❖ Là où les oliviers pleurent
Les films sur la Palestine offre une fenêtre saisissante sur les luttes & la résilience de ce peuple sous occupation israélienne. Toulouse en abrite les archives filmiques ayant pu être sauvées.
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1 - Where Olive Trees Weep : Gabor Maté et Ashira Darwish parlent d'un nouveau film sur les traumatismes en Palestine - Democracy Now
2 - Les oliviers qui racontent l’histoire de la dépossession des Palestiniens - Meron Rapoport
3 - Toulouse, refuge des archives filmiques palestiniennes - Emmanuel Riondé
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Introduction
Where Olive Trees Weep (Là où les oliviers pleurent) offre une fenêtre saisissante sur les luttes et la résilience du peuple palestinien sous l’occupation israélienne. Il explore les thèmes de la perte, du traumatisme et de la quête de justice.
Nous suivons, entre autres, la journaliste et thérapeute palestinienne Ashira Darwish, la militante populaire Ahed Tamimi et la journaliste israélienne Amira Hass. Nous regardons également le Dr Gabor Maté soutenir un groupe de femmes en quête de compréhension et de guérison et offrir son point de vue sur les traumatismes intergénérationnels.
Les paysages anciens portent de profondes cicatrices, ayant été témoins de la réalité brutale de la confiscation des terres ancestrales, des expulsions, de l'emprisonnement, des démolitions de maisons, du manque d'eau et du déni des droits humains fondamentaux. Pourtant, à travers le voile de l’oppression, nous apercevons la résilience – des racines profondes qui ont porté le peuple palestinien à travers des décennies d’obscurité et de vies brisées.
Ce voyage émotionnel met à nu l’humanité des opprimés tout en se débattant avec la question : qu’est-ce qui rend l’oppresseur si impitoyablement aveugle à sa propre cruauté ?
Le film retrace le contexte de la crise actuelle en Israël/Palestine et met en lumière la vie des personnes que nous avons rencontrées lors de notre voyage en 2022 en Cisjordanie occupée. Leurs histoires universellement humaines parlent de douleur, de traumatisme et de résilience intergénérationnelles. Nous espérons qu’ils toucheront votre cœur, susciteront la compassion et la compréhension et donneront lieu à une quête de justice. Car sans justice, la paix reste un slogan vide de sens.
Le cinéma peut être une puissante force de changement. Notre objectif est, au-delà de la simple éducation, de véritablement émouvoir les cœurs et les esprits et d’inspirer le public à faire écho aux appels à la liberté, à l’égalité et à la dignité restés sans réponse depuis bien trop longtemps.
Le film est notre modeste contribution à notre rêve de mettre fin à l’occupation en Palestine, d’atteindre l’égalité des droits et un traitement équitable pour le peuple palestinien, et de propager la guérison pour tous les cycles intergénérationnels de traumatisme dans la région.
Source : https://scienceandnonduality.com/films/where-olive-trees-weep-coming-soon/
Pour connaître les personnes figurant dans le film ainsi que l'équipe , suivez ce lien : https://whereolivetreesweep.com/about/
1- ➤ Where Olive Trees Weep (Là où les oliviers pleurent) : Gabor Maté et Ashira Darwish parlent d'un nouveau film sur les traumatismes en Palestine
Un nouveau documentaire, Where Olive Trees Weep, explore les pertes et les traumatismes subis par les Palestiniens et leur lutte pour la justice après des décennies de vie sous l'occupation israélienne. Nous nous entretenons avec deux personnes figurant dans le film : Ashira Darwish, journaliste et thérapeute palestinienne, et le Dr Gabor Maté, médecin canadien d'origine hongroise dont les travaux portent sur la toxicomanie et les traumatismes.
"Je n'avais que 16 ans lorsque j'ai été enlevée", déclare Ashira Darwish, décrivant la première fois qu'elle a été battue et arrêtée par des soldats israéliens, ce qui l'a poussée à devenir journaliste afin de documenter l'occupation et de lutter contre elle. "Ce qui se passe en Palestine est dévastateur, et ce qui se passe en Cisjordanie et à Gaza dure depuis 75 ans.
Gabor Maté, survivant de l'Holocauste né en Hongrie, raconte son propre traumatisme en tant qu'enfant et affirme que les enfants palestiniens se voient infliger "la même horreur" aujourd'hui.
Par Amy Goodman, le 6 juin 2024, Democracy Now!
🎙 Amy Goodman : Ici Democracy Now !, democracynow.org, The War and Peace Report (Rapport sur la guerre et la paix). C'est Amy Goodman.
Nous abordons ce nouveau film, qui explore la lutte du peuple palestinien sous l'occupation israélienne à travers les thèmes de la perte, du traumatisme et de la lutte pour la justice. Il s'intitule Where Olive Trees Weep ('Là où pleurent les oliviers') et met en scène des personnes telles que le célèbre médecin traumatologue Gabor Maté, la journaliste israélienne Amira Hass, l'activiste palestinienne Ahed Tamimi et la journaliste et thérapeute palestinienne Ashira Darwish.
