❖ Pepe Mujica, l'ancien "président philosophe" & volontairement le plus pauvre au monde de l'Uruguay
Fait prisonnier par le régime dictaturial, 12 ans en détention dans les geôles sous des conditions inhumaines, mis à l’isolement et torturé, Pepe Mujica a même passé deux ans au fond d’un puits.
Mujica a toujours vécu égal à lui-même, plein d'usage et de raison et non à l'instar des politicards prêts à n'importe quoi pour le pouvoir.
Sa maison, même lorsqu'il était Président? Tout au fond du chemin de terre, la petite baraque au toit en zinc vert avec les poules devant.
Au fin fond de cette banlieue pauvre de Montevideo, au Paso de la Arena, tout le monde connait José Mujica, affectueusement surnommé, à plus de 90 ans, "Pépé Mujica".
Il vit depuis plus de 30 ans dans cette modeste fermette de 45 m2 avec sa femme Lucia et sa chienne handicapée, à trois pattes, Manuela.
Président de la République d'Uruguay de 2010 à 2015, il n'a jamais cessé de vivre dans cette baraque, même quand il était le chef de la nation!
Pépé Mujica, né d'une famille de paysans pauvres, a toujours voulu rester au milieu des plus défavorisés et, s'il s’est engagé et a milité depuis son plus jeune âge, c’est justement pour défendre les plus pauvres et les opprimés!
C’est à l'âge de 15 ans, en 1950, que le jeune José, orphelin de père à 6 ans, commence à s'engager contre la misère et l'injustice.
Dans les années 60, face à la montée des groupes paramilitaires qui veulent faire la loi et prendre le pouvoir dans son pays avec force agressions, enlèvements et assassinats, José Mujica est un des fondateurs, avec Raoul Sendic, du groupe emblématique des Tupamaros. Sortes de "Robin des Bois" uruguayens, les Tupamaros s'étaient donné pour mission de protéger le peuple et de contenir la montée des paramilitaires.
En 1973, alors que la dictature militaire fait rage, il est fait "prisonnier-otage" par la junte et est emprisonné dans des conditions insoutenables, torturé chaque jour, mis à l'isolement total, détenu pendant 10 ans, dont 2 ans passés au fond d'un puits.
Il en sortira en 1985, à demi-fou.
Une folie et une expérience terrifiante dont il fera, paradoxalement, sa plus grande force.
"C'est étrange, se confie-t-il aujourd'hui, mais l'homme apprend parfois plus des moments difficiles que des moments de bonheur. Ces années noires ont été horribles et pourtant, elles m'ont beaucoup apporté".
Un silence, puis: "Par exemple, je ne sais plus haïr. Vous connaissez le luxe de ne pas haïr?".
Dès sa sortie de prison, l'ex-Tuparamo reprend le combat, un combat plus pacifique cette fois mais toujours aussi inlassable et sans concession.
En 1994, il devient député. En 1999, il est élu sénateur et est réélu aux mêmes fonctions en 2004. Tout en continuant de travailler comme agriculteur.
En 2010, consécration d'une vie au service de son peuple, il est élu Président de la République.
Fini donc la fermette et le dur travail d'agriculture? Et bienvenue au confort présidentiel, aux voitures de fonction, au luxueux Palais présidentiel et aux très confortables émoluments de la République?
Pas du tout! En aucun cas! Ce serait bien mal connaitre Pépé Mujica!
Dès le lendemain de son élection, il fait connaitre – au grand dam du Protocole-, qu'il est hors de question pour lui de vivre au Palais présidentiel. Trop riche pour lui! Il restera dans sa baraque, point barre! Mais il rassure son monde: la demeure présidentielle continuera à servir, il s'y engage. En 2012 par exemple, lors de la terrible vague de froid qui s'abattit sur le pays, il la fait inscrire comme refuge pour les sans-abris!
Secundo, il refuse toutes voitures de fonction qu'on veut lui imposer. Sa Coccinelle, bleue achetée en 1987, lui suffit amplement, affirme-t-il.
Et tertio, il décide de faire redistribuer les 90% de son salaire mensuel de Président à des associations caritatives, se déclarant bien loti de conserver les 10% restant, soit l'équivalent de 900 euros, montant du salaire moyen en Uruguay.
Le 1 mars 2015 que Pepe Mujica mit fin à ses fonctions présidentielles. Non pas qu'il en eut assez, il était encore en pleine forme. Mais la Constitution de l'Uruguay n'autorise qu’un seul mandat présidentiel de 5 ans.
Pépé Mujica est donc retourné à sa fermette, ses fleurs et son jardin, aux côtés de ses amis.
Quand on lui demande ce que cela lui fait d'être l'ex-Président le plus pauvre au monde, il hausse les épaules. “Beaucoup de personnes sont pauvres, très pauvres, de par le monde. Moi, je ne suis pas pauvre, j'ai juste décidé de vivre de manière austère pour être plus proches de ceux qui le sont. Je ne fais pas l'apologie de la pauvreté, mais celui du partage et de la sobriété“.
