❖ Le discours géopolitique le plus important de la décennie, prononcé par Viktor Orbán, sans relai médiatique
La raison ? Primo, il a été prononcé par l'ennemi numéro 1 de l'establishment européen. Secundo, c'est sûrement le plus puissant démolissage à ce jour du paradigme géopolitique de l'Occident
Le discours le plus important de la décennie ?
Viktor Orbán explique comment la guerre a révélé la réalité du monde actuel
Par Thomas Fazi, le 31 juillet 2024, Blog personnel
Le week-end dernier a eu lieu ce que l'on peut aisément qualifier de discours géopolitique le plus important de la décennie - même si vous l'avez probablement manqué si vous avez tendance à vous informer auprès des médias mainstream occidentaux. La raison de ce silence médiatique est facile à expliquer : primo, il a été prononcé par Viktor Orbán, l'ennemi numéro un de l'establishment européen ; secundo, le discours lui-même - une analyse de l'état du monde, de l'Occident et de l'Europe en particulier - est probablement le plus puissant démolissage à ce jour du paradigme géopolitique et culturel dominant de l'Occident.
C'est un discours magistral, dans lequel Orbán couvre un large éventail de sujets : la guerre en Ukraine, les relations entre l'Europe et les États-Unis, la fin de l'hégémonie occidentale et la mutation géopolitique mondiale en cours vers le sud et l'est, l'importance de l'État-nation, l'Union européenne (UE) en tant que quintessence de la mutation mondialiste et oligarchique de la politique occidentale, Donald Trump, le rôle de la Hongrie dans tout cela, et bien d'autres choses encore.
Ce discours étant très long, j'ai choisi de sélectionner ce que je considère être ses principaux enseignements (édités pour plus de clarté), en me concentrant sur les questions d'intérêt européen et mondial plutôt que sur celles plus strictement liées à la Hongrie. Il s'agit d'une lecture assez longue, mais qui vaut vraiment la peine d'y consacrer du temps. J'espère que vous le trouverez aussi instructif et rafraîchissant que moi.
Points forts de la conférence donnée par le Premier ministre hongrois Viktor Orbán lors du 33ème camp d'été de l'université libre et des étudiants de Bálványos, plus connu sous le nom de festival de Tusványos
À propos de la mission de paix hongroise et de la politique de guerre de l'UE
[Bruxelles] a condamné les efforts de la mission de paix hongroise. J'ai essayé - sans succès - d'expliquer qu'il existe un devoir chrétien. Cela implique que si vous êtes témoin de quelque chose de mal dans le monde - en particulier de quelque chose de très grave - et que vous disposez d'un quelconque instrument pour y remédier, il est du devoir chrétien d'agir, sans contemplation ni réflexion inutiles. La mission de paix hongroise porte sur ce devoir. Je voudrais rappeler à chacun d'entre nous que l'UE dispose d'un traité fondateur comportant ces mots exacts : "Le but de l'Union est la paix". Pourtant, Bruxelles s'offusque que nous puissions qualifier ce qu'elle fait de politique pro-guerre.
Peut-être Orwell avait-il raison lorsqu'il écrivait "en novlangue", la paix c'est la guerre et la guerre c'est la paix. Malgré toutes les critiques, rappelons-nous que depuis le début de notre mission de paix, les ministres de la guerre américain et russe se sont parlé, les ministres des affaires étrangères suisse et russe se sont entretenus, le président Zelenskyy a finalement appelé le président Trump et le ministre ukrainien des affaires étrangères s'est rendu à Pékin. Le processus de fermentation a donc commencé et nous passons lentement mais sûrement d'une politique européenne pro-guerre à une politique favorable à la paix. C'est inévitable, car le temps joue en faveur de la politique de paix. La réalité s'est imposée aux Ukrainiens, et c'est maintenant aux Européens de revenir à la raison, avant qu'il ne soit trop tard : "Trump ante portas". Si d'ici là l'Europe ne passe pas à une politique de paix, elle devra le faire après la victoire de Trump en s'avouant vaincue, couverte de honte, et devant admettre l'entière responsabilité de sa politique.
Comment la guerre a révélé la réalité du monde actuel
Mais, Mesdames et Messieurs, le sujet de la présentation d'aujourd'hui n'est pas la paix. En fait, pour ceux qui réfléchissent à l'avenir du monde et des Hongrois, il y a trois grandes questions sur la table aujourd'hui. La première est la guerre - ou plus précisément, un effet collatéral inattendu de la guerre. Il s'agit du fait que la guerre révèle la réalité dans laquelle nous vivons. Cette réalité n'était pas apparente et ne pouvait être décrite auparavant, mais la lumière brûlante des missiles tirés dans le cadre de la guerre l'a révélée.
La deuxième grande question qui se pose est de savoir ce qui se passera après la guerre. Un nouveau monde verra-t-il le jour ou l'ancien se poursuivra-t-il ? Et si un nouveau monde vient - et c'est notre troisième grande question - comment la Hongrie doit-elle se préparer à ce nouveau monde ?
Alors, à propos de la réalité révélée par la guerre. Chers amis, la guerre est notre pilule rouge. Pensez aux films Matrix. Le héros se voit confronté à un choix. Il a le choix entre deux pilules : s'il avale la pilule bleue, il peut rester dans le monde des apparences ; s'il avale la rouge, il peut voir la réalité et y entrer. La guerre constitue notre pilule rouge : c'est celle qui nous a été distribuée, c'est celle que nous devons avaler. Et maintenant, armés de nouvelles expériences, nous devons parler de la réalité.
Un cliché veut que la guerre soit la continuation d'une politique par d'autres moyens. Il est important d'ajouter que la guerre est la continuation de la politique sous un angle différent. Ainsi, la guerre, dans son acharnement, nous amène à considérer les choses d'un point de vue nouveau, d'un point de vue élevé. Et de là, elle nous apporte une perspective complètement différente, inconnue jusqu'alors. Nous nous trouvons dans un nouvel environnement et dans un nouveau champ de force restreint. Dans cette réalité pure, les idéologies perdent leur pouvoir, les tours de passe-passe statistiques également, tout comme les distorsions véhiculées par les médias et les dissimulations tactiques des politiciens. Les illusions répandues, voire les théories du complot, n'ont plus de raison d'être. Seule subsiste la réalité, dure et brutale.
