❖ Défendre l'humanité
Les événements nous ayant conduits jusqu'ici sont absolument diaboliques, proche du mal absolu. Notre devoir commun au vu de la guerre menée par le terroriste Israël, est de se mettre au travail.
Défendre l'humanité
Cet article est adapté de "Défendre l'humanité de l'humanité", un discours que l'auteur a prononcé le 31 août à Mut zur Ethik, une conférence qui se tient deux fois par an à Sirnach, près de Zurich.
Par Patrick Lawrence, le 19 septembre 2024, ScheerPost
Quiconque aborde la question de notre humanité commune à la fin de l'été 2024 doit commencer par évoquer la crise qui frappe Gaza ou, avec l'escalade de la violence en Cisjordanie, la crise palestinienne au sens large.
Ces événements sont d'une ampleur historique mondiale. Ils remettent en question toute idée de l'humanité que nous avons pu considérer jusqu'à présent comme des vérités considérées comme évidentes, comme nous le dirions en tant qu'Américains.
Cette époque semble révolue. C'est comme si une ère de l'histoire humaine s'était achevée et que nous entrions dans une nouvelle ère qui nous oblige à réfléchir à nouveau, peut-être pour la première fois depuis les victoires de 1945, lorsque ceux qui nous ont précédés se sont penchés sur le naufrage des années 1930 et 1940 et ont posé la question : "Où est notre humanité ?".
Les événements qui nous ont conduits jusqu'ici sont absolument diaboliques, si près du mal absolu. Et combien il est étrange que la nation qui nous conduit à ce point représente la première moitié, l'ancienne moitié, de ce que nous appelons communément la "civilisation judéo-chrétienne".
Notre devoir commun, à la lumière de la guerre menée par le terroriste Israël contre le peuple palestinien, est de commencer le travail - de mener une autre guerre, dirais-je également - afin de restaurer notre humanité commune. Il s'agit d'une guerre contre l'indifférence que les diverses formes de pouvoir nous incitent sans cesse à cultiver. Mener cette guerre contre le pouvoir, c'est tirer les leçons du drame qui définit notre époque - qui en fait un moment de l'histoire mondiale - et prendre une nouvelle direction.
Il y a plusieurs façons de penser à ce sujet. "Défendre l'humanité de l'humanité" doit concerner chacun d'entre nous en tant qu'individu. Combien de conversations ai-je eues au cours des dix derniers mois, en combien d'endroits différents, dans lesquelles les gens demandaient : "Que puis-je faire ?". Je ne peux les compter. Tout le monde semble se poser cette question.
Poser la question est, bien sûr, la première étape pour y répondre. Craig Murray, activiste et observateur écossais, a apporté une réponse utile dans un article publié par Consortium News voici quelques semaines. "Les voies de la résistance sont diverses, selon l'endroit où l'on se trouve", écrit Murray. "Mais trouvez-en une et engagez-vous-y".
Il s'agit d'un judicieux conseil, clair et exigeant à juste titre. Murray écrit sur ce que nous devons exiger de nous-mêmes en tant qu'affaire de conscience individuelle.
Je propose de tourner la question dans un autre sens, en direction de ce que j'appellerai notre "moi collectif", ou notre "moi civique". Je pense à l'espace public, aux institutions dont nous disposons pour mener la guerre que je viens d'évoquer - la guerre contre le pouvoir pour défendre notre humanité commune.
Une réalité amère
Comme je l'ai mentionné dans plusieurs commentaires, la crise palestinienne nous confronte à une réalité très amère. Cette réalité, est que, nos démocraties étant devenues des "post-démocraties", aucune des institutions à travers lesquelles nous pensions pouvoir nous exprimer ne fonctionne plus de cette manière.
Les institutions censées représenter notre volonté et nos aspirations sont plus ou moins hors service. Nous n'avons aucun moyen d'exprimer nos objections au soutien apporté par les États-Unis au génocide perpétré par l'Israël sioniste - je veux dire aucun moyen qui fasse la moindre différence.
La majorité des Occidentaux sont favorables à la paix dans le monde, et non à la guerre, pour prendre un autre exemple. Les sondages le prouvent. La majorité des Allemands sont favorables à une coexistence et à des relations mutuellement bénéfiques avec la Russie. Mais dans ces cas et dans bien d'autres, ce que les citoyens préfèrent n'a aucune importance pour ceux qui conçoivent et mènent la danse politique.