Est-il satisfait de ce qu'il a accompli, de l’exemple qu'il a pu donner? Levant les yeux au ciel, il dit :
"J’ai fait ce que j'ai pu… J'ai dédié une grande partie de ma vie à essayer d'améliorer la condition sociale du monde dans lequel je suis né. J'ai eu quelques déconvenues, de nombreuses blessures, quelques années de prison…. Enfin, la routine pour quelqu'un qui veut changer le monde…"
Ses projets?
"Continuer à vivre le plus longtemps possible! C'est un miracle que je sois encore en vie après tout ce que j’ai vécu! Et puis lire aussi, lire beaucoup! J'ai passé plus de 10 ans dans un cachot dont 7 sans pouvoir lire. J'ai du retard à rattraper!".
Extrait de Histoire & Société : https://histoireetsociete.wordpress.com/2016/02/11/uruguay-pepe-mujica-lex-president-de-la-republique-volontairement-le-plus-pauvre-au-monde/
Visite à Pepe Mujica, l'ancien "président philosophe" de l'Uruguay, dans sa ferme de la banlieue de Montevideo
Declassified lui a rendu visite pour parler de la guerre et de la paix, du rôle de l'Angleterre dans l'histoire de son pays et de la manière d'être heureux.
Par Matt Kennard, le 14 octobre 2024, Declassified UK
Une amie informée me dit qu'il est impossible d'organiser à l'avance une interview avec José "Pepe" Mujica. Ce n'est pas ainsi qu'il fonctionne.
La meilleure chose à faire, ajoute-t-elle, est de se présenter à l'improviste dans sa ferme située à la périphérie de Montevideo, la capitale uruguayenne, et de tenter sa chance.
Lorsque j'étais dans ce pays d'Amérique du Sud au début de l'année, je me suis dit que j'allais saisir ma chance.
Par un samedi matin bruineux, je prends l'autoroute qui mène de Montevideo à ce que l'on appelle ici le pays des gauchos.
La pluie s'engouffre dans la voiture, la vitre de mon véhicule ayant été brisée la nuit précédente alors que j'étais garé devant mon hôtel.
La charca (ranch) de Mujica se trouve à environ 20 kilomètres à l'ouest du centre de la ville, le long de l'autoroute Ruta 1-Brigadier General Manuel Oribe, nommée en l'honneur du deuxième président du pays.
En sortant de l'autoroute, on est immédiatement entouré de fermes à perte de vue. Les principales exportations de l'Uruguay ont toujours été le bœuf et la laine.
Quelques kilomètres plus loin, dans ce paysage gris métallisé et endormi, je m'engage sur une longue route bordée de chaque côté par des terres arables. Des granges bordent la route et des fils téléphoniques courent au-dessus de nos têtes.
Finalement, je parviens à un grand bâtiment en briques brunes au toit triangulaire. Un drapeau uruguayen flotte dans la brise. Le bâtiment voisin porte un panneau indiquant Centro Educativo Agrario (Centre d'éducation agricole). C'est l'école de Mujica, qu'il a inaugurée en 2015 quelques jours après avoir quitté la présidence. Je suis arrivé.
Juste devant, se trouve une petite guérite. Un homme en sort pour me saluer. Je me présente et explique que je souhaite interviewer Pepe Mujica.
"Il ne fait pas d'interviews à l'improviste", me dit-il.
Je lui dis qu'il n'y a aucun moyen d'organiser une interview à l'avance.
"Désolé, impossible", me répond-il. "De toute façon, il est malade aujourd'hui".
Je lui demande : "Est-ce qu'il est là ?".
Oui, répond-il en désignant la maison entourée de plantes en face de la cabane. "Vous pouvez jeter un coup d'œil d'ici, mais n'allez pas plus loin."
Comme il n'en démord pas, je me dis que la chance n'est pas au rendez-vous.
"Je retenterai demain alors ?"
"Vous pouvez, mais le résultat sera le même", me dit-il.
La ferme
Le lendemain, je pars prendre le ferry pour Buenos Aires depuis la ville portuaire de Colonia del Sacramento, située à 60 kilomètres de l'autre côté du Río de la Plata.
Le bateau arrive en fin d'après-midi et la maison de Pepe se trouve sur le chemin du retour vers l'ouest. J'en conclus qu'il n'y a rien à perdre à réessayer, même si mes chances semblent minces.
Je remonte la longue route et stationne au même endroit. Mais cette fois-ci, personne ne sort de la cabane. J'attends quelques minutes, puis je m'en approche et jette un coup d'œil à l'intérieur.
Personne. L'homme ne doit pas travailler le dimanche.
Je jette un coup d'œil à la maison d'en face. Le gardien avait dit que Pepe était malade, mais ce n'était pas convaincant. Je me demande si frapper à l'improviste à la porte d'un homme de 88 ans qui doit certainement se détendre un dimanche matin n'est pas un peu déplacé.
Mais l'occasion ne se représentera pas, alors je descends le chemin bordé d'arbres et j'aperçois son petit bungalow. On le dirait sorti tout droit du conte du Petit Chaperon Rouge. Une maison de ferme à un étage, délabrée mais enchanteresse.
Je frappe à une porte et ne reçois aucune réponse. Il ne semble pas être là. Il est difficile de déterminer quelle est la porte d'entrée. J'en trouve une autre et toque à nouveau. J'attends,.
