❖ Ce n'était qu'une question de temps : L'effondrement prévisible du fantasme syrien de l'Occident
Cela dépasse l'obscénité morale, c'est une folie stratégique illustrant parfaitement les calculs cyniques qui guident la politique occidentale. Et comme toujours, c'est le peuple qui en paye le prix.

Ce n'était qu'une question de temps
L'effondrement prévisible du fantasme syrien de l'Occident.
Tous ceux qui ont participé à cette mascarade ont les mains couvertes du sang qui coule actuellement en Syrie. Trump et son théâtre de "leader dynamique", les diplomates européens qui ont traité un terroriste comme un chef d'État, les experts des think thanks qui ont assuré la couverture intellectuelle de cette catastrophe morale, les journalistes qui ont amplifié sans esprit critique le récit de la transformation.
Tous savaient qu'il y avait mieux à faire. Tous ont malgré tout choisi d'y participer. Et lorsque les conséquences prévisibles sont arrivées, tous ont feint d'être surpris.
C'est ainsi que la politique étrangère américaine fonctionne dans la pratique : créer des catastrophes, profiter du chaos et passer à la crise suivante tandis que les cadavres ne cessent de s'entasser derrière vous. La seule chose qui change, c'est le lieu et l'ampleur du carnage.
La tragédie s'étend au-delà de cet événement unique. Elle se reproduira, parce que les mêmes personnes qui ont conçu ce désastre sont toujours au pouvoir, font toujours les mêmes calculs, croient toujours qu'elles peuvent refaire le monde par la force et la propagande. Et le reste d'entre nous continuera à payer le prix de leurs illusions.
Par Akhil Muhammad, le 17 juillet 2025, Savage Minds
Le bombardement israélien d'hier sur Damas, qui a fait trois morts et 34 blessés au ministère syrien de la défense, est l'aboutissement tout à fait prévisible de l'un des exercices les plus éhontés de délire de politique étrangère de l'Occident de mémoire récente. Mais ne vous attendez pas à ce que les architectes de ce désastre reconnaissent leur rôle dans une catastrophe qui était inévitable.
L'histoire d'Ahmed al-Sharaa est l'histoire de la façon dont les centres de pouvoir occidentaux, dans leur arrogance infinie, ont cru pouvoir simplement redorer le blason d'un terroriste et le transformer en leader légitime par la seule force de leur appareil médiatique et de leur reconnaissance diplomatique. Ce à quoi nous assistons aujourd'hui est l'aboutissement logique de cette mascarade obscène.
Soyons précis sur ce qui s'est passé ici. Abu Mohammed al-Jolani, ce même homme qui a orchestré des attentats suicides contre les forces américaines en Irak, qui a dirigé une filiale d'Al-Qaida responsable d'innombrables atrocités, s'est transformé comme par magie en Ahmed al-Sharaa, "président par intérim" et prétendument démocrate, sans rien de plus qu'un nouveau nom et une nouvelle garde-robe.
Il ne s'agit pas d'une évolution progressive ou d'une véritable transformation. En décembre 2024, le Hayat Tahrir al-Sham de Jolani, toujours officiellement désigné comme organisation terroriste par les Nations unies, est entré dans Damas et a pris le pouvoir. En janvier 2025, les dirigeants occidentaux faisaient la queue pour serrer la main de leur nouveau "modéré".
La célérité et l'impudeur de cette campagne de réhabilitation seraient impressionnantes si elle n'était pas aussi dépourvue de sens moral. Le même gouvernement américain qui avait mis à prix la tête de Jolani pour 10 millions de dollars a soudain levé toutes les sanctions et l'a accueilli en tant que partenaire. La France, porteuse des valeurs républicaines, lui a déroulé le tapis rouge à Paris. Quant aux Saoudiens, aux Turcs et aux Qataris, ils ont ouvert leur porte-monnaie, promettant des milliards d'euros d'aide.