Voici la bande-annonce.
Ashira Darwish :
J'ai entendu parler de la souffrance des personnes torturées dans ces lieux. Je n'y ai jamais cru jusqu'à ce que je les voie. Et quand j'ai vu, je n'ai jamais cessé de le voir.
Neta Golan :
Il est essentiel que les gens comprennent la colonisation pour saisir ce qui se passe dans le monde. Et ici, en Palestine, vous savez, c'est ce qui se passe actuellement.
Amira Hass :
Alors, comment le monde peut-il fermer les yeux sur la violence israélienne incessante et dire qu'Israël est la victime ? C'est la grande - c'est la très grande question.
Ashira Darwish :
Je voyais cela et j'étais toujours surprise à chaque fois, je me demandais comment ce soldat avait pu me tirer dessus. Nous sommes tellement déshumanisés, au point qu'ils peuvent venir et vous exterminer, parce que, pour eux, vous n'êtes rien d'autre qu'un rat.
Dr. Gabor Maté :
Je ne suis pas pro-palestinien, mais je suis pro-vérité. Et la vérité, c'est que les Palestiniens sont opprimés, supprimés, assassinés, contrôlés et dépossédés depuis des décennies. C'est tout simplement la vérité. Il n'y a pas de syndrome de stress post-traumatique ici, parce que le traumatisme n'est jamais post-traumatique.
Ashira Darwish :
Le fait que votre frère et votre sœur soient enchaînés ne rendra pas cette expérience sur Terre acceptable. Vos chaînes seront toujours retenues par les miennes. Et si je ne suis pas libre, vous ne le serez pas non plus.
🎙 Amy Goodman : La bande-annonce du film Where Olive Trees Weep, dont la première a lieu aujourd'hui. Cette dernière voix, c'est celle d'Ashira Darwish, journaliste palestinienne et guérisseuse de traumatismes. Elle nous rejoint depuis Newton, dans le Massachusetts. Elle a travaillé comme journaliste et chercheuse pour la BBC, Human Rights Watch et Amnesty International. Nous sommes rejoints par le Dr Gabor Maté, médecin et auteur canadien de renom, qui figure également dans le film. Survivant de l'Holocauste, récipiendaire de l'Ordre du Canada et médecin hongrois canadien à la retraite, connu pour ses travaux sur les traumatismes, la toxicomanie et le développement de l'enfant, il est l'auteur d'un best-seller international de cinq livres publiés en 40 langues sur six continents. Sa dernière visite en Cisjordanie remonte à 2022, lorsqu'il a dirigé un atelier de guérison pour les femmes palestiniennes ayant été emprisonnées dans les prisons israéliennes. Il nous rejoint depuis la Provence, en France.
Nous vous souhaitons à tous deux la bienvenue à Democracy Now ! Je me demande comment vous avez été impliqués dans ce film. Et aussi, Ashira, en tant que journaliste et thérapeute, votre réaction aux dernières images montrant des jeunes hommes attaquant et encerclant un journaliste palestinien du nom de Saif Al-Qawasmi, attaqué dans l'exercice de ses fonctions, frappé à la tête, une vidéo dont le journaliste du Haaretz, Nir Hasson, a également dit que ce dernier avait été attaqué par un groupe de jeunes nationalistes israéliens et avait posté une vidéo montrant les scènes violentes ? Que se passe-t-il en ce moment en Cisjordanie, sur laquelle se concentre ce film, Where Olive Trees Weep ?
Ashira Darwish :
Bonjour, Amy. Je suis heureuse d'être ici avec vous depuis le territoire [inaudible].
Ce qui se passe en Palestine est dévastateur, et ce qui se passe en Cisjordanie et à Gaza se poursuit depuis 75 ans. Ce qui est arrivé aux journalistes n'est pas nouveau. Cela se produit quotidiennement. Cette fois-ci, les caméras ont été braquées. Des centaines de journalistes sont incarcérés dans les prisons israéliennes. Je connais personnellement mes amis et collègues qui ont été attaqués à Jérusalem, et c'est tout simplement horrifiant de les voir se faire passer à tabac.
Mais c'est la réalité de chaque marche à Jérusalem, où les Israéliens prennent le contrôle des rues et harcèlent, terrorisent la population. Et bien sûr, ils détestent les journalistes, parce qu'ils ne veulent pas être filmés alors qu'ils scandent "Mort aux Arabes" et qu'ils attaquent les Palestiniens. Chaque jour, un habitant de Jérusalem comme moi marche dans les rues de Jérusalem pour dire "nous sommes ici, et c'est notre droit d'être ici". Et nous sommes attaqués, nous sommes repoussés, et l'armée soutient ces colons qui marchent dans nos rues en nous assaillant. Et nous sommes pratiquement enfermés. Nous n'avons pas le droit de marcher dans nos rues. Les magasins sont tous fermés. C'est de la terreur pure et simple qui règne ce jour-là à Jérusalem.
