❖ La véritable impuissance - Est-ce là le monde que nous voulons ?
Échapper à l'illusion, faire le pas logique qui s'impose, avancer de quelques centimètres ou de plusieurs kilomètres. Mais avec cela, on est en mouvement, on a commencé à agir. On est encore en vie.
L'impuissance
Par Patrick Lawrence, le 27 septembre 2024, ScheerPost
Commençons par quelques faits, crus et durs, concernant la situation à Gaza et en Cisjordanie après près d'un an d'assauts quotidiens menés par les terroristes israéliens contre les populations palestiniennes de ces deux régions. Ces statistiques sont tirées d'un rapport de la Banque mondiale publié ce mois-ci et intitulé Impacts of the Conflict in the Middle East on the Palestinian Economy (Impacts du conflit au Moyen-Orient sur l'économie palestinienne). Elles couvrent la situation jusqu'au mois de mars ; nous pouvons conclure avec certitude que les choses ont empiré depuis.
"Onze mois après le début du conflit au Moyen-Orient, les territoires palestiniens sont au bord de l'effondrement économique, dans le contexte d'une crise humanitaire historique dans la bande de Gaza", indique le rapport. "Les données officielles révèlent une baisse de 35 % du PIB réel au premier trimestre 2024 pour l'ensemble des territoires palestiniens, ce qui constitue la plus forte contraction économique jamais enregistrée. Le conflit a conduit l'économie de Gaza au bord de l'effondrement total, avec une contraction stupéfiante de 86 % au premier trimestre 2024."
À Gaza, 1,9 million de personnes ont été déplacées et plus ou moins tout le monde vit désormais dans la pauvreté, rapporte la banque. Nous connaissons déjà les bombardements d'hôpitaux et les meurtres d'administrateurs, de médecins et d'infirmières ; nous apprenons à présent que 80 % des centres de soins primaires ne fonctionnent plus. Jusqu'à 70 % des terres agricoles ont été endommagées ou détruites, "poussant près de 2 millions de personnes au bord de la famine généralisée". Le système éducatif s'est effondré. "Les 625 000 enfants de Gaza en âge d'être scolarisés ne vont plus à l'école depuis le 7 octobre 2023", indique la Banque mondiale.
Comme la plupart des Palestiniens l'ont bien et sinistrement compris, les Israéliens ont l'intention de faire de la Cisjordanie une autre Gaza et tentent simplement d'attirer moins d'attention en le faisant. L'économie de la Cisjordanie s'est contractée de seulement - "seulement" - 25 % au cours du premier trimestre de cette année. La banque estime le taux de chômage à 35 %, principalement parce que les points de contrôle et les barrages routiers mis en place après le 7 octobre rendent le travail difficile, voire impossible, et parce que les Palestiniens n'ont plus le droit de se rendre sur leur lieu de travail en Israël. Bezalel Smotrich, le ministre des finances fanatique du régime de Netanyahou, s'est mis à retenir les impôts qu'Israël perçoit au nom de l'Autorité palestinienne, plongeant la Cisjordanie dans un déficit qui, selon les prévisions de la banque, atteindra près de 2 milliards de dollars cette année.
Qu'est-ce que chacun d'entre nous a pu faire pour arrêter le déchaînement qui a engendré ces conditions ? Telle est ma question.
Gilles Paris, journaliste de longue date et aujourd'hui chroniqueur au journal Le Monde, s'est penché sur les réalités auxquelles sont confrontés les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie dans une tribune publiée cette semaine sous le titre "Les perdants de la guerre de Gaza sont ceux dont l'impuissance est de fait devenue un acquiescement" (ici article accessible librement en anglais). Outre les statistiques de la Banque mondiale, il fait état d'une étude du Programme des Nations unies pour l'environnement publiée en juin, qui conclut que les Palestiniens de Gaza vivent aujourd'hui sous ou sur 39 millions de tonnes de décombres et qu'il leur faudra au moins une décennie pour s'en sortir.
