❖ LVMH, la prise de Paris
Fort de ses 75 marques, le + grand groupe de luxe du monde est partout. B. Arnault a mis la main sur + de 200 adresses dans la capitale, certains de ses symboles les + connus & le pouvoir politique
LVMH, la prise de Paris
Fort de ses 75 marques (Louis Vuitton, Christian Dior, Berluti, Sephora...), le plus grand groupe de luxe du monde est partout à Paris. Bernard Arnault a mis la main sur plus de 200 adresses dans la capitale, sur certains de ses symboles les plus connus et sur le pouvoir politique.
Une série Mediapart
1- ➤ Louvre, Champs-Élysées, Pont-Neuf : comment l’homme le plus riche du monde s’est offert Paris
Bernard Arnault a fait main basse sur la capitale. Au-delà des quelque 200 adresses LVMH comptabilisées par Mediapart dans la ville, la multinationale s’octroie à peu de frais des lieux symboliques, avec l’approbation de la mairie. Premier volet de notre enquête sur une razzia.
Par Dan Israel, Martine Orange, Khedidja Zerouali & Florence Loève, le 26 mai 2024
D’instinctD’instinct, on n’aurait pas songé à faire endosser à Bernard Arnault le costume d’Eugène de Rastignac. Mais la communication du groupe LVMH à l’occasion des Jeux olympiques convoque l’imaginaire balzacien du petit provincial monté à Paris.
"À nous deux, Paris !", s’exclame le numéro 1 mondial du luxe dans l’une de ses récentes vidéos mettant en scène les sportifs qu’il parraine pour la compétition. La référence à la dernière page du Père Goriot, où Rastignac met la ville au défi de ses ambitions, est transparente.
À l’image du jeune ambitieux du 19ème siècle, le magnat du luxe, homme le plus riche du monde selon le magazine américain Forbes, a un objectif : "pomper le miel" de Paris, pour reprendre les mots de Balzac. En capter les symboles pour mieux servir sa gloire.
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Le credo s’affirme davantage à chaque étape de la stratégie de communication vantant l’implication de LVMH dans les JO de Paris. Le 24 juillet 2023, la tour Eiffel était en arrière-plan lorsque Bernard Arnault a annoncé que son groupe serait bien le sixième partenaire "premium" des Jeux, contre un chèque de 150 millions d’euros. Une goutte d’eau en comparaison des 10 milliards dépensés par le groupe en 2023 pour la publicité.
Depuis, les vidéos de LVMH sur les JO incluent la tour Eiffel, l’Arc de triomphe, les ponts de la Seine, ou la colonne de la place Vendôme – celle-là même à laquelle l’œil de Rastignac s’accroche "presque avidement" quand il lance sa célèbre réplique. "Berceau d’un grand nombre de ses maisons, la ville de Paris est intimement liée à l’histoire et au succès du groupe qui, de son côté, y est profondément attaché", justifie LVMH.
Les Jeux sont l’occasion pour le magnat du luxe d’achever sa prise de pouvoir symbolique sur la capitale, d’autant plus efficace qu’elle est relativement discrète. Qui a conscience que parmi les marques prestigieuses trustant l’espace public parisien et s’appropriant ses emblèmes, autant sont détenues par Bernard Arnault ?
L’homme d’affaires règne sur soixante-quinze "maisons" : Louis Vuitton, Christian Dior, Tiffany & Co., les champagnes Krug ou Veuve Clicquot, les montres TAG Heuer et Hublot, Givenchy, Kenzo ou Guerlain, mais aussi Sephora et ses vingt-six parfumeries disséminées intra-muros. Selon notre décompte des boutiques, sièges sociaux, espaces d’exposition, hôtels, cafés ou bureaux du groupe, ce sont au bas mot 200 adresses LVMH qui peuplent la capitale, du Triangle d’or du 8ème arrondissement à Saint-Germain-des-Prés, des Champs-Élysées à la place Vendôme.
"Des marques comme Apple ou H&M ouvrent des “flagship stores” [“magasins amiraux” – ndlr] dans des adresses prestigieuses, pour asseoir la notoriété et le niveau de gamme de leur marque. LVMH, c’est une autre dimension : sa politique est intimement liée à Paris", analyse David Belliard, adjoint écologiste à la mairie de Paris, chargé de la transformation de l’espace public et des transports. Pour lui, "LVMH a une stratégie de conquête de la ville".
Le défilé du Pont-Neuf contre les administrations
Le 20 juin 2023 a sans doute constitué un tournant dans la prise de conscience face à cet appétit de conquête. Cette veille d’été, Bernard Arnault a pris d’assaut les 238 mètres du Pont-Neuf, le plus vieux pont parisien, situé à un jet de pierre du Louvre et de Notre-Dame.
Pour le tout premier défilé de son nouveau directeur artistique homme, le chanteur Pharrell Williams, la marque Louis Vuitton a loué l’édifice "du 19 juin 2023 à 22 heures au 21 juin 2023 à 6 heures", détaille la ville de Paris. La municipalité assure que le pont et ses alentours ont été fermés à la circulation "pendant moins de vingt-quatre heures", occasionnant tout de même des méga-embouteillages.
Parmi les 1 750 invité·es VIP présent·es pour applaudir les mannequins, le couple Beyoncé et Jay-Z, qui entoure Bernard Arnault, la starlette Kim Kardashian, l’actrice Zendaya, le pilote de Formule 1 Lewis Hamilton. La maire de Paris Anne Hidalgo est aussi de la fête.
Les images ont fait le tour du monde. Mais l’événement a bien failli ne jamais avoir lieu : les services administratifs de la ville de Paris avaient refusé la demande de Louis Vuitton, explique David Belliard. "Je n’ai pas très bien compris pourquoi nous avons donné cette autorisation, détaille l’adjoint. La préconisation des services de la ville, qui donnent un avis technique [et consultatif – ndlr] était négative". Interrogée sur les conditions de cette attribution, la mairie de Paris ne nous a pas répondu.
"C’est le cabinet de la maire qui a donné le “go” définitif, comme il en a la possibilité", dit celui qui s’est retrouvé lui-même coincé à vélo dans l’embouteillage monstre des alentours. "Bloquer le Pont-Neuf, et donc le cœur de Paris, c’est un privilège. Il y a eu une double privatisation : publicitaire pour le défilé et toute la communication autour, et physique puisque seule une poignée de happy few a pu y assister."
Selon nos informations, la préfecture de police de Paris avait auparavant mis son veto à plusieurs reprises à une telle initiative. Didier Lallement, son patron jusqu’à l’été 2022, a refusé catégoriquement qu’un lieu aussi central soit utilisé au profit d’une entreprise privée. Le groupe a dû attendre l’arrivée du nouveau préfet de police Laurent Nuñez pour voir son souhait aboutir. Ni la préfecture, ni Didier Lallement n’ont souhaité commenter. Interrogé sur ce point, ainsi que sur de nombreux autres aspects de sa politique vis-à-vis de Paris, LVMH n’a répondu à aucune de nos questions.
Le géant du luxe peut d’autant plus se frotter les mains que le droit d’occuper le pont lui a été facturé pour un prix dérisoire : 184 000 euros, versés à la ville au titre de la redevance d’occupation du domaine public. Un tarif obéissant aux mêmes règles pour tous les types d’événements, fixé en conseil municipal. Certes, LVMH a également réglé 250 000 euros de frais de sécurité auprès de la préfecture de police, mais la somme est ridicule au vu de la taille du groupe et des enjeux de l’événement.
"La ville a une grille tarifaire qu’elle applique, très bien. Mais peut-être que LVMH pourrait, de lui-même, proposer de participer plus qu’une petite entreprise locale ? Ça serait bienvenu", ose l’élu de droite David Alphand, vice-président délégué du groupe d’opposition municipale de Rachida Dati.
"J’imaginais que cela avait fait entrer beaucoup d’argent dans les caisses, au moins un million d’euros… », éclate de rire une ancienne figure du premier mandat d’Anne Hidalgo, quand on lui apprend le montant payé par LVMH. Pour elle, si le fait que "les grands groupes de cosmétiques et de luxe intègrent Paris dans leur communication" est "positif pour la ville", une question se pose : "Dans un tel cas, qui sert qui ?".
Pour la ville, il n’y a pas de débat. "Un événement comme celui-ci a réuni 2 milliards de “viewers” [sur Internet et les réseaux sociaux – ndlr] en quarante-huit heures à travers le monde, et contribue au prestige de Paris et de son rayonnement", se félicite-t-on dans l’entourage d’Anne Hidalgo. Et puis, assure-t-on, « cet événement exceptionnel a été préfigurateur et démonstrateur, pour la préfecture de police, d’un exercice de sécurité en vue de la cérémonie d’ouverture des Jeux".
Un ancien collaborateur de la municipalité n’est pas surpris par cette mansuétude. "De la part de la maire, ce discours est récurrent : il faut bien traiter les grands acteurs économiques, dont Bernard Arnault est l’un des plus éminents, avance-t-il. Il faut toujours être conciliant, aller plus loin que l’administration, jugée trop rigide et éloignée des enjeux réels". Dans les couloirs de la mairie, l’omniprésence de Marc-Antoine Jamet, secrétaire général de LVMH, aide à faire passer le message.