Par souci de clarté, j'ai résumé en quelques points tout ce que nous avons vu depuis que nous avons avalé la pilule rouge, c'est-à-dire depuis le début de la guerre en février 2022.
Pourquoi la paix en Ukraine ne peut être apportée que de l'extérieur
Tout d'abord, la guerre a entraîné des pertes brutales - qui se comptent par centaines de milliers de victimes - dans les deux camps. Je les ai rencontrées récemment et je peux dire avec certitude que ces deux camps ne veulent pas s'entendre. Comment cela se fait-il ? Il y a deux raisons. La première est que chacun d'entre eux pense pouvoir gagner et veut se battre jusqu'à la victoire. La seconde est que tous deux sont nourris par leur propre vérité, réelle ou perçue. Les Ukrainiens pensent qu'il s'agit d'une invasion russe, d'une violation du droit international et de la souveraineté territoriale, et qu'ils mènent en réalité une guerre d'autodéfense pour défendre leur indépendance. Les Russes, quant à eux, considèrent que des développements militaires sérieux de l'OTAN ont eu lieu en Ukraine, que l'Ukraine s'est vue promettre l'adhésion à l'OTAN et qu'ils ne veulent pas voir de troupes ou d'armes de l'OTAN à la frontière russo-ukrainienne. Ils affirment donc que la Russie a le droit de se défendre et qu'en réalité, cette guerre a été provoquée. Ainsi, chacun détient une sorte de vérité, perçue ou réelle, et n'abandonnera pas la guerre. C'est une voie qui mène directement à l'escalade ; si elle dépend de ces deux parties, la paix ne pourra être instaurée. La paix ne peut être apportée que de l'extérieur.
Deuxièmement : ces dernières années, nous nous étions habitués à ce que les États-Unis déclarent que leur principal challenger ou adversaire était la Chine ; or, aujourd'hui, nous voyons [les États-Unis] mener une guerre par procuration contre la Russie. Et la Chine est constamment accusée de soutenir secrètement la Russie. Si tel est le cas, nous devons répondre à la question de savoir pourquoi il est judicieux de rassembler deux pays aussi importants dans un camp hostile. Cette question n'a pas encore reçu de réponse significative.
Comprendre l'état d'esprit des Ukrainiens
Troisièmement, la force et la résistance de l'Ukraine ont dépassé toutes les attentes. Après tout, depuis 1991, onze millions de personnes ont quitté le pays, qui était dirigé par des oligarques, où la corruption atteignait des sommets et où l'État avait pratiquement cessé de fonctionner. Et pourtant, nous assistons aujourd'hui à une résistance sans précédent. Malgré les conditions décrites ici, l'Ukraine est en fait un pays fort. La question est de savoir quelle est la source de cette force. Au-delà de son passé militaire et de l'héroïsme personnel de ses habitants, il y a quelque chose qui mérite d'être compris : L'Ukraine a trouvé un but plus élevé, elle a découvert un nouveau sens à son existence. En effet, jusqu'à présent, le pays se considérait comme une zone tampon. Ce rôle est psychologiquement débilitant : il provoque un sentiment d'impuissance, le sentiment que le destin n'est pas entre les mains de l'individu. C'est la conséquence d'une position doublement exposée.
Aujourd'hui, cependant, la perspective d'appartenir à l'Occident se dessine. La nouvelle mission que s'est donnée l'Ukraine est d'être la région frontalière militaire orientale de l'Occident. La signification et l'importance de son existence ont augmenté à ses propres yeux et aux yeux du monde entier. Cela l'a amené à un état d'activité et d'action que nous, non-Ukrainiens, considérons comme une insistance agressive - et il est indéniable qu'elle est tout à fait agressive et insistante. En fait, les Ukrainiens exigent que leur objectif supérieur soit officiellement reconnu au niveau international. C'est ce qui leur donne la force qui les rend capables d'une résistance sans précédent.
La résilience économique et politique de la Russie
Quatrièmement : La Russie n'est pas ce que nous avons vu jusqu'à présent, et la Russie n'est pas ce que nous avons été amenés à voir jusqu'à présent. La viabilité économique du pays est exceptionnelle. Je me souviens avoir assisté à des réunions du Conseil européen - les sommets des Premiers ministres - lorsque, avec toutes sortes de gesticulations, les grands dirigeants européens ont prétendu de manière plutôt arrogante que les sanctions contre la Russie et l'exclusion de la Russie du système SWIFT, le système international de compensation financière, allaient mettre la Russie à genoux. Elles mettraient l'économie russe à genoux, et par là même l'élite politique russe. En regardant les événements se dérouler, je me souviens de la sagesse de Mike Tyson, qui a dit un jour : "Tout le monde a un plan, jusqu'à ce qu'il reçoive un coup de poing dans la figure". Car la réalité est que les Russes ont tiré les leçons des sanctions imposées après l'invasion de la Crimée en 2014 - et non seulement ils ont tiré ces leçons, mais ils les ont traduites en actions. Ils ont mis en œuvre les améliorations informatiques et bancaires nécessaires.
Le système financier russe n'est donc pas en train de s'effondrer. Ils ont développé une capacité d'adaptation et, après 2014, nous en avons été victimes, car nous avions l'habitude d'exporter une part importante des produits alimentaires hongrois vers la Russie. Nous n'avons pas pu continuer à le faire à cause des sanctions, les Russes ont modernisé leur agriculture et aujourd'hui nous parlons de l'un des plus grands marchés d'exportation de produits alimentaires au monde ; c'est un pays qui avait l'habitude de dépendre des importations. La description que l'on nous fait de la Russie - une autocratie néo-stalinienne rigide - est donc fausse. Nous parlons en réalité d'un pays qui fait preuve de résilience technique et économique - et peut-être aussi sociétale, mais nous verrons bien.
