❖ Si certains en doutaient encore, une fuite de documents top secrets américains confirme qu'Israël est doté d'armes nucléaires
Outre l'effet potentiel sur l'attaque israélienne anticipée contre l'Iran, cela offre un outil juridique de premier ordre puisque les USA & Israël ont refusé de reconnaître l'existence de cet arsenal
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SOMMAIRE :
1 - La fuite d'informations américaines sur les plans d'attaque de l'Iran confirme qu'Israël est doté d'armes nucléaires - John Queally
2 - De nouveaux documents top secrets reconnaissent l'existence de l'arsenal nucléaire israélien, qui viole la loi et devrait entraîner la suppression de l'aide, mais aucun membre du Congrès n'agit - Sam Husseini
3 - L’histoire de l’armement nucléaire en Israël : Le rôle de la France - Miriam Rosman
4 - Les dangers ne font que se multiplier - Joshua Frank
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1- La fuite d'informations américaines sur les plans d'attaque de l'Iran confirme qu'Israël est doté d'armes nucléaires
Un autre des documents présumés, dont plusieurs médias ont été informés qu'ils semblaient authentiques, confirme l'espionnage des forces militaires israéliennes par les États-Unis et montre qu'une "attaque contre l'Iran" est "presque certainement" à venir.
Par Jon Queally, le 20 octobre 2024, Common Dreams
"Nous n'avons pas observé d'indications selon lesquelles Israël aurait l'intention d'utiliser une arme nucléaire."
Cette phrase est la conclusion d'un document des services de renseignement américains qui aurait fait l'objet d'une fuite (ou d'un piratage) et qui a été mis en ligne cette semaine, puis rapporté par Axios, CNN et d'autres médias.
Comme l'a rapporté Axios samedi, "les responsables américains sont extrêmement préoccupés par une faille de sécurité potentiellement importante après que deux documents présumés des services de renseignement américains sur les préparatifs d'Israël en vue d'une attaque contre l'Iran ont été publiés par un compte Telegram affilié à l'Iran".
L'Associated Press et le journaliste d'investigation indépendant Ken Klippenstein ont tous deux cité des sources gouvernementales qui ont déclaré que les documents semblaient authentiques. Bien que les autorités américaines n'aient pas encore commenté publiquement ces documents, les rapports ont confirmé qu'une enquête sur leur authenticité et sur la manière dont ils sont tombés dans le domaine public était en cours.
Depuis la salve de missiles tirés par l'Iran sur des cibles militaires en Israël le 1er octobre, en représailles à l'assassinat par Israël du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et à d'autres attaques, le monde entier attend la réponse militaire promise par Israël.
À supposer que ces documents soient authentiques, ils révèlent que les services de renseignement américains - comme chacun sait et en dépit du fait qu'ils sont des alliés proches - gardent un œil attentif et clandestin sur les opérations militaires israéliennes.
CNN a cité un fonctionnaire américain anonyme qui a qualifié les documents rendus publics de "profondément préoccupants", bien que le média n'ait pas publié les documents dans leur intégralité. Les documents, selon CNN,
sont marqués "top secret" et portent des inscriptions indiquant qu'ils ne doivent être vus que par les États-Unis et leurs alliés "Five Eyes" (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni).
Ils décrivent les préparatifs qu'Israël semble effectuer en vue d'une attaque contre l'Iran. L'un des documents, qui indique avoir été compilé par la National Geospatial-Intelligence Agency, précise que les plans impliquent le déplacement de munitions par Israël.
Un autre document indique qu'il provient de la National Security Agency et décrit des exercices de l'armée de l'air israélienne impliquant des missiles air-surface, également considérés comme préparatoires à une attaque contre l'Iran. CNN ne cite pas directement les documents et ne les montre pas.
On sait depuis longtemps qu'Israël est doté d'un programme d'armement nucléaire et en conserve un arsenal, mais les gouvernements israélien et américain ont pour politique de ne jamais reconnaître ou confirmer l'existence de l'un ou l'autre. Dans l'un des documents, les États-Unis font spécifiquement référence à la capacité d'Israël à déployer une arme nucléaire, tout en qualifiant de faible la menace d'un tel déploiement dans ce cas.
Le journaliste indépendant Ken Klippenstein, récemment banni de X pour avoir publié un dossier interne de recherche d'opposition que la campagne Trump avait compilé sur JD Vance, a publié des images des deux documents sur son site Substack, critiquant les principaux médias pour leur refus de le faire.
"Comme dans le cas du dossier J.D. Vance, que l'ensemble de la presse connaissait mais a refusé de publier, il semble que les médias aient une fois de plus perdu leur sang-froid - et leur sens de l'information", écrit Klippenstein.
Selon son évaluation :
Le rapport sur le renseignement comprend un récapitulatif des différents aspects des activités militaires israéliennes que les États-Unis surveillent pour étayer leurs jugements et conclusions : maniement des armes, défense aérienne, forces terrestres, marine, aviation, forces spéciales et même les forces nucléaires d'Israël. Mais même dans ce cas, seules les catégories du maniement des armes et des forces spéciales sont identifiées comme ayant une capacité de prédiction "moyenne" en ce qui concerne la détermination de l'action d'Israël ; les autres sont désignées comme ayant une capacité de prédiction "faible".
Le second rapport de renseignement est intitulé "Israël : L'armée de l'air poursuit ses préparatifs en vue d'une frappe sur l'Iran et mène un deuxième exercice d'emploi de forces importantes". Le document détaille les activités israéliennes au cours d'une évidente "répétition de mission" (dans le jargon américain) qui pourrait être révélatrice de la manière dont Israël frappera l'Iran. Citant des analyses d'images et d'autres sources, le rapport de la NGA note que l'armée de l'air israélienne mène déjà des opérations secrètes de drones au-dessus de l'Iran (manifestement pour espionner), et comment, dans le cadre des activités de l'armée de l'air israélienne, elle manipule des missiles balistiques lancés par voie aérienne et d'autres armes.
