❖ Voix gazaouies & voix du monde pour ne pas oublier la Palestine
Nous souffrons de notre impuissance aujourd’hui et de notre aveuglement d’hier, tout était là, écrit. Il nous faut nommer les criminels, les complices, ceux qui se sont tu, qui ont détourné les yeux.
L'ENFANT & L'OLIVIER
Un enfant naît
et s'éveille à la vie
quelque part à Gaza.
Sa mère gît dans le sang
au pied d'un olivier.
Il ne sait pas
que les chars
vont passer sur son petit corps,
sur celui de sa mère,
les broyer tous deux.
Il ne sait pas
qu'il mourra
au lendemain
de sa naissance.
Elle voulait l'appeler
Saied,
qui signifie heureux,
mais heureux, il ne l'a jamais été
car le sang de sa mère
abreuvait l'olivier.
L'arbre racontera
l'histoire de Saied
et de sa mère
et celle de leur terre.
La courte vie de Saied deviendra un conte
mais lui ne le saura jamais.
- Nadera Mushtaha*, 21 juillet 2024, We Are Not Numbers
https://wearenotnumbers.org/the-child-and-the-olive-tree/
* Nadera Mushtaha est poète et écrivain. Elle est née et a grandi dans le quartier de Shujaiya, dans la ville de Gaza. Sa famille est originaire de Gaza. À l'automne 2023, Nadera a entrepris sa troisième année dans le département d'enseignement de l'anglais à l'université islamique, où elle était l'étudiante du Dr Refaat Alareer. La plupart des écoles de Gaza ayant été détruites pendant la guerre, elle organise des cours d'anglais pour les enfants de son quartier.
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OÙ QUE NOUS SOYONS…
Chaque heure livre aux ténèbres
toujours plus de bombes sur l’horizon
et l’enfant sans jouet
entre en nuit
au milieu
des décombres
Chaque heure taillée
au ciseau de l’exécuteur
compte les pas sous terre
que n’allonge plus
l’avenir géomètre
Des pays sans mémoire
complices et sans présence
laissent au seuil de l’irréparable
se coucher la prière
se consommer le sacrifice
Une étoile d’épouvante
prononce son laisser-faire ce monde
tandis que la férocité pénètre
les éclairs
Chaque heure accomplit sa passe
d’espoir déchu
de meurtres foisonnants
renverse du calice
ce qui revient à la fleur
Chaque heure répand sur la terre
ce que la mal-histoire souille
d’origine et de cause
du devenir humain
Sur l’arbre sans branches
que gravit la colombe sans ailes
se croisent sans recours devant l’éternité
les écritures ignominieuses
de la haine et de la course au sang
contre le pain levant des choses
A ciel ouvert
en toutes consciences
exercées au déni
dans un grand silence
déchirant la musique d’autre monde
des mots de tracé noir sur la lumière
courent de famine en génocide
après les chairs d’enfants enfouis
L’histoire assiège l’histoire
par des répétitions aveugles
à ses espérances
Où que nous soyons
nous sommes assiégés dans Gaza
- Philippe Tancelin, 13 août 2024, Lundi Matin
https://lundi.am/Ou-que-nous-soyons
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SOMMAIRE :
1 - Je sens la mort - Majd Musleh
2 - Gaza me hante - Samaa Abu Sharar
3 - À la recherche de moi-même - Sahar Al-ijla
4 - La souffrance des corps - Martine Bessière
5 - À la mémoire d'Ismail Al-Ghoul, journaliste à Gaza qui a été mon mentor - Farida Algoul
6 - Un chirurgien de renom, auteur principal d'une nouvelle étude du Lancet, torturé par l'armée israélienne - Ryan Grim
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1- ➤ Je sens la mort
La nuit, mon corps se rebelle contre tous les morts et la colère. Je dégouline de sueur. Au réveil, mon corps transpire en cascade et je sens l'odeur de la mort.
Par Majd Musleh, le 17 juillet 2024, We Are Not Numbers
J'ai senti la mort à peine deux ans après ma naissance. En fait, je pense que je sentais la mort chaque fois que mon père me câlinait. Je sentais la mort chaque fois qu'il me cajolait à cause des bleus que les forces d'occupation avaient laissés sur son corps pendant qu'elles le gardaient dans leurs cellules aux odeurs de mort.
Je sentais la mort chaque fois qu'à l'école je devais répondre à mes amis qui me demandaient des nouvelles de mon père. J'ai senti la mort parce que mon père n'est plus, mon père est un martyr. Je l'ai goûtée le jour où notre institutrice de première année nous a demandé ce que faisaient nos parents. J'ai répondu que ma mère est une belle et forte doctoresse mais mon père, mais mon père dont je ne me souviens pas... est mort en martyr deux ans après ma naissance. Je l'ai senti à chaque regard choqué et curieux de pitié sur les visages des autres étudiants.
Mais j'étais trop jeune pour comprendre ce qu'étaient cette odeur et ce goût dans ma bouche, jusqu'à ce que le génocide en cours me révèle la vérité, à savoir que cette odeur était et reste celle de la mort. Une odeur qui m'étouffe comme autant de larmes bloquées dans mes yeux... comme la mort sous l'effet d'un tir de missile.
Je me suis toujours demandé pourquoi j'étais déprimée jusqu'à ce que je sache que c'était à cause de l'odeur de mort sous mon nez durant toutes ces années, au point d'aveugler mon cerveau et de l'empêcher de ressentir quoi que ce soit d'autre d'agréable. Je me suis toujours demandé pourquoi je n'avais aucun souvenir de ma petite enfance, mais je réalise désormais que l'odeur de la mort, de la peur et des guerres était si forte qu'elle a bloqué le fonctionnement de mon lobe temporal et, par conséquent, mes souvenirs d'enfance.
J'ai goûté à la mort plus que jamais le jour où j'ai vu notre quartier enserré de décombres et de chars d'assaut. J'ai senti la mort à chaque instant du premier siège de l'hôpital Al-Shifa, me demandant si ma mère - bénévole dans les services de soins de l'hôpital - survivrait, si elle pourrait boire une gorgée d'eau aujourd'hui ou pas.
Mais à présent, je comprends que c'est plus qu'une odeur ou un goût, c'est, comme le disent nos grands-mères, "une pierre sur le cœur". Et ce poids pèse sur mon cœur depuis que je suis enfant. Il me pressait au point que je commençais à suffoquer. Et j'ai réalisé que cette pierre était agrippée sur le cœur de la plupart des Palestiniens, et ce de manière inébranlable.
Lorsqu'on m'a demandé d'écrire sur l'expérience traumatisante vécue par ma mère lors du siège de l'hôpital Al-Shifa en novembre 2023, j'ai senti une odeur de mort et une envie farouche de fuir l'écriture. Je me suis mise en colère et sur la défensive. J'ai remarqué que mon corps, mais pas ma personne, hurlait contre les autres. Je me suis souvenu des dix jours pendant lesquels ma mère a été assiégée à l'hôpital Al-Shifa, où j'ai de nouveau goûté à la mort. Mais comment expliquer à mes amis que je hurlais contre ce monde et non contre eux ? Je maudissais les dix jours passés par ma mère à l'hôpital Al-Shifa, alors que je me demandais si elle avait eu la chance de pouvoir boire une gorgée d'eau. Je maudissais ces dix jours passés par ma mère à l'hôpital Al-Shifa, alors que je me demandais si elle avait eu la chance de boire une gorgée d'eau. J'étais frustrée par mon impuissance tout au long de ces dix jours passés sur le canapé à Chypre, à des milliers de kilomètres de ma maison, de ma mère, allongée alors que l'odeur de la mort me faisait suffoquer, à voir les chars se rapprocher de l'hôpital Al-Shifa en direct à la télévision, à assister au spectacle sanglant orchestré par les soldats distribuant des boîtes indiquant au public "Aide médicale", "Nourriture pour bébés", alors que tout ce que je lisais sur ces boîtes était le mot "Mort".