L'article de Gilles Paris a attiré mon attention parce que l'état d'impuissance m'a beaucoup préoccupé depuis qu'Israël a entamé son génocide le 8 octobre. Il ne fait aucun doute que la conduite barbare et inhumaine d'Israël à l'égard du peuple palestinien a mis en évidence, de manière crue, l'impuissance d'un grand nombre de personnes et de groupes d'intérêts. Mais quelles personnes, quels groupes ? Et que peut-on faire à ce sujet ? Prenons soin d'examiner scrupuleusement ces questions.
Pour Gilles Paris, les perdants impuissants de la crise actuelle en Asie occidentale sont les dirigeants américains - il cite le président Biden, le secrétaire d'État Blinken et le directeur de la CIA William Burns - ainsi que les puissances européennes et les régimes arabes signataires des accords d'Abraham il y a quatre ans, dans l'espoir d'une normalisation avec l'État sioniste. Ils ont tous souffert d'une image et d'une réputation ternies. Aucun n'a réussi à mettre fin aux atrocités perpétrées par les Israéliens. Tous ont subi "humiliation sur humiliation", comme le dit Paris.
Gilles Paris prend trop de choses pour argent comptant, me semble-t-il, et commet ainsi une grave erreur de jugement. Il est vrai que Benjamin Netanyahou est apparu l'année dernière comme un sociopathe incontrôlable, et je m'appuie sur le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le bon vieux DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Il est agressif, enclin à la violence, isolé, animé par des compulsions irrationnelles, indifférent aux autres, totalement dépourvu d'empathie. Si l'on étudie son visage, on y décèle les traits d'un homme fou, possédé maniaquement. Depuis les événements du 7 octobre, il a agi dans une impunité quasi-totale.
Mais l'idée que Biden et ses collaborateurs "se sont montrés incapables d'empêcher le désastre", comme l'écrit dit Gilles Paris, est une fiction absurde qu'un journaliste de son rang aurait pu considérer comme telle. Le "collectif Biden" - terme fabuleux utilisé par les Russes depuis que les infirmités mentales du président ne permettent plus de savoir qui dirige - n'a jamais eu l'intention d'arrêter les Israéliens. Toutes les personnes attentives le savent.
Comme Brett Murphy de ProPublica l'a rapporté cette semaine, lorsque deux rapports du département d'État ont conclu au printemps qu'Israël bloquait l'aide humanitaire en provenance de Gaza, Blinken s'est rendu au Congrès pour témoigner : "Nous n'évaluons pas actuellement que le gouvernement israélien interdit ou restreint de quelque manière que ce soit le transport ou la livraison de l'aide humanitaire américaine". Les deux conclusions officielles - de l'Agence pour le développement international et du Bureau de la population, des réfugiés et des migrations - auraient dû obliger le régime Biden à geler près de 830 millions de dollars d'aide à l'armement à Israël. Blinken a éjecté ses propres collaborateurs hors de la limousine.
Peut-on vraiment parler d'un homme ou d'une administration qui tente d'empêcher la campagne de terreur d'Israël et qui n'y parvient pas ?
Il est vrai, comme l'affirme Gilles Paris, que le collectif Biden s'est révélé impuissant même à atténuer la folie de Netanyahou, tout comme la Maison Blanche de Biden, quel que soit l'auteur de ses décisions, ne la modérera pas maintenant que l'agression israélienne s'accélère en Cisjordanie et, dernièrement, contre le Liban. Mais il est essentiel de bien cerner cette question de l'impuissance si nous voulons comprendre notre situation critique.
Les élites politiques américaines ne sont pas impuissantes à freiner le régime scélérat d'Israël : Elles sont impuissantes à agir contre le lobby ubuesque, dirigé par l'American Israel Public Affairs Committee, mais pas seulement, auquel elles se sont vendues. La semaine dernière, les Israéliens ont ouvert au Liban un autre théâtre de ce que Netanyahou décrit comme "la guerre sur sept fronts" qu'il planifie. Lundi, Middle East Eye citait Amichai Chikli, ministre israélien des affaires de la diaspora, appelant à l'occupation du Sud-Liban au motif que Beyrouth "n'a pas exercé sa souveraineté".