C'est comme si la plupart des gens dans les post-démocraties occidentales n'étaient pas conscients de cette condition, ou seulement très peu conscients, avant les événements du 7 octobre dernier, ce qui a suivi a soudainement projeté cette réalité face à nous.
Il existe un vaste débat sur la question de savoir si nous vivons une époque où l'État-nation est voué à disparaître, et je considère ce discours intéressant, mais je le laisserai de côté pour l'instant.
Je suis préoccupé par la viabilité et l'efficacité potentielle de ce que nous appelons "les multilatéraux" après de nombreuses années au cours desquelles ils ont été négligés, sapés, réquisitionnés (mis sous tutelle) par les États-Unis et leurs alliés occidentaux.
C'est un excellent moment pour tourner notre attention dans cette direction, alors que nous réfléchissons à la défense de l'humanité. La 79ème session de l'Assemblée générale des Nations unies, qui s'est officiellement ouverte le 10 septembre, entame son débat général le 24 septembre et s'achèvera le 30. Très peu de gens s'intéressent à cette reunion de l'Assemblée générale qui se tient chaque automne. Mais je crois que cela est sur le point de changer, ou mieux, que cela a déjà commencé à changer.
Parmi les nombreux sujets qui seront débattus cette année - la montée des eaux et la crise climatique, le désarmement nucléaire, l'utilisation des antimicrobiens pour la santé humaine, l'avenir de l'Afrique - une session de deux jours appelée Sommet pour l'avenir se tiendra les 22 et 23 septembre. Il s'agira notamment de "jeter les bases d'un système multilatéral revigoré". Ainsi, l'institution discute de l'institution, le système du système. Je considère cela, une nouvelle conscience de soi, comme un très bon signe.
Considérons maintenant la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) des Nations unies. L'AG a présenté la DUDH à Paris le 10 décembre 1948, trois ans et deux mois seulement après la création officielle de l'ONU. Voici l'article 1 de la déclaration. Il est court et va droit au but :
"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité".
Ces principes sont éternellement valables. Mais essayez d'imaginer un groupe de dirigeants mondiaux - ou occidentaux, pour être plus précis - s'exprimant en ces termes aujourd'hui. Ce bref exercice nous donne une idée de la situation dans laquelle nous nous trouvons : nous sommes bien loin du compte, dirais-je, en ce qui concerne la défense de l'humanité de l'homme.
La DUDH compte 30 articles, tous brefs, certains ne comportant qu'une seule phrase. Article 6 énonce :
"Tout individu a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique."
Et certains sont remarquablement pertinents par rapport à la crise qui caractérise notre époque. L'article 15 stipule :
"Tout individu a droit à une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité".
Je suis bien conscient, comme la plupart des gens j'imagine, de la façon dont l'ONU a été sapée au cours des décennies qui ont suivi sa création. Très rapidement après sa création, les États-Unis, en quête de l'hégémonie mondiale qu'ils avaient décidé de s'octroyer après les victoires de 1945, ont commencé à subvertir ses objectifs élevés pour les mettre au service de leurs propres intérêts.
Dans Defeat of an Ideal (Macmillan, 1973), Shirley Hazzard, la regrettée écrivaine australienne, a donné un bon aperçu du gâchis qu'ils étaient devenus deux décennies et quelques après leur fondation. Vous vous souvenez peut-être de la déclaration de John Bolton, l'homme répugnant que la deuxième administration Bush a grotesquement nommé ambassadeur auprès des Nations unies, selon laquelle la suppression des dix derniers étages du Secrétariat à New York ne changerait rien.
L'abus flagrant de l'ONU et de ses agences est désormais de notoriété publique et pourrait être - je n'ai aucun moyen de le mesurer - proche de son terme. La manipulation bien connue des Américains, ces dernières années, de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, l'OIAC, n'est qu'un des très nombreux exemples contemporains.
