❖ "Incontestablement, Syme sera atomisé" - Leçons du roman dystopique 1984 d'Orwell
Éloignez-vous de Bracing Views, de Substack & de votre écran d'ordinateur ! Détournez les yeux. Mieux vaut rester ignorant & adorer Big Brother. Le langage est la clé, comme l'écrit brillamment Orwell
"Incontestablement, Syme sera atomisé" -
Les leçons du roman dystopique 1984 d'Orwell.
Publié initialement en avril 2016.
Par Bill Alstore, le 30 octobre 2024, Bracing Views
Nouvelle introduction : Nous sommes en 2024, quarante ans après l'écriture du brillantissime roman dystopique de George Orwell, 1984, et cet ouvrage est plus que jamais d'actualité. Pour ne citer qu'un exemple, "la guerre, c'est la paix", telle est la politique officielle de l'Amérique aujourd'hui, puisque l'administration Biden a envoyé pas moins de 200 milliards de dollars d'armement et autres aides militaires à l'Ukraine et à Israël, soi-disant à des fins défensives. Pendant ce temps, Kamala Harris parle fièrement du pouvoir "létal" de l'armée américaine et affirme que Trump n'en a pas fait assez pour neutraliser l'Iran lorsqu'il était président. Apparemment, le seul moyen pour l'Amérique de parvenir à la paix est de dépenser constamment et toujours plus pour la guerre, les républicains et les démocrates s'accordant à dire que près de mille milliards de dollars par an pour le Pentagone est le strict minimum que nous puissions dépenser pour la "paix".
J'ai écrit l'article qui suit en 2016, avant l'ère de Trump, et, au cours des huit dernières années, nous avons assurément assisté à un assaut contre notre langue, à l'émergence d'une sorte de Newspeak MAGA (ndr : nouveau langage MAGA - Make America Great Again), alors même que les démocrates ont répondu avec leur propre panoplie de peurs, leur propre forme d'orthodoxie irréfléchie et docile. Les démocrates nous affirment qu'ils doivent protéger le langage, protéger les informations contre la désinformation, la mésinformation et même la malinformation. La question, comme toujours, est de savoir qui définit ce qu'est la désinformation, la mésinformation et la malinformation, et qui a le pouvoir de les supprimer. Les efforts de suppression déployés sont faits dans l'esprit de "l'ignorance est une force", c'est-à-dire que nous ne pouvons pas vous faire confiance pour discerner ce qui est une "bonne" ou une "mauvaise" information, alors nous le ferons pour vous, en vous maintenant dans l'ignorance de points de vue alternatifs embarrassants.
Cancanez, nasillez comme un canard, membres du parti ! Répétez les discours que l'on vous sert. C'est la seule façon d'être en sécurité et libre.
Éloignez-vous lentement de Bracing Views, de Substack et de votre écran d'ordinateur ! Détournez les yeux. Mieux vaut rester ignorant et adorer Big Brother. Et de continuer à encourager les troupes américaines partout où elles sont déployées dans le monde. Les faiseurs de guerre sont des faiseurs de paix, et que Dieu protège nos troupes.
Quoi qu'il en soit, voici mon article de 2016, tel quel.
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Syme est un personnage secondaire du livre 1984 de George Orwell. Philologue, Syme travaille sur la onzième édition du dictionnaire Newspeak, "l'édition définitive" selon lui. Ce qui est fascinant, c'est la description par Orwell de l'intention et des principales fonctions du Newspeak, telle qu'elle est donnée par Syme dans ce passage :
"Vous pensez [...] que notre principal travail consiste à inventer de nouveaux mots. Mais ce n'est pas du tout le cas ! Nous détruisons des mots - des dizaines, des centaines, chaque jour. Nous dépeçons la langue jusqu'à l'os... Vous ne saisissez pas la beauté de la destruction des mots. Savez-vous que le Newspeak est la seule langue au monde dont le vocabulaire se réduit d'année en année ?"
