🚩 Géopolitique de l'inégalité : idées pour un débat sur un monde plus juste 🎗⏳
"Le néolibéralisme était un projet des classes dirigeantes à l'échelle mondiale pour reconstruire leur pouvoir et leurs richesses." - David Harvey (2007)
✒️ Par The Tricontinental, le 21 octobre 2022 - Dossier n°57
📌 Ce dossier porte sur l'inégalité, ou les inégalités, entre les pays du Nord et du Sud, entre les riches et les pauvres, et entre les classes laborieuses et les classes bénéficiaires. Cette inégalité est également provoquée par diverses forces et vecteurs du capitalisme mondial qui divisent, excluent et polarisent le monde. Les tableaux de ce dossier expriment cette inégalité et cette asymétrie extrême caractérisant notre époque. Le contraste est un mot clé de cette série, entre les couleurs, l'équilibre de la composition et le contenu, où les activités quotidiennes - prendre son petit-déjeuner, aller au travail ou dormir - deviennent des situations où l'inégalité est intimement vécue et ressentie.
Sources des images : Wikimedia Commons, British Library, Public Photos et le documentaire Les forces de l'inégalité (Institut tricontinental de recherche sociale et Commune audiovisuelle, 2021).
◼️ Introduction
Quels sont les éléments les plus caractéristiques de notre époque historique ? Une question à réponses multiples. Le capitalisme du 21e siècle nous réserve une accélération sans précédent : transitions internationales rapides, naissance d'un monde vraisemblablement multipolaire, innovations techno-productives significatives, nouveaux développements dans le domaine des technologies de l'information et des télécommunications qui ont modifié nos modes de connexion, entre autres.
Ce schéma de changements accélérés semble parfois effacer l'une des questions les plus évidentes et en même temps les plus scandaleuses de notre existence contemporaine : la différence abyssale entre le niveau de vie des riches et des pauvres dans toutes les régions du monde. De toute évidence, nous traversons un moment où le capitalisme mondial a réussi à balayer sous le tapis certains des résultats les plus douloureux du processus d'exclusion sociale qui a conduit à l'émergence du néolibéralisme et à ses crises successives. Les discours qui renforcent sans cesse le regard hégémonique du capital mondial concentré nous conduisent à normaliser la production et la reproduction des inégalités dans les sociétés contemporaines, comme si elles étaient le résultat de décisions individuelles d'individus ne faisant pas assez d'efforts ou de mauvais gouvernements. La Banque mondiale et les différents think tanks du mondialisme néolibéral, même lorsqu'ils tentent de présenter la formule "à visage humain", ne cessent de reproduire ces analyses selon lesquelles la solution pour réduire l'extrême inégalité de notre monde serait d'accorder les mêmes chances à tous.
Les données ne semblent pas suivre cette lecture simpliste. Les 1% les plus riches du monde concentrent aujourd'hui plus de 70% des revenus. Cela signifie qu'en janvier 2022, un peu plus de 10 multimillionnaires posséderont plus de richesses qu'environ 3,1 milliards de personnes (Oxfam, 2022). Les plus riches du monde, une sorte de ploutocratie pour certains analystes, disposent de revenus impensables pour 80% de la population mondiale. Parmi ces 2 600 multimillionnaires, les plus nantis sont des noms connus (Dolan et Peterson-Withorn, 2022) : Elon Musk (fondateur et dirigeant de Tesla, avec une fortune de 219 milliards de dollars), Jeff Bezos (fondateur et président d'Amazon, avec une fortune de 171 milliards de dollars), Bernard Arnault (président et dirigeant de LVMH, avec 158 milliards de dollars), Bill Gates (fondateur et ancien dirigeant de Microsoft Corp, avec une fortune de 129 milliards de dollars) et Warren Buffet (dirigeant de Berkshire Hathaway, avec une fortune de 118 milliards de dollars).
Quelle alternative avons-nous pour comprendre l'inégalité au-delà de cette façon de rendre les pauvres responsables de leur condition ? Il convient de garder à l'esprit que l'énorme disparité d'inégalité de revenus et de richesses dans laquelle nous vivons n'a pas seulement des références nationales, mais qu'une partie importante de ses causes réside dans les logiques de polarisation provoquées par le capitalisme en tant que système mondial. Ainsi, nous pouvons faire la différence entre l'échelle mondiale et nationale pour comprendre pourquoi ces processus de production constante d'un fossé entre riches et pauvres se produisent dans le capitalisme contemporain.