Une fois encore, il est intéressant de réfléchir, avec cette corrosion à l'esprit, au chemin parcouru, et ce dans la plus mauvaise direction, depuis la rédaction de la DUDH. En résistant aux causes évidentes de découragement qui nous habitent, nous pouvons alors nous rappeler que la déclaration a été rédigée en réponse directe aux catastrophes qui ont conduit à la Seconde Guerre mondiale et qu'elle impliquait dans chaque syllabe une foi dans la capacité commune de l'humanité à redresser les torts qui avaient failli la détruire il y a si peu de temps.
Les circonstances ne sont pas si différentes aujourd'hui. La détermination de l'Amérique à prolonger sa prééminence mondiale a conduit le monde à un autre point de danger, de sorte que la violence et l'anarchie ont atteint des proportions catastrophiques qui ne sont pas sans rappeler celles des années 1930 et 1940.
Les États-Unis sont aujourd'hui généralement reconnus, selon diverses enquêtes, comme la principale cause du désordre mondial. C'est dans ce contexte qu'il faut situer la crise palestinienne. Il s'agit sans aucun doute de l'une des manifestations les plus flagrantes de la puissance américaine dans toute l'histoire. Et c'est en réponse à cela, en réponse directe, que nous trouvons de nouveaux efforts très importants pour reconstruire le "bien commun mondial" que représentait la fondation des Nations unies.
Il y a quelques années, un certain nombre de nations, toutes non occidentales, ont formé un groupe prônant le retour à la Charte des Nations unies comme base du droit international et de la conduite des États membres de l'ONU. Celui-ci ne comptait pas beaucoup de membres et, pour autant que je sache, il n'a pas laissé de traces importantes en soi.
C'est sur l'intention que je souhaite attirer votre attention. Les membres de ce groupe comprenaient, entre autres, la Russie, la Chine, l'Inde, le Brésil et, me semble-t-il, l'Afrique du Sud. Nous savons, d'après ce qui a été dit à l'époque, que ces nations ont agi en réaction au désordre sauvage qui se produisait à mesure que les États-Unis mettaient en place leur désormais tristement célèbre "ordre international fondé sur des règles". Le monde était devenu trop dangereux pour que ces nations n'agissent pas.
Je me souviens que lorsque Moscou et Pékin ont publié leur déclaration commune sur les relations internationales entrant dans une nouvelle ère, en février 2022, il était très clair qu'ils l'avaient fait en partie parce qu'ils s'étaient véritablement alarmés du fait que le désordre de "l'ordre fondé sur des règles" était devenu un grave danger pour la stabilité mondiale. Je considère toujours cette déclaration commune comme le document politique le plus important à avoir été rendu public depuis le début de ce siècle.
Aujourd'hui, nous parlons familièrement de l'émergence d'un "nouvel ordre mondial", un ordre digne de ce nom. Et dans les années qui ont suivi la déclaration commune, nous avons assisté à la montée en puissance d'organisations telles que les BRICS. Nous devrions comprendre ces développements comme étant en phase avec le petit groupe qui réclame le rétablissement de la primauté de la Charte des Nations unies et l'initiative sino-russe. Lorsque nous les voyons de cette manière, ils nous offrent un pôle que nous pouvons utiliser pour remodeler notre pensée.
Pour ce faire, nous devons repousser les vagues de propagande qui nous inondent quotidiennement - anti-russe, anti-chinoise, anti-non-occidentale en général - tout en mettant de côté les objections que nous pouvons avoir quant au fait que les formes de gouvernement que nous trouvons dans les nations non-occidentales ne correspondent pas aux nôtres : Après tout, nos formes de gouvernement ne correspondent plus aux nôtres, n'est-ce pas ?
Nous pouvons alors reconnaître que les nouveaux efforts que je décris très brièvement sont, au fond, au service de la validité et de l'objectif des institutions multilatérales et, dans l'ensemble, de l'amélioration de l'humanité - pour reprendre mes termes d'aujourd'hui, de défendre l'humanité de l'humanité.
Je connais bien l'accusation selon laquelle ces pensées sont désespérément idéalistes, un gage de pure naïveté et de confiance mal placée. Ce sont celles de ceux qui ne veulent pas voir plus loin, rien de plus. Pourquoi, pour en finir avec cette question, aucune des post-démocraties occidentales, au lieu de prononcer des platitudes vides de sens, ne s'engage-t-elle pas résolument en faveur d'un rétablissement des principes incarnés par des institutions telles que l'ONU et exprimés dans la Charte de l'ONU ?