Le plus grotesque, c'est que Donald Trump, rencontrant cet ancien commandant d'Al-Qaïda à Riyad, a fait l'éloge d'un "leader dynamique". La presse servile a consciencieusement joué le jeu, les grands médias découvrant soudain le "pragmatisme" et la "modération" de Jolani. Ce fut un cours magistral de fabrication de consentement, exécuté avec un cynisme effronté qui ferait la fierté d'Edward Bernays.
Pour quiconque n'était pas aveuglé par sa propre propagande, la suite était tout à fait prévisible. En l'espace de quelques mois, les alliés d'al-Sharaa ont perpétré des massacres sectaires systématiques à travers la Syrie. À Lattaquié, Tartous et Homs, les milices liées à HTS ont assassiné plus de 800 civils alaouites en trois jours, interrogeant les familles sur leurs croyances religieuses avant de les exécuter. Douze mille alaouites ont fui au Liban, parfaitement conscients de ce que signifie l'"unité nationale" dans le lexique de la gouvernance djihadiste.
Comme on pouvait s'y attendre, la violence s'est propagée. À Sweida, 180 personnes sont mortes dans des affrontements que les forces d'al-Sharaa n'ont fait qu'intensifier. Voilà ce qui arrive lorsqu'on confie le pouvoir à des individus dont la seule qualification est de savoir comment terroriser les populations pour les soumettre. Et ils continuent à terroriser les populations pour ce faire.
Mais voici le plus révélateur : rien de tout cela n'a surpris les agences de renseignement occidentales et les établissements de politique étrangère qui ont orchestré la montée en puissance d'al-Sharaa. Ils savaient exactement à qui ils avaient affaire. Ils ont simplement calculé qu'un terroriste à même de maintenir un semblant d'ordre était préférable au chaos d'une véritable transition démocratique.

C'est le cas d'Israël, qui ne manque jamais une occasion d'étendre ses possessions territoriales tandis que le monde regarde ailleurs. Ayant déjà occupé des parties de Quneitra et de Daraa, s'étendant bien au-delà du plateau du Golan, le bombardement de Damas perpétré hier représente le type d'agression calculée dans lequel Israël se spécialise : attaquer la cible la plus faible possible tout en prétendant qu'elle représente une menace existentielle.
Le bombardement visait la sécurité ; il a démontré la faiblesse du gouvernement d'al-Sharaa, incapable de défendre ne serait-ce que sa propre capitale. Il s'agissait d'établir des faits sur le terrain alors que la communauté internationale reste paralysée par les contradictions de ses propres choix politiques.
Même les communautés druzes qu'Israël prétend protéger ont rejeté l'"assistance" israélienne, comprenant qu'en l'acceptant, elles se rendraient complices d'une nouvelle occupation. Mais depuis quand Israël se préoccupe-t-il des souhaits réels des personnes qu'il prétend protéger ?
La réponse des parrains occidentaux d'al-Sharaa a été aussi pathétique que prévisible. L'appel à la "retenue" lancé par Marco Rubio représente le plein engagement des États-Unis dans cette crise. Les mêmes personnes qui ont passé des mois à célébrer la "métamorphose" d'al-Sharaa le regardent maintenant se faire humilier en temps réel et peuvent à peine se contenter d'une déclaration à la presse.
Des rapports suggèrent qu'al-Sharaa pourrait offrir à Israël des concessions territoriales juste pour survivre. Le grand "leader dynamique" s'apprête à céder des terres syriennes pour éviter que son palais ne soit bombardé. En effet, quel leadership révolutionnaire !
Les Saoudiens, les Turcs et les Qataris qui ont promis des milliards reconsidèrent sans doute leurs investissements. Les Américains qui ont levé la prime font comme si de rien n'était. Quant aux Français, qui ont assuré la légitimité diplomatique, ils sont introuvables. Les experts des think tanks qui ont écrit des articles d'opinion sur "l'évolution pragmatique" d'al-Sharaa sont pour leur part passés à d'autres sujets.