Défendant la publication de l'intégralité des documents, il a expliqué qu'ils fournissaient "des informations d'un intérêt public considérable alors que nous nous trouvons au bord d'un conflit plus vaste" et contenaient "des informations qui ont une incidence directe sur les obligations et les actions des États-Unis. C'est pour cette raison que j'ai décidé de publier les documents de base".
Jon Queally est rédacteur en chef de Common Dreams.
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📰 https://www.commondreams.org/news/leaked-classified-docs-israel-iran
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2- De nouveaux documents top secrets reconnaissent l'existence de l'arsenal nucléaire israélien, qui viole la loi et devrait entraîner la suppression de l'aide, mais aucun membre du Congrès n'agit
"Benjamin Netanyahou aurait été directement impliqué dans un réseau international de contrebande israélien qui a acquis illégalement 800 déclencheurs d'armes nucléaires auprès d'une entreprise américaine."
Par Sam Husseini, journaliste indépendant, le 21 octobre 2024, Blog Personnel
Drop Site News rapporte : "Une série de documents classifiés des services de renseignement américains censés contenir des informations sur les plans d'Israël pour frapper l'Iran ont été confirmés comme authentiques dans un rapport de CNN".
"Drop Site News a également examiné ces documents depuis leur publication sur une chaîne Telegram pro-Axis of Resistance le 17 octobre. Les documents sont classés top secret et ne doivent être partagés que par les partenaires des services de renseignement des Cinq Yeux. La nature et les motivations de la fuite sont encore inconnues, tandis que le gouvernement américain affirme mener une enquête interne". (Pour une analyse des documents, de leur authenticité et de leur signification, voir ici et ici. Kevin Gosztola fait le lien avec War Powers, Scott Ritter pense que l'Iran est doté d'armes nucléaires).
Pour ce qui est de ce qui peut être fait, ce qui est essentiel, c'est que Drop Site News note ensuite que "les documents ... font référence au programme nucléaire non reconnu d'Israël".
Outre l'effet potentiel des documents sur l'attaque israélienne anticipée contre l'Iran, cela crée une ouverture majeure puisque les gouvernements américain et israélien ont refusé de reconnaître l'existence de l'arsenal d'armes nucléaires d'Israël.
Au début de l'année, Veterans For Peace a écrit une lettre détaillée à l'administration, qui commençait ainsi :
"La nation d'Israël est dotée d'un vaste programme d'armement nucléaire. En vertu du droit international, il est illégal pour Israël de posséder de telles armes. Parce qu'Israël possède des armes nucléaires et les a testées dans le passé, il a également violé la loi fédérale américaine - 22 U.S.C. § 2799aa-1 - et est totalement interdit de recevoir toute aide militaire et assistance connexe de la part des États-Unis. Le président américain ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire légal pour autoriser la fourniture d'une aide militaire à Israël, sous quelque forme que ce soit. Les accords d'assistance militaire existants doivent être immédiatement interrompus".
La lettre décrit parfaitement les violations par Israël de la loi sur le contrôle des exportations d'armes et des amendements Symington-Glenn.
Elle souligne également le rôle du Premier ministre israélien en exercice dans cette affaire :
"Dans les années 1980, avant d'être Premier ministre d'Israël, Benjamin Netanyahou aurait été directement impliqué dans un réseau international de contrebande israélien qui a acquis illégalement 800 déclencheurs d'armes nucléaires auprès d'une entreprise américaine". Voir le PDF de la lettre de 11 pages.
Terry Lodge, conseiller en droits de l'homme de Veterans for Peace, est l'avocat de longue date impliqué dans les questions de paix et de justice qui a rédigé la lettre pour le groupe. Il me dit que Biden, Blinken ou tout autre membre de l'administration n'ont pas répondu à la lettre. Le courrier se termine par une menace de procès.
Le dernier article de l'archevêque Desmond Tutu, datant de la veille du Nouvel An 2020, juste avant l'entrée en fonction de Joe Biden, mettait en garde le nouveau président sur ce point précis :
"Joe Biden devrait mettre un terme aux faux-semblants des États-Unis concernant les armes nucléaires "secrètes" d'Israël : La dissimulation doit cesser - et avec elle, les sommes colossales d'aide à un pays aux politiques oppressives à l'égard des Palestiniens".
Il y a plusieurs années, Grant Smith, de l'Institute for Research : Middle Eastern Policy, a écrit aux membres de The Squad ainsi qu'à d'autres personnes critiques à l'égard d'Israël : "Je crois que votre coalition a beaucoup plus d'influence sur la question de l'aide étrangère qu'elle ne le pense[...]. En 2016 et 2017, nous avons poursuivi l'administration ou les administrations pour des violations de la loi sur le contrôle des exportations d'armes, mais nous n'avons pas obtenu gain de cause faute de qualité pour agir. Votre coalition n'est pas confrontée à de tels problèmes". Grant a spécifiquement cité les dispositions de la loi sur le contrôle des exportations d'armes de Symington & Glenn.
En 2021, Smith m'a dit "Mais aucun membre du Congrès n'a abordé cette question - ni même mentionné l'arsenal nucléaire d'Israël".
C'est scandaleux.
En 2022, j'ai envoyé des courriels à des dizaines de membres du personnel de 15 bureaux du Congrès, y compris ceux qui ont le plus critiqué certains aspects des politiques israéliennes et du gouvernement américain : Les sénateurs Bernie Sanders et Rand Paul, ainsi que les membres du Congrès Cori Bush, Pramila Jayapal, Ro Khanna, Barbara Lee, Thomas Massie, Betty McCollum, Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Nancy Pelosi, Mark Pocan, Jan Schakowsky et Rashida Tlaib.
Aucun ne reconnaîtrait qu'Israël est doté d'armes nucléaires. Voir l'article que j'ai écrit pour le Capitol Hill Citizen: "Le caucus de l'autruche : Pourquoi les membres du Congrès ne le disent-ils pas tout simplement : Israël a des armes nucléaires ?"