Une femme âgée et petite m'ouvre avec le sourire.
"Bonjour, que voulez-vous ?", demande-t-elle, l'air surpris.
Je lui réponds que j'aimerais interviewer Mujica, si c'est possible, que j'ai fait tout ce chemin depuis l'Angleterre.
Elle rit, et, ouvrant la porte, appelle derrière elle.
"Pepe, un journaliste anglais est ici, il a fait tout ce chemin pour te parler".
On observe une pause. "Tráelo adentro", dit une voix derrière elle. Fais-le entrer.
"Extrêmement dangereux"
Après avoir traversé l'antichambre exiguë, je suis conduit dans une cuisine délabrée. Pepe est assis à la table près de l'entrée. Il lit un livre sur son ami Lula, le président du Brésil voisin élu à deux reprises.
Je m'excuse de le déranger un dimanche, mais lui dit que je me devais d'essayer.
"Ne vous inquiétez pas, il n'y a pas de problème, asseyez-vous, parlons", me dit-il.
Je lance le dictaphone. La femme qui a ouvert la porte est assise en face de lui, et je me rends compte que c'est Lucía Topolansky, son épouse, elle-même une formidable militante de la cause sociale et politique.
Elle lui sourit, consciente de l'absurdité de la situation.
Je commence les questions sans attendre, ne voulant pas perdre de temps. La nuit précédente, l'armée iranienne avait lancé une nuée de drones pour bombarder Israël. Je commence ainsi. Qu'en a-t-il pensé ?
"Je me suis dit qu'il devait y avoir une cause, une raison, pour déclencher autant de stupidité", explique Mujica. "Parce qu'il était évident que l'attaque menée par Israël, en tuant un membre important de l'armée iranienne dans un autre pays, allait susciter une réponse. C'était une évidence, et cette réponse était recherchée. Autrement dit, derrière cela, ne cherchent-ils pas un conflit avec l'Iran ?"
Il se dit surpris par la réponse iranienne.
"J'avais supposé, et je me suis trompé, que l'Iran allait mesurer l'enjeu et allait emprunter une autre voie, et non pas cette voie brutale. Je pensais qu'il utiliserait le détroit d'Ormuz, et chercherait un autre moyen de frapper, mais pour moi, l'Iran est tombé dans un piège. Parce que la réponse d'Israël n'est pas celle d'Israël, c'est celle qui est soutenue par la moitié de l'Occident et qui punit l'Iran. C'est ce qu'ils cherchaient. C'est ce que l'on soupçonne."
Je lui demande s'il pense qu'une guerre mondiale pourrait éclater.
"C'est extrêmement dangereux", me répond-il. "Vraiment très dangereux. Parce que l'Iran n'est pas un pays de second plan, c'est un pays important. En termes de ressources et de technologie, mais aussi en raison de sa situation géographique. Une grande partie du pétrole mondial passe par là. Cela aura un impact immédiat tant sur le pétrole que sur l'économie. Je pense que ceux qui dirigent les choses doivent en être conscients".
Mais Mujica estime que cette situation s'inscrit dans le cadre d'une politique occidentale plus large qui attise les guerres et les conflits à travers le monde.
"Nous l'avons vu précédemment avec l'Ukraine", dit-il. "Ils auraient pu empêcher cette guerre à temps. Cette guerre a eu 15 ans d'incubation et d'avertissement. Poutine est une bête qui a donné un avertissement très clair, il a déployé les chars à la frontière. Il a attendu. Rien ne s'est passé. Aujourd'hui, je me demande si nous ne nous dirigeons pas vers une catastrophe. Personne ne sait si nous finirons par avoir des explosions nucléaires".
Domination
Mujica m'explique que ces conflits sanglants sont tous le résultat d'une dynamique impériale et d'une volonté de dominer le monde :
"Le deuxième président des États-Unis a dit qu'il y avait deux façons de dominer", dit-il en faisant référence à John Adams. "L'une avec des épées, l'autre avec des dettes. Les empires ont utilisé les deux."
Mujica affirme que cela a créé un monde sans véritable communauté internationale, où seule la force compte.
"Nous avons créé une civilisation qui couvre toute la planète, mais il n'y a pas de politique internationale. La politique internationale consiste à promouvoir les intérêts des pays les plus forts. Il n'y a pas de politique qui pense à la planète, globalement, même si nous sommes de plus en plus interdépendants - ce qui se passe d'un côté, se passe pour nous tous".
Il marque une courte pause, avant de continuer :
"Par exemple, l'Europe paie la guerre stupide en Ukraine : un carburant plus cher, un gaz plus cher, des problèmes économiques et le développement de l'industrie de l'armement partout. En particulier avec l'Iran, cela va probablement porter un coup au prix du pétrole et du carburant, et aura des répercussions partout. On ne peut être plus stupide".
Mujica parle principalement de l'empire américain qui, en termes d'étendue et de force militaire, est le plus puissant de l'histoire :
"Plus on se rapproche des États-Unis, pire c'est", me dit-il. "C'est le problème du Mexique."
"Mais dans l'histoire récente, il y a eu des succès de la gauche en Amérique latine et un mouvement d'éloignement de l'emprise américaine. Je pense que les choses ont certainement changé au cours des 25 dernières années."