Malle géante et emprise sur l’espace public
C’est à cette aune qu’il faut sans doute analyser un autre coup de force de LVMH, destiné celui-là à saturer l’espace public des Champs-Élysées pendant... quatre ans. Sur l’avenue la plus fréquentée de Paris, qui accueille déjà neuf boutiques du groupe, trône désormais une malle de métal Louis Vuitton haute de huit étages.
Immanquable à la sortie du métro George V, occupant tout un pâté de maisons, elle est recouverte de logos et de monogrammes "LV" irisés, opalescents le jour et violemment éclairés la nuit. Cet échafaudage grand luxe cache l’énorme chantier des numéros 103-111 de l’avenue, qui devrait accoucher en 2027 du plus grand magasin Vuitton au monde.
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En attendant, les signes distinctifs du maroquinier s’étalent à la vue de tous et de toutes. "Ce dispositif impose la marque aux regards des passants et des touristes qui se baladent sur l’une des plus belles avenues du monde, dénonce Thomas Bourgenot, de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP). C’est une campagne publicitaire géante à moindres frais !"
La mairie de Paris assure qu’aux yeux de la loi, il ne s’agit pas d’une pub. "C’est une bâche temporaire au titre du droit d’enseigne. De nombreux propriétaires y ont recours à l’occasion d’une rénovation de leur bâtiment ou d’un commerce", certifie la ville, passant un peu vite sur la très solide structure métallique de cette "bâche", comme sur sa durée de vie XXL.
La municipalité souligne que "l’immeuble étant classé monument historique, le ministère de la culture a donné son accord", et qu’au titre de la taxe locale sur la publicité extérieure, LVMH a payé 1,7 million d’euros. Mais le conseiller municipal Les Écologistes Émile Meunier, persuadé d’être face à "un détournement du règlement local de publicité", promet de soumettre l’affaire au tribunal administratif.
La méfiance de l’élu écologiste est alimentée par un épisode précédent. De mars à juillet 2023, LVMH avait installé sur la petite place débouchant du Pont-Neuf, rive droite, une statue de 15 mètres de haut à l’effigie de la peintre japonaise Yayoi Kusama, célèbre pour les pois colorés qui recouvrent ses œuvres, et avec qui Louis Vuitton a entrepris un partenariat au long cours.
Cette placette du 1er arrondissement n’avait pas été choisie au hasard. Elle relie trois bâtiments emblématiques pour le groupe : le siège social de Louis Vuitton (installé dans un commerce parisien historique, La Belle Jardinière), la Samaritaine, le grand magasin dont LVMH a fait son étendard depuis sa réouverture il y a trois ans, et l’extension parisienne de Cova, le très chic salon de thé milanais dont il est propriétaire.
La marque de luxe avait dûment demandé à la mairie le droit d’installer l’œuvre, via une requête d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT). Mais elle avait négligé de préciser que la statue porterait un sac Vuitton, orné de son célèbre logo, gigantesque et argenté.
Ce n’est qu’au bout de trois mois, après les protestations publiques d’Émile Meunier, que la ville a réagi. "Lorsque nous avons été informés de la présence d’un logo, nous avons saisi la société LVMH pour lui demander un retrait, car cela n’est pas conforme au règlement local de publicité. Le groupe a reconnu son erreur", confirme la municipalité. Qui a tout de même autorisé la présence de la statue pour un mois supplémentaire.
"En tant qu’élu, je suis choqué que LVMH finisse par penser qu’il est une chance pour Paris, et non l’inverse, gronde Émile Meunier. Et cela m’agace que la ville finisse par le penser aussi". À droite, David Alphand préfère parler d’une volonté de "capitaliser sur l’image de Paris".
Françoise Fromonot, architecte et observatrice aiguisée du mouvement de privatisation des grandes villes, prend moins de gants. "La stratégie de Bernard Arnault peut se résumer facilement : “Paris, c’est le luxe et le luxe, c’est moi”, considère-t-elle. Ce qui justifie une emprise totale sur l’espace public."
Emprise, voire vampirisation. "Paris est connue dans le monde entier comme la ville de l’élégance, de la mode. LVMH s’en nourrit et spécule dessus pour vendre ses produits", estime Julien Lacaze, président de l’association Sites & Monuments, qui a bataillé contre plusieurs des chantiers du groupe.
La Samaritaine, ex-symbole populaire
Bernard Arnault revendique lui-même cette stratégie. "En Chine, Paris, c’est hyper fort et hyper attractif", glissait-il au Monde en août dernier. Une référence loin d’être anodine, puisque les ventes "Asie hors Japon" représentent 21 % des 86 milliards d’euros de ventes en 2023 du groupe (pour un faramineux bénéfice net de 15,2 milliards d’euros).
Le milliardaire ne s’est jamais caché de vouloir attirer en masse les touristes chinois dans son grand magasin. "On trouve tout à la Samaritaine", clamait la réclame bien connue des Parisien·nes, capturant l’esprit d’une enseigne demeurée populaire pendant des décennies. Désormais, on y trouve 600 marques de luxe, un palace et un restaurant gastronomique. Rachetés fin 2000 par LVMH, les quatre bâtiments formant l’immense pâté de maisons bordant la Seine ont rouvert en juin 2021, après seize ans et 750 millions d’euros de travaux, en présence d’Emmanuel Macron, qui a salué un "trésor patrimonial".
"La Samar’" a été pensée comme un pôle d’attraction touristique pour touristes étrangers. Elle est devenue une vitrine du luxe le plus décomplexé, cette fameuse "désirabilité", clé de voûte du commerce selon Bernard Arnault.
Symbole du tour de passe-passe effectué pendant les travaux : la célèbre terrasse du bâtiment, offrant – en accès libre – une vue à couper le souffle sur les toits et les monuments de la capitale, est devenue celle du Cheval Blanc, le palace qui occupe la partie la plus noble du bâtiment.
Pour jouir de la vue exceptionnelle, il faut désormais réserver une table ("sous réserve de beau temps") et être prêt à débourser de 24 à 58 euros pour un plat. Les moins fortuné·es peuvent se rendre à l’intérieur de la Samaritaine, où une captation du panorama est projetée en direct sur un mur. Quand elle n’est pas remplacée par une publicité.
Une vingtaine de défilés au Louvre
Quelques mètres plus loin dans le musée le plus célèbre du monde, la mainmise de LVMH ne souffre là non plus d’aucune concurrence. Le 7 mars 2017, Louis Vuitton organisait pour la première fois un défilé à l’intérieur du Louvre. Un privilège exceptionnel : auparavant, seul Ferragamo avait défilé dans ses murs, en 2013.
"Depuis lors, seule la maison Louis Vuitton a défilé à de rares occasions dans le musée, en 2017, 2018 et 2021", précise le Louvre. Le 5 octobre 2021, pour les 200 ans de la maison de couture, c’est le passage Richelieu qui a été investi. Celui-là même "qu’empruntait Louis Vuitton quand il allait voir l’impératrice Eugénie pour prendre ses commandes, l’idée étant de rappeler que Vuitton est une maison impériale", décrypte le réalisateur Loïc Prigent, commentateur autorisé mais impertinent du milieu.
Pour ce défilé anniversaire, "il y a vraiment eu un dialogue avec le décor du Louvre, et Nicolas Ghesquière [directeur artistique des collections femmes de Louis Vuitton –ndlr] s’est inspiré des vestes marquises du 18ème siècle", salue l’expert, qui met la dernière main à un documentaire sur l’histoire des défilés parisiens. Mais LVMH s’est installé à bien d’autres occasions dans les espaces extérieurs. Depuis 2007, "trois défilés Christian Dior Couture et quatorze défilés Louis Vuitton ont eu lieu dans la Cour carrée", précise le musée.
Et là, "la scénographie ne montre pas systématiquement le Louvre pour le Louvre, on peut être dans un autre délire visuel", pointe Loïc Prigent. "Ils y déploient des soucoupes volantes, un faux Centre Pompidou, une énorme géode…". Ces installations nécessitent à chaque fois jusqu’à plusieurs semaines de montage et de démontage, pendant lesquelles la Cour carrée est provisoirement fermée au public.
Si d’autres maisons de luxe se lient à divers lieux parisiens (Yves Saint Laurent à la tour Eiffel, Chanel au Grand Palais), aucune adresse n’égale la puissance symbolique du musée. Pour Loïc Prigent, "le Louvre, c’est l’ultime lieu du pouvoir et du rayonnement français, et c’est pour ça que LVMH s’y associe".
Le tarif est en rapport avec son caractère exclusif. "300 000 euros hors taxe et hors frais techniques" pour chaque défilé, précise le musée. Un autre acteur du luxe souhaitant tourner une pub dans le jardin des Tuileries s’est vu répondre que ce type d’autorisation n’était accordé qu’aux partenaires de confiance du Louvre. En effet, ces opérations sont réservées "en priorité aux entreprises mécènes du musée du Louvre, engagées depuis plusieurs années dans des actions d’envergure".
Il en va ainsi de Christian Dior, qui "soutient la revégétalisation du jardin des Tuileries à hauteur de 9,3 millions d’euros" en quatre ans. Ou de Louis Vuitton, qui a versé "un montant de près de 7,3 millions d’euros" au musée pour la période 2024-2026. Ou du groupe LVMH lui-même, "qui s’est engagé à verser la somme de 15 millions d’euros pour permettre l’acquisition du Panier de fraises de [Jean Siméon] Chardin", une nature morte de 1761 classée "trésor national" (permettant une défiscalisation de 90 %).