Voilà pourquoi nous consacrons ce dossier 57 de l'Institut Tricontinental de Recherche Sociale à discuter de la géopolitique de l'inégalité, c'est-à-dire des conditions d'exclusion que le Nord impose au Sud et tente par tous les moyens de proposer l'idée que cette inégalité est transitoire, et que nous devrions nous efforcer davantage de réduire les disparités.
◼️ La profonde asymétrie entre le Nord et le Sud
Les tendances du capitalisme contemporain, surtout depuis 2008, ont approfondi à l'extrême les dynamiques qui génèrent l'inégalité et existent depuis les origines mêmes du capitalisme. Après une période d'amélioration relative des revenus de la classe ouvrière, la rupture définitive des régimes fordistes au Nord et des ordres nationaux-populaires au Sud, a eu comme l'un de ses résultats les plus notables l'élargissement de la disparité entre les conditions de vie des extrêmes. Comme toujours dans ce système, l'opulence de quelques-uns signifie la famine et la misère de millions de personnes.
La dynamique accélérée de la puissance financière occidentale, la flexibilisation des formes de contrats, des processus et des temps de travail, la redistribution de la production de biens et de services, entre autres, ont été les éléments clés de cette exacerbation de l'ordre mondial menant à l'inégalité depuis le choc pétrolier de 1973. En bref, comme le souligne le géographe David Harvey (2007), le néolibéralisme était un projet des classes dirigeantes à l'échelle mondiale pour reconstruire leur pouvoir et leurs richesses.
Au XXIe siècle, trois crises financières de portée mondiale ont provoqué de nouveaux processus de redistribution des revenus et des richesses en faveur de la minorité fortunée. Et surtout, la sortie de la crise de 2008 - lorsque la bulle immobilière a éclaté aux États-Unis - n'était rien d'autre qu'un intense processus de concentration du capital et des revenus, c'est-à-dire du pouvoir social du grand capital. Cela s'est produit avec le protagonisme des grandes sociétés financières mondiales, l'économie 4.0 et la gig economy comme nouvel espace dynamique d'accumulation. La reprise est donc à l'origine d'une nouvelle bulle, cette fois-ci basée sur les entreprises de haute technologie, en particulier les plateformes numériques telles que le monopole connu sous le nom de GAMA (Google, Apple, Meta, Amazon). Cette combinaison de capital financier et de capitalisme de plate-forme, impulsée par le Nord, n'a contribué qu'à aggraver l'instabilité et la crise. Tout le discours de célébration de la technologie et de l'augmentation de la productivité - censée être à l'origine d'un bond du bien-être en Occident - que la Banque mondiale développe depuis 2016, est resté encore et toujours vide. Le résultat de ce processus de transposition technologique n'a fait qu'accélérer la monopolisation et l'appropriation des revenus par les pieuvres de la finance et de la haute technologie. L'autre volet n'était pas le chômage technologique, mais des milliards de travailleurs appauvris, même s'ils avaient un emploi salarié (Benanav, 202).
Le CoronaChoc, thème abordé dans ses différentes dimensions par l'Institut tricontinental de recherche sociale (2020), s'est traduit par le doublement du revenu des 1% les plus riches de la population mondiale. Selon le dernier rapport d'Oxfam (2022), pendant les années de pandémie, un nouveau milliardaire apparaissait toutes les 26 heures, tandis que les revenus de 99 % de la population se détérioraient. Dans le même ordre d'idées, le Rapport sur les inégalités dans le monde en 2022, élaboré par le Programme des Nations unies pour le développement (Chancel et al., 2022), présente certaines données qui méritent d'être reprises ici. Premièrement, sur l'ensemble de la richesse générée dans le monde, les 10 % les plus riches s'en arrogent 76 %, tandis que les 50 % les plus pauvres de la population n'en reçoivent que 2 % de la richesse totale.
Quelle est l'importance des dimensions géopolitiques et géoéconomiques dans ces données ? En ce qui nous concerne, c'est fondamental : cette répartition inégale présente des différences substantielles entre les pays et les régions. Si nous prenons en compte l'inégalité dans les différentes régions du monde, nous pouvons constater que le Sud a des taux d'inégalité de revenu et de richesse plus élevés que le Nord. En termes de revenus, nous constatons qu'en Amérique du Nord et en Europe occidentale, les 1% les plus riches de la population ont bénéficié d'environ 35% de la richesse en 2020, tandis que les 50% les plus pauvres ont perçu 19% du revenu total. Contrairement à ces régions du monde, on trouve en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne une appropriation du produit national qui représente entre 9% et 12% pour les 50% les plus pauvres de la population, tandis que les 10% les plus riches s'approprient entre 45% et 58% (Chancel et al., 2022, élaboration propre).