Comment leur expliquer que si je sais que ma mère est là, dans ce même bâtiment, sur la télévision de ce théâtre, je sais aussi qu'il est fort possible qu'elle soit la prochaine victime d'une exécution et qu'elle puisse être désignée comme "terroriste ciblée" dans un hôpital ?
Comment puis-je leur expliquer que pendant que j'étais allongée sur le canapé à regarder les informations à 3 heures du matin, j'attendais à tout moment l'appel qui m'informerait de la mort de ma mère et que j'étais en fait prête à l'entendre comme si je le savais déjà ?
Comment leur expliquer qu'en plus de cette inquiétante odeur de mort qui m'entourait, mon corps à l'odeur de mort putride me forçait à dormir alors que les chars se rapprochaient et que je regardais les quadcoptères tirer malicieusement sur une population comme s'il s'agissait d'un champ rempli d'animaux en pleine saison de chasse.
Comment leur expliquer que l'armée d'occupation sioniste a bombardé Al-Shifa, qu'elle a affamé des bébés, des pères et des mères, et qu'ensuite elle est arrivée avec des boîtes blanches bien propres sur lesquelles était écrit "Aide"... oh le privilège blanc ! C'est ce que je dénonçais - ce privilège blanc ou, comme l'a dit Ghassan Kanafani, "Ils volent votre pain, puis vous en donnent une miette... et vous demandent de les remercier pour leur générosité". Quelle audace ! Ils ont bombardé des maisons et les ont pillées, puis ils sont arrivés avec des tentes blanches portant l'inscription "ONU" et des boîtes étiquetées "Aide", et ils s'attendent à ce que nous les acceptions joyeusement ou, pire encore, que nous les remerciions.
La nuit, mon corps se rebelle contre tous ces morts et cette colère. Je dégouline de sueur. Au réveil, ma sueur se répand comme une cascade sur mon corps et je sens l'odeur de la mort. J'essaie de l'essuyer sur mon visage, mais je la sens encore plus.
J'essaie d'allumer la climatisation, mais mon corps ricane comme s'il s'agissait d'une question de température. Il rit si fort, se moquant de mes mensonges stupides, et il me hurle : "Réveille-toi ! C'est l'odeur de la mort. Réveille-toi ! C'est la colère qui dégouline en toi. Réveille-toi ! C'est la saison de la chasse".
Le soir, avant de m'endormir, je me couche en sachant que je rêverai de notre maison noyée parmi les morts et les décombres. Je le ressens partout à travers mon corps épuisé par ces cauchemars de guerre, ces morts et ce corps de bébé non identifié sous les décombres. Je le respire à travers les vidéos que je vois la journée et lorsque mon collègue de travail passe, voit que mon visage a viré au jaune et me demande : "Ça va ?". Je m'essuie la figure tentant de cacher l'odeur de la mort et je réponds : "Oui, je vais bien".
Je me souviens avoir demandé à ma mère comment était la situation à l'hôpital Al-Shifa avant le siège. Elle m'a répondu : "Ça sentait le sang partout". Au moment où j'écris ces mots, de la sueur aux effluves de mort commence à dégouliner sur mon corps, et je me mets à nouveau en colère le lendemain parce que j'ai senti l'odeur de la mort.
Lors d'un séminaire universitaire sur le deuil, j'ai senti la mort et la peur lorsque mon cœur s'est mis à battre en entendant le professeur définir le deuil. J'ai commencé à ressentir une vive douleur dans la poitrine et l'assaut de la mort commençait déjà à me frapper. Mais de quoi suis-je en deuil ? Du génocide en cours ? Des quatre autres guerres que j'ai vécues lorsque j'étais enfant à Gaza ? Ou de la perte de mon père, qu'ils m'ont enlevé dans mes jeunes années pour que je ne me souvienne plus de lui ?
Lors d'une interview que ma mère a été invitée à donner après le siège, elle a déclaré : "Je me souviens d'une fillette de 12 ans sans ses parents à l'hôpital Al-Shifa, brûlée sur tout le corps, et alors que je la touchais pour la réconforter, elle me disait : "Docteur, s'il vous plaît, allongez-vous à côté de moi"".
Mais je ne pouvais pas et je le lui ai dit, alors je lui ai tenu les mains jusqu'à ce qu'elle s'éteigne à l'aube en me tenant la main. Je ne peux pas me pardonner de ne pas m'être allongé à côté d'elle, car aujourd'hui encore, je peux sentir l'odeur de sa peau brûlée, je peux sentir sa peau brûlée contre mes mains !
Mais quelle mesquinerie de ma part de dire que ma poitrine me faisait souffrir en écoutant ce séminaire ou que je sentais la mort alors que ma mère l'a palpée, lui a tenu la main, l'a vue et l'a respirée.
Le professeur du séminaire a déclaré qu'il fallait en moyenne deux ans pour faire son deuil. Mais les Palestiniens ont-ils jamais eu le temps de faire leur deuil ? Nous sommes nés avec le deuil.... Nous sommes nés dans la mort, le premier cri du bébé après la naissance en Palestine est dû à l'odeur de la mort. Ai-je eu le temps de pleurer mon père alors que je suis née à peu près pour sa mort ? Comment puis-je faire le deuil de souvenirs que l'odeur de la mort a fait fuir ?
"Le deuil collectif", selon ce professeur, est le deuil d'une communauté entière face à une crise. Quant au "deuil par dépossession", il s'agit de la situation où une personne se sent coupable de son deuil parce que la perte de quelqu'un d'autre est plus digne d'elle. Cependant, il convient de se rappeler qu'aucune souffrance n'est plus importante qu'une autre.
Tout ce à quoi j'ai pensé en entendant cette définition, c'est que j'étais pitoyable et stupide. Comment ce professeur pouvait-il dire que ma souffrance était aussi valable que celle de ma mère ou de Hind, la fillette de six ans qui était seule, piégée avec les corps des martyrs dans une voiture et cernée par la mort et les chars, alors que je me trouve à des milliers de kilomètres de la mort, cloîtrée dans ma chambre à regarder les informations à la télévision. Je ne pense pas qu'un psychologue ou un professeur de psychologie puisse comprendre que mes sentiments ne sont pas aussi vrais que les siens !
Le foyer est l'endroit auquel on appartient, et j'ai appartenu à mon foyer de Gaza, entouré de guerres et de mort. L'occupation qui nous a forgé ces souvenirs nauséabonds a maintenant décidé de rayer Gaza de la carte. Je n'ai plus de foyer. Tout ce qui reste de mon foyer, n'est que l'odeur de la mort, et c'est à la mort que j'appartiens.
Note de la rédaction : Majd dédie cet essai à sa mère, Raja'a Nour, en reconnaissance du combat qu'elle a mené pour les élever, elle et son frère, en tant que mère célibataire, et à la mémoire de son père, Raed Musleh, capturé lors de la première Intifada et torturé pendant trois ans, lui valant de mourir en martyr.
Majd Musleh est une Palestinienne qui a vécu toute sa vie à Gaza. À l'origine, ses grands-parents ont été déplacés de force de Kawkaba et Yafa à Gaza après la Nakba en 1948. Après avoir obtenu son diplôme de fin d'études secondaires à Gaza, elle a poursuivi son rêve d'étudier le droit et est actuellement étudiante en droit à Chypre.
Elle est convaincue que les détenus palestiniens dans les prisons de l'occupation sont des soldats inconnus de la lutte palestinienne. Elle souhaite en particulier mettre en lumière ses parents : son père, dont elle ne se souvient pas mais dont elle ne veut pas que la mémoire soit oubliée (ni celle de tout Palestinien qui s'est levé et a lutté contre l'occupation), et sa mère, qui s'est battue en tant que femme palestinienne, épouse d'un martyr et mère célibataire. C'est pourquoi elle est convaincue que le seul moyen d'obtenir une Palestine libre est de lutter contre l'occupation et de s'élever contre elle et contre tout autre régime colonialiste.