Cela devrait maintenant être un outil juridique de premier ordre pour le mouvement visant à arrêter le génocide israélien afin de bloquer l'aide à Israël.
Ce qui est remarquable, c'est qu'aucun membre du Congrès prétendument critique à l'égard d'Israël n'a même reconnu qu'Israël possédait des armes nucléaires, et encore moins pris fait et cause pour l'arrêt du financement, comme certains pourraient s'y attendre. Ceci est d'autant plus important que les efforts de Smith se sont heurtés à un mur, non pas sur le fond, mais sur la question de la qualité pour agir.
La dynamique des membres du Congrès qui s'expriment sur une question, mais ne prennent pas les mesures juridiques nécessaires pour apporter un changement significatif, est similaire au recours juridique de la destitution, qui fait l'objet de mon dernier article.
Voir ma dernière interaction avec le département d'État qui refuse de reconnaître l'existence des armes nucléaires d'Israël intitule "Le département d'État prétend respecter les lois, mais refuse de reconnaître les armes nucléaires d'Israël, bafouant ainsi la loi qui exige l'arrêt du financement des proliférateurs. Il n'abordera pas l'affaire du génocide du Nicaragua devant la Cour mondiale et son éventuelle applicabilité aux États-Unis".
📰 Lien de l'article original :
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3- L’histoire de l’armement nucléaire en Israël
Ces discussions se sont déroulées, ces derniers jours, au sujet de l’armement nucléaire en générale et celui de la Corée du Nord en particulier.
La question qui se pose sur toutes les lèvres : est-ce que la Corée du Nord a réalisé un tir d’arme nucléaire? Autour de cette question ont se demandent quelles seront les conséquences qui vont suivre ce tir sur les pays de la région en particulier, et sur le monde entier en général. Avec la polémique autour de l’armement nucléaire de la Corée du Nord, j’ai pensé qu’il serait intéressant de revenir sur l’histoire de l’armement nucléaire en Israël. Israël a toujours nié posséder l’arme nucléaire.
Par Miriam Rosman, le 8 octobre 2016, Times of Israël
À la fin de la guerre de Suez en 1956, des rumeurs circulaient dans divers cercles français et israéliens selon lesquelles la France aurait promis la bombe atomique, ou plus précisément les moyens de sa fabrication, aux Israéliens afin de les remercier de leur participation à l’opération.
Alors la question que je pose est "la coopération nucléaire est-elle une conséquence de Suez ?"
L’État d’Israël s’investit dans la technologie nucléaire dès 1948. À l’origine de ses efforts, une poignée de scientifiques émigrés en Palestine dans les années trente et quarante, dont Ernst David Bergman qui deviendra le Directeur de la Commission atomique israélienne.
À partir de 1949, le cœur de la recherche nucléaire se trouve à l’Institut Weizman, et Bergman est à la tête de sa division chimique.
Cette même année, Francis Perrin, un physicien nucléaire français, commissaire à l’énergie atomique et ami personnel de Bergman, visite l’Institut Weizman. En retour, des scientifiques israéliens sont invités à se rendre au tout nouveau centre français de recherche nucléaire à Saclay.
Un embryon de coopération s’établit entre les deux pays. À cette époque, Israël et la France étaient à un niveau similaire d’expertise et il était possible pour des scientifiques israéliens d’effectuer des contributions de beaucoup de valeur.
Au début des années cinquante, le développement, en France et en Israël, des sciences nucléaires et de leur technologie étaient très liés. Des scientifiques israéliens participaient, par exemple, à la construction d’un réacteur de production de plutonium à Marcoule. C’est dans ce contexte, que la crise de Suez va favoriser le développement du programme israélien de production d’armement nucléaire.
Le 17 septembre 1955, des discussions entre Pérès et ses amis français aboutissent à la signature d’un accord entre le C.E.A. et son équivalent israélien concernant la construction à Saclay d’un réacteur de recherche, (une pile du type EL3) et son implantation en Israël à Richon-le-Zion (service du professeur Bergman). L’accord porte sur la construction d’un réacteur à uranium naturel et eau lourde, puisque les Israéliens savent traiter les minerais du Néguev pour préparer l’eau lourde. À Tel-Aviv comme à Paris, les communautés scientifiques estiment qu’elles ont un grand intérêt à renforcer une coopération qui leur permettra d’aboutir à des informations que refusent de partager les Américains.
Six semaines avant l’opération de Suez, Israël sent que le moment est venu d’approcher la France sur la question d’une pile atomique. Shimon Pérès, David Ben Gourion et Bergman rencontrent des membres du Commissariat à l’Énergie Atomique français et au cours du mois de septembre, un accord encadrant l’aide française au développement d’un réacteur, semble proche.
Le 7 novembre, une rencontre secrète a lieu entre le ministre des Affaires étrangères israélien, Golda Meir, et Shimon Pérès, et les ministres français des Affaires étrangères et de la Défense, Christian Pineau et Maurice Bourgès-Maunoury. Lors de cette rencontre, l’accord sur le développement d’un réacteur est conclu.
Il est indéniable qu’une certaine collaboration dans le domaine nucléaire a existé entre la France et Israël au milieu des années cinquante.
Différentes sources, documents, témoignages, l’attestent. En revanche le degré de cette coopération est malaisé à saisir tant les versions divergent sur ce point. Nous nous sommes efforcés d’interroger les protagonistes de l’époque pour tenter d’y voir clair.
Shimon Pérès est formel.
"Nombre d’intervenants, dit-il, y ont été mêlés, Guillaumat, Bourgès-Maunoury et Guy Mollet. Quand nous avons bouclé l’accord de Sèvres concernant l’opération de Suez, j’ai dit à Ben Gourion qu’il restait une question à régler, celle de l’uranium, et nous nous en sommes entretenus avec Guy Mollet et Bourgès. Par la suite, Bourgès est devenu ministre de la Défense et Guy Mollet, Premier ministre, et nous sommes parvenus à un accord de gouvernement."