Rien n'indique que le régime Biden soulèvera la moindre objection à l'agression israélienne au Liban, une autre de ses provocations gratuites. Nous devons maintenant nous demander si l'impunité quasi-totale de "l'État juif", telle qu'elle est apparue jusqu'à présent, est en fait une impunité sans limite - une impunité sans fin.
Une fois que nous avons compris à quel point les pouvoirs exécutif et législatif à Washington ont vendu la politique américaine à l'AIPAC ainsi qu'à d'autres groupes d'influence au service de l'État sioniste, nous sommes confrontés à l'impuissance telle qu'elle est.
La véritable impuissance est la nôtre. C'est à cela que nous devons réfléchir.
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À partir du fil de commentaires annexé à une colonne choisie au hasard, "The War Party Makes Its Plans" (Le parti de la guerre concocte ses plans), publiée dans cet espace et reproduite dans Consortium News, je choisis les remarques de quelques lecteurs représentatifs de divers points de vue partagés.
De Lois Gagnon, le 20 septembre 2024 à 17:15 :
À quel moment le peuple des États-Unis et de ses colonies décidera-t-il qu'il en a assez de ces manœuvres insensées et appellera-t-il à une grève nationale jusqu'à ce que ces cinglés reculent, concèdent la défaite, appellent à un cessez-le-feu immédiat et à des négociations ? Rien de moins n'est acceptable. Ils terrorisent l'ensemble de l'humanité pour faire avancer leur agenda impérialiste qui ne profite qu'à une minuscule oligarchie.
De "Steve", le 21 septembre 2024 à 11:56, en réponse à Lois Gagnon :
Jamais.
La peur de manquer est bien réelle. La peur de manquer une promotion à venir, une invitation à une fête de gosses branchés ou d'être ostracisé par des personnes que l'on croyait être des amis a paralysé la société occidentale. Il suffit de regarder ce qui s'est passé avec les familles et les amis qui ont exclu des membres en raison de leurs convictions politiques depuis 2016, en raison de leur refus de se faire vacciner en 2020, en raison de leur manque de soutien à la guerre en Ukraine, ou encore en raison de leur manque de soutien à la guerre d'Israël contre Gaza. Les réseaux sociaux ont rendu le monde fou au cours de la dernière décennie. Autrefois, les gens étaient capables de mettre de côté leurs différences politiques ou religieuses, mais aujourd'hui, tout doit devenir une décision manichéenne. Soit vous êtes avec moi, soit je vous raye de ma vie.
Extrait de Cypher Random, 21 septembre 2024 à 17:53 :
J'aimerais que cela puisse arriver, mais nous sommes sur le point d'avoir une élection où, comme lors de la dernière, plus de 95 % des Américains voteront pour des candidats soutenant la guerre.
Il n'y a même pas l'ombre d'un parti de la paix dans ce pays. Tout ce qu'on peut trouver, ce sont des bellicistes affirmant tactiquement qu'ils sont contre une guerre en particulier. Ou la méthode Obama qui consiste à se plaindre que la guerre est mal gérée et qu'il est possible de faire mieux. Tous ces candidats anti-guerre donneraient bien sûr encore plus d'argent à l'armée. Mais en Amérique, un partenaire pour la paix n'est pas à portée de vue. Lorsqu'ils compteront les votes de cette élection, ils constateront que la guerre obtient environ 98-99 % et la paix peut-être 1 %....
Dans une élection où l'incertitude règne quant à l'éventualité d'une guerre encore plus vaste et meurtrière avant même que les ordinateurs n'annoncent le nom du vainqueur, c'est ainsi que l'Amérique va voter.... Personne ne propose des coupes sombres dans l'armée pour assurer la prospérité nationale. Un candidat qui proposerait la paix se ferait lapider par la foule....