En un mot, je suggère qu'un mouvement de réforme visant à redonner vie à nos institutions mondiales trop longtemps malmenées est en marche et qu'il mérite une attention sérieuse. Une page se tourne, pour le dire autrement. Et en dehors des exemples que je viens de citer, beaucoup de gens bien font preuve d'un grand sens de la réflexion.
Récemment, Jeffrey Sachs, universitaire, auteur et observateur prolifique, a fait circuler en privé un document intitulé "Achieving peace in the new multipolar age" (Parvenir à la paix dans la nouvelle ère multipolaire). Ce document va droit au but. Sachs note que la part de l'Amérique dans le produit intérieur brut mondial est en déclin, que son armée est à bout de souffle et qu'elle est confrontée à une crise budgétaire permanente, et il conclut : "Nous sommes déjà dans un monde multipolaire".
Quel genre de monde cela sera-t-il, interroge-t-il, avant d'esquisser trois possibilités : Le premier est la poursuite de la rivalité entre grandes puissances. Le second est, comme il le dit, "un équilibre précaire des pouvoirs". Il privilégie la dernière idée et c'est celle qui m'intéresse :
"La troisième possibilité, méprisée au cours des 30 dernières années par les dirigeants américains, mais qui constitue notre plus grand espoir, est une paix véritable entre les grandes puissances. Cette paix serait fondée sur la reconnaissance partagée qu'il ne peut y avoir d'hégémon mondial et que le bien commun exige une coopération active entre les grandes puissances.
Cette approche repose sur plusieurs bases, notamment l'idéalisme (un monde fondé sur l'éthique) et l'institutionnalisme (un monde fondé sur le droit international et les institutions multilatérales)".
J'admire cette observation pour sa combinaison de points que nous n'avons pas l'habitude d'associer. En d'autres termes, Sachs parle d'un ordre mondial dans lequel l'humanité de l'homme est reconnue comme primordiale et défendue.
D'autres analystes s'intéressent de plus près aux failles structurelles qui doivent être corrigées pour que l'ONU puisse remplir le rôle pour lequel elle a été initialement conçue. Certaines de ces lacunes remontent à la Charte fondatrice de l'ONU. Mais c'est une bonne chose, et une mesure de notre époque, que ces questions soient enfin soulevées.
Hans Köchler, éminent universitaire qui préside l'Organisation internationale du progrès à Vienne, a publié la semaine dernière un bref papier intitulé "Souveraineté et coercition", dans lequel il identifie "une incohérence fondamentale dans les règles et les procédures de l'organisation".
L'AG, veut-il dire, incarne le principe d'égalité entre les nations de la Charte des Nations unies, mais le pouvoir dans la structure de l'ONU est dévolu uniquement au Conseil de sécurité. Dans ce passage, il décrit ce qui équivaut - avec quelques échos troublants - à un "état d'exception" dans lequel ceux qui font et appliquent la loi ne sont pas soumis à la loi :
"Une certaine catégorie de membres de l'organe exécutif suprême de l'ONU, investis de vastes pouvoirs coercitifs pour faire respecter l'interdiction du recours à la force, ne peut en aucun cas être légalement contrainte à respecter la loi. Pour ces pays, à savoir les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (ndr : Grande-Bretagne, Chine, France, Russie et États-Unis aussi nommé P5), la "souveraineté" semble être exclusive, ce qui contraste fortement avec le principe de "l'égalité souveraine" de tous les États membres énoncé dans la Charte.
Pour les P5, les dispositions de la Charte signifient la souveraineté dans le sens d'une règle absolutiste : le pouvoir de contraindre, lié au privilège de ne pas être contraint. En d'autres termes : La loi ne peut être appliquée contre un membre permanent ou un allié bénéficiant de la protection d'un membre permanent".
Juste au moment où je rédigeais ces remarques, j'ai reçu un livre que je considère comme le traitement le plus approfondi de la question de la réforme. Richard Falk et Hans von Sponeck ont tous deux été, au cours de leur carrière, de hauts fonctionnaires de l'ONU. Ils ont passé cinq ans à travailler sur Liberating the United Nations (Libérer les Nations unies), que Stanford University Press vient de publier sous le sous-titre intéressant de Realism with Hope (Le réalisme et l'espoir).