Notons que Shimon Pérès semble avoir ici des problèmes de chronologie, en effet Maurice Bourgès-Maunoury était déjà ministre de la Défense (1er février 1956 – 13 juin 1957) et Guy Mollet, Président du Conseil (février 1956 – mai 1957).
Shimon Pérès affirme qu’au terme de ses six mois de présidence du Conseil, Bourgès-Maunoury, fut à l’origine d’un accord permettant de fournir la bombe à Israël :
"Nous savions, dit-il, que Bourgès allait démissionner alors je lui ai fait parvenir un message. Et avant de quitter son poste de président du Conseil, il a signé les accords nécessaires pour qu’Israël obtienne les moyens de la construction de Dimona."
Abel Thomas, que nous avons également interrogé, une fois écartées les considérations politiques qui réclament de s’en tenir à une certaine réserve, se montre tout aussi affirmatif que Pérès, la France a bien contribué au développement du nucléaire israélien.
"Le livre de Pierre Péan, nous dit-il, raconte comment j’ai livré la bombe à Israël. Israël a toujours nié qu’elle avait la bombe ; donc si j’avais dit que je le lui avais donné, c’était dramatique, pour Israël et pour moi. Mais c’est bien moi qui ait convaincu le gouvernement de s’engager dans l’affaire Suez et c’est moi qui ait signé personnellement les accords qui ont livré les plus gros programmes d’armement à Israël."
Asher Ben Nathan, en revanche, interrogé sur le document qu’aurait signé Bourgès-Maunoury relatif à la fourniture de l’armement atomique à Israël s’inscrit en faux contre cette thèse. Il affirme avoir signé lui-même les contrats en 1957 sur initiative israélienne.
"La collaboration autour de l’atome (et je me réfère à une utilisation civile et pacifique) était une conséquence de nos relations [avec les Français]", en aucun cas, Dimona "ne fut un cadeau de remerciement pour Suez. Nous avons versé beaucoup d’argent."
Assez véhément, il affirme,
"la question n’a jamais été abordée dans les conversations dirigées par Dayan ou Pérès ou moi-même, ni à la réunion de Saint-Germain, ni à Sèvres. On n’y a mentionné ni ce sujet, ni même une collaboration dans ce domaine. La mission d’achat du ministère de la Défense s’occupait de cette question. La collaboration a commencé en 1955 par le développement d’un processus d’utilisation et de production d’uranium, qui avait une utilité économique".
Ben Nathan soutient qu’il a établi lui-même le premier contact avec le Commissariat français à l’énergie atomique "via le ministère de la Défense et que la négociation scientifique menée bien évidemment par le professeur Bergman n’intervint qu’ensuite".
Quant à la thèse soutenant que Bourgès, en quittant ses fonctions de Président du Conseil, aurait signé un document donnant à Israël le réacteur atomique de Dimona, Nachmias comme Ben Nathan, la réfute :
"Tout cela est bon, dit Nachmias, pour des gros titres romantiques mais rien n’est vrai. La négociation a commencé à propos du processus de production de l’uranium. C’est sur cette base que se sont développées les relations entre les commissions à l’énergie atomique des deux pays. Israël a construit tout ce qu’il possède dans le domaine atomique. Seul. Les Français n’ont pas fourni de matériel à Dimona. Il y a eu des collaborations entre nous et les Français, il y a eu échange d’information, mais Dimona est une usine entièrement israélienne ".
Ben-Porat n’est pourtant pas de son avis. Il adhère, pour sa part, à la théorie selon laquelle ce serait Pérès qui aurait parlé du nucléaire à la réunion de Sèvres et qui veut que la pile atomique de Dimona soit venu récompenser la participation d’Israël à l’opération de Suez :
"J’accepte cette thèse à cent pour cent, mais je l’accepte avec tout ce que je sais aujourd’hui. À l’époque des événements, je sentais qu’il se tramait quelque chose mais je ne savais pas [En 1957, il a croisé à l’ambassade un représentant israélien de la commission atomique et, en sa qualité de journaliste, on lui a demandé d’aider à créer une opinion favorable au développement de l’atome]. En 1958, quand je suis retourné en Israël, j’ai appris qu’on développait secrètement une pile atomique et qu’on avait demandé une forte subvention au gouvernement."
Uri Dan partage également cette thèse.
"Aux alentours de 1960 ou 1961, se souvient-il, on a commencé à en parler et on a rendu publique l’existence d’une entreprise de textile à Dimona. Beaucoup de Français se trouvaient à Beersheba. C’était un secret de Polichinelle. Des Français ont construit la pile atomique de Dimona. À mon avis, les Français nous l’ont donnée à la suite de l’opération Kadesh."
Le réacteur se construit en secret à Dimona dans le Néguev à côté de Beersheba. Des milliers d’ingénieurs et de techniciens français se rendent sur place, nombre d’entre eux ont édifié Marcoule et vont participer à la construction de Dimona. Par exemple, en ce qui concerne la technologie de séparation du plutonium, ce sont les mêmes techniciens qui en furent chargés en France et en Israël.
Pour préserver le secret et dissimuler l’activité de Dimona, Israël utilise des couvertures, parlant de "plan textile" ou de "plan manganèse". Mais la participation des Français, leur présence en grand nombre à Beersheba, étaient impossibles à cacher longtemps. Alain de Boissieu, le gendre du général De Gaulle, nous le confirme.
"Parfaitement des techniciens français étaient là et c’était trop flagrant et donc ça s’est su très vite. Aussitôt les Américains et les Arabes ont, si j’ose dire, pris les Français la main dans le sac."
Pierre Messmer, futur ministre de De Gaulle, reconnaît, lui aussi, cette collaboration.