Le président Kennedy a prononcé un jour un discours sur la paix. On peut encore le trouver sur YouTube, du moins la dernière fois que j'ai regardé. Les démocrates l'ont peut-être déjà classé dans la catégorie de la propagande russe. Mais il a bel et bien prononcé un tel discours. JFK n'a jamais eu l'occasion de voir si cela aurait pu être une façon populaire de se présenter à la réélection....
Voilà à quoi ressemble l'impuissance en Amérique au début de l'automne 2024, moins de deux mois avant que les électeurs ne choisissent un nouveau président. Il est tour à tour attaché aux principes, déterminé, amer, cynique, parfois confus dans sa pensée, nostalgique de ce qui a été mais n'est plus. Ces trois-là, et je les cite parce qu'ils sont nombreux comme eux, regardent le paysage politique de cet automne et ne voient aucun candidat, hormis d'honorables marginaux, qui soit en mesure de représenter leurs aspirations.
Je suis certain que les Américains ont des points de vue très différents sur la crise de Gaza, Israël et les Palestiniens à l'étranger. Je ne sais pas combien de personnes qui votent encore choisiraient un président anti-guerre et anti-génocide s'il y en avait un sur le bulletin de vote le 5 novembre. Je suis absolument convaincu que, si l'on met de côté l'impossible perspective d'un partenaire pour la paix, comme le dirait Cypher Random, celui ou celle qui sera élu(e) dans quelques semaines se désintéressera plus ou moins des sentiments et des aspirations des Américains en continuant à guerroyer.
C'est l'une des réalités de l'impuissance en Amérique. Les institutions et le processus politiques de la nation ne répondent plus à ceux qu'ils sont censés servir - ceux qui les possèdent, en fait. Les élites qui prétendent diriger les États-Unis, parler et agir en notre nom, ont pleinement participé aux exactions sauvages perpétrées par Israël au cours des onze derniers mois et, ce faisant, ont avili notre moralité et notre humanité même, nous rendant complices, en vérité, de crimes de guerre. Pendant près d'un an, nous avons assisté à la violence, à la torture, à la souffrance et à la mort. Aujourd'hui, les rapports de la Banque mondiale et de l'ONU nous rappellent lamentablement notre impuissance en nous faisant part du bilan, des faits accomplis.
Ayant perdu la foi dans le processus politique il y a de nombreuses années, je pense depuis longtemps que nous vivons une époque - et il y en a eu beaucoup dans le passé de l'Amérique - où les citoyens doivent former de véritables mouvements sociaux et politiques, bien en dehors de ce processus, pour trouver la voie à suivre. "Les années 60 sous stéroïdes", comme l'a dit un ami de l'époque de l'anti-guerre. Certains des lecteurs cités ci-dessus semblent pencher dans cette direction. Mais le pessimisme s'installe : Non, ce genre de scène n'est plus possible.
Le New York Times a publié un article remarquable dans ce sens dans son édition du 21 septembre sous le titre How the Powerful Outmaneuvered the American Protest Movement (Comment les puissants ont dépassé le mouvement protestataire américain). Zeynep Tufekci est professeure à Princeton, où elle revendique l'étude des mouvements sociaux comme son expertise. Passant en revue les mesures prises par les universités pour empêcher les protestations et les manifestations inefficaces qui ont eu lieu lors de la convention démocrate de Chicago le mois dernier, elle écrit :
"Protester ne donne tout simplement plus de résultats. Pas comme avant. Pas sous cette forme. C'est impossible."
Et de poursuivre :
"Les détenteurs du pouvoir ont compris comment déjouer les protestataires : en gardant les manifestants pacifiques loin de leur vue, en organisant une réponse policière écrasante faisant planer la menace de longues peines de prison, et en faisant circuler des images des manifestants les plus dérangeants qui donnent une mauvaise image de l'ensemble du mouvement.
Tout cela fonctionne. Et les organisateurs n'ont pas réussi à tenir."