"Il y a des changements, oui, mais nous sommes réticents à croire, à apprendre à nous défendre en tant que continent", déclare-t-il. "C'est un vieux rêve qui remonte à [Simón] Bolívar, le leader de l'indépendance latino-américaine, mais nous n'avons pas de poids au niveau international parce que chacun défend sa propre position."
Selon Mujica, ce manque d'unité sur le continent a été mis en évidence lors de la pandémie de grippe aviaire de 19 ans.
"Nous représentons 6,7 % de la population mondiale, mais nous avons enregistré 30 % des décès", poursuit-il. "Aucune réunion des présidents n'a eu lieu pour faire une proposition continentale aux entreprises pharmaceutiques, car cinq pays fabriquaient des vaccins".
Ajoutant :
"Nous aurions dû faire une proposition continentale pour dire : vous n'allez pas vendre une pilule en Amérique latine si vous ne négociez pas le brevet, la connaissance. Nous sommes balkanisés, tout le monde s'est démené et a fait ce qu'il pouvait. On ne peut pas se battre ainsi dans ce monde".
Cette balkanisation a également été aggravée par l'ingérence étrangère. Des documents américains ont révélé, par exemple, que Washington avait fait pression sur le gouvernement brésilien pour qu'il n'achète pas le vaccin russe "mauvais" Sputnik V - une décision qui aurait pu coûter la vie à des milliers de personnes.
La marée rose
Depuis l'élection d'Hugo Chavez au Venezuela en 1998, l'Amérique latine a vu naître une multitude de gouvernements démocratiques socialistes. La présidence uruguayenne de Mujica, qui s'est déroulée de 2010 à 2015, en fait partie.
C'est ce qu'on appelle souvent la "marée rose" - et avec la Colombie, la Bolivie, le Chili et le Mexique actuellement dirigés par des leaders de gauche, nous nous trouvons aujourd'hui dans ce qu'on appelle parfois la "marée rose 2.0". Je demande à Mujica s'il pense que l'Amérique latine a un rôle essentiel à jouer dans l'avenir du monde et si cet avenir sera positif et sain.
"J'aimerais le croire, mais il y a des contradictions", répond-il. "L'Amérique latine n'est pas en mesure de rassembler sa propre identité, nous nous situons à l'horizon de nos pays, mais il n'y a pas de conscience latino-américaine qui nous permette de nous déclarer en tant que continent."
Mujica ajoute que le continent a adopté bon nombre des éléments les plus réactionnaires de la culture politique et économique des puissances colonisatrices que sont le Portugal et l'Espagne.
"Nous sommes les descendants de deux puissances féodales, lesquelles ont transplanté des valeurs féodales lorsqu'elles sont allées coloniser. L'Amérique latine a été organisée dans un sens féodal".
Il poursuit : "Ensuite, le processus d'indépendance politique s'est produit en même temps que le cadre mondial était organisé pour dépendre de la Manche. Ce n'était pas une indépendance intérieure. Nous avons payé notre indépendance politique par une dépendance économique. Nous avons commencé à dépendre de l'Angleterre et de la France, et de l'avènement de la société industrielle."
Selon Mujica, la géographie des pays et le fait qu'ils aient été créés pour aspirer les richesses et les ressources vers l'Europe témoignent de cet héritage.
"Presque toutes les capitales sont situées dans un port. Ce n'est pas le cas en Europe, si ce n'est en Angleterre, qui est une île. Les capitales ont une signification. Elles ont une place centrale. En Amérique latine, les seules capitales qui restent au centre sont celles où il y avait une ancienne culture, comme les Incas, mais pour le reste, la première capitale du Brésil était Bahia, qui était un port pour l'exportation du sucre et l'entrée des esclaves."
L'endettement est un autre moyen par lequel l'Amérique latine a été maintenue sous contrôle après l'indépendance.
"Notre indépendance coïncide avec une dépendance économique, lorsque la dette a commencé", explique Mujica. "Le premier prêt accordé par l'Angleterre l'a été ici, dans le Río de la Plata, à Rivadavia, pour 5 millions de livres. Il a coûté plus ou moins 115 millions de livres sterling et il a fallu 100 ans pour le rembourser. Cela donne une idée de la façon dont nous avons commencé".
Bernardino Rivadavia a été le premier président de l'Argentine, qui s'appelait alors les Provinces unies du Río de la Plata et comprenait l'Uruguay actuel.
"Cette dépendance à l'égard de la Manche nous a amenés à regarder l'Europe et les pays développés d'un point de vue culturel. Pour réussir culturellement, il fallait aller à Paris. Le meilleur chanteur du Río de la Plata, Gardel, devait aller à Paris. Il y avait une dépendance culturelle dans tous les sens du terme. Jusqu'en 1920, le Brésil envoyait des étudiants étudier en Europe, jusqu'en 1920, le pays n'avait pas d'université, c'est incroyable".
Selon Mujica, la colonisation de l'Amérique latine a été davantage fondée sur la dépendance que d'autres cas de figure.
