❖ Comment la Chine a échappé au piège de la pauvreté
Connue pour ses travaux, Ang apporte de précieuses informations aux décideurs politiques & chercheurs soucieux de trouver d'autres voies de croissance économique & de développement institutionnel
Comment la Chine a échappé au piège de la pauvreté
Par Vikas Parashram Meshram, le 13 novembre 2024, Counter Currents
Dans How China Escaped the Poverty Trap (Comment la Chine a échappé au piège de la pauvreté), Yuen Yuen Ang propose une analyse convaincante de la transformation économique rapide de la Chine au cours des dernières décennies. Plutôt que de se concentrer sur des politiques ou des théories économiques spécifiques, Ang met l'accent sur l'approche unique de la Chine en matière de développement. Elle affirme que si la Chine a réussi à échapper à la pauvreté et à atteindre une croissance économique significative, ce n'est pas simplement par l'adoption de réformes économiques de type occidental, mais par la mise en œuvre d'une stratégie chinoise distincte qui a permis l'innovation locale dans les limites du contrôle central.
Ang présente le concept d'"improvisation dirigée (orientée)" comme l'un des principaux moteurs de la croissance chinoise. Cette approche a permis aux gouvernements locaux d'expérimenter et d'innover tout en travaillant dans le cadre général fixé par le gouvernement central. En permettant des adaptations locales de même que des résolutions créatives aux problèmes, la Chine a pu surmonter les rigidités de la planification centralisée sans pour autant démanteler complètement sa structure économique centrée sur l'État. Cette flexibilité a aidé la Chine à répondre efficacement aux besoins et aux réalités locales, un thème central dans le travail de Ang.
Improvisation dirigée
L'un des concepts les plus novateurs du livre est l'"improvisation dirigée". Ang décrit ce concept comme un cadre dans lequel les responsables locaux sont habilités à expérimenter et à adapter les politiques économiques en fonction des conditions propres à leur région, tout en suivant les lignes directrices centrales. Contrairement aux approches strictes du haut vers le bas ou du laissez-faire, l'improvisation dirigée encourage une interaction dynamique entre les autorités centrales et locales.
Ang affirme que cette approche a permis à la Chine de développer des solutions adaptées à sa population vaste et diversifiée, favorisant la croissance économique de manière inclusive. Ainsi, les autorités locales ont pu innover en matière de fiscalité, d'aménagement du territoire ou de stratégies d'investissement étranger afin d'attirer entreprises et investissements sans attendre l'approbation de l'administration centrale pour chaque détail. Cette capacité d'adaptation était cruciale dans les régions où des politiques uniformes auraient échoué en raison de la diversité des économies régionales et des niveaux de développement de la Chine.
Gouvernance adaptative (gouvernance décentralisée)
Le concept de gouvernance adaptative complète l'improvisation dirigée. Ang suggère que la structure de gouvernance de la Chine a évolué pour être à la fois adaptative et expérimentale, tirant les leçons des échecs et recalibrant les politiques en temps réel. La gouvernance adaptative a permis aux autorités locales d'explorer des méthodes pour développer leurs économies sans se détacher totalement du cadre idéologique global du parti communiste.
Le modèle de gouvernance adaptative de la Chine contraste avec les systèmes politiques plus rigides qui soit centralisent le pouvoir sans aucune flexibilité, soit le décentralisent sans contrôle adéquat. L'approche hybride de la Chine a permis de conserver les avantages d'une autorité centrale forte tout en autorisant l'expérimentation locale. Cet équilibre s'est avéré crucial pour soutenir des réformes économiques qui, sans cela, auraient pu provoquer des bouleversements sociaux ou politiques.
Développer les marchés de manière non linéaire - Ang remet en question la vision "linéaire" conventionnelle du développement, selon laquelle les pays pauvres doivent d'abord mettre en place des institutions solides avant de parvenir à la croissance économique. Elle affirme au contraire que la Chine a développé des marchés et renforcé des institutions simultanément, dans le cadre d'un processus non linéaire et réciproque.
Ang utilise le terme de "co-évolution" pour décrire ce processus, dans lequel les marchés et les institutions se développent de concert. Ainsi, la Chine n'a pas attendu que ses institutions deviennent pleinement "matures" ou "efficaces" pour mettre en œuvre des réformes économiques. Elle a plutôt permis à ses institutions d'évoluer parallèlement aux changements économiques, créant ainsi un environnement où les marchés pouvaient prospérer même dans un cadre institutionnel imparfait. Cette approche contraste vivement avec la théorie dominante du développement, qui prescrit généralement des institutions fortes comme condition préalable à la croissance.
Le rôle des incitations
Dans son livre, Ang souligne l'importance des incitations dans le modèle de développement de la Chine. Elle décrit comment le gouvernement chinois a incité les fonctionnaires locaux à poursuivre la croissance économique, en leur offrant par exemple des promotions ou des bonus en fonction de leurs performances. Ces incitations ont motivé les fonctionnaires à se concentrer sur les résultats économiques et à trouver des solutions créatives pour stimuler la croissance locale, malgré les limitations bureaucratiques ou les contraintes de ressources.
Si les incitations dans les systèmes politiques sont courantes, Ang souligne que le modèle chinois les a combinées de manière unique avec l'improvisation dirigée, en offrant aux fonctionnaires locaux l'autonomie nécessaire pour atteindre les objectifs économiques de manière créative. Ainsi, les dirigeants locaux ont pu faire preuve d'esprit d'entreprise et adapter les politiques pour atteindre les objectifs, une stratégie qui a créé une sorte de "concurrence ou de compétitivité en matière de développement" entre les différentes régions.