📰 https://wearenotnumbers.org/i-smell-death/
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2- ➤ Gaza me hante
Par Samaa Abu Sharar, le 28 juillet 2024, Counter Currents
Il m'a fallu environ huit mois pour m'asseoir et pouvoir écrire sur Gaza. Comme la plupart des gens, je suis passé par tout un éventail d'émotions allant de la dépression sévère à l'impuissance, en passant par des crises de larmes dues à une douleur inédite et à la déception d'un monde à la fois "libre" et "non libre".
Sur le plan émotionnel, je ne suis plus moi-même. Autant Gaza m'a meurtrie, autant elle m'a profondément transformée.
La plupart des concepts et des croyances sur lesquels nous avons été élevés, que nous avons étudiés ou qui nous ont été dictés, se sont effondrés et, avec eux, ma foi dans toutes les lois universelles caduques prétendant protéger la dignité et les droits de l'homme.
Gaza m'a appris à ne faire confiance à rien. Absolument rien. Les êtres humains ne sont pas égaux dans les conventions internationales. Il y a la loi reserée à "l'homme blanc" et celle du reste de l'humanité. La loi du "plus fort" et la loi du "plus faible". Dans tous les cas, Gaza est restée en marge de l'humanité, assimilant la victime au bourreau dans toute sa laideur.
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Mes journées depuis le 7 octobre se résument à des détails insignifiants. Gaza me hante littéralement. Je dors, si je peux dormir, avec Gaza, et je me réveille avec Gaza. Je ne sais plus combien de fois je me suis réveillé d'un sommeil agité pour saisir mon téléphone portable et voir si le temps tournait à l'orage ou à la pluie à Gaza ?
Les scènes de déplacés essayant de réparer leurs fragiles tentes ou d'évacuer l'eau - le visiteur à la fois désiré et indésirable - qui inonde les tentes et leurs habitants, et les frissons des jeunes et des vieux à cause du froid et de l'échec du monde à leur égard, s'étalent devant moi.
J'attends l'hiver avec impatience, mais cet hiver fut rude. J'ai prié pour un hiver clément, plus clément pour notre peuple à Gaza, et pour un été doux, plus doux que la dure réalité, dont l'esprit humain ne peut saisir la profondeur.
Même le temps s'est ligué contre la population de Gaza. Les tentes sont invivables, la chaleur torride, accompagnée de toutes les bestioles rampantes de la terre et des créatures volantes, fait de la vie un cauchemar permanent.
Non, il n'y a plus de place pour les choses que nous considérions autrefois comme acquises. Tout est devenu un luxe pour les habitants de la minuscule bande de Gaza, si grande par son esprit, ses sacrifices et ses habitants.
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J'ai été témoin de nombreuses tragédies vécues par le grand peuple palestinien, tant sur le plan personnel que collectif. Rien n'est comparable à ce qui s'est passé et se passe toujours à Gaza, qui a exposé tout le monde et en premier lieu le Palestinien lui-même. Cette nouvelle Nakba (catastrophe), dont nous vivons les détails chaque jour, a révélé l'étendue de notre fragilité face à cet événement historique.
Cette fragilité est évidente à tous les niveaux, de notre scène politique palestinienne usée, à nos institutions en crise, à la faiblesse de notre scène médiatique officielle noyée dans les divisions politiques, incapable de présenter le récit palestinien, inadapté à notre peuple, à notre grande et juste cause et à notre droit de résistance jusqu'à la libération de la Palestine. Un récit également inadapté au public arabe et occidental à la recherche d'un véritable récit palestinien, qui ne souffrirait pas d'être fédéré.
Politiquement, la scène est encore plus vide L'événement majeur ne nous a pas unis et n'a pas consolidé notre position, mais a accentué notre fragmentation, notre dispersion et notre division. À quelques exceptions près, certains Palestiniens ont présenté un récit solide, mais la grande majorité d'entre eux se sont opposés à l'énorme sacrifice que la population de Gaza a consenti et continue de consentir.
"Protéger l'unité nationale palestinienne à l'intérieur et à l'extérieur de la patrie occupée est l'une des principales armes avec lesquelles nous combattons nos ennemis et une condition de notre victoire", a écrit un jour feu le martyr et révolutionnaire palestinien Majed Abu Sharar.
Où en sommes-nous de cette unité ? Comment faire face aux conséquences de ce qui se passe ou investir dans la prise de conscience et la mobilisation internationale sans précédent pour soutenir notre cause ?
Combien d'entre nous sont restés silencieux au début, "parce que ce n'est pas le moment de critiquer", car la lutte est vaste et permanent et que l'ennemi est un, du moins c'est ce que nous pensions ! Mais visiblement, l'ennemi n'a jamais été un pour beaucoup, les alignements de factions étant plus importants que l'événement capital et la cause suprême.
Nous nous mentirions à nous-mêmes si nous disions que le génocide à Gaza nous a unis ; c'est le contraire qui est vrai. De nombreux porte-parole, dont certains nous sont inconnus et d'autres que nous connaissons trop bien, ont fait des déclarations qui n'auraient pu venir que d'un ennemi et qui s'inscrivent dans la lignée glaçante du point de vue sioniste et de celui de l'impérialisme mondial, au lieu de défendre le droit des Palestiniens à résister sur la base des lois internationales.
Notre discours politique est devenu le reflet de notre réalité troublée. Je suis l'une des nombreuses Palestiniennes qui ne s'est pas retrouvée, pendant ce génocide en cours et bien avant, dans le récit officiel palestinien et le discours arabe.
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La tragédie se poursuit et l'interaction humaine qui en résulte est énorme. Mais les institutions palestiniennes officielles ont généralement été absentes de ce qui se passait sur le terrain, malgré la nécessité d'unifier les efforts et de faire face à l'énormité de la situation, comme le dicte la guerre d'extermination en cours.
Ma vie, comme celle de beaucoup d'autres, est désormais axée sur les moyens possibles de tendre une main secourable à notre peuple à Gaza, mais tous ces efforts restent individuels et inorganisés malgré les bonnes intentions, et ne peuvent donc répondre aux immenses besoins de Gaza. La division et l'absence d'une vision unifiée pour un plan d'aide d'urgence sont l'une des raisons de l'absence institutionnelle dans ces circonstances exceptionnelles.
La Nakba de 1948, celle de 1967 et tous les massacres et événements marquants de l'histoire de notre long conflit avec l'ennemi semblent ne pas nous avoir enseigné quoi que ce soit. Le génocide de Gaza l'a clairement démontré.
La mobilisation internationale sans précédent et la prise de conscience parallèle font chaud au cœur ! Qui parmi nous, et je veux parler des Palestiniens et des Arabes qui considèrent encore la Palestine "comme leur cause", a jamais rêvé d'une scène similaire à celle dont nous avons été témoins au cours des dix derniers mois ?
La prise de conscience des jeunes occidentaux égale, voire dépasse, celle de nombreux jeunes Arabes et même Palestiniens à l'égard de la cause palestinienne. Et ce que les jeunes d'Europe et d'Amérique déclarent en adoptant des positions fermes, beaucoup des nôtres hésitent même à y penser. "La Palestine du fleuve à la mer", "Mettre fin à l'existence d'Israël", "Le sionisme équivaut au nazisme", "Israël est une entité criminelle"... et d'autres encore sont devenus des convictions plutôt que des slogans pour beaucoup en Occident, en particulier chez les jeunes.
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La Palestine n'est plus la cause des Palestiniens et de certains Arabes. Elle est devenue une cause internationale, humanitaire, adoptée par des centaines de millions de personnes, et si cela révèle quelque chose, c'est que Gaza et sa population ont atteint ce que nous n'avons pas réussi à atteindre pendant de nombreuses années.