"C'est très différent de la colonisation anglaise aux États-Unis", dit-il. "Là-bas, la révolution bourgeoise avait triomphé en Angleterre et distribuait ce dont une famille avait plus ou moins besoin pour vivre. Ensuite, une classe moyenne active et un marché intérieur puissant ont été créés, ce qui a favorisé l'industrialisation. Ici, c'est l'inverse qui s'est produit, la question des classes s'est posée, une minorité très privilégiée a importé tous les produits de luxe d'Europe".
L'Angleterre comme garant
Les débuts de l'histoire de l'Uruguay ont été marqués par la lutte entre les Britanniques, les Espagnols et les Portugais pour le contrôle du bassin de La Plata.
La guerre anglo-espagnole a fait rage entre 1796 et 1808. Pendant cette période, les Britanniques ont envahi et pris Buenos Aires en 1806, qui a été rapidement libérée par les forces de Montevideo.
Mais en 1807, une nouvelle attaque a laissé Montevideo occupée par une force britannique de 10 000 hommes, qui n'a pu reprendre Buenos Aires.
En mai 1825, une force révolutionnaire du nom de Treinta y Tres Orientales (Trente-trois Orientaux ou Trente-trois Orientaux) a atteint Montevideo et a déclaré un gouvernement provisoire.
L'assemblée provinciale nouvellement élue a rapidement déclaré la sécession de la province de Cisplatine de l'Empire du Brésil et son allégeance aux Provinces unies du Río de la Plata. En réponse, le Brésil a déclenché une guerre qui a duré trois ans.
Au terme de ce long conflit, le traité de Montevideo a été signé en 1828 sous la tutelle du vicomte Ponsonby, diplomate britannique. Le Brésil et l'Argentine ont accepté de reconnaître l'État indépendant de l'Uruguay comme tampon entre eux.
Ponsonby a été à bien des égards l'architecte de l'indépendance uruguayenne.
"Cette région du monde était traitée de manière privilégiée par l'Angleterre, dans ses relations d'échange, en fonction de ce que cette dernière faisait dans d'autres régions", explique Mujica. "Nous étions des tributaires. Nous savons que c'est la première expression du capitalisme moderne qui s'est produite en Uruguay".
Il poursuit :
"Le corned-beef était fabriqué ici et voyageait en Inde, en Australie, en Afrique du Sud. C'est curieux parce que jusqu'aux années 1940, cette région du monde était différente du reste de l'Amérique latine, nous avions une richesse par habitant comme la Belgique ou la France. Les relations d'échange étaient tout à fait satisfaisantes".
"Dans la gare où étaient les Anglais, il y a encore aujourd'hui des statues de britanniques", ajoute sa femme.
Ponsonby était particulièrement intéressant.
"C'est l'ambassadeur anglais qui a orchestré notre indépendance", explique Mujica. "Ils l'ont envoyé au Río de la Plata en guise de punition. C'était un fonctionnaire des relations extérieures, mais ils ont découvert qu'il était amoureux de la maîtresse du roi et l'ont envoyé ici pour le punir. Et là, il a fait un travail spectaculaire".
Le désir de la Grande-Bretagne de créer un État tampon entre le Brésil et l'Argentine trouve son origine dans ses propres ambitions impériales.
"L'Angleterre a très intelligemment calculé que toute la côte atlantique serait entre les mains de deux pays, ce qui ne lui convenait pas car l'Uruguay se trouve à la sortie des grands fleuves", explique-t-il. "L'Angleterre s'est toujours caractérisée par sa puissance dans les endroits clés, n'est-ce pas ? C'est pour cela qu'elle s'est tournée vers le détroit de Magellan, les Malouines et Gibraltar".
Mujica ajoute :
"C'est le garant de notre indépendance, je le dis toujours aux ambassadeurs".
Un guerillero
Mujica a rejoint la résistance armée de gauche en Uruguay dans sa jeunesse, au milieu des années 1960, en devenant membre du nouveau mouvement MLN-Tupamaros, un groupe inspiré par la récente révolution cubaine. Nommé d'après le révolutionnaire Túpac Amaru II qui, en 1780, a mené une grande révolte indigène contre la vice-royauté du Pérou, le groupe prône la redistribution des richesses aux pauvres.
Il a participé à la brève prise de Pando, une ville proche de Montevideo, en 1969, en dirigeant l'une des six escouades ayant pris d'assaut des points stratégiques de la ville.
En mars 1970, il a reçu six balles alors qu'il résistait à son arrestation dans un bar de Montevideo, et deux policiers ont été blessés dans l'échange.
Mujica a été capturé par les autorités à quatre reprises. Il fait partie de la centaine de Tupamaros à s'être évadés de la prison de Punta Carretas en septembre 1971 en creusant un tunnel depuis l'intérieur de la prison jusqu'au salon d'une maison voisine. Il a été capturé, mais s'est à nouveau échappé.
En 1971, les Tupumaros avaient également enlevé l'ambassadeur britannique en Uruguay, Sir Geoffrey Jackson, qu'ils ont retenu en captivité pendant neuf mois.
Deux ans plus tard, le coup d'État de 1973 en Uruguay a mis en place une junte militaire impitoyable qui a dirigé le pays jusqu'en 1985. Ce régime de droite a interdit les partis politiques, dissous les syndicats et censuré la presse afin de renforcer son contrôle. Ce régime a également joué un rôle clé dans le réseau de terreur soutenu par la CIA à l'échelle du continent dans la région, sous le nom de code "Opération Condor". (ndr : voir article proposé récemment sur ce blog intitulé La "Midas Touch" de l'Amérique).