L'hyper-vassalisation de l'Europe (et comment les États-Unis ont fait échouer le Nord Stream)
Cinquième leçon importante tirée de la réalité : L'élaboration des politiques européennes s'est effondrée. L'Europe a renoncé à défendre ses propres intérêts : tout ce qu'elle fait aujourd'hui, c'est suivre inconditionnellement la ligne de politique étrangère des démocrates américains, même au prix de sa propre autodestruction. Les sanctions que nous avons imposées portent atteinte à des intérêts européens fondamentaux : elles font grimper les prix de l'énergie et rendent l'économie européenne non compétitive.
Nous avons laissé faire l'explosion du gazoduc Nord Stream sans réagir ; l'Allemagne elle-même a toléré un acte de terrorisme contre sa propre propriété - qui a manifestement été perpétré sous la houlette des États-Unis - sans réagir, et nous n'en disons pas un mot, nous n'enquêtons pas, nous ne cherchons pas à clarifier la situation, nous ne voulons pas l'évoquer dans un contexte juridique. De même, nous n'avons pas fait ce qu'il fallait dans l'affaire des écoutes téléphoniques d'Angela Merkel, réalisées avec l'aide du Danemark. Il s'agit donc d'un acte de soumission.
Le déplacement de l'axe du pouvoir en Europe - de l'Ouest vers le Nord-Est
Le contexte est complexe, mais je vais essayer de vous en donner un aperçu, nécessairement simplifié mais exhaustif. L'élaboration des politiques européennes s'est également effondrée depuis le début de la guerre russo-ukrainienne parce que le cœur du système de pouvoir européen était l'axe Paris-Berlin, lequel était inéluctable : c'était le cœur et c'était l'axe. Depuis que la guerre a éclaté, un autre centre et un autre axe de pouvoir ont été établis. L'axe Berlin-Paris n'existe plus - ou s'il existe, il est devenu sans objet et susceptible d'être contourné. Le nouveau centre et axe de pouvoir comprend Londres, Varsovie, Kiev/Kyiv, les pays baltes et les pays scandinaves.
Lorsque, à la stupéfaction des Hongrois, on voit le chancelier allemand annoncer qu'il n'envoie que des casques à la guerre et qu'une semaine plus tard, il annonce qu'il envoie en fait des armes, il ne faut pas croire que cet homme a perdu la tête. Lorsque le même chancelier allemand annonce qu'il peut y avoir des sanctions, mais qu'elles ne doivent pas porter sur l'énergie, et que deux semaines plus tard il est lui-même à la tête de la politique de sanctions, il ne faut pas croire que cet homme a perdu la tête. Au contraire, il est tout à fait sain d'esprit. Il sait parfaitement que les Américains et les relais d'opinion libéraux qu'ils influencent - universités, think tanks, instituts de recherche, médias - instrumentalisent l'opinion publique pour sanctionner la politique franco-allemande qui ne va pas dans le sens des intérêts américains. D'où le phénomène que j'ai évoqué, d'où les maladresses idiosyncrasiques de la chancelière allemande.
La Pologne, rempart américain en Europe
Changer le centre du pouvoir en Europe et contourner l'axe franco-allemand n'est pas une idée nouvelle - elle a simplement été rendue possible par la guerre. L'idée existait déjà auparavant ; il s'agissait en fait d'un vieux projet polonais visant à résoudre le problème de la Pologne, coincée entre un immense État allemand et un immense État russe, en faisant de la Pologne la première base américaine en Europe. Je pourrais dire qu'il s'agissait d'inviter les Américains à s'installer entre les Allemands et les Russes. Cinq pour cent du PIB de la Pologne sont désormais consacrés aux dépenses militaires, et l'armée polonaise est la deuxième d'Europe après celle de la France - nous parlons de centaines de milliers de soldats. Il s'agit d'un vieux plan, visant à affaiblir la Russie et à devancer l'Allemagne. À première vue, dépasser les Allemands semble être une idée fantaisiste. Mais si l'on observe la dynamique de développement de l'Allemagne et de l'Europe centrale, de la Pologne, cela ne semble pas si impossible - surtout si, dans le même temps, l'Allemagne démantèle sa propre industrie de classe mondiale.
Cette stratégie a conduit la Pologne à renoncer à la coopération avec le V4 [le groupe de Visegrád]. Le V4 avait une signification différente : le V4 signifie que nous reconnaissons qu'une Allemagne forte et une Russie forte existent et que, en collaboration avec les États d'Europe centrale, nous créons une troisième entité entre les deux. Les Polonais ont fait marche arrière et, au lieu de la stratégie du V4 consistant à accepter l'axe franco-allemand, ils se sont lancés dans la stratégie alternative consistant à éliminer l'axe franco-allemand.
L'ampleur de ce virage - le contournement de l'axe franco-allemand - peut vraiment être saisie par les personnes d'un certain âge si elles se reportent vingt ans en arrière, lorsque les Américains ont attaqué l'Irak et ont appelé les pays européens à se joindre à eux. C'est ainsi que nous nous sommes joints à eux en tant que membres de l'OTAN. À l'époque, Schröder, le chancelier allemand, et Chirac, le président français, ont été rejoints par le président russe Poutine lors d'une conférence de presse commune organisée pour s'opposer à la guerre en Irak. À l'époque, il existait encore une logique franco-allemande indépendante dans l'approche des intérêts européens.
La mission de paix ne consiste pas seulement à rechercher la paix, mais aussi à inciter l'Europe à mener enfin une politique indépendante.