"Il y a une stratégie d’appropriation des monuments historiques par LVMH, attaque Alexandre Moatti, haut fonctionnaire, ancien élève de Polytechnique actif dans la défense de l’école contre les visées de LVMH. Le patrimoine est un luxe, et accaparer ce luxe devient une vraie stratégie. Mais le groupe se cache en se présentant en mécène".
Versailles au détriment de la réalité historique
Autre lieu iconique, stratégie identique : au château de Versailles, c’est la marque Christian Dior qui a présenté ses créations dans la galerie des Glaces du château en mars 2021. Dix ans pile après une pub où l’actrice Charlize Theron y défilait aux couleurs d’un parfum maison. En 2018, LVMH avait mis à la poche en soutien au palais de Louis XIV, pour acquérir une inestimable "verseuse en argent réhaussé d’or".
Christian Dior a également donné, 5,5 millions d’euros à partir de 2013, pour restaurer le "Hameau de la reine", le village artificiel conçu pour Marie-Antoinette dans le parc du château. Hasard ? Quatre ans plus tard, Maison Francis Kurkdjian, la chiquissime filiale de création de parfums de LVMH, a obtenu d’être associée au Jardin du parfumeur, un espace botanique ouvert au public dans le domaine du Trianon. Le parfumeur est systématiquement mentionné comme mécène.
Problème, "il n’y a jamais eu de jardin autour du parfum ou de sa conception à Versailles, c’est une invention", s’exaspère Julien Lacaze, de l’association Sites & Monuments. "On comprend que pour LVMH cette association soit intéressante, elle lui confère une légitimité quasiment royale. Mais comment le château accepte-t-il cela ?", interroge-t-il.
Dernier outil d’accaparement de l’imaginaire de la ville Lumière : les produits LVMH eux-mêmes. Ainsi, le parfum L’Interdit de Givenchy base sa communication sur des références au métro parisien. Les visuels et les pubs sont tournés dans des stations RATP, et les points de vente en boutiques sont même revêtus des fameux carreaux blancs des couloirs du métro.
Dior est la marque poussant le plus loin la volonté de faire coïncider son image avec celle de Paris. Elle propose une casquette "Dior Paris Revolution" inspirée du couvre-chef de Gavroche, le gamin tragique des Misérables (850 euros avec sa voilette), ou une collection de vêtements et accessoires mettant en avant "la silhouette hypnotique de la tour Eiffel", comme passée aux rayons X (980 euros le tee-shirt, 5 900 euros le sac).
Plus explicite encore, la nouveauté printemps-été 2023 de la marque : le "motif plan de Paris", qui s’est étendu sur de nombreuses pièces de sa collection. Imprimé en noir et blanc et reprenant une carte vieillie qui serait inspirée du travail de Christian Dior lui-même, il "invite à explorer les lieux unissant Dior et la capitale". Illustration littérale de la manière dont LVMH se pare des couleurs de la capitale.
À l’été 2023, ce plan de Paris estampillé Dior a envahi le monde, d’un quartier branché de Pékin à la façade emblématique du grand magasin londonien Harrods, recouverte pour quelques jours des rues parisiennes siglées de la marque de luxe. D’"À nous deux Paris" à "Paris est à nous", le pas est vite franchi.
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2- ➤ Des quartiers entiers de Paris se muent en "LVMH-land"
À coups de milliards, le groupe de Bernard Arnault impose ses boutiques et ses bureaux dans les secteurs les plus prestigieux de la capitale. En faisant si peu de cas du bâti existant qu’une commission municipale est allée jusqu’à fustiger "une conception avant tout publicitaire de l’architecture".
Par Dan Israel, Martine Orange, Khedidja Zerouali et Florence Loève, le 28 mai 2024
DerrièreDerrière l’image de LVMH sur papier glacé, il y a une autre face de l’empire financiarisé du luxe, prospérant sous nos yeux. Depuis des années, le premier groupe mondial du secteur conduit à bas bruit une stratégie immobilière d’accaparement des lieux de prestige et de patrimoine.
Même le Wall Street Journal a fini par s’en émouvoir. En avril, le quotidien économique américain a publié une longue enquête sur les adresses investies dans le monde par le groupe de Bernard Arnault, transformant les quartiers et lieux à son idée, avec pour objectif de promouvoir ses soixante-quinze marques, son image et ses richesses. À Miami, à New York, à Montréal, la multinationale achète à tour de bras ou investit à la location les quartiers les plus luxueux, pour mieux asseoir la puissance de ses "maisons", et bien souvent s’assurer un droit de regard sur les autres marques s’installant dans les environs.
C’est à Paris que l’entreprise se déploie avec le plus de démesure. Le Wall Street Journal rapporte qu’en 2023, elle y a dépensé 2 milliards d’euros en achats immobiliers. "Pour LVMH, Paris est devenu un Monopoly où il prend tous les emplacements qui l’intéressent, cingle l’architecte et critique d’architecture Françoise Fromonot. Quand vous êtes l’homme le plus riche du monde, que vous reste-t-il à conquérir ? L’architecture et l’urbanisme, qui permettent d’imposer votre vision dans le temps, d’influencer la forme d’une ville, tout en servant vos propres intérêts."
Selon les décomptes de Mediapart, les boutiques du groupe ont essaimé dans une grosse centaine de lieux dans la capitale. Il faut y ajouter une cinquantaine de sièges sociaux, des dizaines de bureaux, une poignée d’hôtels, restaurants et cafés. En tout, LVMH détient ou occupe plus de 200 adresses dans la capitale. La plupart de ces adresses sont (très) visibles dans l’espace public, et environ la moitié d’entre elles sont ouvertes au public.
Les marques de Bernard Arnault sont désormais prééminentes dans tous les endroits qui comptent. Dans le bois de Boulogne, la fondation Louis-Vuitton accueille depuis 2014 les expositions les plus prestigieuses. Le jardin d’acclimatation, parc d’attraction attenant, est aussi aux mains du groupe, tout comme le bâtiment voisin, l’ex-musée des arts et traditions populaires, que LVMH transforme en centre culturel présentant les "savoir-faire" du groupe. "Le bois de Boulogne, c’est LVMH-land", grince un élu critique.
Le quartier de la Samaritaine, tout près du Louvre, vit désormais largement sous la bannière LVMH, comme nous le racontons dans le premier volet de notre série. Idem pour l’avenue Montaigne et la place Vendôme, traditionnels centres du luxe parisien, très largement trustés par l’une ou l’autre des marques de prestige de LVMH. Jusqu’à Saint-Germain-des-Prés, où un magasin Vuitton a remplacé La Hune, la librairie qui était le vaisseau amiral de ce mythique repaire de l’intelligentsia parisienne. Interrogé de manière détaillée sur sa stratégie à Paris, le groupe n’a répondu à aucune de nos questions.
Sur les Champs, les chantiers s’étendent
Nulle part ailleurs que sur les Champs-Élysées le groupe n’étale autant sa puissance. Ce n’est pas un hasard si son secrétaire général et directeur de l’immobilier, Marc-Antoine Jamet, émissaire de Bernard Arnault auprès de la mairie, est aussi depuis 2021 le président du Comité Champs-Élysées, puissante association des commerçants du quartier.
Neuf boutiques LVMH sont actuellement ouvertes sur l’artère la plus connue de la capitale, fréquentée par un million de visiteurs et visiteuses mensuel·les (selon une étude du cabinet immobilier Cushman & Wakefield). Et elles seront bientôt suivies par d’autres. La malle Louis Vuitton haute de huit étages et longue de 70 mètres qui trône du 103 au 111 de l’avenue camoufle un chantier XXL, qui accouchera en 2027 du plus grand magasin Vuitton du monde.
Juste en face, une grande devanture jaune orangé flanquée du logo Bulgari masque les travaux de la boutique, qui devrait rouvrir durant l’été. Au 127 de l’avenue, Christian Dior affiche aussi un permis de construire. Le magasin de 1 000 mètres carrés refait sa façade, masquée sur sept étages par des fausses fenêtres de style classique, tout en miroirs et en lumières, portant en médaillon le logo de la marque.
De nuit, les lumières des chantiers répondent aux illuminations bleutées du magasin Tiffany & Co, au 62, dont la pompe est elle-même concurrencée par la boutique éphémère de Louis Vuitton au 101, qui étale en relief sur toute sa façade le motif carrelé typique de la marque. La même grandiloquence est de mise pour Sephora, qui s’est installé en 2023 au 72. L’immense porte vitrée haute de deux étages laisse voir la signalétique noir et blanc typique de la marque et un gigantesque tapis rouge.
La mairie de Paris rappelle que le luxe représente "à peine un tiers des enseignes" de cette avenue, "vitrine du savoir-faire français" qui "participe au rayonnement culturel de la capitale à l’international". Néanmoins, la montée en gamme y est évidente. À l’intersection des mondes du luxe et de l’immobilier de prestige, l’argent est roi. Et Bernard Arnault, première fortune mondiale selon le magazine américain Forbes, y règne en maître. Pour le seul bâtiment du 144-150 avenue des Champs-Élysées, qui n’a pas encore de destination officielle, il a fait débourser près d’un milliard d’euros fin 2023.