"Nous avons vécu une expérience extrêmement éprouvante", me confie-t-il. "J'ai été emprisonné pendant plus de 12 ans, mais j'en ai passé sept sans livre, sans rien et quasiment sans visite. C'était de 1972 à 1985."
Je lui demande quel impact cela a eu sur lui.
"J'ai dû apprendre à résister du mieux que je pouvais et à revaloriser certaines choses, j'ai énormément appris", dit-il. "J'ai appris parce que lorsque j'étais très jeune, certes, je lisais énormément, mais je n'avais pas réfléchi à ce que signifiait vraiment ces lectures à l'époque. Prisonnier, je n'avais pas de livres ou quoi que ce soit d'autre, mais avec le temps... j'ai commencé à réfléchir".
Mujica a été libéré lors du rétablissement de la démocratie en 1985.
"Lorsque nous avons été libérés, nous sortions d'une dictature draconienne et nous avons collectivement décidé que nous devions respecter la loi, faute de quoi nous nous serions comportés comme une provocation à l'égard d'une société qui s'était débarrassée de la dictature."
Il marque une pause avant de poursuivre :
"Et puis, il s'est passé beaucoup de choses dans le monde, n'est-ce pas ? Nous avons revu certaines questions et, personnellement, je garde une pensée socialiste, mais je crois que les thèses léninistes ont échoué parce qu'elles étaient une porte d'entrée pour la création d'une nouvelle bureaucratie."
Avec l'âge, les idées de Mujica sur le socialisme sont devenues plus hétérodoxes.
"Je ne crois pas que le socialisme puisse se développer dans les sociétés pauvres, ce qui ne veut pas dire non plus qu'une société riche sera socialiste, c'est une autre histoire", déclare-t-il.
"Je trouve les racines du socialisme dans l'anthropologie. Le Sapiens était un animal historiquement socialiste, il a vécu en groupe pendant plus de 200 000 ans. L'agriculture a fait son apparition il y a 10 ou 15 000 ans. C'était hier. Et c'est là que votre histoire et la mienne ont commencé. En chacun de nous, nous portons cette nostalgie et un jour, l'existence d'une mémoire génétique sera prouvée".
Mujica pense-t-il qu'elle existe encore ?
"Je vois des traces de cette mémoire génétique. Les gens qui vivent en appartement et qui ont une petite plante ou un chien. Ou qui ont un poêle, c'est-à-dire quelque chose qui remplace le bois de chauffage, même si c'est au gaz. Ou lorsqu'un homme se rend au supermarché en voiture, il prend l'allure d'un chasseur".
Tout au long de la conversation, son épouse, Lucía Topolansky, qui a répondu à la porte, reste assise en face de lui et l'écoute attentivement, m'aidant à surmonter mes difficultés en espagnol.
Elle a sa propre histoire remarquable, puisqu'elle a été vice-présidente de 2017 à 2020. Élevée dans une famille de la classe supérieure, elle a rejoint les Tupamaros en 1969 et est entrée dans la clandestinité. Sous la dictature, elle a également été arrêtée et emprisonnée dans une prison militaire où elle a subi tortures physiques et psychologiques.
Un président philosophe
En tant que président, Mujica a acquis une renommée internationale pour son abstinence. Il a continué à vivre dans sa ferme, refusant le palais présidentiel, et redistribué 90 % de son salaire.
Il est rarissime qu'une personne aussi profondément humaine occupe le poste de président. Quelles leçons a-t-il tirées de ces cinq années ?
"Ce que j'ai appris, c'est que les changements requièrent des forces collectives", dit-il.
"Cela s'est accompagné d'une tentative de construction d'un parti politique, tout en sachant que cela ne débutait ni ne se terminait avec nous".
Le Frente Amplio (Front large) a été créé en 1971, quelques années avant le coup d'État. Il cherchait à rassembler toutes les forces de gauche disparates du pays, des communistes aux sociaux-démocrates et tout le spectre entre les deux.
"Nous avons participé à la construction du Frente Amplio", déclare Mujica. "Nous tentons de le faire grandir, car c'est ce qui va rester. Nous passons, mais nous devons transmettre le relais à une autre génération, parce que la lutte n'a pas commencé avec nous ni ne se terminera avec nous, elle continue. Tant qu'il y aura de la vie sur terre, il y aura des gens. Triompher, c'est se relever et recommencer à chaque fois que l'on tombe."
Il y a deux façons d'envisager la politique : comme un combat ou comme une négociation. Mujica, malgré son passé de guérillero, se range aujourd'hui résolument du côté de la négociation.
"Dans notre société actuelle, il ne sert à rien de se battre, car les gens ne le comprendraient pas", explique-t-il. "Aujourd'hui, le problème est de savoir comment intéresser et attirer les gens, comment multiplier le nombre de personnes. Le vrai pouvoir n'est pas dans les gestes, mais dans le niveau des masses qui nous soutiennent. À long terme, c'est ce qui est décisif".