L'isolement de l'Occident - et pourquoi le monde se range du côté de la Russie
Jusqu'à présent, l'Occident a pensé et s'est comporté comme s'il se considérait comme un point de référence, une sorte d'étalon pour le monde. Il a fourni les valeurs que le monde a dû accepter - par exemple, la démocratie libérale ou la transition verte. Mais la plupart des pays du monde en ont pris conscience et, depuis deux ans, un virage à 180 degrés s'est opéré. Une fois de plus, l'Occident a déclaré qu'il s'attendait à ce que le monde prenne une position morale contre la Russie et pour l'Occident, et qu'il enjoignait le monde à le faire. En revanche, la réalité est que, petit à petit, tous se rangent du côté de la Russie. Que la Chine et la Corée du Nord le fassent n'est peut-être pas une surprise. Que l'Iran fasse de même - compte tenu de son histoire et de ses relations avec la Russie - est quelque peu surprenant. Mais le fait que l'Inde, que le monde occidental considère comme la démocratie la plus peuplée, soit également du côté des Russes est étonnant. Le fait que la Turquie refuse d'accepter les exigences morales de l'Occident, bien qu'elle soit membre de l'OTAN, est vraiment surprenant. Et le fait que le monde musulman considère la Russie non pas comme un ennemi mais comme un partenaire est tout à fait inattendu.
Le comportement irrationnel de l'Occident, la plus grande menace pour le monde d'aujourd'hui
Septièmement, la guerre a mis en évidence le fait que le plus grand problème auquel le monde est confronté aujourd'hui est la faiblesse et la désintégration de l'Occident. Bien sûr, ce n'est pas ce que racontent les médias occidentaux : en Occident, on prétend que le plus grand danger et le plus grand problème du monde est la Russie et la menace qu'elle représente. C'est faux ! La Russie est trop vaste pour sa population, et elle est également dirigée de manière hyperrationnelle - c'est même un pays qui a des dirigeants. Ce qu'elle fait n'a rien de mystérieux : ses actions découlent logiquement de ses intérêts et sont donc compréhensibles et prévisibles. En revanche, le comportement de l'Occident - comme il ressort de ce que j'ai dit jusqu'à présent - n'est ni compréhensible ni prévisible. L'Occident n'est pas dirigé, son comportement n'est pas rationnel et il ne peut faire face à la situation que j'ai décrite dans ma présentation ici l'année dernière : le fait que deux soleils sont apparus dans le ciel. C'est le défi lancé à l'Occident par la montée en puissance de la Chine et de l'Asie. Nous devrions pouvoir y faire face, mais nous n'y parvenons pas.
Le passage suivant est particulièrement intéressant car il semble indiquer l'inévitabilité d'une rupture entre la Hongrie - et les États d'Europe centrale en général - et l'"Occident collectif".
L'importance de l'État-nation
Huitième point. À partir de là, pour nous, le véritable défi consiste à essayer une fois de plus de comprendre l'Occident à la lumière de la guerre. Car nous, Européens centraux, considérons l'Occident comme irrationnel. Mais, chers amis, que se passe-t-il si celui-ci se comporte de manière logique, mais que nous ne comprenons pas sa logique ? S'il est logique dans sa façon de penser et d'agir, nous devons nous demander pourquoi nous ne le comprenons pas. Et si nous pouvions trouver la réponse à cette question, nous comprendrions également pourquoi la Hongrie se heurte régulièrement aux pays occidentaux de l'Union européenne sur des questions géopolitiques et de politique étrangère.
Ma réponse est la suivante. Imaginons que notre vision du monde, à nous Européens centraux, repose sur les États-nations. Pendant ce temps, l'Occident pense que les États-nations n'existent plus ; c'est inimaginable pour nous, mais c'est tout de même ce qu'il pense. Le système de coordonnées dans lequel nous, Européens centraux, pensons n'a donc aucune importance. Dans notre conception, le monde est composé d'États-nations qui exercent un monopole national sur l'utilisation de la force, créant ainsi une condition de paix générale. Dans ses relations avec les autres États, l'État-nation est souverain - en d'autres termes, il a la capacité de déterminer de manière indépendante sa politique étrangère et intérieure. Dans notre conception, l'État-nation n'est pas une abstraction juridique, ni une construction juridique : l'État-nation est enraciné dans une culture particulière. Il possède un ensemble de valeurs partagées, une profondeur anthropologique et historique. C'est de là que naissent des impératifs moraux partagés, fondés sur un consensus commun. C'est ce que nous considérons comme l'État-nation.
En revanche, les Occidentaux pensent que les États-nations n'existent plus. Ils nient donc l'existence d'une culture commune et d'une morale commune qui en découle. Ils n'ont aucune morale commune.
C'est pourquoi ils pensent différemment à propos de l'immigration. Ils ne considèrent pas la migration comme une menace ou un problème, mais comme un moyen d'échapper à l'homogénéité ethnique qui est à la base d'une nation. C'est l'essence même de la conception progressiste libérale internationaliste de l'espace. C'est pourquoi ils sont inconscients de l'absurdité - ou ils ne la considèrent pas comme telle - du fait que, tandis que dans la moitié orientale de l'Europe, des centaines de milliers de chrétiens s'entretuent, à l'ouest de l'Europe, nous laissons entrer des centaines de milliers de personnes issues de civilisations étrangères. Du point de vue de l'Europe centrale, c'est la définition même de l'absurdité. Cette idée n'est même pas conçue à l'Ouest.
Entre parenthèses, je note que les États européens ont perdu au total quelque cinquante-sept millions d'Européens autochtones au cours de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Si ces personnes, leurs enfants et leurs petits-enfants avaient vécu, l'Europe n'aurait aujourd'hui aucun problème démographique. L'Union européenne ne se contente pas de penser de la manière que je viens de décrire, elle le déclare. Si nous lisons attentivement les documents européens, il est clair que l'objectif est de supplanter la nation. Il est vrai qu'ils ont une étrange façon de l'écrire et de le dire, en affirmant que les États-nations doivent être supplantés, tout en conservant une petite trace d'eux. Mais le fait est qu'après tout, les pouvoirs et la souveraineté doivent être transférés des États-nations à Bruxelles. C'est la logique qui sous-tend toutes les grandes mesures. Dans leur esprit, la nation est une création historique ou transitoire, née aux 18ème et 19ème siècles - et comme elle est arrivée, elle peut aussi partir. Pour eux, la moitié occidentale de l'Europe est déjà post-nationale. Il ne s'agit pas seulement d'une situation politiquement différente, mais ce que j'essaie de dire ici, c'est qu'il s'agit d'un nouvel espace mental. Si vous ne regardez pas le monde du point de vue des États-nations, une réalité totalement différente s'ouvre à vous. C'est là que réside le problème, la raison pour laquelle les pays de l'ouest et de l'est de l'Europe ne se comprennent pas, la raison pour laquelle nous sommes incapables de nous unir.