Place Vendôme, six magasins LVMH
Bien sûr, le groupe de Bernard Arnault est loin d’être le seul à agir ainsi. Début 2023, Kering, son grand concurrent appartenant à la famille Pinault, a dépensé 640 millions pour le 12-14 rue Castiglione (1er arrondissement), à deux pas de la place Vendôme, où il veut installer le plus gros magasin parisien de Gucci, sa marque phare. Le groupe des Pinault a aussi déboursé 860 millions d’euros pour installer Yves Saint Laurent au 35 avenue Montaigne, dans l’ex-ambassade du Canada – et juste en face du "vaisseau amiral" Dior, qui jouxte le siège de LVMH.
Mais par le simple nombre de ses marques de prestige, LVMH domine le paysage dans bien des secteurs clés du luxe triomphant. Un risque qu’a bien identifié David Alphand, élu parisien et vice-président délégué du groupe d’opposition municipale de Rachida Dati. "Ce qui m’inquiète, ce n’est pas l’occupation du territoire par LVMH en soi, mais plutôt qu’il se retrouve à un moment en situation de quasi-monopole de l’espace public, en ayant évincé toute concurrence", confie l’élu.
Un scénario de fiction ? On n’en est parfois pas si loin. Pour s’en convaincre, rendez-vous place Vendôme, où se regroupent autour de sa fameuse colonne (et du ministère de la justice) certaines des enseignes les plus célèbres de la joaillerie et de l’horlogerie, dans un harmonieux style du 18ème siècle. Sur quelques centaines de mètres, LVMH s’y livre à une folle démonstration de force.
En arrivant par le sud, le passant est accueilli à l’entrée de la place par un immense magasin Vuitton, au numéro 2, flanqué par une boutique Guerlain (située rue Saint-Honoré). Faisant l’angle, le somptueux immeuble invite à poursuivre son chemin. Et à passer, dans l’ordre, entre les numéros 6 et 12 de la place, devant Repossi, Dior, Hublot et Chaumet. Au nord, Bulgari borde l’autre entrée de la place, débouchant sur la rue de la Paix, où Tiffany & Co. est logé au 6, et Fred au 14. Aucun autre groupe ne peut s’aligner : sur la place, le groupe Richemont affiche deux enseignes (Cartier et Van Cleef & Arpels), tout comme Kering (Gucci et Boucheron).
Pour Bernard Arnault, nul doute, la place Vendôme est un lieu LVMH. Au point qu’en 2022, il a voulu interdire à ses concurrents d’utiliser son nom même, en rachetant à vil prix (10 000 euros) le nom de Vendôme, sous-préfecture du Loir-et-Cher. L’Institut national de la propriété industrielle y a mis le holà.
Vuitton a néanmoins immortalisé sa domination dans une édition limitée, où son monogramme est juché sur la colonne de bronze de la place. Sur un bijou de sac, une trousse ou un sac à main, petits objets de cuir aux couleurs pop, la boutique Vuitton porte aussi un immense soleil doré, dont les rayons s’étirent tout le long du bâtiment. Un astre triomphant qui rappelle sans trop se cacher la symbolique du Roi-Soleil, et qui a bien existé : le soleil doré a été installé sur la façade pendant plusieurs mois en 2017, à l’occasion de l’inauguration du magasin.
L’année suivante, c’est la figuration d’un arbre surdimensionné qui occupait toute la largeur de l’immeuble. Et début 2023, une myriade de miroirs arrondis avait pris la place, dans un premier hommage à la peintre japonaise Yayoi Kusama, dont la statue géante allait s’installer quelques mois plus tard devant la Samaritaine.
Avec ces installations, "ces machins qui brillent" comme il les décrit, "la boutique Vuitton détruit la cohérence et l’homogénéité de la place", s’étrangle Julien Lacaze, président de l’association Sites & monuments, qui défend le patrimoine partout en France. "Dans plusieurs endroits de Paris, LVMH nuit à l’harmonie générale, dans le but de se singulariser, pour mieux vendre des produits", attaque-t-il. Et ce, alors que le groupe base une bonne partie de son marketing sur les références au bon goût et au luxe ayant traversé les siècles.
Critiques de la commission du Vieux Paris
Cette critique de la geste architecturale de LVMH est aussi celle de la très officielle commission du Vieux Paris (CVP). Ce comité municipal, existant depuis 1897, est composé d’une cinquantaine de personnes (élu·es ou ex-élu·es, architectes et autres expert·es), chargées de conseiller le ou la maire sur ce sujet. Ses avis ne sont que consultatifs.
D’après un de ses membres éminents, "il faut prendre avec beaucoup de prudence l’image revendiquée par LVMH autour de la valorisation du patrimoine". Il estime que commission estime que le groupe montre en fait assez peu d’égards envers l’architecture parisienne, la continuité et la spécificité de son paysage urbain.
En matière d’architecture, le géant du luxe déploie partout dans la ville "une stratégie générale", jugée "très envahissante", résume l’expert de la CVP. Dernier exemple, et non des moindres : la réfection de la façade de son siège, 22 avenue Montaigne. À cette occasion, la commission a obtenu une petite victoire.
Initialement, le groupe voulait imposer sur toute la façade un motif blanc étincelant, répété sur les neuf étages. Officiellement inspiré d’une méthode de tissage japonaise, ce motif ressemblait aussi à celui qui se répète à l’envi sur les produits Vuitton. De quoi susciter une levée de boucliers à la CVP. "Tout cela est exagéré, outrecuidant", regrettait l’un de ses membres. "Ce bâtiment est tout de même situé dans un continuum urbain prestigieux, en plein Paris", martelait un second.
Dans sa résolution finale de mars, la commission a dénoncé la démarche consistant "à apposer un sigle sur l’immeuble et à imposer une marque dans l’espace public", critiquant ouvertement "une conception avant tout publicitaire de l’architecture".
L’opposition a été telle que le groupe a proposé en avril un dessin « plus discret », indique-t-on à la CVP. Lors d’une séance en début d’année, la commission s’était aussi opposée au projet de restructuration du 150 avenue des Champs-Élysées, qui prévoyait notamment la destruction d’un escalier et de décors en marbre. LVMH vient d’indiquer qu’il allait suivre ses préconisations.
Le groupe semble avoir changé de stratégie. Par le passé, il a plusieurs fois fait fi des avis de l’institution. Le résultat est notamment visible au 261 rue Saint-Honoré, pour une de ses principales boutiques Dior, recouverte d’un matériau blanc sur la totalité de la façade. La commission avait regretté une "modification radicale", escamotant les marqueurs "caractéristiques du néoclassicisme de la fin du 18ème siècle".
Même déconvenue autour de l’ex-musée des arts et traditions populaires. "Ce sera du verre très blanc et réfléchissant, et quelque chose sera gravé dedans, des lettres ou des signes, on ne sait pas très bien", s’inquiète un membre de la CVP.
"Rideau de douche" rue de Rivoli
Mais la mère des batailles sur la transformation architecturale, finalement remportée par le groupe après des années, a concerné la Samaritaine. Racheté fin 2000 par LVMH, le grand magasin a rapidement été engagé dans un profond toilettage. Mais à partir de 2005, des associations de sauvegarde du patrimoine ont lancé la bataille, notamment contre la modification de la façade rue de Rivoli, classique bâtiment parisien devant être remplacé par une verrière ondulée transparente, aussitôt surnommée "le rideau de douche" par ses détracteurs.
L’architecte Françoise Fromonot pointe la responsabilité de la mairie de Paris, dont "la hantise, depuis Bertrand Delanoë, est que Paris soit une “ville musée”, ne soit plus à la mode". La ville avait en effet autorisé la transformation rue de Rivoli. En 2012, les divers recours en justice ont bloqué les travaux pour trois ans. Le groupe a perdu le procès en première instance, puis en appel. Avant de l’emporter in extremis devant le Conseil d’État, en juin 2015.
"LVMH a rasé un pâté de maisons quasiment en entier, au cœur de Paris ! Et le Conseil d’État a finalement laissé faire", s’émeut le journaliste Didier Rykner, patron du magazine en ligne La Tribune de l’art. "On s’est attaqués à trop puissant et on s’est cassé les dents", convient Julien Lacaze, dont l’association Sites & monuments a mené l’assaut juridique.
Au cœur du conflit, l’interprétation des règles du plan local d’urbanisme (PLU). "Pour nous, le PLU de Paris était très équilibré, autour d’une idée : ni pastiche ni rupture, explique Julien Lacaze. Quand vous détruisez un bâtiment pour reconstruire, il faut préserver certains éléments de continuité. Cela peut être un matériau ou un gabarit qu’on reprend, une forme générale, une toiture…".
La justice a finalement octroyé une bien plus grande liberté à LVMH. Et la nouvelle Samaritaine a ouvert ses portes en 2021. "Il n’y a plus aucune obligation d’intégration des nouveaux bâtiments dans leur environnement", regrette encore aujourd’hui Julien Lacaze. De ce point de vue, considère-t-il, "LVMH a fait beaucoup de mal à tout Paris".
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3- ➤ LVMH à Paris : cartographie d’un empire
Entre les boutiques, les musées, les hôtels et les bureaux, le géant du luxe étend son emprise dans toute la capitale, notamment dans les secteurs les plus prestigieux. En tout 206 adresses, et des quartiers très largement occupés par le groupe.