Il poursuit :
"Certains pensent que le pouvoir ne tient à rien d'autre qu'au fusil. Le pouvoir vient de ceux qui le manient. Le fusil ne sert à rien, le problème, ce sont les gens qui le manient. Il s'agit de capturer les volontés".
Sous la présidence de Mujica, l'Uruguay a légalisé la marijuana et l'avortement, deux mesures extrêmement impopulaires dans les cercles de l'opposition de droite.
"Aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous détacher des besoins immédiats des gens ordinaires, car sinon nous nous isolons des problèmes qu'ils rencontrent. Nous devons vivre leurs vicissitudes à leurs côtés pour multiplier notre influence".
Il continue de s'opposer à cette vieille conception léniniste du pouvoir.
"Croire qu'avec une vision intellectuelle isolée des gens nous allons les conduire au paradis est un rêve utopique", dit-il. "Nous devons construire avec eux, et la marche sera marquée par les difficultés qu'ils rencontrent. Nous cherchons donc à participer activement à la société dans laquelle nous vivons. La démocratie n'est pas parfaite ou quasi-parfaite, elle est trompeuse. Mais pour l'instant, c'est la meilleure chose que nous ayons pu réaliser".
Mais comment peut-on avoir une démocratie dans le cadre du capitalisme et de ses niveaux obscènes d'inégalité des richesses ?
"C'est très loin d'être une démocratie économique, c'est un mensonge, et l'inégalité ne cesse de croître. Le pire, c'est que, dans le monde, ce qui augmente le plus, c'est l'inégalité. Et ce n'est pas que le monde soit plus pauvre, le monde est plus riche que jamais. Mais il y a aussi des gens plus riches que jamais, avec un degré de richesse que l'on ne peut même pas imaginer".
Il poursuit :
"Cela conduit à un gaspillage brutal d'énergie. Le pire dans le consumérisme, c'est qu'il est la porte ouverte à la dégradation de la nature. Nous n'avons pas besoin de tant de déchets pour vivre. Le concept d'obsolescence programmée est un non-sens. Fabriquer des objets calculés pour durer peu de temps, c'est tout l'inverse. Tout cela est une pure folie".
Le poète historien
La veille de ma première visite à la ferme de Mujica, je m'étais rendu en pèlerinage à la vieille maison d'Eduardo Galeano, dans le quartier endormi de Malvin, à Montevideo.
Galeano était un écrivain politique et un romancier dont l'œuvre a influencé toute une génération de Latino-Américains. Son Open Veins of Latin America: Five Centuries of the Pillage of a Continent (Veines béantes de l'Amérique latine : Cinq siècles de pillage d'un continent), publié en 1971, est devenu la bible des mouvements anti-impérialistes et de gauche de la région à cette époque. En 2009, Hugo Chávez, alors président du Venezuela, l'a offert au président Obama, le faisant ainsi remonter dans la liste des best-sellers.
Le livre raconte l'histoire de l'exploitation de l'Amérique latine après l'arrivée des Espagnols et des Portugais, mais avec une poésie et un lyrisme tout à fait uniques. Le livre a été interdit par les gouvernements militaires de droite du Brésil, du Chili, d'Argentine et d'Uruguay.
La maison de Galeano, baptisée « Casa de los Pájaros » (Maison des oiseaux), est celle où il a vécu de 1985 à sa mort en 2015. Elle ne diffère pas des autres maisons de la rue, à l'exception de la montagne de plantes qui encombre le jardin de devant. Le bungalow est à peine visible.
Je me suis ensuite rendu au café préféré de Galeano, le Café Brasilero, au cœur de la vieille ville de Montevideo. Galeano était un fervent adepte des cafés, et c'est là qu'il passait ses journées à lire le journal et à écrire.
Dans l'un de ses poèmes, il écrit :
"Je fréquente le Café Brasilero, qui miraculeusement survit. C'est le dernier des anciens lieux de rencontre où j'ai appris l'art de raconter des histoires en écoutant des menteurs qui, en mentant, disaient la vérité".
Sa photo est affichée sur les murs blanchis et on m'indique le siège de la fenêtre où il avait l'habitude de s'asseoir.
J'interroge Mujica sur son importance.
"Galeano a donné une personnalité à l'histoire de l'Amérique latine", dit-il. "Il l'a présentée au monde, en somme, mais il ne s'est pas contenté de présenter des données, il l'a fait avec art. Parce qu'il y a toujours cette discussion, qu'il s'agisse de la forme ou du contenu. Le contenu est explosif, mais la forme est magnifique. C'est un remarquable écrivain, en plus d'être un penseur. Et j'ai été surpris par l'impact que son travail a eu sur le monde".
Une philosophie pour la vie
En écoutant Mujica parler, il est presque impossible d'imaginer qu'il a été président pendant cinq ans. Son analyse du capitalisme et du pouvoir, son honnêteté quant à nos problèmes en tant qu'espèce, ne sont presque jamais entendus de la part de personnes au sommet du système.
Je lui demande quelle est sa philosophie de vie.
"La chose la plus importante est de vivre heureux", répond-il.
Comment y parvenir ?
"En vivant selon ce que nous portons en nous", répond-il.