"Ce n’est pas un cadeau, au sens plein, dit-il, nous n’avons pas donné d’argent à Israël et nous n’avons pas donné non plus d’éléments pour construire Dimona, mais il y a eu des contacts étroits entre le Commissariat à l’énergie atomique et les Israéliens qui s’occupaient de la construction de Dimona. Ces contacts se sont prolongés très longtemps. C’est le général de Gaulle lui-même, en 1963 ou 1964, qui y a mis un terme parce que les contacts avaient continué, presque à l’insu du gouvernement. Or ce n’était pas tolérable, parce qu’à partir de février 1960, quand la France a réalisé un tir d’arme nucléaire, nous avons appliqué une règle qui est encore en vigueur maintenant, de secret total, par rapport à l’extérieur. Voilà ma réponse, il y a eu coopération sans doute et une coopération durable entre les ingénieurs, les spécialistes."
Pierre Razoux qui confirme également les propos de Messmer, même s’il diverge légèrement sur le moment de la fin de l’aide française :
"La coopération avec la France a cessé entre 1961 et 1963, avec le retour du général de Gaulle au pouvoir".
Comme on le voit, en dépit des témoignages divergents, la thèse la plus généralement admise est que la France a aidé Israël dans le domaine nucléaire et plus particulièrement à la construction de Dimona. Cependant, encore aujourd’hui, ce sujet demeure sensible et tabou.
Pour la première fois, en décembre 2006, un Premier ministre israélien a laissé entendre que son pays possédait l’arme nucléaire. Interrogé par la télévision allemande N24, à propos du programme nucléaire iranien, Ehud Olmert a déclaré
"L’Iran a menacé […] de rayer Israël de la carte. Pouvez-vous dire que c’est une menace comparable, […] à celle de pays comme la France, les États-Unis, Israël ou la Russie ?".
Cette déclaration fut ensuite suivie de nombreux démentis, cependant le secrétaire à la défense américain, Robert Gates, avait également déclaré que l’Iran était entouré de puissances nucléaires avec le Pakistan à l’Est, la Russie au Nord et Israël à l’Ouest.
Reste que la position officielle de l’État hébreu a toujours été de ne pas reconnaître qu’Israël était une puissance nucléaire. Notamment à la demande des États Unis ; en effet lever le secret pourrait avoir des conséquences sur l’aide américaine à Israël qui reste conditionnée à une clause interdisant le financement des États participant à la dissémination des armes de destruction massive.
En l’absence de documents précis et tangibles, nous nous abstiendrons de nous prononcer sur l’importance et la nature de l’aide française. Seule l’ouverture d’autres séries d’archives, en Israël comme en France, nous permettront (ndr : je dirais "nous permettraient") d’en connaître davantage à ce sujet.
Miriam Rosman a fait ses études à Paris et est titulaire d'un Doctorat d'histoire, (université Paris I Panthéon-Sorbonne) sur les Relations Internationales et en particulier entre la France et Israël. Passionnée par la France et Israël, elle a écrit un livre sur leurs relations: "La France et Israël 1947-1970, de la création de l’État d’Israël au départ des Vedettes de Cherbourg", publié en janvier 2009 chez Honore Champion. Ce livre a été traduit en hébreu et est paru en 2014 chez Resling. Elle participe à des documentaires et intervient régulièrement dans des médias en français, ainsi qu'en anglais et hébreu en tant qu'expert dans les relations internationales. Mais également, elle participe à des conférences internationales et dispense des cours dans différentes langues.
📰 https://frblogs.timesofisrael.com/lhistoire-de-larmement-nucleaire-en-israel/
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3- Les dangers ne font que se multiplier
La guerre d'Israël contre Gaza pourrait-elle devenir nucléaire ?
Introduction de Tom Engelhardt
Cauchemar croissant au Moyen-Orient
Oui, lors d'une émission de radio, le ministre israélien du patrimoine, Amihai Eliyahu, a insisté sur le fait qu'il n'y avait "aucun non-combattant à Gaza" (ce qui inclut sans doute les milliers de jeunes gens massacrés ces dernières semaines dans ce "cimetière d'enfants"). Il a ensuite ajouté qu'"une option" pour Israël était d'envisager l'utilisation d'une arme nucléaire et d'anéantir ainsi plus ou moins tous les habitants de cette bande de terre à peine plus grande que deux Washington D.C. (sans parler des retombées radioactives qui toucheraient également Israël). Et oui, le Premier ministre Benjamin Netanyahou l'a rapidement "suspendu" des réunions régulières du cabinet (même si, comme il s'avère, ce n'était pas la mesure la plus significative).
Il est également vrai qu'Israël, l'une des neuf puissances nucléaires de la planète, possède seulement - et compte tenu de l'impact cauchemardesque d'un tel armement, il convient de le souligner - environ 90 armes de ce type, alors que les États-Unis et la Russie en possèdent chacun plus de 5 000. Il n'en reste pas moins que le commentaire d'Eliyahu constitue un rare aveu de la part d'un officiel israélien que son pays est même doté d'armes nucléaires. Comme Netanyahou l'a lui-même déclaré il y a plusieurs années, "Nous avons depuis longtemps pour politique de ne pas être les premiers à introduire des armes nucléaires au Moyen-Orient".
Par "introduire", on suppose qu'il s'agit de créer une version moyen-orientale d'Hiroshima et de Nagasaki.
Considérons en effet comme un miracle le fait qu'au cours des 78 années qui se sont écoulées depuis le 9 août 1945, date à laquelle la deuxième bombe atomique américaine a dévasté la ville japonaise de Nagasaki, aucune autre n'ait jamais été utilisée, alors même que ces armes se sont répandues et que les arsenaux se sont développés. Espérons que, malgré le carnage toujours en cours à Gaza (et les menaces du Hamas de lancer d'autres 7 octobre jusqu'à ce qu'Israël soit "anéanti"), cela reste le cas. Malheureusement, comme le souligne Joshua Frank , auteur de Atomic Days : The Untold Story of the Most Toxic Place in America, ne le montre que trop clairement aujourd'hui, les armes nucléaires ne sont pas le seul moyen dont dispose l'humanité pour créer un enfer sur Terre.