Par Donatien Huet & Khedidja Zerouali, le 28 mai 2024
BernardBernard Arnault est connu comme un magnat du luxe ; il pourrait l’être tout autant pour son appétit dévorant en termes d’immobilier. Si cela est vrai en Europe, aux États-Unis ou encore en Asie, le patron a une préférence pour les beaux bâtiments de Paris. Qu’il loue ou qu’il achète, le groupe LVMH joue au Monopoly dans les rues de la capitale et ne cesse de s’accroître, écrasant ses concurrents – et l’architecture parisienne – au passage.
Afin de se rendre compte de l’implantation réelle du groupe dans la capitale, il fallait la quantifier, puis la cartographier. C’est chose faite. Dans la lignée d’une précédente tentative de Politis, Mediapart a répertorié les implantations de LVMH ou de ses 75 marques dans la ville. Ces 244 implantations, qu’il s’agisse d’achats ou de locations, d’occupation d’un seul étage ou de tout un immeuble, se répartissent sur 206 adresses. Plusieurs sièges sociaux sont en effet situés à la même adresse, et il arrive régulièrement qu’une boutique soit installée au rez-de-chaussée et que des bureaux du groupe soient présents juste au-dessus.
Avenue LVMH
Il y a ce qui se voit : les boutiques, les restaurants, les hôtels, les espaces d’exposition... Dans les quartiers chics de Paris, sur les Champs-Élysées ou près de la place Vendôme, les magasins du groupe occupent un espace considérable.
Les 107 lieux ouverts au public de LVMH à Paris
Zoomez, survolez ou tapotez les points pour en savoir plus dans l’article original.
Sur la seule avenue des Champs-Élysées sont installées neuf boutiques, auxquelles il faut ajouter la nouvelle acquisition du groupe, au numéro 150, tout près de l’Arc de Triomphe, mais aussi le chantier de la boutique Bulgari au 136 et celui du futur immense vaisseau amiral de Louis Vuitton, du 103 au 111. Le groupe a prévu d’y installer boutiques, restaurant, espaces privatifs et même le tout premier hôtel de la marque.
Ce projet de diversification ressemble à s’y méprendre à celui opéré pour la boutique parisienne principale de Christian Dior au 30 avenue Montaigne. Sur cette avenue emblématique du luxe, la marque a pris une place nouvelle en mars 2022, quand elle a rouvert sa boutique avec quelques nouveautés : un café, une suite hôtelière et même un espace d’exposition de plus de 2 000 mètres carrés tout à sa gloire.
Une manière d’étendre toujours plus l’emprise du groupe sur celle que d’aucuns surnomment "l’avenue LVMH". Le groupe y est présent à plus de quinze adresses, entre bureaux, boutiques spacieuses et son immense siège social.
Bien que les boutiques Sephora soient aussi présentes dans ces quartiers huppés, Mediapart a choisi de les distinguer, sur la carte, des autres "maisons" du groupe, qui ne visent pas le grand public. Cela a un impact direct sur la localisation des enseignes : quand Sephora est présent un peu partout à Paris, les boutiques Dior, Vuitton ou Hublot ne se concentrent que dans les arrondissements les plus chics de la capitale.
Triangle d’or
Et puis il y a tout ce qui ne se voit pas : les sièges sociaux, les bureaux discrets, les immeubles entiers réservés au groupe. S’il y a du prestige à être très visible dans les quartiers chics, l’opulence se vit aussi de manière moins visible. Christian Dior Couture dispose de bureaux dans plus d’une trentaine d’adresses à Paris, et elles sont toutes situées au niveau du très cossu "triangle d’or", non loin des Champs-Élysées.
Les 137 sièges sociaux et bureaux de LVMH à Paris
Zoomez, survolez ou tapotez les points pour en savoir plus. En jaune, le "triangle d’or", zone située entre les avenues des Champs-Élysées, Montaigne et George V, dans le 8ème arrondissement.
Évidemment, le groupe ne communique pas de manière transparente sur l’intégralité de ses adresses. Mediapart a donc épluché les données publiques en croisant plusieurs sources ouvertes (les sites Pappers ou Societe.com, l’annuaire des entreprises tenu par l’État, etc.), puisque toutes les entreprises ont pour obligation de publier leurs adresses, de leur siège social à leurs bureaux en passant par celles de leurs boutiques.
Ce travail de recensement des adresses publiques du groupe a été réalisé en février et mars 2024. Les données qui en sont issues sont fatalement périssables, risquant de perdre de leur pertinence au gré des transactions immobilières du groupe.
Plus de 206 adresses
Bien qu’important, le chiffre de 206 adresses auquel Mediapart a abouti est loin de dire toute la réalité de l’implantation de LVMH dans la ville. D’abord, les lots immobiliers s’étendant sur plusieurs adresses n’ont été comptabilisés qu’une fois. C’est par exemple le cas du futur magasin géant de Louis Vuitton qui s’étalera du 103 au 111 de l’avenue des Champs-Élysées. La même logique a été appliquée à plusieurs autres lots, comme l’immeuble du 24 au 32 de la rue Jean-Goujon (8ème arrondissement), où sont présents nombre de bureaux et de sièges sociaux du groupe.
Plus de la moitié des implantations du groupe LVMH à Paris sont situées dans le très chic 8e arrondissement
Notre recensement ne prend pas en compte les adresses que le groupe possède mais qu’il loue à d’autres, auxquelles Mediapart n’a pas eu accès. Parmi elles, certaines sont pour le moins prestigieuses, comme le 7 rue de la Paix dans le 2ème arrondissement , entre la colonne de la place Vendôme et l’opéra Garnier. L’immeuble comporte plus de 3 100 m2 de bureaux à destination locative et accueille l’horloger Piaget, qui appartient au groupe de luxe suisse Richemont.
Selon le site spécialisé CFNewsImmo, cet immeuble a été vendu au groupe – dans un lot de trois immeubles – par les héritières du milliardaire Claude Dray pour un total de 900 millions d’euros. Ce lot comprenait aussi le 12 place des États-Unis (16ème arrondissement) mais surtout le fameux 22 avenue Montaigne, siège de LVMH dont la superficie est de plus de 18 700 m2, qui ne lui appartenait jusque-là qu’à hauteur de 40 %.
Enfin, puisque Mediapart s’est concentré sur le groupe LVMH et non sur la famille Arnault (bien que les deux entités se confondent régulièrement), le choix a été fait de ne pas faire figurer dans nos enquêtes les possessions privées du clan. Le sujet ne manque pourtant pas d’intérêt.
En 2005, Bernard Arnault s’est ainsi offert l’hôtel particulier de feu Jean-Luc Lagardère, rue Barbet-de-Jouy, dans le VIIe arrondissement. D’après Le Nouvel Obs, il s’était alors acquitté de 25 millions d’euros pour s’installer dans ce confortable 2 000 m2... avant d’acheter l’hôtel particulier voisin : en 2019, l’homme le plus riche du monde a acquis selon Challenges la demeure du couturier Emanuel Ungaro, quelques mois avant sa mort, pour la somme de 55 millions d’euros.
En 2023, le milliardaire a obtenu l’autorisation de la mairie de Paris pour retaper la façade et l’intérieur de son nouveau logis, haut de trois étages et comptant vingt pièces. Une autre manière de redessiner la ville.
Les 244 implantations de LVMH à Paris (Faire défiler les pages dans l’article original)
📰 https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/280524/lvmh-paris-cartographie-d-un-empire
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4- ➤ LVMH, nouveau maître de Saint-Germain-des-Prés
Dans l’ancien quartier littéraire parisien, la boutique Louis Vuitton, installée en lieu et place de la mythique librairie La Hune, s’impose comme le symbole et le moteur d’une surgentrification qui transforme les alentours en un immense centre commercial d’aéroport.
Par Romaric Godin, le 31 mai 2024
SiSi l’emprise sur l’espace est bien le signe d’une domination, alors il ne fait aucun doute que LVMH règne en maître sur Saint-Germain-des-Prés. Avec sa boutique Louis Vuitton, le groupe de Bernard Arnault occupe depuis 2011 le cœur stratégique et symbolique de ce quartier du 4ème arrondissement de Paris, qui était depuis l’après-guerre le symbole de l’intelligentsia parisienne.
La position géographique des deux entrées de la boutique parle d’elle-même. La première, sur le boulevard Saint-Germain, se situe entre les deux grandes institutions du quartier, le Café de Flore et celui des Deux Magots, face à la brasserie Lipp. La seconde, encadrée par une façade monumentale, toise la vénérable église du quartier au clocher millénaire, juste en face. Le passant comprend vite que le pouvoir divin a laissé place à celui de la chaussure et du sac hors de prix.
L’emplacement est d’autant plus symbolique qu’il est celui de l’ancien centre culturel du quartier. En ces lieux proposant aujourd’hui des produits d’un goût discutable s’était installée en 1949 la librairie La Hune qui, bientôt, allait devenir le lieu de rendez-vous de toutes les figures intellectuelles et artistiques de l’après-guerre. Cette librairie donnait le ton. Sur la table qui accueillait ses clients devant l’entrée trônaient les nouveautés en sciences humaines, tandis qu’à l’étage on tenait des expositions.