Ces indicateurs systématisés par les organisations internationales montrent clairement que l'inégalité atteint des niveaux différents selon chaque pays et région. Plusieurs auteurs avaient proposé, dans leur conviction que la seule alternative serait un monde capitaliste à visage humain, la tendance à la disparition des inégalités Nord-Sud. Nous avons trouvé des textes tels que celui de Burbach et Robinson (1999), qui mettait en évidence une large convergence des revenus entre les pays comme un fait depuis la chute du mur de Berlin. D'autre part, des travaux tels que Hoogvelt (1997) ont affirmé que la relation centre-périphérie n'était qu'une relation géographique, ce qui minimisait le lien organique entre les processus d'appropriation des revenus au Nord et au Sud.
Ces études ont fondé leur analyse sur le fait que la polarisation Nord-Sud faisait référence à une situation du Nord industrialisé par rapport au Sud qui ne l'est pas. Avec la croissance industrielle dans plusieurs régions, notamment en Asie, et ses implications en termes d'accélération de la croissance du produit intérieur brut (PIB), leur interprétation est que les disparités de revenus ont tendance à se réduire.
Ces analyses semblent répondre davantage à une prémisse politico-idéologique qu'à l'évidence offerte par le monde capitaliste contemporain. Comme le démontrent Arrighi, Silver et Brewer dans leurs travaux, "le clivage Nord-Sud reste une dimension fondamentale de la dynamique mondiale contemporaine" (2003, p. 4). Nous pensons qu'il est important de souligner ce point car la plupart des analyses de l'inégalité partent d'une échelle nationale et omettent le caractère inégalitaire du pouvoir mondial sur les régions et les peuples opprimés (Amin, 2000).
Les écarts d'inégalité entre le produit industriel brut des différentes régions du monde et celui des pays du Nord ont été réduits. D'autre part, l'inégalité du revenu par habitant des différentes régions périphériques par rapport au Nord global est restée très élevée. Un cas paradigmatique est la région de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui représente 185 % de la production industrielle du Nord, alors qu'elle ne compte que pour 15 % du revenu par habitant des pays riches. Bien sûr, comme nous l'avons mentionné, l'Asie du Sud, dans laquelle se trouvent l'Inde et le Bangladesh, ainsi que l'Afrique subsaharienne, ont une part élevée dans l'industrie manufacturière et une inégalité extrême avec le Nord riche (seulement 2,8% et 3,4% du revenu par habitant du Nord) (Élaboration propre basée sur les données de la Banque mondiale et de la Penn World Table).
En effet, si l'usine du monde correspond à la périphérie, les services, la finance et la production de biens complexes demeurent entre les mains des centres. Le Sud produit 26% de plus de produits manufacturés que le Nord et se contente de 80% de moins de revenus par habitant (Ibid.). Ainsi, l'explication de l'inégalité due au manque de développement des forces productives perd son sens. C'est un point important. Toutes les approches libérales/néolibérales du développement s'attendent à ce qu'un processus soutenu d'industrialisation de la périphérie, suivant l'approche de Rostow (1960), permette d'atteindre les niveaux de vie du centre. Ces perspectives semblent ignorer que la production manufacturière s'est déplacée vers la périphérie et que la part de la production de ces biens par rapport au Nord s'est accélérée depuis 1960, sans pour autant modifier de manière substantielle les modèles de distribution.
En bref, la distorsion industrielle qui existait au milieu du XXe siècle entre les pays centraux et périphériques a presque complètement disparu, mais le contrôle du processus productif et le capital monétaire qui permet de lancer les cycles d'accumulation productive sont dirigés depuis les centres du capitalisme mondial. C'est là qu'il faut comprendre que le pouvoir asymétrique entre le Nord et le Sud s'exprime à travers une nouvelle logique de subordination et de périphérisation, qui ne concerne pas exclusivement l'échange inégal de produits manufacturés et de produits primaires. C'est plutôt le contrôle du processus même de réaffectation et d'intégration asymétrique des différentes régions dans les réseaux de production mondiaux (GPN) qui génère des différences de distribution substantielles, même au sein des processus d'industrialisation accélérée de la périphérie.