Et un peu plus loin, le coup de grâce de Tufekci :
"Bon sang, non, nous n'irons pas ! Le monde entier nous regarde ! Pas de justice, pas de paix ! R.I.P. l'époque où les grandes marches de protestation, la désobéissance civile et les campements sur les campus ont si souvent changé le cours de l'histoire. C'était une belle époque, non ?"
C'est une bonne chose que la professeure Tufekci ne soit pas une organisatrice ou une dirigeante de quoi que ce soit d'important, tant elle célèbre avec exubérance ce qu'elle considère comme le triomphe de la fin de l'histoire du pouvoir - le pouvoir, sujet dont elle s'éloigne à la manière prévisible de la plupart des libéraux, en l'occurrence le pouvoir en tant que répression. La formation de Tufekci est la programmation informatique. Il n'y a aucune preuve dans cet article, aucune, qu'elle ait une quelconque compréhension de la dynamique de la dissidence, comme je pourrais l'appeler. Où en serions-nous, dois-je me demander, si quelques nouvelles règles universitaires et davantage de cordons de barricades policières suffisaient, comme semble le penser Tufekci, à éteindre toute idée de valeur, tout engagement en faveur d'une cause qui s'impose d'elle-même parce que son heure est imminente ?
Je reconnais toutefois à Tufekci le mérite d'avoir suggéré divers facteurs sociaux faisant que les mouvements impressionnants du passé semblent si loin, des actes impossibles à suivre.
Le capitalisme de consommation est bien plus avancé qu'il ne l'était à l'époque du "Hell, no" (Diable, non). Les orthodoxies néolibérales sont bien plus répandues, les insécurités économiques bien plus grandes. La "décennie du moi", si brillamment expliquée dans The Culture of Narcissism (Norton, 1979) du regretté Christopher Lasch, est arrivée mais n'a jamais disparu. En un mot, notre conscience est différente et amoindrie. Notre dépendance à l'égard des appareils technologiques a fait progresser une atomisation sociale qui était évidente bien avant qu'Apple ne mette son premier iPhone sur le marché. Quelque part après les années 1960, les gens ont adopté l'idée que les mouvements sociaux bien-pensants ne doivent pas tolérer la hiérarchie ou l'autorité. C'est puéril. Rien ne se produit sans les deux.
Ces questions ont beaucoup à voir avec ce que je considère comme un sentiment d'impuissance qui prévaut chez beaucoup d'entre nous alors qu'une crise brutale après l'autre se déroule sous nos yeux, les pires d'entre elles constituant des menaces pour l'humanité elle-même, et qu'aucune réponse efficace ne semble disponible. La sensation d'impuissance, comme je l'ai déjà dit, est une des principales sources de dépression. Mais il s'agit presque toujours d'une illusion. Pour y échapper, il suffit de faire le pas logique qui s'impose après une évaluation honnête des circonstances telles qu'elles sont. Il peut s'agir d'une avancée de quelques centimètres ou de plusieurs kilomètres. Mais avec cela, on est en mouvement, on a commencé à agir. On est encore en vie.
Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger depuis de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique de presse, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, est désormais disponible chez Clarity Press. Son site Web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
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Est-ce le monde que nous voulons ?
Le philosophe et physicien Carlo Rovelli revient sur la politique étrangère menée par les États-Unis au cours des 25 dernières années : guerres, échecs, massacres, dénis démocratiques... Un bilan peu glorieux qui devrait nous inviter à réfléchir sur notre alignement à Washington.
Par Carlo Rovelli, le 22 septembre 2024, Pressenza
En 1999, l'OTAN a bombardé Belgrade pendant 78 jours dans le but de briser la Serbie et de donner naissance à un Kosovo indépendant, qui abrite maintenant une grande base de l’OTAN dans les Balkans.En 2001, les États-Unis ont envahi l'Afghanistan, entraînant 200 000 morts, un pays dévasté et aucun résultat politique.
En 2002, les États-Unis se sont unilatéralement retirés du traité sur les missiles anti-balistiques à cause des objections ardues de la Russie, augmentant de façon spectaculaire le risque nucléaire.