LVMH a visé cet emplacement, conformément à sa stratégie d’occuper le centre des quartiers et des secteurs qu’il investit. Et comme toujours, cela s’est fait avec les méthodes particulières du groupe. Dans un premier temps, en 2011, le groupe de luxe "échange" l’emplacement de la boutique Dior, au coin de la rue Bonaparte et de la rue de l’Abbaye, avec celle de La Hune.
Quelque temps plus tard, LVMH achète 10 % de la propriétaire de La Hune, la holding de la famille Gallimard, Madrigall. Cette même holding, en 2015, décide de fermer la librairie en cédant son nouvel emplacement et son nom à l’enseigne YellowKorner, une chaîne de vente en masse d’illustrations standardisés.
Un "duty free" à ciel ouvert
Comme partout où il passe, le groupe de luxe a donc mis à bas (sans y mettre directement la main, ce qui est aussi une spécialité de la maison) ce symbole germanopratin. Aujourd’hui, l’ex-quartier des intellectuels ressemble à une sorte d’immense centre commercial d’aéroport international, comme le fait remarquer Éric Hazan dans Paris sous tension (La Fabrique, 2011). [ndr : Éric Hazan vient de décéder ce 6 juin la mort, à l’âge de 87 ans]
Tout y est. D’abord, une très forte densité commerciale sur le boulevard comme dans les rues alentour, avec la présence de toutes les marques haut de gamme et de luxe que l’on trouve un peu partout dans le monde et où trônent évidemment en majesté les marques de LVMH.
Dans ce petit Dubaï qu’est devenu Saint-Germain-des-Prés, le passé du quartier n’est qu’un prétexte de plus à vendre trop cher produits, repas et boissons.
Ensuite, une offre de restauration très dense et qui fonctionne moins sur la qualité des mets que sur les emplacements et l’image des enseignes. Enfin, une population quasi exclusive de touristes internationaux qui viennent dépenser des sommes folles dans cette offre commerciale qui les cible tout particulièrement.
Dans ce petit Dubaï qu’est devenu Saint-Germain-des-Prés, le passé du quartier n’est qu’un prétexte de plus à vendre trop cher produits, repas et boissons. Dans la vitrine des Deux Magots où les touristes étrangers font la queue, guide sous le bras, on place encore quelques rangées de livres poussiéreux sous la véranda, vestiges dérisoires d’un monde disparu.
Au temps où La Hune occupait les lieux, le quartier grouillait de librairies de toutes tailles et d’éditeurs plus ou moins prestigieux. Une seule librairie reste en place dans le quartier, L’Écume des pages, rachetée à l’été 2023 par Vincent Bolloré. Malgré la charte dont s’est fendu le milliardaire, certains mauvais esprits pensent que les jours de cette dernière relique sont comptés.
Le triomphe du portefeuille
Au reste, nul ne s’en émouvrait plus. En 1995, l’annonce de la vente du Drugstore Saint-Germain à Emporio Armani, à l’angle de la rue de Rennes et du boulevard Saint-Germain, avait suscité une levée de boucliers des tenants de la "tradition littéraire" du quartier, comme l’écrivait alors Le Monde.
![](https://substackcdn.com/image/fetch/w_1456,c_limit,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep/https%3A%2F%2Fsubstack-post-media.s3.amazonaws.com%2Fpublic%2Fimages%2F9f4acc9d-56e2-46e0-b4b8-67b7a4c0cf4a_1200x800.jpeg)
À l’époque, l’association des amis des commerçants du quartier, présidée par une figure du Saint-Germain des années 1950, la chanteuse Juliette Gréco, proteste contre la "dérive mercantile" du quartier. Il y a quelques manifestations et on se bat sur le permis de construire. Il faut attendre début 1998 pour qu’Emporio Armani ouvre ses portes.
En 2011, le rachat de La Hune avait encore suscité quelques timides pétitions. Mais la liquidation de la librairie en 2015 s’est faite dans l’indifférence. Et on peinerait désormais à trouver un commerçant du quartier pour s’inquiéter de la "dérive mercantile" du quartier. La raison du chiffre d’affaires l’a emporté.
Un "partenariat entre Louis Vuitton et Gallimard" offre "un service d’exception inédit entre luxe et culture", permettant de construire une bibliothèque dans une malle de la marque.
Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le site du Comité de Saint-Germain-des-Prés, une "association regroupant aussi bien des commerçants que des riverains et qui a pour objectif la sauvegarde des traditions culturelles qui font le prestige de Saint-Germain-des-Prés". Le fondateur, le propriétaire des Deux Magots Jacques Mathivat, y explique que l’association est née en 2002 "à l’initiative de plusieurs enseignes installées dans le quartier depuis près d’un siècle qui s’inquiétaient de son évolution et du bruit médiatique, souvent discordant, fait autour de cette évolution".
Un propos pas forcément limpide, mais clarifié par une petite promenade sur la partie du site consacrée à Louis Vuitton. L’enseigne est bien sûr membre dudit comité et vante l’existence d’un "cabinet d’écriture" dans sa boutique, "un espace, assure-t-on, fidèle à l’âme germanopratine et à cet esprit si singulier des échanges passionnés qui enflammaient les cafés aux alentours". Pourtant, une visite dans la boutique éthérée remplie de produits de la marque de luxe ne donne guère ce sentiment.
Le site vante aussi le "partenariat entre Louis Vuitton et Gallimard" (dont on a vu la réalité plus avant), offrant aux riches clients "un service d’exception inédit entre luxe et culture", leur permettant de construire leur bibliothèque dans une malle de la marque de luxe. "Autant d’ouvrages remarquables que vous pourrez protéger et transporter élégamment", conclut le texte, hébergé, rappelons-le, sur un site censé sauvegarder les "traditions culturelles" du lieu.
L’ex-voie de la perdition
L’évolution du quartier n’est guère un mystère, elle se retrouve dans d’autres quartiers parisiens. En 2016 dans son livre Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale (éd. La Découverte), la géographe Anne Clerval expliquait le processus de gentrification des quartiers de ce type en trois phases. D’abord, l’habitat dégradé attire artistes, étudiants, marginaux. Saint-Germain, quoique proche des beaux quartiers du faubourg Saint-Germain est, dans les années 1940 et 1950, "un de ses espaces en marge qui sont aussi le lieu de prédilection de la contre-culture", comme le dit Anne Clerval.
Les zones entre la Seine et le boulevard et ceux au sud de ce dernier sont alors largement insalubres, mais la proximité du Quartier latin et de Montparnasse en fait un lieu de rencontre idéal. Derrière la figure très installée et un peu académique de Jean-Paul Sartre, toujours convoquée, le Saint-Germain de l’époque est un endroit grouillant et parfois dangereux, remplis de bouges qui ne fermaient jamais.
Dans son autobiographie Panégyrique, paru en 1991, Guy Debord se souvient de ce "quartier de perdition" au début des années 1950 où l’on trouvait "en permanence des gens qui ne pouvaient être définis que négativement pour la bonne raison qu’ils ne faisaient aucun métier, ne s’occupaient à aucune étude et ne pratiquaient aucun art".
Puis vient la deuxième phase, où la contre-culture laisse place aux "lieux branchés" qui attirent de nouvelles populations, plus aisées et plus nombreuses. Les commerçants alors s’empressent de profiter de cette nouvelle fréquentation.
Déjà, l’arrivée du Drugstore en 1965 semblait marquer une évolution notable dans le quartier. Les marginaux décrits par Debord laissaient alors place aux jeunes consommateurs cherchant les nouveautés venues des États-Unis. La population dominante devient celle des cadres du secteur public, professeurs d’université ou professions scientifiques. Le bâti est réhabilité. La gentrification commence.
Vient enfin la troisième phase, celle où le passé canaille n’est plus qu’un prétexte pour le développement du tourisme de masse et la consommation de luxe. Les prix explosent et deviennent même intenables pour les cadres du secteur public. Les librairies n’ont plus de fonction commerciale concrète, elles sont donc repoussées dans une malle Vuitton. Anne Clerval décrit ce phénomène comme une "surgentrification". En cela, Saint-Germain-des-Prés est la pointe avancée d’une évolution de Paris où LVMH a très fortement pris sa part.
Dior dans une ancienne librairie consacrée à la psychanalyse
Cette dernière phase a commencé dans les années 1990 à Saint-Germain. L’affaire Emporio Armani n’était que la partie immergée de l’iceberg. Les enseignes de luxe se font concurrence pour s’installer dans le quartier, et LVMH est déjà au cœur du processus. Dès 1995, le groupe acquiert les locaux de la librairie Le Divan, spécialisée dans les ouvrages de psychanalyse, pour y installer un magasin Dior. C’est ce lieu même qui sera ensuite échangé contre La Hune en 2011.
LVMH est-il un simple symptôme de l’évolution du quartier, ou un moteur de cette surgentrification ? Un peu des deux sans doute. La présence centrale du groupe dans le quartier détermine sa transformation en centre d’attraction pour touristes étrangers, éblouis par une image d’Épinal de Paris sur laquelle LVMH joue en permanence.
Non seulement la boutique Louis Vuitton donne le ton et impose à toutes les marques de luxe d’avoir une adresse sur place, mais elle attire aussi les enseignes moins onéreuses, proposant des produits plus abordables pour ceux qui ne pourraient que soupirer devant les malles-bibliothèques, robes, chaussures et sacs de luxe.