Je lui réponds que c'est très difficile, qu'il y a de nombreux obstacles.
"C'est difficile parce qu'ils nous dominent de l'extérieur", dit Mujica. "Il existe une culture consumériste qui nous impose le désespoir et qui nous fait perdre notre liberté. Plus on vit sobrement, plus on a de temps libre à consacrer à ce que l'on décide".
"Mais si vous vous laissez enfermer dans la loi et le carcan de la nécessité, qui peut être infinie chez l'homme, vous n'êtes pas libre. Vous êtes soumis à la nécessité de couvrir les coûts liés à vos besoins toujours croissants. Et à ce stade du capitalisme, ce qui est recherché, c'est que nous soyons des acheteurs compulsifs. Le capitalisme en a besoin, parce que c'est une civilisation qui justifie l'accumulation, il a besoin que nous soyons le plus possible des consommateurs".
Aurait-il donc trouvé le bonheur ?
"Nous sommes deux personnes âgées qui vivent heureuses", dit-il en regardant sa femme assise de l'autre côté de la table.
Comment êtes-vous arrivé à cette prise de conscience, quand vous étiez jeune, c'était la prison ?
"J'appartiens à une génération qui rêvait de changer le monde", explique-t-il. "Nous étions persuadés que nous allions changer le monde."
Il poursuit :
"La science humaine qui comprend le comportement humain n'était pas aussi avancée, et nous avons donc souffert d'un trou idéologique. L'homme est beaucoup plus complexe, c'est un animal émotionnel qui a appris à penser, et peut-être n'avons-nous pas donné à la culture l'importance qu'elle a. Il est plus difficile de changer une culture que la réalité matérielle d'une société".
Il marque une pause.
"À long terme, la culture est décisive. Le capitalisme s'est approprié la culture subliminale des gens. En nous rendant accros à un consumérisme atroce, pernicieux et permanent, il nous domine. Nous n'avons donc pas le temps de le remettre en question. Parce qu'il absorbe tous les instants et les pans de notre vie pour couvrir les dépenses qui nous attendent. Il n'y a rien de plus important que les préoccupations matérielles de la société".
A-t-il un message pour la jeunesse ?
"Travaillez juste ce qu'il faut pour ce qui est nécessaire pour vivre, ne vivez pas pour travailler. Si vous vous adaptez à vos besoins, vous devrez travailler moins. Et il me reste du temps pour exercer ma liberté. Si je laisse mes besoins se multiplier, adieu. Les gens n'ont pas le temps, ils ne peuvent pas perdre de temps. Et le temps libre est le fondement de la civilisation, voire de la théologie. Quelle a été l'œuvre civilisationnelle la plus importante de l'histoire de l'humanité ? Athènes. Au quatrième et au cinquième siècle. Avec des citoyens qui ne travaillaient pas, parce qu'ils avaient des esclaves."
"Mais ils passaient leur temps à discuter. Et c'est là que sont nés le théâtre, la comédie, la philosophie, l'académie, tout le reste. Ce sont 200 ans d'histoire inexplicable, il n'y avait pas plus de 100 000 citoyens. Ils ont inventé la démocratie. Une autre apogée, la ville de la renaissance. C'est le temps libre des gens qui génère la culture".
Quel âge avez-vous aujourd'hui ?
"89 ans, presque. Dans un mois", dit-il.
Avez-vous peur de la mort ?
"Ah, oui, la mort va arriver d'un moment à l'autre", dit-il.
Mais vous n'avez pas peur de ça, lui ai-je demandé.
"Non, c'est comme le soleil qui se lève demain. C'est inévitable. Mais je crois que la vie est une aventure de molécules. Il n'y a pas de place pour la question de savoir d'où l'on vient ou où l'on va. Cette vie. C'est une merveille. Et c'est merveilleux d'avoir eu la chance de naître. Il y avait 40 millions de chances que quelqu'un d'autre naisse, et c'est vous qui êtes né. C'est ça le miracle".
Une semaine après ma visite à la ferme, des articles sont parus dans les médias. Mujica avait un rendez-vous de routine avec le médecin le vendredi suivant notre rencontre. On lui a diagnostiqué un cancer de l'œsophage.
"Je veux dire à tous les jeunes que la vie est belle, mais qu'elle finit par fâner et que l'on tombe", a-t-il déclaré aux journalistes. "Le but est de recommencer à chaque fois que l'on tombe, et si l'on est en colère, il faut la transformer en espoir".
Matt Kennard est responsable des enquêtes à Declassified UK. Il a été boursier puis directeur du Centre for Investigative Journalism à Londres. Suivez-le sur Twitter @kennardmatt
📰 https://www.declassifieduk.org/pepe-mujica-england-is-still-the-guarantor-of-our-independence/
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Une fois de plus est mis en lumière un personnage remarquable que le fatras sordide des événements a relégué aux armoires poussiéreuses de l’histoire… C’est l’histoire de …la décroissance heureuse, de la libération des esprits du joug de la consommation à outrance et de la possession qui font de la plupart, des objets satisfaisant aux caprices du Malin…Que de leçons à prendre! Simplicité, humilité, rigueur et honnêteté….Pepe Mujica? Un Grand! Oublié comme beaucoup de ses semblables …À méditer!….