La disparition du collectif à l'Ouest
Si nous essayons de comprendre comment cette pensée occidentale - que, par souci de simplicité, nous devrions appeler pensée et condition "post-nationales" - a vu le jour, nous devons remonter à la grande illusion des années 1960. La grande illusion des années 60 a pris deux formes : la première était la révolution sexuelle et la seconde la rébellion étudiante. En fait, elle était l'expression de la croyance que l'individu serait plus libre et plus grand s'il s'affranchissait de toute forme de collectivité. Plus de soixante ans plus tard, il est devenu évident qu'au contraire, l'individu ne peut se réaliser qu'à travers et dans une communauté, que seul, il ne peut jamais être libre, mais reste toujours seul et condamné à se réduire. En Occident, les liens ont été successivement écartés : les liens métaphysiques que sont Dieu, les liens nationaux que sont la patrie ou les liens familiaux.
Ayant réussi à se débarrasser de tout cela, en espérant que l'individu deviendrait plus grand, ils se retrouvent avec un sentiment de vide. Ils n'ont pas grandi, mais se sont rapetissés. En effet, en Occident, ils n'aspirent plus à de grands idéaux ni à de grands objectifs communs inspirants.
L'Occident, un "nain agressif"
Nous devons ici parler du secret de la grandeur. Quel est le secret de la grandeur ? C'est celui d'être à même de servir quelque chose de plus grand que soi. Pour cela, il faut d'abord reconnaître qu'il y a dans le monde quelque chose ou des choses plus grandes que soi, puis se consacrer au service de ces choses plus grandes. Il n'y en a pas beaucoup. Vous avez votre Dieu, votre pays et votre famille. Mais si vous ne le faites pas, mais que vous vous concentrez sur votre propre grandeur, en pensant que vous êtes plus intelligent, plus beau, plus talentueux que la plupart des gens, si vous dépensez votre énergie à cela, à communiquer tout cela aux autres, alors ce que vous obtenez, ce n'est pas la grandeur, mais la grandiosité. Et c'est pourquoi aujourd'hui, lorsque nous discutons avec des Européens de l'Ouest, nous ressentons dans chacun de nos gestes de la grandiosité et non de la grandeur. Je dois dire qu'il s'est créé une situation que l'on peut qualifier de vide, et le sentiment de superflu qui l'accompagne donne naissance à l'agressivité. D'où l'émergence du "nain agressif" comme nouveau type d'individu.
En résumé, ce que je veux vous dire, c'est que lorsque nous parlons d'Europe centrale et d'Europe occidentale, il ne s'agit pas de divergences d'opinion, mais de deux visions du monde différentes, de deux mentalités, de deux instincts, et donc de deux arguments différents. Nous avons un État-nation, qui nous oblige à un réalisme stratégique. Eux ont des rêves post-nationalistes qui sont inertes par rapport à la souveraineté nationale, ne reconnaissent pas la grandeur nationale et n'ont pas d'objectifs nationaux partagés. Telle est la réalité à laquelle nous devons faire face.
L'UE est l'exemple par excellence de la "démocratie" occidentale au stade ultime : élitiste, mondialiste et oligarchique.
Enfin, le dernier élément de la réalité est que cette condition post-nationale que nous observons en Occident a une conséquence politique sérieuse - et je dirais même dramatique - qui ébranle la démocratie. Car au sein des sociétés, la résistance aux migrations, au genre, à la guerre et au mondialisme est de plus en plus forte. Cela crée le problème politique de l'élite et du peuple, de l'élitisme et du populisme. C'est le phénomène déterminant de la politique occidentale aujourd'hui. Si vous lisez les textes, vous n'avez pas besoin de les comprendre et, de toute façon, ils n'ont pas toujours de sens ; mais si vous les lisez, voici les expressions que vous trouverez le plus souvent. Elles indiquent que les élites condamnent le peuple pour sa dérive vers la droite. Les sentiments et les idées du peuple sont qualifiés de xénophobie, d'homophobie et de nationalisme. En réponse, le peuple accuse l'élite de ne pas se soucier de ce qui est important pour lui, mais de sombrer dans une sorte de globalisme détraqué.
Par conséquent, les élites et le peuple ne peuvent s'entendre sur la question de la coopération. Je pourrais citer de nombreux pays. Mais si le peuple et les élites ne peuvent se mettre d'accord sur la coopération, comment cela peut-il produire une démocratie représentative ? Parce que nous avons une élite qui ne veut pas représenter le peuple, et qui est fière de ne pas vouloir le représenter ; et nous avons le peuple, qui n'est pas représenté. En fait, dans le monde occidental, nous sommes confrontés à une situation dans laquelle les masses d'individus qui apparaissent avec des diplômes universitaires ne représentent plus moins de 10 % de la population, mais 30 à 40 %. En raison de leurs opinions, ces personnes ne respectent pas celles qui sont moins éduquées - qui sont généralement des travailleurs, des personnes vivant de leur travail. Pour les élites, seules les valeurs des diplômés sont acceptables, elles seules sont légitimes.