Éviter le piège de la pauvreté
L'un des principaux postulats de l'ouvrage de Ang est que la Chine a échappé au "piège de la pauvreté", une situation dans laquelle les pays pauvres restent pauvres faute d'avoir les ressources nécessaires pour développer des institutions ou des marchés efficaces. En permettant la co-évolution, la Chine a contourné le piège de la pauvreté en n'attendant pas des conditions idéales pour mettre en œuvre des réformes. Au contraire, elle a su mettre à profit ses ressources disponibles de manière créative, prouvant ainsi que, sous certaines conditions, il est possible de stimuler la croissance sans disposer au préalable d'une structure institutionnelle de type occidental.
Ang soutient que la Chine a évité le piège de la pauvreté grâce à une approche pragmatique de la croissance économique. En se concentrant sur les résultats et en faisant preuve de flexibilité, ce pays a démontré que la pauvreté n'est pas un obstacle insurmontable au développement si un pays est prêt à adapter ses politiques à ses besoins spécifiques. L'un des aspects les plus frappants de l'argumentation de Ang est l'accent qu'elle met sur la voie unique empruntée par la Chine pour parvenir au développement. Elle remet en question l'idée dominante selon laquelle tous les pays en développement doivent suivre une séquence spécifique de réformes pour parvenir à la croissance, en soulignant que la trajectoire de la Chine ne s'inscrit pas parfaitement dans les modèles de développement occidentaux. Son analyse suggère qu'il n'existe pas de solution unique à la pauvreté et que les pays en développement devront peut-être trouver leurs propres approches de la réforme économique.
Implications pour les autres pays en développement
Les idées de Mme Ang ont des implications significatives pour les autres pays en développement. Son travail suggère que les pays ont la possibilité de favoriser la croissance économique en adoptant l'adaptabilité et l'innovation dans la gouvernance. Toutefois, le concept d'improvisation dirigée pourrait ne pas être facilement transférable à des pays dotés de systèmes politiques ou de niveaux de stabilité sociale différents. Le succès de la Chine est en partie dû à la forte emprise du parti communiste sur le pouvoir, qui a assuré la stabilité tout en permettant l'expérimentation. Dans les pays où la stabilité politique est moindre, une telle stratégie n'est peut-être pas aussi réalisable.
Limites du modèle
Bien que l'analyse de Ang sur la réussite de la Chine soit convaincante, le modèle d'improvisation dirigée présente des limites potentielles. En effet, l'approche chinoise a été critiquée pour son manque de transparence et de responsabilité, les responsables locaux étant souvent incités à atteindre les objectifs de croissance au détriment des préoccupations environnementales ou sociales. Ce modèle risque également de renforcer les inégalités si les gains économiques ne sont pas répartis équitablement.
En outre, l'efficacité de l'improvisation dirigée pourrait diminuer à mesure que la Chine se développe. Dans une économie plus avancée, des questions telles que la protection de l'environnement, la santé publique et les inégalités deviennent de plus en plus importantes, et il reste à voir si l'improvisation dirigée peut relever ces défis complexes avec autant d'efficacité.
How China Escaped the Poverty Trap (Comment la Chine a échappé au piège de la pauvreté) de Yuen Yuen Ang est un examen stimulant de la voie non conventionnelle empruntée par la Chine pour son développement économique. Les arguments avancés par Ang remettent en question les points de vue traditionnels sur la lutte contre la pauvreté et le développement, en suggérant qu'il n'existe pas de formule universelle pour y échapper. Selon elle, l'expérience de la Chine montre que la gouvernance adaptative, l'improvisation dirigée et la co-évolution des marchés et des institutions peuvent être de puissants outils de développement.
En se concentrant sur des solutions pratiques qui répondent aux besoins et aux réalités locales, la Chine a évité le piège de la pauvreté sans adhérer strictement aux modèles économiques occidentaux. Bien que l'expérience de la Chine ne soit pas nécessairement facile à reproduire, elle offre des indications précieuses pour d'autres pays en développement. Les travaux de Ang encouragent à repenser les stratégies de développement et incitent les décideurs politiques à envisager des solutions innovantes et adaptées au contexte.
Cet ouvrage est particulièrement pertinent pour les économistes, les décideurs politiques et les spécialistes du développement désireux de comprendre les voies alternatives de la croissance économique. Comme le souligne l'auteure, des leçons peuvent être tirées de la capacité d'adaptation et de la volonté d'expérimentation de la Chine, une approche qui pourrait inspirer d'autres pays à concevoir leurs propres voies vers la prospérité.
À propos de l'auteure
Yuen Yuen Ang est une professeure de sciences politiques connue pour ses travaux pionniers sur l'économie du développement et la gouvernance, en particulier en relation avec la transformation économique de la Chine. Elle étudie comment les pays peuvent échapper à la pauvreté sans suivre strictement les modèles occidentaux. Dans son livre acclamé How China Escaped the Poverty Trap, Ang introduit le concept d'"improvisation dirigée", soulignant comment le mélange unique d'orientation centrale et d'innovation locale de la Chine a favorisé une croissance rapide. Ses recherches remettent en question les théories traditionnelles du développement, en préconisant des stratégies adaptatives et sensibles au contexte. Son travail apporte de précieuses informations aux décideurs politiques et aux chercheurs soucieux de trouver d'autres voies pour la croissance économique et le développement institutionnel.
Vikas Parsaram Meshram est un chroniqueur politique.
📰 https://countercurrents.org/2024/11/how-china-escaped-the-poverty-trap-by-yuen-yuen-ang/
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Passionnant !