Un bon point ici est de se demander si la différence de revenu par habitant entre les pays est un bon indicateur de l'inégalité. Ainsi, du point de vue de Milanovic (2013), les inégalités apparaissent ainsi à des niveaux inférieurs à ceux que nous connaissons réellement. Il propose donc de prendre en compte les revenus des particuliers. Si l'on inclut les personnes du monde entier dans une unité de mesure comparable, on constate, par exemple, que pour les années 1970 à 2010, les coefficients de Gini des pays nordiques se situaient à des niveaux inférieurs à 30 %, tandis que des pays comme le Brésil atteignaient un niveau d'inégalité proche de 60 %.
Si l'on considère l'ensemble, le Sud global présente une inégalité de revenus individuels qui, en 2019, était 33% plus élevée que dans le Nord. En effet, le processus de mondialisation néolibérale a conduit à une polarisation extrême des revenus entre les super-riches et les plus pauvres du monde, avec un secteur des revenus moyens qui a amélioré sa position. L'augmentation de plus de 60% du revenu des 1% les plus riches entre 1988 et 2008 a été compensée par une croissance inerte du revenu des secteurs les plus pauvres. Si l'on regarde qui compose ce petit groupe de super-riches, la plupart d'entre eux se trouvent dans le Nord global, et certains sont des citoyens des grands pays émergents du Sud, principalement la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, la Russie et même les pays d'Amérique latine (Milanovic, 2013).
Le classement des plus grandes richesses patrimoniales établi par le magazine économique Forbes et que nous résumons dans la figure 1, rend compte de cette répartition des revenus mondiaux. En chiffres plus concrets, on constate que seuls les États-Unis, qui sont l'un des principaux représentants de la géopolitique des inégalités, comptent 37 des 100 personnes les plus riches du monde en 2022. Ils concentrent sur eux 2,3 trillions de dollars, c'est-à-dire qu'ils détiennent plus de 51% de la richesse en question.
Cependant, certains problèmes importants se posent ici, qui ne sont généralement pas pris en compte par ce type d'analyse de l'inégalité individuelle. Analyser uniquement l'inégalité des revenus individuels entre les extrêmes de la population ne fait que dissimuler un problème de taille : les pays où l'inégalité des revenus individuels est faible peuvent avoir des revenus réels absolument indignes des niveaux actuels de développement des forces de travail productives. Par exemple, l'Algérie a des indices de Gini similaires à ceux de la Norvège ou de la Finlande. Toutefois, le revenu quotidien moyen d'une famille en Norvège atteint 19 000 dollars par an, tandis que celui d'une famille en Algérie est de 2 600 dollars par an. Autre exemple significatif : les États-Unis et la République démocratique du Congo. Tous deux ont un Gini de 42% et la différence de revenu annuel moyen est abyssale : 19 300 dollars aux États-Unis pour seulement 892 dollars en République du Congo (calcul personnel effectué à partir des données du BIT).
Ces exemples marquent clairement une grande injustice distributive dans le pouvoir d'achat des différents pays, même lorsque les indices synthétiques d'inégalité sont similaires. Une interprétation couramment défendue par les organismes internationaux est que les pays à revenu intermédiaire présentent davantage d'inégalités que les pays riches et pauvres. Le problème de cette interprétation est que le lien organique entre le Nord et le Sud, entre le développement et le sous-développement, entre le centre et la périphérie, et enfin entre la souveraineté et la dépendance, est minimisé. Les capacités de production et de distribution du Nord sont construites, comme nous le verrons dans la prochaine section, par la subordination du Sud. Alors que les personnes situées dans la partie inférieure de la distribution des revenus au Nord peuvent avoir accès à un panier de consommation supérieur au panier de base, dans une grande partie des pays du Sud, la pauvreté et l'indigence sont monnaie courante pour de larges pourcentages de la population.
◼️ Inégalités de classe dans le Nord et le Sud de la planète
Comment les individus des différentes régions du monde gagnent-ils leur vie ? Autrement dit, quelles sont les conditions sociales qui donnent lieu à une inégalité de revenus durable entre les riches et les pauvres ? Ce n'est qu'en retraçant le processus de classe à l'origine de l'inégalité que nous pourrons en expliquer l'origine. Nous considérons alors que la cause originelle des inégalités à l'échelle nationale et mondiale doit être recherchée en premier lieu dans l'accroissement des inégalités entre les classes. Sur l'ensemble de la production générée à l'échelle mondiale, les salariés se partagent une part de plus en plus réduite des revenus depuis les années 1970 jusqu'à aujourd'hui. Si l'on considère le XXIe siècle, on constate que cette chute se poursuit (de 54% à 51% entre 2004 et 2021). Cette tendance à la détérioration des revenus des travailleurs au cours du XXIe siècle n'a été que temporairement inversée dans le contexte de la crise mondiale de 2008-2009, car la baisse des salaires de la classe ouvrière est toujours plus lente que les récessions (développement personnel basé sur l'OIT, Ameco et Cepalstat).