Les dangers ne font que se multiplier
Par Joshua Frank, le 19 novembre 2023, Tom Dispatch
L'armée israélienne, la quatrième du monde en puissance, ravage Gaza et, avec les colons armés, terrorise les Palestiniens en Cisjordanie à la suite des massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre. Comme tant d'autres projets coloniaux, Israël est né de la terreur et a depuis lors nécessité le recours à la violence pour occuper des territoires arabes et ségréguer les Palestiniens. La prise de conscience que son existence dépendait d'une armée supérieure dans une région hostile a également encouragé Israël à poursuivre un programme d'armement nucléaire peu après la création de l'État en 1948.
Bien que jeune nation, au milieu des années 1950, Israël, avec l'aide de la France, avait secrètement commencé la construction d'un grand réacteur nucléaire. Le fait que deux alliés se soient associés pour lancer un programme d'armes nucléaires à l'insu de l'administration du président Dwight D. Eisenhower s'est révélé être un échec colossal (et embarrassant) des services de renseignement américains.
Ce n'est qu'en juin 1960, dernière année de la présidence d'Eisenhower, que les autorités américaines ont eu vent de ce qui était déjà connu sous le nom de projet Dimona. Daniel Kimhi, un magnat israélien du pétrole, ayant sans doute bu un cocktail de trop lors d'une fête nocturne à l'ambassade des États-Unis à Tel Aviv, avoua aux diplomates américains qu'Israël construisait effectivement un grand "réacteur de puissance" dans le désert du Néguev - une révélation surprenante.
"Ce projet a été décrit à [Kimhi] comme un réacteur refroidi au gaz capable de produire environ 60 mégawatts d'électricité", peut-on lire dans une dépêche de l'ambassade adressée au département d'État en août 1960. "Kimhi a déclaré qu'il pensait que les travaux étaient en cours depuis environ deux ans et que la date d'achèvement n'était pas encore fixée".
Le réacteur de Dimona n'a cependant pas été construit pour répondre aux besoins énergétiques croissants du pays. Comme les États-Unis le découvriront plus tard, il a été conçu (avec l'aide des Français) pour produire du plutonium destiné au programme d'armement nucléaire israélien naissant. En décembre 1960, alors que les responsables américains s'inquiétaient de plus en plus des aspirations nucléaires d'Israël, le ministre français des affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, a admis au secrétaire d'État américain Christian Herter que la France avait, en fait, aidé Israël à lancer le projet et qu'elle fournirait également les matières premières telles que l'uranium dont le réacteur avait besoin. En conséquence, elle obtiendrait une part de tout le plutonium produit par Dimona.
Les responsables israéliens et français ont assuré à Eisenhower que Dimona était construit uniquement à des fins pacifiques. Pour tenter de détourner davantage l'attention, les responsables israéliens ont avancé plusieurs histoires pour étayer cette affirmation, assurant que Dimona deviendrait soit une usine textile, soit une installation météorologique ; tout sauf un réacteur nucléaire capable de produire du plutonium à des fins d’armement.
Déni atomique
En décembre 1960, après avoir été mis au courant par un scientifique nucléaire britannique craignant qu'Israël ne construise une bombe nucléaire sale (c'est-à-dire extrêmement radioactive), le journaliste Chapman Pincher a écrit dans le Daily Express de Londres :
"Les autorités de renseignement britanniques et américaines pensent que les Israéliens sont sur le point de construire leur première bombe nucléaire expérimentale".
Les responsables israéliens ont publié une dépêche laconique depuis leur ambassade à Londres :
"Israël ne fabrique pas de bombe atomique et n'a pas l'intention de le faire."
Alors que les pays arabes s'inquiètent de plus en plus de l'aide apportée par Washington aux projets nucléaires d'Israël, le président de la Commission de l'énergie atomique, John McCone, divulgue un document confidentiel de la CIA à John Finney du New York Times, affirmant que les États-Unis ont la preuve qu'Israël, avec le concours de la France, est en train de construire un réacteur nucléaire - preuve que Washington n'est pas très satisfait des aspirations nucléaires de ce pays.
Le président Eisenhower est stupéfait. Non seulement son administration avait été laissée dans l'ignorance, mais ses fonctionnaires craignaient qu'un futur Israël doté de l'arme nucléaire ne fasse que déstabiliser davantage une région déjà en plein bouleversement.
"Les rapports des pays arabes confirment la gravité avec laquelle beaucoup considèrent cette possibilité [d'armes nucléaires en Israël]", peut-on lire dans un télégramme du département d'État envoyé à l'ambassade de Paris en janvier 1961.
Lorsque ce projet nucléaire a commencé à faire des vagues dans la presse, le Premier ministre israélien David Ben-Gourion s'est empressé de minimiser les révélations. Il a prononcé un discours devant la Knesset, le parlement israélien, dans lequel il a admis que le pays développait un programme nucléaire.
"Les informations diffusées par les médias sont fausses", a-t-il ajouté. "Le réacteur de recherche que nous construisons actuellement dans le Néguev est construit sous la direction d'experts israéliens et est conçu à des fins pacifiques. Lorsqu'il sera achevé, il sera ouvert aux scientifiques d'autres pays".
Bien sûr, il mentait et les Américains le savaient. Il n'y avait rien de pacifique là-dedans. Pire encore, les alliés de l'Amérique s'accordent de plus en plus à penser qu'Eisenhower a participé à la ruse et que son administration a fourni le savoir-faire nécessaire au lancement du programme. Ce n'était pas le cas, mais les responsables américains s'efforçaient désormais d'empêcher les inspections des Nations unies à Dimona, craignant ce qu'elles pourraient découvrir.