Il s'agit à la fois d'une histoire et d'un pronostic. Falk et von Sponeck commencent comme je l'ai fait, en notant à quel point l'ONU est, comme ils le disent, "moins pertinente en tant qu'acteur politique aujourd'hui qu'à n'importe quel moment depuis sa création en 1945". Ils expliquent ensuite longuement comment on en est arrivé là, et j'admire leur honnêteté sans faille.
Puis ils font pivoter leur regard et nous disent,
"Nous croyons qu'il y aura un nouveau mouvement pour revitaliser la démocratie, une ONU plus forte et un leadership mondial avec plus de bienveillance, et nous écrivons avec foi qu'en fin de compte, la prudence, la rationalité, l'empathie, des horizons temporels élargis et des mécanismes facilitant la coopération et imposant la responsabilité émergeront".
Je ne m'oppose qu'à deux choses dans cette formidable déclaration d'objectifs et d'attentes. Il n'est pas nécessaire d'utiliser le futur pour rechercher un mouvement de réforme à l'ONU : ce mouvement est déjà évident, et ces deux professionnels respectés de longue date en font partie.
De même, quelle que soit la force de notre foi lorsque nous regardons la vie et trouvons notre chemin, le monde qu'anticipent Falk et von Sponeck n'apparaîtra pas grâce à la foi. Il sera le fruit de ce que chacun d'entre nous décidera de faire pour le concrétiser dans le cadre de notre action commune de défendre l'humanité de l'humanité.
📰 https://scheerpost.com/2024/09/19/patrick-lawrence-defending-humanity/
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Essai d'opinion
Changer radicalement le Conseil de sécurité des Nations unies, y compris son nom
Par Stephen Crilly, essai d'opinion, le 14 septembre 2024, Pass Blue
Quelles conditions pourraient contraindre les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies à renoncer à leur droit de veto ? En échange, quelles conditions les autres États membres pourraient-ils accepter pour que cela se produise ? Voilà des questions importantes à poser au public alors que les 193 États membres négocient un Pacte pour l'avenir en vue du prochain Sommet de l'avenir, afin de garantir l'utilité de l'organisation pour les générations à venir.
Espérons que le P5 (ndr : P5 pour les 5 membres permanents du Conseil de sécurité) - Grande-Bretagne, Chine, France, Russie et États-Unis - ainsi que les autres États membres auront la sagesse de mettre en place des réformes dès que possible.
Certaines propositions de réforme du Conseil envisagent d'ajouter certains pays comme membres permanents, tels que l'Inde ou le Brésil. Une nouvelle proposition des États-Unis suggère de créer deux nouveaux sièges permanents pour les nations africaines, sans droit de veto. Il est risqué de rendre un État membre permanent, car les dirigeants nationaux peuvent changer rapidement. Les normes de conduite internationales permettent de maintenir une géopolitique raisonnable, mais si des dirigeants autocratiques, ploutocratiques ou sociopathes prennent le contrôle d'un État membre, les conséquences peuvent être désastreuses.
Dans un avenir prévisible, la mission première d'un Conseil réformé doit être de favoriser la pérennité de la planète. Une attention accrue à ce sujet nécessitera le maintien de la paix en tant que priorité absolue. Les guerres et leur préparation constituent un gaspillage flagrant des ressources planétaires.
Un Conseil réformé devrait donc comporter les éléments suivants : une direction axée sur la pérennité de la planète, la paix étant un élément crucial de cet objectif ; le respect de l'État de droit comme principe de base ; des groupes régionaux fixes ; et une voix pour les générations futures. Une telle proposition pourrait être appelée "cadre de pérennité". Elle implique également de changer le nom de l'organe en Conseil de Pérennité.
Bien que cette proposition puisse sembler farfelue, ses éléments pourraient être pris en compte en partie ou dans leur intégralité. Les changements transformateurs commencent par des idées radicales.