C'est sous cet angle qu'il faut comprendre les résultats des élections du Parlement européen. Le Parti populaire européen a recueilli les votes des "plébéiens" de droite désireux de changement, puis a reporté ces votes sur la gauche et a conclu un accord avec les élites de gauche qui ont intérêt à maintenir le statu quo. Cela a des conséquences pour l'Union européenne. La conséquence est que Bruxelles reste sous l'occupation d'une oligarchie libérale. Cette oligarchie tient l'Europe sous son emprise. Cette élite de gauche organise en fait une élite transatlantique : non pas européenne, mais mondiale ; non pas basée sur l'État-nation, mais fédérale ; et non pas démocratique, mais oligarchique. Cela a également des conséquences pour nous, car à Bruxelles, les "3 P" sont de retour : "prohibited, permitted and promoted (interdit, autorisé et promu)". Nous appartenons à la catégorie des interdits. Les Patriotes pour l'Europe se sont donc vus interdire tout poste. Nous vivons dans le monde de la communauté politique autorisée. Pendant ce temps, nos opposants nationaux - en particulier les nouveaux venus au sein du Parti populaire européen - se trouvent dans la catégorie "fortement promue".
Le rejet des "valeurs" occidentales dans le monde
Et peut-être un dernier point, le dixième, sur la façon dont les valeurs occidentales - qui étaient l'essence de ce qu'on appelle le soft power - sont devenues un boomerang. Il s'est avéré que ces valeurs occidentales, que l'on croyait universelles, sont manifestement inacceptables et rejetées dans un nombre croissant de pays à travers le monde. Il s'est avéré que la modernité, le développement moderne, n'est pas occidental, ou du moins pas exclusivement occidental - car la Chine est moderne, l'Inde le devient de plus en plus, et les Arabes et les Turcs se modernisent ; et ils ne se transforment pas du tout en un monde moderne sur la base des valeurs occidentales. Entre-temps, le soft power occidental a été remplacé par le soft power russe, car la clé de la propagation des valeurs occidentales est désormais LGBTQ. Quiconque ne l'accepte pas fait désormais partie de la catégorie des "arriérés" en ce qui concerne le monde occidental. Je ne sais pas si vous avez suivi l'actualité, mais je trouve remarquable qu'au cours des six derniers mois, des lois pro-LGBTQ aient été adoptées par des pays tels que l'Ukraine, Taïwan et le Japon. Mais le monde n'est pas d'accord. Par conséquent, aujourd'hui, l'arme tactique la plus puissante de Poutine est l'imposition par l'Occident des LGBTQ et la résistance, l'opposition à cette imposition. C'est devenu la plus forte force d'attraction internationale de la Russie ; ainsi, ce qui était le soft power occidental s'est aujourd'hui mué en soft power russe - tel un boomerang.
En définitive, Mesdames et Messieurs, je peux dire que la guerre nous a aidés à comprendre l'état réel du pouvoir dans le monde. Elle est le signe que, dans sa mission, l'Occident s'est tiré une balle dans le pied et accélère ainsi les mutations qui transforment le monde.
La fin de l'hégémonie occidentale, en vigueur depuis 500 ans, et les raisons pour lesquelles l'avenir appartient à l'Asie
Nous vivons un changement, un changement à venir, qui n'a pas été observé depuis cinq cents ans. Nous ne nous en sommes pas rendu compte parce qu'au cours des 150 dernières années, de grands changements se sont produits en nous et autour de nous, mais dans ces transformations, la puissance mondiale dominante a toujours été l'Occident. Nous partons donc du principe que les changements auxquels nous assistons aujourd'hui sont susceptibles de suivre cette logique occidentale. En revanche, il s'agit d'une situation nouvelle. Dans le passé, le changement était occidental : les Habsbourg se sont hissés, puis sont tombés ; l'Espagne s'est hissée et est devenue le centre du pouvoir ; elle est tombée et les Anglais ont émergé ; la Première Guerre mondiale a mis fin aux monarchies ; les Britanniques ont été remplacés par les Américains en tant que leaders mondiaux ; puis la guerre froide russo-américaine a été remportée par les Américains. Mais toutes ces évolutions sont restées dans notre logique occidentale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, et c'est ce à quoi nous devons faire face, car le monde occidental n'est pas remis en question de l'intérieur, et la logique du changement a donc été perturbée.
Ce dont je parle, et ce à quoi nous sommes confrontés, est en fait un changement de système mondial. Et c'est un processus qui vient d'Asie. Pour dire les choses succinctement et primitivement, au cours des prochaines décennies - ou peut-être des prochains siècles, car le système mondial précédent est resté en place pendant cinq cents ans - le centre dominant du monde sera l'Asie : La Chine, l'Inde, le Pakistan, l'Indonésie, et j'en passe. Ces pays ont déjà créé leurs formes, leurs plateformes, il existe cette formation des BRICS dans laquelle ils sont déjà présents. Il y a aussi l'Organisation de coopération de Shanghai, au sein de laquelle ces pays construisent la nouvelle économie mondiale. Je pense qu'il s'agit d'un processus inévitable, car l'Asie possède l'avantage démographique, l'avantage technologique dans un nombre croissant de domaines, l'avantage en termes de capitaux, et elle est en train d'équilibrer sa puissance militaire avec celle de l'Occident. L'Asie aura - ou a peut-être déjà - le plus de capitaux, les plus grands fonds financiers, les plus grandes entreprises du monde, les meilleures universités, les meilleurs instituts de recherche et les plus grandes places boursières. Elle aura - ou a déjà - la recherche spatiale et la science médicale les plus avancées. En outre, nous, Occidentaux, et même les Russes, avons été bien guidés dans cette nouvelle entité qui est en train de prendre forme.
[Ce processus] est quasi inarrêtable et irréversible.
Le projet de Donald Trump pour l'Amérique - une réaction sensée au changement géopolitique en cours ?