Le déclin mondial de la part des salaires dans la production au XXIe siècle est mené par les pays du noyau dur, en particulier ceux d'Europe occidentale et des États-Unis, où la part des salaires dans le revenu national a diminué, respectivement, de plus de 2 et 3 points de pourcentage depuis 2004. Cependant, comme on peut le voir dans la figure 2, les disparités entre les pays sont si importantes que si l'Amérique latine (jusqu'en 2014) et la Chine réalisent depuis quelques années des augmentations de leur part salariale, elles n'atteignent en aucun cas les niveaux du Nord. D'autres régions de la périphérie ont même vu leur part déjà très faible des salaires dans le revenu national diminuer, comme l'Asie du Sud-Est. Les pays dans lesquels les travailleurs acquièrent une part du revenu national supérieure à 50 % sont essentiellement les États-Unis, le Canada et ceux qui composent l'Europe occidentale, à l'exception de trois pays d'Amérique latine : l'Argentine, le Chili et le Brésil (López et Noguera, 2020).
Cela a conduit certains auteurs, comme Milanovic (2013), à affirmer que les inégalités au XXIe siècle s'expliquent davantage par le lieu que par la classe.
Que se passe-t-il si nous considérons l'inégalité comme la distance entre le revenu de chaque pays et la moyenne mondiale ? Sur un total de 163 pays, seuls 32 % des ménages ont des revenus supérieurs à la moyenne mondiale. Sur ce total, seuls quelques pays de la périphérie atteignent des revenus supérieurs à la moyenne, tandis que 100 % des pays du noyau dur se situent au-dessus du revenu moyen mondial. De plus, nous pouvons voir que la distance des pays du centre par rapport au revenu moyen mondial est très élevée, dans laquelle se distinguent des cas comme le Luxembourg, la Norvège, les États-Unis, le Canada, entre autres, qui dépassent la différence de 200% (Ibid.). Dans le même temps, ce sont précisément les pays du Sud, la périphérie du monde, qui présentent les niveaux les plus élevés d'inégalité de classe, comme le montre la contribution des salariés aux revenus (figure 3). Par ailleurs, si nous prenons les revenus des capitalistes par rapport aux revenus des salariés, nous constatons à nouveau que la plupart de la périphérie du monde présente une inégalité de classe supérieure à la moyenne, tandis que tous les pays du centre présentent des niveaux d'exploitation du travail inférieurs à la moyenne.
En outre, et c'est peut-être encore plus pertinent, il existe une relation directe entre l'inégalité de classe et la localisation. Dans un capitalisme contemporain hautement interdépendant, mondialisé, financiarisé et caractérisé par des niveaux élevés de redistribution de la production, les modèles historiques de dépendance ont été accentués. D'une part, le Nord a été renforcé en tant qu'espace géographique pour le contrôle des processus d'accumulation mondiaux et, dans le même temps, les sociétés de la périphérie ont été restructurées de manière rétrograde. Nous voyons donc qu'il existe au moins quatre processus qui, avec l'émergence du néolibéralisme et les crises contemporaines successives, ont renforcé le pouvoir des classes dominantes à l'échelle mondiale : la transnationalisation du capital et la réaffectation productive, la financiarisation, l'hyper concentration du capital et la révolution dans les transports, les télécommunications et les technologies de l'information. Ces processus associés étaient fondés sur la relance du pouvoir et des revenus des classes dirigeantes, et n'ont été contrés que par la résurgence d'autres pôles de pouvoir mondiaux ayant des vues divergentes sur la dynamique occidentale de développement (Arrighi, 2007).
◼️ Le défi de contrer les tendances
Le capitalisme de notre époque tend à multiplier les inégalités du Nord contre le Sud, du capital contre le travail, des riches contre les pauvres. De notre point de vue, la dépendance structurelle croissante des pays du Sud est l'un des principaux éléments déterminants de l'appauvrissement de la grande majorité de la population mondiale. Une concentration sans précédent des revenus qui a pour toile de fond une concentration unique du pouvoir, qui n'est rien d'autre que l'indicateur d'une dynamique structurelle de périphérisation du Sud par rapport au Nord, par son inclusion subordonnée dans les réseaux de production mondiaux. Ces réseaux ont donné lieu à une nouvelle division internationale du travail, qui réserve au Nord la direction et le contrôle des processus productifs et décentralise sa propre production dans d'autres régions afin de profiter de coûts inférieurs et de l'accès aux ressources naturelles.