En mai 1961, avec John F. Kennedy à la Maison Blanche, les choses changent. JFK envoie même deux scientifiques de la Commission de l'énergie atomique inspecter le site de Dimona. Bien qu'il ait fini par croire une grande partie du battage médiatique israélien, les experts ont souligné que le réacteur de l'usine pouvait potentiellement produire du plutonium "utilisable à des fins militaires". La Central Intelligence Agency, moins rassurée par les affirmations d'Israël, a écrit dans une estimation du renseignement national aujourd'hui déclassifiée que la construction du réacteur indiquait
"qu'Israël pourrait avoir décidé d'entreprendre un programme d'armement nucléaire. Au minimum, nous pensons qu'il a décidé de développer ses installations nucléaires de manière à se mettre en position de développer rapidement des armes nucléaires s'il décidait de le faire".
Et, bien sûr, c'est précisément ce qui s'est passé. En janvier 1967, NBC News a confirmé qu'Israël était sur le point de se doter d'une capacité nucléaire. Les responsables américains savaient alors qu'Israël était sur le point de développer une arme nucléaire et que Dimona produisait du plutonium digne d'une bombe. Des décennies plus tard, dans un rapport de 2013 citant des chiffres de la Defense Intelligence Agency américaine, le Bulletin of the Atomic Scientists a révélé qu'Israël possédait au moins 80 armes atomiques et était la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient. Le Pakistan ne s'est doté d'armes nucléaires qu'en 1976 et est, de toute façon, normalement considéré comme faisant partie de l'Asie du Sud.
À ce jour, Israël n'a jamais admis ouvertement posséder de telles armes et a toujours refusé d'autoriser les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique à visiter le site secret. Néanmoins, des preuves suggèrent qu'un "projet majeur" à Dimona était en cours en 2021 et qu'Israël développait alors activement ses installations de production nucléaire. L'absence d'inspections de l'ONU ou d'autres organismes à Dimona signifie toutefois qu'Israël n'a pas reconnu publiquement l'existence de ses ogives nucléaires et qu'il n'a pas menacé de rendre des comptes.
Une puissance nucléaire voyou ?
À la suite de la guerre des Six Jours, en juin 1967, Israël s'est emparé de vastes étendues de terres arabes, notamment la Cisjordanie de la Jordanie, la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï de l'Égypte, ainsi que le plateau du Golan de la Syrie. Cette année-là, et ce n'est pas une coïncidence, Israël a franchi le seuil nucléaire. (En 2017, il a été révélé qu'à l'aube de la guerre des Six Jours, les Israéliens avaient même envisagé de faire exploser une bombe nucléaire dans le désert égyptien du Sinaï afin de constituer une menace ultime pour leurs voisins).
À l'époque, comme l'a expliqué Noura Erakat, avocate spécialiste des droits de l'homme, à Daniel Denvir dans l'émission The Dig, l'administration du président Lyndon Johnson a vu en Israël
"un atout important pour la guerre froide et a très rapidement mis en place une nouvelle politique visant à garantir l'avantage militaire qualitatif d'Israël dans la région, afin qu'il puisse vaincre individuellement ou collectivement toutes les puissances du Moyen-Orient". Et cela, a-t-elle ajouté, a été fait pendant ces années de guerre froide "pour assurer sa sphère d'influence au Moyen-Orient en concurrence avec l'Union soviétique".
Comme Israël et les États-Unis restaient les alliés les plus proches, Washington pensait qu'il pouvait agir comme mandataire militaire de Washington au Moyen-Orient.
"De 1966 à 1970, l'aide moyenne par an a augmenté pour atteindre environ 102 millions de dollars, et les prêts militaires ont augmenté pour atteindre environ 47 % du total", a rapporté le Congressional Research Service en 2014. "Israël est devenu le plus grand bénéficiaire de l'aide étrangère américaine en 1974... De 1971 à aujourd'hui, l'aide américaine à Israël s'est élevée en moyenne à plus de 2,6 milliards de dollars par an, dont les deux tiers sous forme d'assistance militaire."
Malgré le souhait de Washington d'établir une relation symbiotique et mutuellement bénéfique, Israël n'a pas hésité à jouer les voyous lorsque ses dirigeants pensaient que cela servirait leurs intérêts. En juin 1981, Israël a bombardé le réacteur nucléaire d'Osirak, alors en construction en Irak, avec l'aide de la France et de l'Italie.
Les hauts responsables de l'administration du président Ronald Reagan n'étaient pas satisfaits que la frappe ait été effectuée avec des F-16 américains, Israël n'étant légalement tenu d'utiliser ces avions de combat qu'en cas de "légitime défense". Après quelques tractations en coulisses, ils ont toutefois décidé de mettre l'affaire sur le compte d'un différend diplomatique, estimant que l'élimination du programme nucléaire irakien et le maintien du seul arsenal nucléaire israélien dans la région justifiaient la frappe aérienne.
À la fin des années 1980, lorsque les Soviétiques ont envahi l'Afghanistan, Israël s'est joint aux États-Unis, au Pakistan et à l'Arabie saoudite pour former l'opération Cyclone afin de fournir des armes aux combattants de la résistance moudjahidine antisoviétique. Lorsque la guerre froide a pris fin et que la première guerre du Golfe en Irak a commencé en 1990, Israël a discrètement aidé l'administration du président George H.W. Bush en restant à l'écart, estimant qu'entrer directement dans le conflit ne ferait qu'enhardir les pays arabes à soutenir l'invasion du Koweït par le dirigeant irakien Saddam Hussein. Malgré la nature autrefois ténue des liens entre les États-Unis et Israël, il est depuis longtemps admis qu'Israël peut parfois jouer un rôle important au service des opérations américaines dans la région en fournissant des renseignements et d'autres formes d'aide secrète.