Le cadre propose neuf groupes géographiques, un siège pour les dirigeants et un bureau pour la protection des générations futures (OFG). La création d'un siège fixe pour chaque groupe régional a pour but de favoriser la coopération en faveur de la pérennité au sein de cette zone géographique et d'aider les membres de chaque groupe à améliorer leur "score onusien". Ce score est utilisé pour déterminer la pondération des votes au sein du Conseil. Le score de chaque groupe serait la moyenne des scores de tous les États membres de ce groupe.
Ce classement est basé sur l'indice de l'État de droit du World Justice Project. Ce projet est un groupe indépendant qui promeut l'État de droit dans le monde entier. L'indice calcule les scores sur la base de huit facteurs et 44 sous-facteurs. D'autres facteurs favorables à la pérennité pourraient être combinés à cet indice au fil du temps. L'utilisation du PIB et de la taille de la population pour déterminer la pondération des votes irait à l'encontre de la durabilité.
Chaque année, les représentants des Nations unies dans chaque groupe régional éliraient un de leurs membres pour les représenter au Conseil. Si le groupe ne parvient pas à se mettre d'accord dans un délai donné, le "siège dirigeant" sélectionnera la personne en utilisant les scores de l'ONU comme mesure principale.
Les dix pays ayant obtenu les scores les plus élevés occupent le siège de leader, représenté par un président élu par les représentants de ces dix pays à l'ONU. Ces nations peuvent nommer une personne extérieure à leur groupe au poste de président du Conseil, mais conservent le droit de la révoquer. Tout en contrôlant le siège, les dix pays font partie de leurs groupes régionaux respectifs.
Le Bureau pour la protection des générations futures disposera de pouvoirs équivalents à ceux des autres groupes membres du Conseil et d'un score à l'ONU égal à celui du siège de dirigeant. Le bureau s'appuiera sur des penseurs systémiques possédant une expertise dans tous les domaines liés au maintien de la pérennité du monde, y compris le comportement humain, un facteur critique pour parvenir à la pérennité de la planète.
Pour marquer un tournant dans les affaires mondiales, il conviendrait de rebaptiser le Conseil de sécurité "Conseil de Pérennité". Cela l'aiderait à laisser les échecs du passé derrière lui et à attirer l'attention mondiale nécessaire pour atteindre les objectifs souhaités.
Les nations disposant d'un droit de veto doivent se demander si la structuration du système autour de l'État de droit est un résultat souhaité qui l'emporte sur la nécessité de garder jalousement un droit de veto reconnu comme étant grossièrement mal utilisé, déplaisant par principe et conduisant à la perte du statut mondial. Pour être un leader sur la scène internationale, une nation doit respecter l'État de droit, être prête à traiter les autres pays sur un pied d'égalité et les encourager à faire de l'État de droit le principe directeur mondial.
Les États membres qui forment les groupes régionaux doivent se demander s'ils sont prêts à améliorer leur score à l'ONU en échange de la suppression du droit de veto du P5. N'oublions pas que la qualité de vie et même l'existence de nombreuses générations futures sont en jeu.
Quelle est la probabilité que les États membres de l'ONU acceptent cette proposition ? La forte volonté d'éliminer le droit de veto entraînera une pression importante de la part des États membres ne faisant pas partie du P5. Le Royaume-Uni et la France pourraient faire preuve d'une timide ouverture, mais les États-Unis les dissuaderont probablement de procéder à une réforme. La Chine, dont l'indice d'État de droit se situe actuellement entre le milieu et le bas de l'échelle, pourrait négocier une modification de l'indice ou accepter un vote pondéré de premier rang, sous réserve de certaines conditions. Cela obligerait les États-Unis à peser sérieusement le pour et le contre d'un rejet de la réforme. La Russie serait la dernière à accepter, ce qui nécessiterait une pression diplomatique importante de la part de nombreux États membres.
Il est dans la nature humaine de résister au changement. Une transformation structurelle audacieuse nécessite un changement d'habitudes pouvant prendre du temps. Le rôle des dirigeants sera d'encourager et d'accélérer la quête d'un équilibre approprié entre la modération ne réduisant pas le plaisir de vivre et la responsabilité à l'égard des générations futures. Les dirigeants mondiaux influents peuvent contribuer à modifier les normes de manière à équilibrer la durabilité future et les plaisirs actuels.
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Réflexions splendides et constructives, puisse la sagesse l’emporter sur l’hubris et la déraison qui se sont emparées du monde!…