Le président Trump s'efforce de trouver la réponse américaine à cette situation. En fait, la tentative de Donald Trump est probablement la dernière chance pour les États-Unis de conserver leur suprématie mondiale. Nous pourrions dire que quatre ans ne sont pas suffisants, mais si vous regardez qui il a choisi comme vice-président, un homme jeune et très solide, si Donald Trump gagne maintenant, dans quatre ans, c'est son vice-président qui se présentera. Il pourra effectuer deux mandats, ce qui fera un total de douze années. Et en douze ans, une stratégie nationale pourra être mise en œuvre. Je suis convaincu que beaucoup pensent que si Donald Trump revient à la Maison Blanche, les Américains voudront conserver leur suprématie mondiale en maintenant leur position dans le monde. Je pense que c'est une erreur. Bien sûr, personne ne renonce à ses positions de son propre chef, mais ce ne sera pas l'objectif le plus important.
Au contraire, la priorité sera de reconstruire et de renforcer l'Amérique du Nord. Il s'agit non seulement des États-Unis, mais aussi du Canada et du Mexique, car ils forment ensemble un espace économique. La place de l'Amérique dans le monde sera moins importante. Il faut prendre au sérieux ce que dit le président : "L'Amérique d'abord, tout ici, tout rentrera à la maison ! C'est pourquoi la capacité à lever des capitaux de partout est en train de se développer. Nous en souffrons déjà : les grandes entreprises européennes n'investissent pas en Europe, mais en Amérique, parce que la capacité d'attirer des capitaux semble se profiler à l'horizon. Elles vont écraser le prix de tout pour tous. Je ne sais pas si vous avez lu ce que le président a dit. Par exemple, ils ne sont pas une compagnie d'assurance, et si Taïwan veut de la sécurité, elle devra payer. Ils feront payer le prix de la sécurité aux Européens, à l'OTAN et à la Chine ; ils parviendront également à un équilibre commercial avec la Chine par le biais de négociations et le modifieront en faveur des États-Unis. Ils déclencheront un développement massif des infrastructures, de la recherche militaire et de l'innovation aux États-Unis. Ils atteindront - ou auront peut-être déjà atteint - l'autosuffisance énergétique et l'autosuffisance en matières premières ; enfin, ils se perfectionneront sur le plan idéologique, en renonçant à l'exportation de la démocratie. L'Amérique d'abord. L'exportation de la démocratie est terminée. Telle est l'essence de l'expérience menée par l'Amérique en réponse à la situation décrite ici.
Quelle doit être la réponse de l'Europe au changement géopolitique mondial ?
Quelle est la réponse de l'Europe au changement du système mondial ? Deux options s'offrent à nous. La première est ce que nous appelons "le musée à ciel ouvert". C'est ce que nous avons aujourd'hui. Nous nous dirigeons vers cette option. L'Europe, absorbée par les États-Unis, restera reléguée à un rôle sous-développé. Ce sera un continent qui émerveille le monde, mais qui n'a plus en lui la dynamique du développement. La seconde option, annoncée par le Président Macron, est l'autonomie stratégique. En d'autres termes, nous devons entrer dans la compétition du changement de système global. Après tout, c'est ce que font les États-Unis, selon leur propre logique. Et nous parlons bien de 400 millions de personnes. Il est possible de recréer la capacité de l'Europe à attirer des capitaux, et il est possible de ramener des capitaux d'Amérique. Il est possible de réaliser de grands développements d'infrastructures, notamment en Europe centrale - le TGV Budapest-Bucarest et le TGV Varsovie-Budapest, pour ne citer que ceux dans lesquels nous sommes engagés. Nous avons besoin d'une alliance militaire européenne avec une industrie de défense européenne forte, de la recherche et de l'innovation. Nous avons besoin de l'autosuffisance énergétique de l'Europe, qui ne sera pas possible sans l'énergie nucléaire. Et après la guerre, nous avons besoin d'une nouvelle réconciliation avec la Russie. Cela signifie que l'Union européenne doit renoncer à ses ambitions en tant que projet politique, qu'elle doit se renforcer en tant que projet économique et qu'elle doit se créer en tant que projet de défense.
Dans les deux cas - le musée en plein air ou si nous rejoignons la compétition - nous devons nous préparer au fait que l'Ukraine ne sera pas membre de l'OTAN ou de l'Union européenne, parce que nous, Européens, n'avons pas assez d'argent pour cela. L'Ukraine redeviendra un État tampon. Si elle a de la chance, cela s'accompagnera de garanties de sécurité internationales, qui seront inscrites dans un accord entre les États-Unis et la Russie, auquel nous, Européens, pourrons peut-être participer. L'expérience polonaise échouera, parce qu'ils n'en ont pas les moyens : ils devront retourner en Europe centrale et dans le V4. Attendons donc le retour des frères et sœurs polonais.
Le passage suivant n'est que très intéressant : même si Orbán esquisse ici une "grande stratégie" pour la Hongrie, il offre potentiellement un vaste plan - au moins dans certains aspects, si ce n'est dans tous - pour tous les pays désireux d'atteindre une "autonomie stratégique" dans le nouveau contexte géopolitique.
Les opportunités offertes par le changement géopolitique actuel
Dans l'ensemble, je peux donc affirmer que les conditions sont réunies pour une politique nationale indépendante à l'égard de l'Amérique, de l'Asie et de l'Europe. Elles définissent les limites de notre marge de manœuvre. Cet espace est étendu - plus étendu qu'il ne l'a jamais été au cours des cinq derniers siècles. La question suivante est de savoir ce que nous devons faire pour utiliser cet espace à notre avantage. Si le système mondial change, nous avons besoin d'une stratégie qui soit à la hauteur.
L'essence de la grande stratégie pour la Hongrie est donc la connectivité. Cela signifie que nous ne nous laisserons pas enfermer dans l'un ou l'autre des deux hémisphères émergents de l'économie mondiale. L'économie mondiale ne sera pas exclusivement occidentale ou orientale. Nous devons être présents dans les deux, à la fois à l'Ouest et à l'Est. Cela aura des conséquences. La première. Nous ne nous impliquerons pas dans la guerre contre l'Est. Nous ne participerons pas à la formation d'un bloc technologique opposé à l'Est, ni à la formation d'un bloc commercial opposé à l'Est. Nous rassemblons amis et partenaires, et non pas des ennemis économiques ou idéologiques. Nous ne suivons pas la voie intellectuellement plus facile qui consiste à s'accrocher à autrui, mais nous suivons notre propre voie. C'est difficile, mais ce n'est pas pour rien que la politique est décrite comme un art.