LVMH joue un rôle actif dans ce phénomène en ouvrant des boutiques, comme celle de Celine, rue de Grenelle, mais aussi des bars. En août 2023, le groupe de luxe a ouvert, à l’angle du boulevard et de la rue du Dragon, un bar à cocktails qui est une concentration chimiquement pure de ce qu’est devenu le quartier.
Cet établissement, qui propose à sa carte des "concombres en salade" à 7 euros et une "purée de pommes de terre caviar" à 45 euros pour accompagner des cocktails compris entre 15 et 45 euros, propose comme il se doit une librairie au quatrième étage, spécialisée dans l’architecture, où l’on ne trouve rien à moins de 50 euros. Le fameux esprit du quartier est sauvegardé.
Ce bar s’appelle Cravan. Une référence assumée à Arthur Cravan, neveu par alliance d’Oscar Wilde, boxeur, aventurier et précurseur des dadaïstes et des surréalistes. On s’amuse à imaginer ce que cet homme, disparu mystérieusement au Mexique en 1918 et ennemi de tous les pouvoirs, penserait du fait d’offrir son nom à un bar pour gens distingués détenu par l’un des hommes les plus riches du monde.
Dans une de ses nombreuses saillies, Arthur Cravan proclamait que "l’art est bourgeois". Précisant : "Et j’entends par bourgeois un homme sans imagination". Une phrase qui semble écrite pour résumer le nouveau Saint-Germain-des-Prés. En s’y installant en majesté, LVMH a peut-être involontairement vu juste.
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5- ➤ Faveurs, pressions, mélange des genres… LVMH est comme chez lui à la mairie de Paris
Anne Hidalgo est très attentive aux desiderata de Bernard Arnault. La ville de Paris promet qu’"il n’y a jamais eu de tête-à-tête" entre eux, ce que met en doute un document consulté par Mediapart. Marc-Antoine Jamet, secrétaire général de l’entreprise, est quoi qu’il en soit omniprésent dans les couloirs de la municipalité.
Par Dan Israel, Martine Orange & Khedidja Zerouali, le 3 juin 2024
Pour Le Parisien, mardi 28 mai, une seule question vaut la peine d’être posée en majesté à la une, puis d’être développée sur les trois premières pages, édito et dessin de presse compris. "Champs-Élysées, comment redevenir la plus belle avenue du monde ?", s’interroge le troisième quotidien papier le plus vendu de France. La réponse lui a été fournie par une étude présentée la veille par le Comité Champs-Élysées, puissante association des commerçant·es de l’artère la plus connue de la capitale.
Pour "faire revenir les Parisiens sur la plus belle avenue du monde" et la "réenchanter", il faut engager d’ici à 2030 un plan massif de modernisation, selon les suggestions de l’"étude à 5 millions d’euros", réalisée "par 183 experts". "C’est une étude à 360 degrés qui embrasse un nombre de sujets importants", salue dans l’article Marc-Antoine Jamet, président du Comité Champs-Élysées.
"Reste à savoir comment la ville de Paris s’emparera de ces propositions", qui pourraient coûter jusqu’à 250 millions d’euros, souligne le journal. Il donne la parole au premier adjoint Emmanuel Grégoire, qui dit partager "les grandes lignes" de ces propositions. Sur le réseau social X, l’élu remercie Marc-Antoine Jamet, non sans rappeler la "priorité" de la mairie : "Adapter cette avenue au changement climatique, tout en préservant sa dimension populaire".
Le quotidien a aussi publié le lendemain un "grand format" web reprenant ses articles. Toute cette séquence mérite quelques sous-titres, que Le Parisien a omis. Ils disent pourtant beaucoup de la puissance de LVMH, multinationale du luxe détenue par Bernard Arnault, et de sa manière de s’immiscer dans la sphère politique parisienne pour peser sur ses décisions. Avec l’assentiment, contraint ou non, des élu·es.
Car depuis 2015, Le Parisien appartient au groupe de Bernard Arnault. Tout comme neuf boutiques en activité sur les Champs-Élysées, auxquelles il faut ajouter un immeuble à la destination non encore précisée, et deux chantiers en cours, dont celui qui accouchera du plus grand magasin Louis Vuitton du monde. Quant à Marc-Antoine Jamet, il est avant tout le secrétaire général et le directeur immobilier du groupe de luxe aux soixante-quinze marques. L’homme de confiance de Bernard Arnault dans la capitale.
La présentation de l’étude par Le Parisien peut donc se lire comme un formidable coup de pression pour que la mairie avalise – et finance en partie – les plans du Comité Champs-Élysées, dont LVMH est le pilier. La réponse d’Emmanuel Grégoire est, elle, une subtile tentative de rappel : la mairie ne souhaite pas que le luxe dévore seul les Champs. La municipalité précise d’ailleurs à Mediapart que l’étude du comité a "été coconstruite par plus de deux cents acteurs culturels, économiques et politiques de l’avenue et concertée avec près de 100 000 citoyens".
Préparation d’un déjeuner avec Bernard Arnault
La partie d’échecs est lancée. Et l’utilisation du Parisien par LVMH n’est pas anodine : aux dires de celles et ceux qui ont travaillé auprès d’elle, la maire de Paris est très sensible à la manière dont le quotidien décrit son action. Avec ses pages locales, le journal est le seul média d’envergure qui suit de près la municipalité. "Ces pages sont souvent tenues par des journalistes plutôt critiques, et Anne Hidalgo y fait très attention", rapporte un ex-collaborateur de premier plan. Pour lui, "il est certain qu’elle en discute directement avec Bernard Arnault lui-même".
Parmi celles et ceux qui l’ont servie de près, nul n’ignore que la maire a déjà demandé à parler en direct avec le PDG de LVMH, l’homme le plus riche du monde, quand la une du Parisien lui déplaisait trop. Selon plusieurs ancien·nes membres de son cabinet, la maire entretient une relation directe avec le grand patron.
"L’empire du luxe, la première fortune mondiale, l’homme qui collectionne des trésors de l’art moderne et contemporain… Elle juge tout cela important, décrit un ancien proche. Il y a peut-être une part de fascination, qui pourrait apparaître comme une forme de candeur, mais aussi des intérêts bien compris : je te rends service, tu me rends service."
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Entre les deux, pas de rendez-vous officiels, mais des rencontres se nichant dans les interstices de leurs agendas chargés. Se croiser à une cérémonie officielle, en marge d’un défilé maison ou après la visite privée d’une exposition ou un concert à la fondation Louis-Vuitton fait parfaitement l’affaire.
"La maire de Paris a déjà rencontré des patrons de grands groupes dans le cadre de son mandat, dont Bernard Arnault", dit la municipalité. Mais, jure-t-elle, "il n’y a jamais eu de tête-à-tête" avec ce dernier. Une affirmation dont doutent ouvertement d’ex-collaborateurs. Et qui est remise en question par un document consulté par Mediapart : une note interne du cabinet d’Anne Hidalgo, annotée de sa main, montre en effet qu’un déjeuner avec le patron de LVMH a été activement préparé en mai 2016, deux ans après l’élection d’Anne Hidalgo.
Relancée à ce sujet, la mairie n’a plus donné suite. Interrogé sur de multiples points de la conduite de ses affaires à Paris, LVMH n’a répondu à aucune de nos questions, pas plus que Marc-Antoine Jamet.
Négociations épineuses
En ce mois de mai 2016, la maire et le PDG avaient plusieurs sujets à aborder, à en croire le document. Par exemple, la demande du groupe de luxe d’installer une bâche publicitaire sur la Samaritaine, alors en pleins travaux. Neuf ans avant la malle Louis Vuitton XXL des Champs-Élysées, la demande paraît bien modeste. Mais la note indique que la "DU", la direction de l’urbanisme, "est très réservée". Annotation d’Anne Hidalgo : "Ne soyons pas aussi fermés !!! La DU prend des positions trop raides sur ces sujets."
Le document signale par ailleurs qu’une autorisation d’installation de terrasse va être accordée à la "Maison Guerlain", sur les Champs-Élysées, "au prix d’une interprétation “constructive” du RET [règlement des étalages et des terrasses – ndlr] et au regard du faible risque contentieux".
La note montre que la mairie paraît toutefois savoir résister à certaines demandes de LVMH. Elle n’a ainsi pas soutenu le groupe dans son désir d’acquérir, pour au moins 100 millions d’euros, l’hôtel de l’Artillerie dans le 7ème arrondissement, qui est finalement revenu à Sciences Po Paris.
Les négociations autour du renouvellement de la concession du Jardin d’acclimatation, le parc d’attraction du bois de Boulogne jouxtant la Fondation Louis-Vuitton, aux mains de LVMH depuis 1984, ont également été épineuses. LVMH souhaitait se voir confier les manettes pour trente ans, alors que la mairie refusait d’aller au-delà de vingt-quatre ans. Finalement, la concession a été renouvelée pour vingt-cinq ans en septembre 2016. Mais la ville a obtenu les 2 millions d’euros annuels de redevance qu’elle espérait.