Une situation dangereuse qui se développe
Après les attentats du 11 septembre, Israël a conseillé l'administration de George W. Bush sur la meilleure façon de traiter Oussama ben Laden (et a apparemment fourni plus tard des renseignements pour l'embuscade qui devait le tuer). Au moment où les avions frappaient le World Trade Center, Israël était confronté à un nouveau soulèvement palestinien connu sous le nom de Seconde Intifada. Ses dirigeants en sont venus à penser qu'ils pourraient tirer profit de la "guerre mondiale contre le terrorisme" que le président Bush venait d'annoncer. Lorsqu'on a demandé à Benjamin Netanyahou, alors ancien premier ministre, ce que cela signifiait pour les relations entre les États-Unis et Israël, il a répondu :
"C'est très bien". Puis, de peur de paraître trop optimiste à propos du 11 septembre, il a ajouté : "Eh bien, pas très bien, mais cela suscitera une sympathie immédiate... [cela] renforcera le lien entre nos deux peuples parce que nous avons connu la terreur pendant tant de décennies, mais les États-Unis ont maintenant connu une hémorragie massive de la terreur".
ndr : Sans être complotiste, il serait assurément précieux de pouvoir en savoir plus sur ce 11 septembre via des lanceurs d'alerte étant donné certains points révélés depuis ce jour et qui interrogent …
Un an plus tard, Israël s'est fait le promoteur d'une guerre américaine contre l'Irak, contribuant à répandre le mensonge selon lequel Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive et représentait une menace non seulement pour Israël et l'Amérique, mais aussi pour le reste du monde.
"Saddam est un tyran qui tente fébrilement d'acquérir des armes nucléaires", a déclaré Netanyahou devant la commission de la réforme gouvernementale de la Chambre des représentants des États-Unis en septembre 2002, six mois avant l'invasion de l'Irak.
"Aujourd'hui, les États-Unis doivent détruire le régime [de Saddam] parce qu'un Saddam doté de l'arme nucléaire mettrait en péril la sécurité du monde entier. Et ne vous y trompez pas : si et une fois que Saddam aura des armes nucléaires, le réseau terroriste aura des armes nucléaires. Et une fois que le réseau terroriste aura des armes nucléaires, ce n'est qu'une question de temps avant que ces armes ne soient utilisées".
Israël utilisera plus tard un raisonnement similaire pour justifier sa frappe de 2007 sur un réacteur nucléaire présumé en construction en Syrie. Au fil des ans, Israël a prétendument visé les objectifs nucléaires de l'Iran de diverses manières, des cyberattaques aux attentats à la bombe. En 2010, l'Iran a accusé Israël d'avoir assassiné le physicien Masoud Ali Mohammadi ainsi que l'ingénieur Majid Shariariby dans deux incidents distincts, ainsi que d'autres scientifiques considérés comme faisant partie intégrante du programme nucléaire iranien. En 2021, l'Iran a également affirmé qu'Israël avait frappé une installation dans la ville de Karaj qui, selon ses responsables, était utilisée pour construire des centrifugeuses nucléaires.
Nombreux sont ceux qui craignent que la cruelle guerre d'Israël contre Gaza, si elle devait s'étendre à la région pour inclure le Hezbollah au Liban, n'entraîne l'Iran, l'un des principaux soutiens du Hezbollah, dans la mêlée. Et cela, à son tour, pourrait être toute la justification dont Netanyahou aurait besoin pour frapper les sites nucléaires supposés de l'Iran. En fait, en réponse aux attaques de drones et de roquettes contre le personnel américain en Irak et en Syrie par des militants soutenus par l'Iran, les États-Unis ont récemment détruit une installation d'armement en Syrie.
En ce qui concerne la situation à Gaza, le ministre du patrimoine de droite, Amihai Eliyahu, membre du gouvernement de coalition de Netanyahou, a récemment commenté que "l'un des moyensd'éliminer le Hamas serait l'option nucléaire, ajoutant qu'il n'y avait "pas d'innocents à Gaza". En réponse à ces commentaires, Netanyahou a suspendu Eliyahu - un acte largement dénué de sens - pour tenter d'apaiser les critiques, dans le pays et à l'étranger, selon lesquelles la guerre touchait durement des civils innocents. Ou, peut-être, cela avait-il plus à voir avec le fait qu'Eliyahu avait admis par inadvertance les capacités nucléaires d'Israël.
Craignant sans doute une guerre plus large au Moyen-Orient, l'administration Biden s'engage fortement dans les efforts d'Israël pour éliminer le Hamas : non seulement en livrant des intercepteurs pour son système de défense antimissile Iron Dome et plus de 1 800 JDAM (kits de guidage pour missiles) fabriqués par Boeing, mais aussi en reconstituant les stocks d'armes pour les avions de chasse F-35 et les hélicoptères CH-53 ainsi que les ravitailleurs aériens KC046 fabriqués par les Américains. En outre, deux porte-avions américains ont été déployés au Moyen-Orient, ainsi qu'un sous-marin nucléaire de classe Ohio. Pour couronner le tout, selon une enquête du New York Times , les États-Unis fournissent des commandos et des drones pour aider à localiser les otages israéliens (et américains) à Gaza.
Si la Maison-Blanche de Joe Biden ne semble pas du tout désireuse de voir s'étendre la guerre au Moyen-Orient, elle se prépare néanmoins à un tel scénario. Bien entendu, toute escalade militaire, en particulier celle qui laisserait Israël se battre sur plusieurs fronts, ne ferait qu'accroître les risques d'une aggravation de la situation. Un Benjamin Netanyahou acculé et doté de l'arme nucléaire serait la définition même d'une situation périlleuse dans une guerre où rien, ni les journalistes, ni les écoles, ni même les hôpitaux, ne s'est avéré hors d'atteinte. En effet, plus de 25 000 tonnes de bombes avaient déjà été larguées sur Gaza au début du mois de novembre, soit l'équivalent de deux bombes nucléaires de type Hiroshima (sans les radiations). Dans de telles circonstances, un Israël doté d'une capacité nucléaire et bafouant de manière flagrante le droit international pourrait constituer un danger clair et immédiat, non seulement pour les Palestiniens sans défense, mais aussi pour un monde déjà en proie à un danger et à un désarroi croissants.
Joshua Frank, un habitué de TomDispatch , est un journaliste primé basé en Californie et co-éditeur de CounterPunch. Il est l'auteur du nouveau livre Atomic Days : The Untold Story of the Most Toxic Place in America (Haymarket Books).
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