a précédemment travaillé pour le Guardian, Channel 4 News et openDemocracy, où il était rédacteur en chef des enquêtes britanniques. Son livre, "Parliament Ltd", a révélé la corruption généralisée dans la politique britannique et a déclenché de nombreuses enquêtes de la part des autorités de Westminster. Il a été qualifié de "révolutionnaire" par le Sunday Times, tandis que le New Statesman a déclaré que le livre était "un rappel puissant que les journalistes peuvent servir le bien public". Martin Williams a publié des enquêtes sur des sujets allant du lobbying et de l'argent sale à l'espionnage et aux droits de l'homme. Il a également réalisé des investigations pour la télévision et YouTube, y compris sous couverture. Entre 2015 et 2016, il a coprésenté un spectacle en direct avec l'humoriste Josie Long, qui combinait le journalisme d'investigation et le stand-up.
📰 https://www.declassifieduk.org/britains-long-history-of-spying-on-iran/
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