C'est ainsi que la géopolitique de l'inégalité renforce les dynamiques d'appropriation différenciée des revenus entre le travail et le capital, entre les différents groupes de travailleurs, entre les individus et entre ceux qui obtiennent des revenus de la propriété de différents actifs (terre, technologie, etc.) et ceux qui n'en ont pas.
Face à ces tendances, quelles alternatives reste-t-il aux peuples du Sud ? Au-delà de la bataille qui apparaît dans les termes de David contre Goliath, commencer à réfléchir à certains points clés nous donne une autre perspective :
La déconnexion partielle des chaînes mondiales
La promesse des chaînes mondiales de création de valeur permettant le développement de pôles modernes qui tirent toutes les économies de la périphérie a eu le résultat exactement inverse de celui escompté : les inégalités entre les secteurs internationalisés et le reste se sont accrues. Ces augmentations des écarts d'inégalité doivent être combattues par la médiation de l'État qui commence à privilégier la participation aux réseaux commerciaux Sud-Sud fondés sur la complémentarité plutôt que la participation aux chaînes mondiales. Cet éloignement des chaînes mondiales implique une déconnexion partielle des logiques de contrôle par le capital du Nord des processus de production mondiaux, et la spoliation conséquente de la main-d'œuvre du Sud pour satisfaire les besoins du Nord global.
L'appropriation des loyers par l'État
Une forme par excellence de l'inégalité des classes dans nos pays est l'appropriation oligarchique des rentes foncières, minières et technologiques, entre autres. L'intervention concrète de l'État dans l'appropriation des rentes est fondamentale pour amortir les processus d'augmentation des revenus des classes dominantes, qui n'ont rien à voir avec l'augmentation de leurs investissements mais, presque exclusivement, avec la propriété d'un facteur de production fixe et la possibilité de le breveter pour un usage exclusif.
Le prélèvement d'impôts sur les capitaux spéculatifs
La fameuse mobilité du capital mondial n'a fait qu'accentuer les revenus spéculatifs dans les pays du Sud, provoquant des agressions contre les monnaies nationales, des processus de financiarisation et une fuite constante des capitaux. Une forte pression fiscale sur le capital spéculatif ainsi qu'une participation mixte entre capital privé et capital public peuvent améliorer de manière significative les logiques de contrôle des processus productifs nationaux et amortir les crises qui, en général, s'expriment par une sortie massive de capitaux, aggravant chômage et pauvreté.
La nationalisation des biens et services stratégiques
Viser un processus de développement national et régional plus égalitaire nécessite des avancées dans la nationalisation des actifs stratégiques, ce qui est essentiel pour réduire le degré d'accaparement des marges des économies du Sud. En grande partie, l'inversion des mesures de privatisation du consensus de Washington peut permettre de dégager de plus grandes marges de souveraineté nationale, ainsi que des orientations stratégiques sur la manière d'utiliser les ressources qui appartiennent aux peuples et doivent favoriser les majorités.
L'imposition des superprofits des particuliers et des sociétés
Une question majeure est de différencier, même dans le cadre du capitalisme, les secteurs à profits normaux ou moyens des secteurs à profits excessifs, autrement dit les superprofits. Comme nous l'avons souligné dans ce dossier, les secteurs les plus dynamiques de l'économie mondiale sont ceux liés à la finance et aux plateformes. Dans les pays périphériques, les secteurs transnationalisés ou à forte insertion commerciale sont ceux qui atteignent des niveaux de revenus plus élevés. En général, ces augmentations de bénéfices ne se traduisent pas par des niveaux d'emploi plus élevés, de meilleurs salaires, etc. Il est donc impératif de concevoir des taxes pour réagir sur les secteurs qui présentent une hyper-rentabilité.
Ces points ne sont évidemment que des aspects partiels du débat. Nous pensons qu'il faut les approfondir afin d'articuler nos luttes nationales avec des perspectives mondiales et avec des demandes aux États d'abandonner les politiques d'austérité qui ne font qu'accentuer chaque jour les disparités entre riches et pauvres, entre Nord et Sud. Ces disparités sont désormais insupportables d'un point de vue humain.
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Références
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