Oui, et malgré la douleur et les scènes épouvantables, les habitants de Gaza sont venus nous donner des leçons de fierté, de dignité, de foi, d'adhésion à la vérité et de ténacité. Je me demande souvent comment les Gazaouis ont pu faire cela tout en vivant l'invivable au cours des dix derniers mois.
Je n'ai pas oublié un seul juron que je n'ai pas prononcé au cours de ce douloureux génocide, peut-être pour exprimer ma colère et mon ressentiment à l'égard de ce monde, ou peut-être pour me défouler. Mais pas une seule fois je n'ai entendu un habitant de Gaza en proférer un.
Tout ce que nous avons entendu, ce sont des expressions comme "Dieu merci", "Dieu me suffit", "Dieu est le meilleur ordonnateur des affaires", "Que Dieu se venge de toi, Netanyahou", et d'autres expressions "polies" à la lumière de l'abominable réalité à laquelle les habitants de Gaza ont été exposés.
Combien de fois ai-je souhaité stopper la course de ce monde pour Gaza, pour faire cesser cette folie, combien de fois ai-je voulu hurler de tout mon cœur dans l'espoir que quelqu'un m'entende et mette fin à une douleur dont je n'aurais jamais imaginé pouvoir supporter le moindre fragment.
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Les conversations privées que j'ai eues avec des amis et des parents à Gaza n'étaient pas très différentes de ce que nous voyons et entendons tous à la télévision et autres moyens de communication disponibles. Leurs réponses, lorsque nous osons les interroger sur leur bien-être, vont de "Dieu merci" à "que Dieu mette fin à cette guerre", en passant par "nous nous languissons de rentrer chez nous pour y retrouver notre vie", jusqu'à la réponse la plus extrême : "nous sommes épuisés, nous sommes exténués". Honnêtement, je ne me souviens pas d'une seule fois où quelqu'un ait prononcé un mot dépassant les limites de la politesse.
Je me demande parfois quand quelqu'un de Gaza me contacte pour prendre de mes nouvelles ou même me souhaiter l'Aïd - deux Aïd (El Fiter et Al Adha) sont passés dans des circonstances indescriptibles pour les habitants de Gaza - je me demande où ils puisent leur capacité à continuer ?
Au cours des derniers mois, j'ai noué des liens d'amitié avec nombre de personnes, alors que notre communication ne dépassait pas un commentaire ici ou un "j'aime" là, sur les réseaux sociaux. Ces personnes avaient peut-être besoin d'une source extérieure de réconfort pour assurer leur présence dans notre existence, ou peut-être d'une quelconque nouvelle concernant un cessez-le-feu potentiel étant donné la folie en cours ou d'une lueur d'espoir que ce cauchemar prenne fin. Les relations avec mes amis de Gaza se sont encore renforcées. Ils m'ont permis d'entrer dans les détails de leur vie au milieu des massacres incessants, des déplacements, de l'épuisement, de l'angoisse et d'autres sentiments humains complexes.
Mon cœur s'emballe chaque fois que j'entends parler d'un bombardement à proximité de leurs lieux de déplacement, jusqu'à ce que je reçoive de leurs nouvelles me disant qu'ils vont bien, jusqu'à la prochaine fois. Parfois, j'hésite à m'enquérir de leur état, car ils ne vont certainement pas bien, malgré tout ce qu'ils disent pour nous rassurer et/ou pour ne pas nous accabler avec la vie impossible qu'ils mènent.
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Je ne connais pas la limite de la douleur qu'une personne peut supporter.
Ce que je sais, c'est qu'au milieu du génocide en cours, nous n'avons jamais cru une seule fois que nous pourrions supporter cette douleur inimaginable. L'angoisse qui ne nous quitte pas, l'impuissance qui nous habite, la déception sans pareille... et les images qui nous assaillent de leur cruauté mythique.
Combien de fois ai-je souhaité stopper la marche de ce monde pour Gaza, pour faire cesser cette folie, combien de fois ai-je voulu hurler de tout mon cœur pour que quelqu'un entende et mette fin à une douleur dont je n'aurais jamais imaginé pouvoir supporter ne serait-ce qu'une partie. Pourtant, l'espoir de voir ce cauchemar prendre fin subsiste.
C'est de cet espoir que nous tirons notre aptitude à continuer pour le bien de Gaza et de sa population, pour le bien de la Palestine.
Le chemin de la guérison sera long, extrêmement long, et ce qui nous attend pourrait être encore plus difficile que ce que nous avons déjà vécu. Mon espoir réside dans notre capacité à traduire la douleur en actes, afin que le voyage pour la liberté et la libération se poursuive vers une patrie dont nous rêvons toujours.
Samaa Abu Sharar est une journaliste et chercheuse palestinienne vivant à Beyrouth. Son article sur Gaza a été traduit du site web arabe 180post.com.
📰 https://countercurrents.org/2024/07/gaza-that-haunts-me/
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3- ➤ À la recherche de moi-même
La version originale de la personne que je suis est plongée dans le coma, et ne pourra se réveiller avant la fin de la guerre.
Par Sahar Al-ijla, le 27 juillet 2024, We Are Not Numbers
Assise sur la plage, le regard perdu dans le vide, cherchant des réponses aux questions qui tourbillonnent dans mon esprit, je vois d'autres questions dans les yeux des passants : Que s'est-il passé ? Pourquoi ? Qu'avons-nous fait de mal ? Cela finira-t-il un jour ?
Je partage ces interrogations avec eux, mais d'autres questions spirituelles, personnelles, substantielles et existentielles ont pris le contrôle de mon esprit depuis plus de huit mois : Qui suis-je ? Qu'est devenue l'ancienne version de moi ? Retrouverai-je un jour la personne que j'étais ? Et comment me suis-je transformée en une étrangère à moi-même ?
Depuis l'assaut contre Gaza, j'ai perdu ma maison, la sécurité, une vie confortable avec des revenus suffisants et la tranquillité. Et je me suis aussi perdue moi-même.
Depuis 26 ans, j'étais une fille avec une personnalité unique caractérisée par la gaieté, la simplicité, la confiance, la paix, la force, la sensibilité et la passion. Mais, ces huit derniers mois ont effacé de manière choquante toutes ces facettes de ma personnalité, comme si elles n'avaient jamais existé en moi. J'ai l'impression d'avoir vécu non pas huit mois, mais plutôt huit ans, voire huit décennies.
J'ai compté les jours, je ne les ai pas vécus. La vie s'est arrêtée depuis plus de 260 jours. Perdu dans ce monde, ignorant le présent et l'avenir, sans vraiment prendre conscience de ce qui se passe autour de moi et de la manière d'agir : voilà mon état moral depuis un bon bout de temps.
La version originale de ma personne est plongée dans le coma, et elle ne reviendra pas tant que la guerre n'aura pas pris fin.
Vieille à l'extérieur, vide à l'intérieur
La routine sinistre, exténuante et stressante est la même tous les jours, et les luttes quotidiennes des sans-abri en quête de nourriture et d'eau sous la menace constante de bombardements se reflètent clairement dans mon apparence, je fais beaucoup plus vieille que mon âge réel. Mon visage a pris une teinte plus foncée à cause du soleil, et ma peau se couvre d'acné et de points noirs, en réaction au stress et à la tension.
J'ai déjà perdu la moitié de mon poids faute d'aliments nutritifs. Je souffre régulièrement de maux d'estomac. Mes articulations et mes os me font souffrir, de même que les infections pulmonaires et oculaires contractées en cuisinant constamment au-dessus du feu, et font que je me sens aussi vieille que j'en ai l'air.
Je ne reconnais plus la personne que je suis devenue, comme si quelqu'un d'autre occupait mon corps. Intérieurement, je suis vide. Mon cœur et mon esprit ne fonctionnent pas correctement, si bien que je ne peux pas ressentir ou vivre les plus infimes moments de plaisir ou de bonheur. J'ai perdu la passion qui m'animait auparavant, même pour les choses les plus simples.