En 2003, les États-Unis et les alliés de l’OTAN ont rejeté le Conseil de sécurité de l'ONU en faisant la guerre en Irak sous de faux préte L'Irak est maintenant dévasté, aucune véritable pacification politique n'a été réalisée et le parlement élu a une majorité pro-Iran.
En 2004, trahissant leurs engagements, les États-Unis ont poursuivi l'élargissement de l’OTAN, cette fois aux États baltes et aux pays de la région de la mer Noire (Bulgarie et Roumanie) ainsi qu'aux Balkans.
En 2008, à propos des objections urgentes et vigoureuses de la Russie, les États-Unis se sont engagés à étendre l'OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine.
En 2011, les États-Unis ont chargé la CIA de renverser le Bachar el-Assad de Syrie, un allié de la Russie. La Syrie est dévastée par la guerre. Aucun gain politique réalisé pour les États-Unis.
En 2011, l'OTAN a bombardé la Libye pour renverser Moammar Kadhafi. Le pays, prospère, pacifique et stable, est maintenant dévasté, en guerre civile, en ruine.
En 2014, les États-Unis ont conspiré avec les forces nationalistes ukrainiennes pour renverser le président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Le pays est maintenant dans une guerre amère.
En 2015, les États-Unis ont commencé à placer des missiles anti-balistiques Aegis en Europe de l'Est (Roumanie), à une courte distance de la Russie.
En 2016-2020, les États-Unis ont soutenu l’Ukraine en sapant l'accord de Minsk II, malgré le soutien unanime du Conseil de sécurité de l'ONU Le pays est maintenant dans une guerre amère.
En 2021, la nouvelle administration Biden a refusé de négocier avec la Russie sur la question de l'élargissement de l’OTAN à l'Ukraine, provoquant l’invasion.
En avril 2022, les États-Unis ont appelé l'Ukraine à se retirer des négociations de paix avec la Russie. Le résultat est la prolongation inutile de la guerre, avec plus de territoire gagné par la Russie.
Après la chute de l'Union soviétique, les États-Unis ont cherché et jusqu'à aujourd’hui cherchent, sans réussir, et en échouant constamment, un monde unipolaire dirigé par des États-Unis hégémoniques, dans lequel la Russie, la Chine, l'Iran et d'autres grandes nations doivent être soumises.
Dans cet ordre mondial dirigé par les États-Unis (c'est la phrase couramment utilisée aux États-Unis), les États-Unis et les États-Unis seuls déterminent l'utilisation du système bancaire basé sur le dollar, l'emplacement des bases militaires américaines à l'étranger, l'élargissement de l'adhésion à l’OTAN et le déploiement des systèmes de missiles américains veto ou dire par d'autres pays.
Cette politique étrangère arrogante a entraîné une guerre constante, des pays dévastés, des millions de morts, une rupture croissante des relations entre le bloc de nations dirigé par les États-Unis – une petite minorité sur la planète et maintenant plus économiquement dominante – et le reste du monde, une montée en flèche mondiale des dépenses militaires, et nous mène lentement vers la Troisième Guerre mondiale.
L'effort européen avisé d'une décennie pour engager la Russie et la Chine dans une collaboration stratégique économique et politique, soutenu avec enthousiasme par les dirigeants russe et chinois, a été brisé par la féroce opposition américaine, craignant que cela n’ait pu saper la domination américaine.
Est-ce le monde que nous voulons ?
Carlo Rovelli est un physicien théoricien et philosophe des sciences. Il est l’un des fondateurs de la gravité quantique à boucles (loop quantum gravity). En philosophie des sciences, il s’est intéressé aux relations entre philosophie et sciences. Auteur de plusieurs livres de vulgarisation scientifique, dont le succès international ‘Sept brèves leçons de physique’, puis ‘L’Ordre du temps’.
📰 https://www.pressenza.com/fr/2024/09/est-ce-le-monde-que-nous-voulons/
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