Le deuxième chapitre de la grande stratégie porte sur les fondements spirituels. La défense de la souveraineté y est centrale. J'en ai déjà dit assez sur la politique étrangère, mais cette stratégie décrit également la base économique de la souveraineté nationale. Ces dernières années, nous avons construit une pyramide, au sommet de la laquelle se trouvent les "pays de l'Est" et les "pays de l'Ouest", qui sont les plus importants d'Europe. Au-dessous d'eux se trouvent les moyennes entreprises compétitives sur le plan international, puis les entreprises produisant pour le marché intérieur. Au bas de la pyramide se trouvent les petites entreprises et les entrepreneurs individuels. Telle est l'économie hongroise qui peut servir de base à la souveraineté. Nous avons des leaders nationaux dans les secteurs de la banque, de l'énergie, de l'alimentation, de la production de produits agricoles de base, de l'informatique, des télécommunications, des médias, du génie civil, de la construction de bâtiments, de la promotion immobilière, des produits pharmaceutiques, de la défense, de la logistique et - dans une certaine mesure, par le biais des universités - des industries de la connaissance. Ce sont nos champions nationaux. Ce ne sont pas seulement des leaders nationaux, mais ils sont tous présents sur la scène internationale et ont prouvé qu'ils étaient compétitifs.
Viennent ensuite les entreprises de taille moyenne. J'aimerais vous informer que la Hongrie compte aujourd'hui quinze mille entreprises de taille moyenne qui sont actives et compétitives sur le plan international. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2010, elles étaient au nombre de trois mille. Aujourd'hui, nous en avons quinze mille. Et bien sûr, nous devons élargir la base des petites entreprises et des entrepreneurs individuels. Si, d'ici 2025, nous parvenons à établir un budget de paix et non un budget de guerre, nous lancerons un vaste programme en faveur des petites et moyennes entreprises. La base économique de la souveraineté signifie également que nous devons renforcer notre indépendance financière. Nous devons ramener notre dette non pas à 50 ou 60 %, mais à près de 30 %, et nous devons devenir un créancier régional. Aujourd'hui, nous faisons déjà des tentatives en ce sens et la Hongrie accorde des prêts d'État aux pays amis de notre région qui sont, d'une manière ou d'une autre, importants pour elle.
Il est essentiel que, conformément à la stratégie, nous restions un centre de production : nous ne devons pas passer à une économie axée sur les services. Le secteur des services est certes important, mais nous devons conserver le caractère de centre de production de la Hongrie, car c'est la seule façon d'assurer le plein emploi sur le marché du travail national. Nous ne devons pas répéter l'erreur commise par l'Occident en faisant appel à des travailleurs invités pour effectuer certains travaux de production, car là-bas, les membres des populations d'accueil considèrent déjà que certains types de travaux sont indignes d'eux. Si cela devait se produire en Hongrie, cela induirait un processus de dissolution sociale qu'il serait difficile d'enrayer. Et, pour la défense de la souveraineté, ce chapitre inclut également la construction de centres universitaires et d'innovation.
Le troisième chapitre identifie le corps de la grande stratégie : la société hongroise dont nous parlons. Si nous voulons gagner, cette société hongroise doit être solide et résistante. Elle doit avoir une structure sociale solide et résistante. La première condition préalable est de stopper le déclin démographique. Nous avons bien commencé, mais nous sommes aujourd'hui dans l'impasse. Un nouvel élan est nécessaire. D'ici 2035, la Hongrie doit être autonome sur le plan démographique. Il ne saurait être question de compenser le déclin de la population par l'immigration. L'expérience occidentale montre que s'il y a plus d'invités que d'hôtes, la maison n'est plus la maison. C'est un risque qu'il ne faut pas prendre. C'est pourquoi, si après la fin de la guerre nous pouvons établir un budget de paix, il faudra probablement doubler le crédit d'impôt pour les familles avec enfants en 2025 - en deux étapes et non en une seule, mais en l'espace d'un an, pour retrouver l'élan de l'amélioration de la démographie.
Des "sas" doivent contrôler l'afflux en provenance d'Europe occidentale de ceux qui veulent vivre dans un pays national chrétien. Le nombre de ces personnes ne cessera d'augmenter. Rien ne sera automatique et nous serons sélectifs. Jusqu'à présent, ils ont été sélectifs, mais désormais, c'est nous qui le serons. Pour que la société soit stable et résiliente, elle doit reposer sur une classe moyenne : les familles doivent avoir leur propre richesse et leur indépendance financière. Le plein emploi doit être préservé, et la clé de cet objectif sera de maintenir la relation actuelle entre le travail et la population rom. Il y aura du travail, on ne peut vivre sans travail. Tel est le marché et l'essence de ce qui est proposé.
Enfin, il y a l'élément crucial de la souveraineté. C'est l'essence même de la protection de la souveraineté, qui est la protection de la spécificité nationale. Il ne s'agit pas d'assimilation, d'intégration, de fusion, mais du maintien de notre caractère national particulier. C'est la base culturelle de la défense de la souveraineté : préserver la langue et éviter un état de "religion zéro". La religion zéro est un état dans lequel la foi a disparu depuis longtemps, mais la tradition chrétienne a également perdu sa capacité à nous fournir des règles culturelles et morales de comportement qui régissent notre relation au travail, à l'argent, à la famille, aux relations sexuelles et à l'ordre des priorités dans nos relations les uns avec les autres. C'est ce que les Occidentaux ont perdu.
L'intégralité du discours d'Orbán est disponible ici.
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Thomas Fazi
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Dernier livre : The Covid Consensus: The Global Assault on Democracy and the Poor—A Critique from the Left (coécrit avec Toby Green)
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