Quand je regarde mon reflet dans le miroir fissuré, je vois que je suis aussi abîmée tant intérieurement que physiquement.
Je ne supporte pas ce nouveau moi. Après avoir été passionnée et pleine d'espoir, je suis désormais constamment déprimée et indifférente à tout, quelle que soit l'importance de la chose.
En raison des frappes aériennes massives, le moindre bruit un peu fort me terrorise en permanence. Même le simple bruit d'une voiture qui passe me panique.
Mon côté optimiste et ma joie de vivre me caractérisaient. Lorsque mes amis se sentaient sous pression et avaient besoin de soutien, ils m'appelaient systématiquement. Après avoir discuté, ils me confiaient se sentir beaucoup mieux et que j'étais la personne idéale pour atténuer n'importe quel problème. Nous riions ensemble à chaque rencontre, et mes blagues et mes propos loufoques résonnaient. Aujourd'hui, je suis totalement à la dérive, transformée. Je ressasse les mauvaises choses et ne peux m'empêcher d'avoir de sombres pensées.
Je reconnais que j'étais parfois quelqu'un de nerveux, mais jamais à ce point. Aujourd'hui, mes nerfs sont à fleur de peau, guettant le moindre grain de sable pour exploser, ce qui ne me ressemble absolument pas. Je suis devenue agressive, même avec les membres de ma famille, et je déverse inconsciemment ma colère et mon stress intérieurs sur eux.
Un jour, ma sœur et moi nous sommes querellées pour une bêtise, les tâches ménagères, et au milieu de notre dispute, j'ai crié : "Quand vas-tu te marier pour qu'on soit débarrassé de toi ?". J'ai regretté d'avoir dit cela et me suis excusée le jour même. Ce n'est qu'un petit exemple de la façon dont la guerre nous a amenés à de tels comportements les uns envers les autres au sein d'une même famille.
La guerre nous vole tout, même notre humanité.
Ne pas pouvoir pratiquer ses passe-temps favoris joue également un rôle dans la perte de soi. J'ai été privée des activités les plus ordinaires que j'avais l'habitude de pratiquer, comme visiter des endroits agréables et divertissants, regarder des films et des séries télévisées, cuisiner divers plats délicieux, aller à la mer et nager, faire des pique-niques en famille, marcher et méditer dans la nature, me déplacer librement chez moi d'un endroit à l'autre, et que sais-je encore ! Je suis privé du cadeau le plus simple, celui d'être tranquillement allongé dans mon lit, buvant un verre en regardant la télévision ou en naviguant sur mon téléphone portable, sans avoir peur d'être tué à tout moment.
Tout cela à cause des frappes aériennes aléatoires et de la peur perpétuelle d'être tué à tout moment, et bien sûr, à cause du manque de ravitaillement, de moyens de divertissement et de lieux de distraction à Gaza. Tous les espaces agréables tels que les parcs, les jardins, les restaurants, les cafés et les magasins ont été détruits par les forces israéliennes, de même que les bâtiments les plus fondamentaux tels que les hôpitaux, les écoles, les cliniques et les habitations, qui ont subi le même sort.
Depuis octobre 2023, je tourne en boucle à la recherche de l'ancienne version de moi, Sahar, avant la guerre. Une personne pleine d'espoirs et de rêves, forte, indépendante et dotée d'un caractère singulier. Malheureusement, elle ne parvient pas à refaire surface pour l'instant.
Tentatives de reconstruction
Mais ce n'est pas la fin, je n'abandonnerai pas et je vais faire de mon mieux pour me rétablir. Rien n'a de fin, cette guerre implacable se terminera un jour, et ce jour-là, l'ancienne version de moi réapparaîtra. En attendant, j'ai fait quelques tentatives pour atteindre cet objectif.
#1 : Allah est là pour nous
Allah ne m'a jamais laissé tomber chaque fois que j'ai demandé son aide et sa miséricorde. Lorsque je lui ai demandé de m'aider à obtenir mon diplôme, il l'a fait. Lorsque ma famille et moi-même avons frôlé la mort à plusieurs reprises depuis le début des massacres, je l'ai prié de nous sauver, ce qu'il a fait avec miséricorde.
C'est la seule source de calme et de paix depuis le début de la guerre. Tout au long de ma vie, Allah a été ma première source de soutien et d'aide, et en ces temps si difficiles, je me rapproche de plus en plus d'Allah, car il est mon seul salut.
J'ai essayé de garder un lien fort avec Allah en priant et en le louant, ce qui m'a beaucoup aidé à maintenir le peu d'espoir et d'assurance qui me reste.
2# : Pleurer pour se sentir mieux !
Pleurer pour soulager le stress a toujours été une méthode que j'avais l'habitude de pratiquer. C'était donc l'un des choix qui s'offraient à moi, mais malheureusement, cela n'a pas fonctionné. J'ai fait de mon mieux pour expulser mes peines intérieures par les larmes, mais rien n'est sorti de mes yeux. Mes larmes restent bloquées, incapables de couler. Mon cœur a dû perdre sa capacité à exprimer ses sentiments et ses émotions. Je me suis sentie encore plus mal et ma dépression s'est intensifiée. Signe que je devais tenter un autre processus.
#N° 3 : Discuter avec des personnes qui me sont chères
Le seul moyen partiellement et légèrement efficace de retrouver mon chemin a été de discuter avec ceux que j'aime et en qui j'ai confiance, y compris des amis proches et des membres de ma famille. Lorsque je leur parle, je partage tout ce que je vis, les vicissitudes quotidiennes et les problèmes rencontrés.
Je me sens à la fois mieux et moins bien. Cela me facilite la vie car j'ai été à leur place et vice versa, je comprends donc ce qu'ils ressentent et je sais que je ne suis pas seule. D'un autre côté, je me sens triste pour les autres en raison de la vie et des expériences douloureuses que nous sommes obligés de vivre ; nous aimerions que nos vies soient plus justes. Lorsque nous nous rencontrons, je fais de mon mieux pour revivre le passé, assis à discuter en groupe, en essayant d'oublier nos problèmes, en mangeant et en buvant toutes les collations disponibles, et en prenant des photos amusantes.
#4 : Passe-temps et activités
J'ai presque oublié les loisirs que j'aime pratiquer, surtout depuis que je n'ai pas eu la possibilité ou l'occasion d'y donner suite.
J'essaie de reprendre le dessus et de me mettre au défi de stimuler ma positivité, en commençant par faire quelque chose de plaisant et de joyeux, et en planifiant chaque journée avec différentes activités en solo ou en groupe, comme cuisiner, jouer à des jeux et faire des puzzles, regarder des films et des séries, lire des romans, me divertir avec ma famille, et tout ce qui peut occuper mon temps. Mais c'est difficile car je ne parviens pas à surmonter la peur et les tensions environnantes.
Il n'y a rien qu'un être humain puisse entreprendre tant que la guerre est en cours, si ce n'est de laisser aller les choses telles qu'elles sont. Tout ce que j'éprouve, c'est de la peur et du stress, quels que soient les efforts que je déploie pour retrouver ma vie et mon identité.
#N° 5 : L'écriture
Je canalise mes émotions en écrivant. Cela n'a pas un impact énorme, mais cela ne m'empêchera pas d'écrire tout ce que je ressens et ce que je vis, et je vais attendre l'effet que cela aura, même s'il est minuscule.
Sahar Al-ijla est originaire de Gaza, en Palestine. Elle est connue pour sa nature unique, joyeuse, travailleuse, ambitieuse et sensible. Elle canalise ses émotions dans l'écriture et le fait fréquemment et toujours en anglais, langue qu'elle a étudiée.
Sahar est diplômée de l'université d'Alazhar et est professeur d'anglais. Elle rêve d'une vie tranquille et sécurisée tout en s'efforçant constamment de s'épanouir sur le plan personnel et professionnel. Elle aime nager et marcher, à la fois pour faire du sport et évacuer le stress. Sahar s'identifie à ses animaux préférés : elle est douce comme un papillon, loyale comme le cheval ou le chien, forte comme le guépard et patiente comme le chameau.