"Vous ne voyez pas que le but du Newspeak est de réduire le champ de la pensée ? En fait, nous rendrons le crime par la pensée littéralement impossible, parce qu'il n'y aura pas de mots pour l'exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés par un seul mot, dont le sens sera rigoureusement défini et dont toutes les significations secondaires seront effacées et oubliées... Chaque année, il y aura de moins en moins de mots, et le champ de la conscience sera toujours un peu plus restreint... La révolution sera complète lorsque le langage sera parfait..."
"Même la littérature du parti changera. Les slogans changeront eux aussi. Comment peut-on avoir un slogan tel que "la liberté c'est l'esclavage" alors que le concept de liberté a été aboli ? Tout le paysage de la pensée sera différent. En fait, il n'y aura plus de pensée, au sens où nous l'entendons aujourd'hui. L'orthodoxie signifie ne pas penser - ne pas avoir besoin de penser. L'orthodoxie, c'est l'inconscience".
Ce brillant passage d'Orwell me fait froid dans le dos. Il n'y aura pas de pensée. L'orthodoxie, c'est ne pas penser. N'est-ce pas en fait le cas de nombreuses personnes aujourd'hui, qui se contentent d'exprimer une obéissance inconditionnelle et inébranlable au "Parti", comme ceux et celles qui soutiennent Donald Trump simplement parce qu'il dit qu'il rendra à l'Amérique sa grandeur ?
Après l'oraison de Syme sur le Newspeak, Winston Smith, le principal protagoniste de 1984, se dit :
"Syme sera atomisé. Il est trop intelligent. Il voit trop clair et parle trop simplement. Le Parti n'aime pas ces gens-là. Un jour, il disparaîtra. C'est écrit sur son visage."
Quelques pages plus loin, Syme fait une autre observation pénétrante :
"Je ne sais pas si vous le connaissez : duckspeak, cancaner comme un canard. C'est l'un de ces mots intéressants qui ont deux significations contradictoires. Appliqué à un adversaire, c'est de l'injure ; appliqué à quelqu'un avec qui on est d'accord, c'est de l'éloge".
À cette observation, Winston se dit : "Incontestablement, Syme sera atomisé".
Pourquoi ? Orwell note que Syme est un zélateur du Parti, un vrai convaincu. Mais ce qui lui manque, précise Orwell, c'est l'inconscience. Syme est trop conscient de lui-même et parle trop franchement, il doit donc disparaître. Et en effet, plus tard dans le livre, il disparaît.
(Soit dit en passant, j'aime bien la référence d'Orwell à certains des défauts fatals de Syme : il "lisait trop de livres" et "fréquentait ... [le] repaire des peintres et des musiciens". Oui : les livres et les arts sont en effet l'ennemi de l'orthodoxie inconsciente, quel que soit le pays).
L'autre jour, un lecteur m'a envoyé la phrase suivante, non attribuée : "Nous construisons nos maisons avec des mots, puis nous y vivons".
Dans 1984, le Parti cherche à exercer un contrôle total sur le langage, sur les mots, afin de dominer la conscience des gens.
L'un de mes dictons préférés d'Orwell, également tiré de 1984 et que je partageais toujours avec mes étudiants, dit à peu près ceci : Qui contrôle le passé contrôle l'avenir : "Qui contrôle le passé contrôle l'avenir. Qui contrôle le présent contrôle le passé".
Je pense que l'on pourrait ajouter à cela : Celui qui contrôle la langue, les mots mêmes avec lesquels nous communiquons et pensons, contrôle le présent.
Le langage est la clé, un point qu'Orwell a brillamment mis en évidence à travers le personnage de Syme dans 1984.
Bracing Views vise à donner un sens à notre monde contrariant et déroutant, en se concentrant particulièrement sur les affaires militaires et politiques aux États-Unis et dans le monde.
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