Discussion tout aussi rugueuse autour du musée national des Arts et traditions populaires, autre voisin de la fondation. Truffé d’amiante, désaffecté depuis 2005, le bâtiment a été confié en 2017 à LVMH, qui en fera un centre culturel à la gloire de l’artisanat du luxe. Le groupe voulait obtenir une concession de soixante-dix ans et payer une redevance basée sur le bénéfice affiché du lieu (une donnée comptable relativement aisée à manipuler). Après des mois d’allers-retours, la mairie lui a imposé cinquante ans d’occupation "seulement", et une redevance proportionnelle au chiffre d’affaires.
PS et UMP unis pour sauver la Fondation Louis-Vuitton
Mais est-il seulement possible de résister sérieusement à Bernard Arnault ? L’influence et la fascination qu’il exerce sur la classe politique n’est plus à démontrer. Témoin du mariage de Nicolas Sarkozy en 1996, décoré de la grand-croix de la Légion d’honneur par Emmanuel Macron le 13 mars dernier, tous les honneurs sont conférés à l’homme le plus riche du monde (selon le magazine américain Forbes).
L’État va jusqu’à mettre à disposition ses moyens pour l’aider dans ses affaires, comme lorsqu’il a voulu renégocier le prix d’achat de Tiffany & Co., en 2020. Et aucune autre entreprise que la sienne n’aurait été capable de convoquer le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, pour participer à un supplément publicitaire du Figaro et y chanter ses louanges, en juillet 2023.
La première manifestation de cette force de frappe dans la capitale a débouché sur l’édification de la Fondation Louis-Vuitton, ce musée privé cher au cœur de Bernard Arnault. Pour son inauguration en 2014, le président François Hollande s’était fait lyrique, saluant "un morceau d’humanité, qui montre à tous que le rêve peut, à force de génie et de volonté, devenir réalité".
La soirée du 15 février 2011 à l’Assemblée nationale avait été plus prosaïque. Trois semaines plus tôt, le tribunal administratif avait fait annuler le permis de construire de cet emblème situé sur un site classé, et donc inconstructible en théorie. Il a fallu les efforts conjoints des groupe PS et UMP pour faire passer, au beau milieu d’une discussion sur le prix des livres numériques, un amendement accordant le statut d’utilité publique au projet. Permettant de passer outre la décision de justice.
Cette puissance occasionne mille spéculations. Notamment autour du défilé Louis Vuitton sur le Pont-Neuf du 20 juin 2023, autorisé alors que les services de la ville avaient rendu un avis négatif et que la préfecture de police s’y était opposée par le passé.
Dans les coulisses de la Fédération de la haute couture et de la mode, qui organise traditionnellement les défilés de la fashion week, la rumeur bruisse : Emmanuel Macron aurait imposé ce défilé au préfet de police Laurent Nuñez, après avoir été alerté par un représentant de LVMH – le nom du chanteur Pharrell Williams, directeur artistique de Vuitton, circule. Interrogé par Mediapart, l’Élysée n’a pas commenté.
Le sujet est toujours sensible, comme l’a montré le conseil de Paris, le 22 mai. Les Écologistes proposaient aux élu·es de voter un "vœu" pour exiger la consultation des maires d’arrondissement et des adjoint·es de la ville lors de demandes d’occupation de l’espace public concernant de "gros événements commerciaux de multinationales qui privatisent un quartier pendant plusieurs jours".
L’exemple du Pont-Neuf était cité explicitement. Réponse d’Emmanuel Grégoire ? "Je veux bien faire retenir à tout le monde qu’il s’agit d’un vœu explicitement écrit contre le groupe LVMH et que c’est à l’aune de ce critère que le vote de chacun sera interprété". Vœu rejeté.
Les multiples casquettes de Marc-Antoine Jamet
Bien sûr, Bernard Arnault ne passe pas son temps à scruter les choix des élu·es de Paris, ou à hanter les couloirs de la mairie. Pour cela, il y a le secrétaire général du groupe. Il est peu connu du grand public, aux yeux duquel c’est Christophe Girard qui, pendant des années, a semblé porter les vues du groupe dans l’équipe municipale.
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"Directeur de la stratégie mode" de LVMH entre 1999 et 2005, Girard était en effet l’adjoint à la culture de Bertrand Delanoë de 2001 à 2012, puis maire du 4ème arrondissement, avant d’être rappelé dans l’exécutif parisien par Anne Hidalgo en 2017. Il a finalement été mis sur la touche en 2020, à la suite des révélations sur sa proximité avec l’écrivain Gabriel Matzneff, accusé de pédocriminalité.
Mais il pesait en fait peu dans les décisions municipales sur LVMH. Il en va bien autrement de Marc-Antoine Jamet, décrit par un élu de la ville comme "un animal politique à l’ancienne, qui verse dans le mélange des genres sans se poser de questions".
Car le secrétaire général de LVMH est aussi un responsable socialiste de haut rang. Proche de Laurent Fabius, il l’a suivi de la fin des années 1980 au début des années 2000, de la présidence de l’Assemblée nationale au ministère de l’économie. En 1994, il est même devenu trésorier national du PS et membre de son conseil national, alors que Fabius en était le premier secrétaire.
C’est avec le soutien de son grand homme que Marc-Antoine Jamet devient en 2001 maire de Val-de-Reuil (Eure). Une fonction qu’il occupe toujours. Il a aussi été élu conseiller régional de Haute-Normandie en 2004 et a été premier secrétaire de la fédération socialiste locale de 2012 à 2017.
Ce ne peut être qu’une coïncidence. Oublieux de ses préventions maintes fois répétées contre les "socialo-communistes", c’est cet homme de l’appareil socialiste que Bernard Arnault choisit de faire entrer dans son groupe le 14 mars 2001. Quatre jours plus tard, Bertrand Delanoë était élu maire de Paris, mettant un terme à trente ans de pouvoir chiraquien dans la capitale. Le secrétaire général précédent était Pierre-Mathieu Duhamel, ancien directeur de cabinet adjoint de Jacques Chirac à la mairie de Paris.
À peine nommé, Marc-Antoine Jamet additionne les mandats et les postes d’influence. PDG du Jardin d’acclimatation, fondé de pouvoir de la Fondation Louis-Vuitton, administrateur des parfums Christian Dior, mais aussi administrateur de la société de la Tour Eiffel ou vice-président de la Fédération des industries de la parfumerie.
La place de la Concorde dans le viseur
"Marc-Antoine Jamet aime cultiver ce paradoxe d’être à la fois chez LVMH et de gauche. Il ne trouve son équilibre qu’en ayant ces deux jambes", juge avec bienveillance Philippe Brun, député socialiste de l’Eure. À Paris, l’homme sait manœuvrer. "Il est difficile de lui fermer la porte. Mon impression est que sur les dossiers qui intéressent le groupe, les enjeux n’appartiennent plus seulement à la mairie", rapporte un élu.
Régulièrement, Marc-Antoine Jamet s’invite à des réunions avec la garde rapprochée d’Anne Hidalgo, "pour faire le tour des sujets importants ou inquiétants pour LVMH", comme le décrit un familier de ces scènes. Récemment, il a pesé de tout son poids pour s’assurer que, malgré la mise en place à l’automne de la "zone à trafic limité", interdisant les trajets de transit dans le centre de Paris, les cars de touristes auront toujours le droit de se garer au parking "Louvre Samaritaine", à trois minutes à pied du grand magasin appartenant au groupe.
Le 6 décembre 2023, il était devant la commission départementale d’aménagement commercial de Paris, où les entreprises installant plus de 1 000 m2 de commerce doivent présenter leur projet. Il intervenait avec sa casquette LVMH, pour discuter des vastes locaux du 144-150 avenue des Champs-Élysées, acquis quelques jours plus tôt pour presque un milliard d’euros.
Il avait auparavant laissé la parole au délégué général du Comité Champs-Élysées, Timour Veyri. "Un numéro de claquettes extrêmement gênant", juge un participant. Car Timour Veyri, précédemment directeur de cabinet d’un adjoint à la mairie de Paris, a surtout été, dix ans durant, le chef de cabinet de Marc-Antoine Jamet à la mairie de Val-de-Reuil.
Récemment, l’émissaire de Bernard Arnault dans la capitale s’est trouvé un nouveau rôle. Il participe au comité de réflexion sur la rénovation de la place de la Concorde, dans le collège des "grands voisins du secteur", au même titre que le directeur du musée du Jeu de paume ou que l’ambassadrice des États-Unis.
La célèbre place à l’obélisque est le point d’arrivée de l’avenue des Champs-Élysées, et le patron du lobbying LVMH ne pouvait pas rater l’occasion. L’étude présentée par Le Parisien le 28 mai incluait d’ailleurs une belle "vue d’artiste" de la place telle que la rêve le Comité Champs-Élysées, presque entièrement piétonne. Présentée deux jours avant la fin de l’enquête publique sur l’avenir de la place, la transformation est bien plus ambitieuse que celle que la mairie projetait jusque-là.
"Ces dernières années, il y avait un consensus des grandes maisons de mode pour éviter d’attirer trop l’attention, à un moment où la société française est fracturée, raconte un bon connaisseur du milieu. Les méthodes très visibles de LVMH inquiètent désormais ses concurrents". Signalant la manifestation organisée à Barcelone contre la privatisation du célèbre parc Güell par Louis Vuitton pour un défilé le 23 mai, ce confident de la profession anticipe : "Si Bernard Arnault continue, cela risque de finir de la même manière à Paris".
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