📰 https://wearenotnumbers.org/in-search-of-myself/
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4- ➤ La souffrance des corps
Nous souffrons de la souffrance des corps. nous souffrons de n’avoir pas vu. Nous souffrons de n’avoir pas su. Et aujourd’hui, nous souffrons de n’avoir pas su et en crevons de rage.
Par Martine Bessière, grand-mère, le 24 juillet 2024, Blog Mediapart
Nous souffrons de la souffrance des corps ;
d’abord, de la souffrance des corps
OUI
Nous souffrons de la souffrance des corps, d’abord, de la souffrance des corps
Chronologiquement des corps martyrisés du 7 octobre, de celle des corps enlevés, cachés, otages au fond des tunnels, de la souffrance des mères et des familles endeuillées
Nous souffrons de la souffrance des corps, oui, et dès le lendemain, le 8 au matin, de la souffrance des corps déchiquetés, enterrés, écrasés, de l’autre côté d’un mur dit de séparation, d’un mur de béton & de barbelés
Nous souffrons de la souffrance des corps, dans ce pays de sable qu’on appelle la bande de gaza, oui toujours
et très vite de la souffrance des familles défaites, des oliviers arrachés, des puits détruits, là-bas aussi en Cisjordanie.
On ne vole pas impunément un pays.
On ne répare pas le crime des uns sur le dos des autres.
On n’efface pas la complicité et la collaboration sans faire sérieusement le ménage dans l’histoire, dans ce récit construit mais bien réel tant il laisse ses traces.
Nommer les criminels, nommer les complices, nommer ceux qui se sont tu.
On ne vole pas impunément un pays, on ne chasse pas des centaines de milliers de familles….
Mais surtout, surtout, nous souffrons de n’avoir pu empêcher ce désastre, cette catastrophe qui perdure depuis des mois, et dont nous ne voyons pas la fin, n’imaginons même pas une sortie de secours
Nous souffrons de notre impuissance aujourd’hui et de notre aveuglement d’hier ;
tout était là, écrit, nous n’avons su trouver ni les mots, ni les actes pour prévenir, empêcher.
Nous souffrons de n’avoir pas su tous ces vétos, toutes ces résolutions non appliquées,
tous ces regards qui fuient,
tous ces regards détournés vers ce grand spectacle-mensonge de la mondialisation et du ruissellement
Nous souffrons de n’avoir pas su.
Nous souffrons de notre impuissance aujourd’hui et de notre aveuglement d’hier ;
tout était là, écrit, nous n’avons su trouver ni les mots , ni les actes pour prévenir, empêcher. Avons-nous tout tenté ??
On ne vole pas impunément un pays
Nous souffrons de n’avoir pas su.
On ne répare pas le crime des uns sur le dos des autres.
On n’efface pas la complicité et la collaboration sans faire sérieusement l’analyse du passé, sans comprendre de l’histoire.
Il nous faut nommer, mettre un nom.
Il nous faut nommer les criminels du génocide nommer les complices, nommer ceux qui se sont tu, qui ont détourné les yeux
Nommer aussi ceux qui ont cru pouvoir se laver les mains en croyant réparer pas le crime des uns par un nouveau crime sur le dos d’un autre
Mais surtout, surtout, nous souffrons de n’avoir pu empêcher ce désastre, cette catastrophe qui perdure depuis des mois, et dont nous ne voyons pas la fin, n’imaginons même pas la fin.
Mais nous savions qu’il, qu’elle adviendrait
On ne vole pas impunément un pays, on ne chasse pas des centaines de milliers de familles sur les chemins, vers d’autres contrées.
On n’organise pas l’apartheid, n’acceptons pas que plus d’un millions de réfugiés vivent dans des camps.
On n’enferme pas un peuple dans une prison à ciel ouvert ; on ne retient pas près de 10 000 prisonniers sans jugement dans des prisons insalubres sous la torture. Et de nouveau encore, dans de nouvelles prisons…
Il va se passer quelque chose ; logiquement il DOIT se passer quelque chose, les graines de la tempête sont semées.
Il va se passer quelque chose nous le savions.
Et aujourd’hui, nous souffrons de n’avoir pas su et en crevons de rage.
Ce matin, je hais ces jeux olympiques
je hais ces baignades convenues ces sourires, ces poignées de mains ; et j’enrage de n’avoir su construire un "nous", généreux et courageux, de n’avoir su imaginer une réponse radicale à ce capitalisme ultralibéral et financiarisé, criminel et arrogant.
Et nous souffrons de la souffrance des corps,
Je hais ces jeux du mensonge d’une mondialisation heureuse.
Et je crève de ce minable et tragique "Paris" défiguré par les barrières, les barbelés, les QR code ;
cette ville violée, cadenassée.
Les pauvres en ont été chassés.
Et les plus malins, qui en avaient les moyens ont déserté leur logement, ainsi loué contre monnaie trébuchante et sont allés se faire voir ailleurs.
Et j’en crève de rage.
M., le 23 juillet 2024
📰 https://blogs.mediapart.fr/martine-bessiere/blog/240724/la-souffrance-des-corps
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5- À la mémoire d'Ismail Al-Ghoul, journaliste à Gaza qui a été mon mentor
Les actes et les conseils d'Ismail forgeront la prochaine génération de journalistes palestiniens.
Par Farida Algoul, depuis la bande de Gaza, le 31 août 2024, We Are Not Numbers
Avant d'apprendre la mort d'Ismail, mon père m'a appelée et m'a demandé : "Farida, tu vas bien ?". Je lui ai répondu : "Oui, Père, je vais bien". Il ne m'a rien dit de particulier, simplement : "Tout va bien, ne t'inquiète pas, Farida. Prends soin de toi", puis il a raccroché.
Peu après avoir reçu cet appel de mon père, je suis allée rencontrer Hind Khoudary, une journaliste d'Al Jazeera, à l'hôpital Al-Aqsa. En traversant l'hôpital, j'ai entendu la voix de Hind, bouleversée, dire : "Je ne peux y croire. Ismail ne mourra jamais - il sera toujours avec nous". À ce moment-là, j'ai pleuré en silence, incapable de crier, tentant de rassembler mes forces.
Ismail Maher Khamis Al-Ghoul (14 janvier 1997 - 31 juillet 2024) était un journaliste palestinien et correspondant d'Al Jazeera à Gaza. Israël l'a assassiné au soir du 31 juillet 2024, ainsi que son caméraman, Rami al-Rifi, lors d'une frappe aérienne israélienne qui les a pris pour cible dans la ville de Gaza. Cela s'est produit peu de temps après qu'ils aient couvert l'assassinat d'Ismail Haniyeh en Iran depuis la maison détruite de Haniyeh dans la bande de Gaza.
Ismail avait participé à une émission en direct sur Al Jazeera quelques heures avant son assassinat. Bien qu'il ait répondu à la menace israélienne de bombarder la zone où il se trouvait en s'éloignant, et en dépit de son gilet de presse, un drone israélien a délibérément pris en chasse le véhicule dans lequel il se trouvait avec Rami, lançant un missile guidé sur eux, les tuant tous deux sur le coup.
Ismail est un parent proche. La dernière fois que je l'ai vu, c'était quelques semaines avant la guerre, lorsque nous nous sommes rencontrés dans un bureau de presse où il travaillait pour Al Jazeera. Au cours de notre conversation, nous avons discuté de la situation économique désastreuse à Gaza, notamment de l'extrême difficulté à se procurer de la nourriture et à se déplacer.
Un exemple tragique qu'il a partagé est l'incident au cours duquel des dizaines de jeunes gens ont été tués dans leur lutte désespérée pour obtenir de la farine. Comme l'a rapporté Ismail sur Al Jazeera, "la nourriture que nous tentons de nous procurer est imbibée de sang". (WANN a publié deux essais sur ce massacre, rédigés par Ahmed Dader et Ahmed Dremly).