Le traitement réservé aux Forces démocratiques syriennes est peut-être le plus révélateur du caractère d'al-Sharaa et de la complicité de l'Occident. Ces forces dirigées par les Kurdes ont été la force de combat la plus efficace contre ISIS (État islamique), effectuant le gros du travail que le reste de la communauté internationale n'était pas disposé à faire. Leur récompense ? Un ultimatum d'al-Sharaa datant de septembre 2025 : leur dissolution ou leur destruction.
La Turquie, comme on pouvait s'y attendre, soutient cette initiative dans le cadre de sa campagne plus large visant à écraser l'autonomie kurde. Les États-Unis, quant à eux, retirent leurs troupes et abandonnent un autre allié. Rien ne dit mieux "l'Amérique d'abord" que le fait de laisser ses partenaires les plus efficaces se faire massacrer par le terroriste qu'on vient de légitimer.
Cela dépasse l'obscénité morale. Il s'agit d'une folie stratégique. Mais elle illustre parfaitement les calculs cyniques qui guident la politique occidentale dans la région : se servir des forces locales lorsque c'est pratique, s'en débarrasser lorsque c'est opportun, et ne jamais envisager les conséquences à long terme d'une trahison.
Nous assistons à l'effondrement tout à fait prévisible d'une politique fondée sur des mensonges, entretenue par la propagande et exécutée avec un cynisme à couper le souffle. Les mêmes "experts" occidentaux qui nous ont assuré qu'al-Sharaa représentait le meilleur espoir de stabilité pour la Syrie se démènent à présent pour expliquer pourquoi leur terroriste préféré ne peut maintenir l'ordre, ne peut protéger sa capitale et ne peut empêcher son pays d'être dépecé par ses voisins.
Le peuple syrien, qui a souffert de la brutalité d'Assad pendant des décennies, découvre aujourd'hui que sa "libération" lui a apporté quelque chose de potentiellement pire : une incompétence imprévisible combinée à une violence sectaire. La répression d'Assad était au moins systématique et prévisible. Al-Sharaa, lui, offre le chaos sous un vernis démocratique.
Mais voici le plus exaspérant : ce résultat était tout à fait prévisible. Tout analyste sérieux de la politique syrienne avait compris que confier le pouvoir à une milice sectaire conduirait à des violences sectaires. Tous les experts régionaux savaient que les voisins de la Syrie exploiteraient tout vide de pouvoir. Tous les professionnels de la lutte contre le terrorisme avaient compris que la légitimation d'un groupe terroriste en enhardirait d'autres.
Tous ceux qui ont participé à cette mascarade ont les mains couvertes du sang qui coule actuellement en Syrie. Trump et son théâtre de "leader dynamique", les diplomates européens qui ont traité un terroriste comme un chef d'État, les experts des think thanks qui ont assuré la couverture intellectuelle de cette catastrophe morale, les journalistes qui ont amplifié sans esprit critique le récit de la transformation.
Tous savaient qu'il y avait mieux à faire. Tous ont malgré tout choisi d'y participer. Et lorsque les conséquences prévisibles sont arrivées, tous ont feint d'être surpris.
C'est ainsi que la politique étrangère américaine fonctionne dans la pratique : créer des catastrophes, profiter du chaos et passer à la crise suivante tandis que les cadavres ne cessent de s'entasser derrière vous. La seule chose qui change, c'est le lieu et l'ampleur du carnage.
La tragédie s'étend au-delà de cet événement unique. Elle se reproduira, parce que les mêmes personnes qui ont conçu ce désastre sont toujours au pouvoir, font toujours les mêmes calculs, croient toujours qu'elles peuvent refaire le monde par la force et la propagande. Et le reste d'entre nous continuera à payer le prix de leurs illusions.
Akhil Muhammad : Observer la machine, tracer le câblage, écrire les étincelles.
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