Dans son reportage poignant, Ismail a également fait part de l'impact profond de la crise :
"Laissez-moi vous dire, chers amis, que je ne connais plus le goût du sommeil. Les corps des enfants et les cris des blessés, les images imprégnées de sang, ne me quittent plus. Les pleurs des mères et les déchirements des hommes à qui manquent leurs proches ne cessent de résonner en moi."
Ismail était marié à Malak et ils ont une fille nommée Zina, qui a environ 2 ans. Je voyais Ismail plus souvent que sa femme, car nous nous rencontrions fréquemment sur nos lieux de travail, mais je voyais Malak lors des réunions de famille. J'ai vu Zina quand elle est née, mais à cause de la guerre, je n'ai pas eu l'occasion de la voir depuis, si ce n'est sur des photos. Ismail publiait parfois des nouvelles d'elle sur ses comptes de réseaux sociaux, expliquant qu'elle passait ses premières années loin de lui et grandissait sans pouvoir le voir. La famille vivait dans la partie nord de la bande de Gaza, mais la guerre a forcé Zina et sa mère à se réfugier dans le centre, tandis qu'Ismail est resté dans le nord, où il se consacrait à son travail. En raison des attaques israéliennes répétées et délibérées contre toute personne se déplaçant entre les cinq districts de Gaza, Ismail n'a pu voir sa fille depuis le début de la guerre.
L'instabilité prolongée qui a rompu les liens entre les personnes et les lieux, vécue par la famille d'Ismail, est ressentie par tous les Gazaouis, y compris par les miens. Je vivais avec ma famille dans le nord de la bande de Gaza lorsque nous avons reçu un ordre d'évacuation des soldats israéliens par SMS, nous demandant de nous rendre dans le sud de la bande de Gaza. La distance à parcourir était d'environ 35 kilomètres. Mon père est resté dans le nord, tandis que les enfants de mon frère et d'autres membres de ma famille, dont mon grand-père, ma grand-mère, ma tante et mon frère, ainsi que moi-même, avons effectué ce voyage éprouvant pendant plusieurs jours. D'autres déplacements nous ont fait traverser plusieurs régions du sud - de Deir Al-Balah à Nuseirat, puis à Khan Younis et enfin à Rafah.
Chaque réinstallation comportait son lot de dangers ; nous fuyions, allant d'une situation périlleuse à une autre, et chaque maison que nous quittions était par la suite bombardée. Cette quête incessante de sécurité a été une épreuve exténuante qui m'a séparé non seulement de ma famille proche, mais aussi d'autres membres de ma famille.
L'ascension d'Ismail dans le journalisme
Ismail a obtenu une licence en journalisme à l'université islamique et a débuté sa carrière dans la presse écrite en tant que correspondant pour les journaux locaux Al-Risala et Palestine. Il s'est ensuite orienté vers le journalisme télévisé, en travaillant avec plusieurs sociétés de production de médias à Gaza. Ses compétences en matière de travail avec les médias internationaux ont ajouté une nouvelle dimension à ma compréhension de la manière de rendre compte des événements de Gaza au reste du monde.
Au début de l'opération Al-Aqsa Flood, le 7 octobre 2023, Ismail a signé un contrat avec Al Jazeera et a travaillé pour cette agence tout au long de la guerre israélo-palestinienne qui s'en est suivie. Dans un premier temps, il a fourni des informations par messages téléphoniques depuis Gaza, puis il a commencé à préparer des reportages télévisés avant de participer à des émissions en direct depuis le cœur de la ville de Gaza et les zones septentrionales.
Le matin du 18 mars 2024, Ismail a été arrêté par les forces d'occupation israéliennes avec des dizaines d'autres personnes après l'assaut du complexe médical Al-Shifa dans la ville de Gaza. Il a été agressé par des soldats israéliens au moment de son arrestation, puis emmené dans un lieu inconnu. Les forces israéliennes l'ont relâché le lendemain après 12 heures d'interrogatoire et d'enquête.
Ismail a poursuivi son ascension en tant que correspondant clé de la chaîne qatarie, apparaissant à l'écran presque quotidiennement en direct et dans des reportages exclusifs. Comme d'autres habitants de Gaza, Ismail a souffert de la famine et de la grave pénurie d'eau qui ont frappé les régions du nord et du centre. Malgré cela, il a continué à faire des reportages, même en étant confronté à d'immenses dangers et à des menaces permanentes de la part de l'occupation israélienne, et alors qu'il aurait pu fuir ou quitter la bande de Gaza en passant par le point de passage de Rafah.
Un mentor du journalisme
La mort d'Ismail a laissé un vide profond tant dans ma vie que pour ma famille. Il n'était pas seulement une icône de la littérature et de la pensée, il était aussi mon mentor qui a façonné mon parcours dans le journalisme. Ismail ne cessait d'encourager les jeunes, les incitant à aller de l'avant, quel qu'en soit le prix. Ses mots, "Nous sommes maintenant les leaders de cette génération, et nous devons continuer coûte que coûte", résonnent toujours en moi.
Ismail était un journaliste persévérant et motivant, même dans les circonstances les plus difficiles. Ses conseils m'ont été précieux, notamment lorsque je lui ai demandé de me conseiller pour devenir journaliste professionnelle. "Farida", disait-il, "un journaliste professionnel doit être honnête. Juste honnête". Ce principe simple mais fort a guidé ma carrière, m'enseignant le rôle vital du journalisme pour donner une voix aux opprimés et révéler la vérité.
Le dévouement d'Ismail à son travail était inébranlable, même lorsque cela exigeait de lui d'importants sacrifices personnels. Malgré les dangers, il a choisi de rester dans le nord, loin de sa femme et de sa fille, pour continuer à faire des reportages. J'ai appris de lui la véritable signification de l'engagement - placer la quête de la vérité au-dessus de tout, même au prix d'un grand sacrifice personnel.
Farida Algoul est professeur d'anglais et interprète. Elle incarne la résilience et la passion dans toutes les facettes de son travail. Originaire de Hirbia, son parcours a commencé lorsque sa famille a été déplacée à Gaza en 1967, un endroit qu'elle considère aujourd'hui fièrement comme sa maison.
Avant la guerre, Farida était une professionnelle ambitieuse, s'épanouissant en tant qu'enseignante et interprète à Médecins sans frontières (MSF), à la Croix-Rouge canadienne (CRC) et au Centre palestinien pour la démocratie et la résolution des conflits (PCDCR). En outre, elle a fondé la Follow Me Academy, où elle enseigne l'anglais à tous les groupes d'âge, enfants et adultes.
"Mon engagement dans la défense des droits de l'homme et dans de nombreux programmes de leadership m'a permis de devenir une formidable voix pour le changement", explique-t-elle. "Travailler avec des organisations internationales et locales en tant que coordinatrice et activiste a enrichi mon approche de l'éducation et de la défense des droits. L'écriture est devenue une partie intégrante de mon identité, me permettant d'entrer en contact avec un public mondial et de partager mon point de vue et mes expériences uniques."
📰 https://wearenotnumbers.org/remembering-ismail-al-ghoul-a-journalist-in-gaza-and-my-mentor/
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6- Un chirurgien de renom, auteur principal d'une nouvelle étude du Lancet, torturé par l'armée israélienne
Le Dr Khaled al-Ser a été détenu pendant au moins trois mois dans le tristement célèbre camp de détention de Sde Teiman et reste "victime d'une disparition forcée", selon ses collègues.
Par Ryan Grim, le 31 août 2024, Drop Site News
Le Dr Khaled Alser, chirurgien palestinien très respecté, est l'auteur principal du premier article médical publié dans le Lancet qui détaille les cas de traumatismes parmi les patients et les professionnels de la santé de Gaza. Mais il n'a guère eu l'occasion de marquer l'événement : Le 25 mars, les forces de défense israéliennes l'ont enlevé lors d'un raid dans son hôpital et il est toujours en captivité, sans que l'on sache où il se trouve. Depuis son enlèvement, il est détenu au centre de détention d'Ofer. Il a également passé au moins trois mois à Sde Teiman, un camp de torture tristement célèbre géré par les FDI dans le désert du Néguev. Un rapport de Physicians for Human Rights Israel remis récemment à ses collègues comprend un témoignage détaillant les tortures et les abus subis par le Dr Alser dans ce camp, bien qu'Alser n'ait été accusé d'aucun acte répréhensible.
Un avocat de PHR a pu interviewer Alser à la prison d'Ofer fin juillet, où l'organisation pense qu'il est toujours détenu. PHR a transmis le témoignage à ses collègues, qui l'ont communiqué à Drop Site News. (Un porte-parole des FDI n'était pas en mesure de fournir des détails sur son statut au moment de la publication.
Des soldats de Sde Teiman ont été accusés de viol, une allégation étayée par des preuves vidéo. L'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem et Human Rights Watch ont toutes deux publié récemment des rapports accablants faisant état de tortures et d'abus sexuels systématiques à Sde Teiman ainsi que dans les centres de détention israéliens en général. Le rapport de HRW se concentre sur la torture du personnel médical enlevé.
Le Dr Al Ser est un médecin très respecté, dont le cas a déjà été couvert par notre émission Counter Points ainsi que par The Intercept. Son article, publié vendredi dans le Lancet, est intitulé "Trauma care supported through a global telemedicine initiative during the 2023-24 military assault on the Gaza Strip, occupied Palestinian territory : a case series" (soins de traumatologie soutenus par une initiative mondiale de télémédecine pendant l'assaut militaire de 2023-24 sur la bande de Gaza, territoire palestinien occupé : une série de cas). Le résumé de l'article présente la méthode utilisée :
Nous présentons une série de cas de blessures traumatiques partagés au sein d'un groupe international de télémédecine par l'équipe chirurgicale du complexe médical Nasser, également connu sous le nom d'hôpital Nasser, le plus grand centre hospitalier encore partiellement fonctionnel à Gaza. WhatsApp (Meta ; Menlo Park, CA, USA), une application smartphone cryptée de bout en bout, largement disponible et conviviale, a été utilisée pour faciliter les consultations relatives aux blessures infligées par des armes. Tous les cas de patients présentés ont été partagés après avoir obtenu le consentement verbal des patients et discutés dans le cadre d'une approche d'équipe multidisciplinaire. Le groupe s'est transformé en une communauté comptant plus de 15 sous-groupes spécialisés et axés sur les blessures et plus de 1 000 membres qui ont rejoint le groupe par le biais d'une diffusion non ciblée au sein des réseaux sociaux, suivie d'un recrutement par effet boule de neige. L'enregistrement prospectif et l'approbation éthique formelle à Gaza étaient impossibles, le ministère de la santé - y compris le comité local d'Helsinki - ayant suspendu toutes ses activités. En juin 2024, nous avons obtenu l'approbation éthique du comité local d'Helsinki à Gaza.
L'un des cas de l'étude est celui d'un infirmier de salle d'opération qui a reçu une balle dans la poitrine d'un tireur d'élite israélien alors qu'il se trouvait à l'hôpital. Il a ensuite été enlevé et torturé par l'armée israélienne, selon le rapport.
Le Dr Simon Fitzgerald, coauteur du rapport basé à Brooklyn, a déclaré lors d'une conférence de presse samedi que le Dr Alser avait été "victime d'une disparition forcée" et que le travail des auteurs de l'article ne serait pas considéré comme achevé tant qu'Alser n'aurait pas été libéré et que l'hôpital Nasser n'aurait pas été reconstruit et entièrement rouvert.
Osaid Al Ser est un chirurgien-chercheur palestinien en formation basé au Texas, qui a étudié et s'est formé à Gaza. Cousin du Dr Alser, il a déclaré que l'hôpital a depuis été partiellement rouvert, avec environ 200 lits opérationnels. Les deux cousins ont aidé à lancer le groupe WhatsApp qui est devenu le point central de l'article du Lancet sur la télémédecine.
Un avocat de la PHRI a recueilli le témoignage suivant du Dr Alser au centre de détention d'Ofer le 23 juillet, quatre mois après sa détention :
Le Dr Al Ser Washington a été arrêté à l'hôpital Al Nasser de Khan Younès le 25 mars, avec plusieurs autres membres du personnel médical, où ils ont été dépouillés de tous leurs vêtements et contraints de rester nus pendant des heures. Ils ont ensuite été emmenés dans une maison civile inoccupée au sein de Gaza, où des soldats israéliens leur ont attaché les mains avec des colliers en plastique. Le Dr Al Serr a été détenu là pendant cinq jours, au cours desquels les soldats les ont maltraités physiquement et verbalement sans discontinuer, en les insultant et en les frappant avec leurs mains et leurs fusils sur la poitrine et dans le dos. Le Dr Al Ser a également indiqué que ses mains et ses jambes étaient attachées en permanence et ses yeux couverts en permanence. En outre, il n'a reçu aucune assistance médicale, même lorsqu'il l'a demandée à plusieurs reprises après avoir été blessé par les assauts des soldats. Pendant ces cinq jours, on l'a surtout interrogé sur l'hôpital et le personnel médical, et le Dr Al Ser a été assuré qu'il n'était accusé d'aucune charge, mais il a été battu et maltraité physiquement et verbalement tout au long de cette période.
Après les cinq jours de détention à Gaza, le Dr Al Serr a été transporté avec d'autres personnes, les jambes et les mains étroitement attachées dans le dos. Ils ont été sévèrement maltraités pendant environ deux heures jusqu'à ce qu'ils atteignent le camp de détention de Sde Teiman, dans le désert du Néguev. Les soldats les ont maudits, insultés et se sont assis sur eux avec leurs bottes dans le visage tout au long du transport. Il a précisé que malgré les appels à l'aide, les soldats ont continué à les frapper avec leurs mains et leurs fusils. Le Dr Al Ser a indiqué qu'il souffrait de plusieurs blessures dues aux mauvais traitements, mais que les soldats l'avaient menacé et intimé de ne pas se plaindre et ni de parler de cette situation à qui que ce soit.
Il a mentionné que les "punitions" infligées aux détenus dans le camp comprenaient des coups publics sévères, où un détenu choisi au hasard était emmené dans les cours et battu devant les autres quotidiennement au niveau de la poitrine, des parties intimes et des yeux, avec du gaz au poivre pulvérisé directement dans les yeux des détenus, des insultes graves et abus verbaux quotidiens, des chocs électriques, l'utilisation de bombes assourdissantes pour se venger, ainsi que des abus sexuels par l'introduction de matraques dans les fesses des détenus, et le lâcher de chiens policiers les attaquant alors qu'ils sont nus.
Le Dr Al Ser a souligné que les soins médicaux apportés aux détenus étaient mineurs, voire inexistants, bien que certains cas d'abus aient été suffisamment sévères pour que les détenus soient envoyés à l'hôpital afin d'y recevoir un traitement d'urgence.
Le Dr Al Ser a été interrogé à deux reprises : une fois par des soldats israéliens à Gaza lors d'un interrogatoire non officiel, et une autre pendant seulement 10 minutes dans le camp de Sde Teiman sans être accusé d'aucune charge. Le Dr Al Ser a indiqué qu'on ne lui avait présenté aucun document légal ni aucune preuve concernant le motif de son arrestation ou son statut juridique.
Après trois mois à Sde Teiman, le Dr Al Ser a été transféré en juin à la prison militaire d'Ofer. Il n'a reçu aucun soin médical pour ses blessures antérieures subies à Sde Teiman ou à Gaza, et il a précisé qu'il avait même été battu à Ofer avant la visite de son avocat.
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