Mais pour être honnête, c'est comme ça depuis bien avant le 7 octobre. Jérusalem est devenue une ville fantôme. Des soldats armés ont fermé l'entrée principale de la porte de Damas. Nos rues sont devenues des pièges mortels. Aller à la mosquée Al-Aqsa est l'un des lieux les plus spirituels, mais aussi, pour moi - en tant qu'enfant, j'ai grandi à côté de la mosquée Al-Aqsa - c'est mon terrain de jeu. Ne pas pouvoir y marcher - chaque fois que nous nous déplaçons, nous avons toujours peur des soldats qui marchent, et ils attendent que vous fassiez un sourire à un moment donné, que vous soyez pris, fouillé à nu, collé contre un mur. Être là devient de plus en plus terrifiant.
🎙 Amy Goodman : Dans le film, Ashira, vous décrivez votre propre expérience, lorsque vous avez été battue et arrêtée par les forces de sécurité israéliennes. Pouvez-vous décrire ce qui s'est passé ?
Ashira Darwish :
Ce jour-là, ma mère m'a réveillée. Nous vivions à l'époque plus près de Ramallah. Et elle voulait que j'aille à cette manifestation pacifique.
🎙 Amy Goodman : Quand était-ce ? En quelle année ?
Ashira Darwish :
C'était en 2001.
À cette époque où nous avions des manifestations en Cisjordanie la plupart du temps, et il s'agissait plutôt d'affrontements. Ma mère voulait m'emmener à une manifestation pour me montrer une autre manière de résister. Il s'agissait d'une manifestation conjointe d'Israéliens, de Palestiniens et d'internationaux, avec des chants. Au début, je me suis dit : "Mon Dieu, maman. Qu'est-ce que tu crois que ça va faire ? Qu'est-ce que nos chants vont faire pour libérer quoi que ce soit ou aider qui que ce soit ?" J'étais très sceptique. Et puis, quand j'ai vu les gens chanter, je me suis dit "Oh, c'est magnifique", parce que j'adore chanter, et nous avons commencé à chanter.
Et je n'avais même pas imaginé. Lorsque nous manifestons à Ramallah, les soldats sont loin. Ils vous tirent dessus. Si vous avez de la chance, vous êtes aspergés de gaz lacrymogène. Si vous n'en avez pas, vous recevez une balle réelle. Et il y a une distance entre nous et eux. Cette fois-ci, ils étaient très proches. Au début, les soldats nous ont foncé dessus avec des chevaux, puis ils ont mis en place des Musta'ribeen, des soldats israéliens infiltrés. L'un d'eux m'a saisie. Je pensais que nous faisions une chaîne humaine, mais je me suis rendu compte que tout le monde avançait.
C'était la première fois que je me sentais tenue et attaquée par les soldats. J'étais à terre et les caméras tournaient. Ils me frappaient les genoux à coups de bâton, en essayant de les briser. Je me souviens de m'être réveillée, d'avoir fermé les yeux et de ne pas avoir compris pourquoi les caméras me prenaient en photo. Je n'avais que 16 ans lorsqu'on m'a enlevée. Et je savais - je criais quand je suis montée dans la Jeep, et les autres activistes m'ont dit : "Calme-toi. Ils vont te prendre et te battre", jusqu'à ce que je voie un enfant qu'ils ont traîné et dont ils ont mis la tête dans - ils ont frappé sa tête dans la Jeep. Et là, je me suis dit : "OK, c'est très sérieux".
Et quand nous sommes allés au poste de police, j'ai pensé naïvement que la police - à ce moment-là, je ne réalisais pas encore vraiment la gravité de la situation. Je pensais donc que la police serait meilleure que les soldats. Et puis, évidemment, ce n'était pas mieux. J'ai été giflée au poste de police afin de signer un document. En gros, j'ai donné ma mère. Je leur ai dit que c'était la faute de ma mère, qu'elle m'avait emmenée, que je n'avais rien à voir avec ça, que je n'irais jamais là-bas de mon propre chef et - juste pour pouvoir sortir de cet endroit misérable. Et c'était la Muskubiya. C'est l'un des endroits les plus horribles de la planète Terre. Si j'ai un rêve dans ma vie, c'est celui de transformer cet endroit en musée, où l'on pourrait témoigner de ce qui a été fait aux gens dans cet endroit. C'était ma première expérience là-bas. Ensuite, j'ai été détenu deux autres fois. Mais, oui, c'était la première fois.
🎙 Amy Goodman : Pouvez-vous nous dire comment cette expérience vous a donné envie de devenir journaliste et pourquoi vous pensez que le journalisme peut jouer un rôle dans le rétablissement de la paix ?
Ashira Darwish :
Pour moi, la réaction a été presque immédiate à cause des caméras. J'étais vraiment bouleversée par le fait que les caméras me filmaient et qu'aucun des journalistes n'avait décidé de me prendre en charge ou de m'aider. Avant, je voulais travailler dans le domaine de la musique. C'était mon truc. J'ai toujours voulu chanter et psalmodier, et je jouais du qanun. C'est à ce moment-là, quelques mois plus tard, que je me suis inscrite à l'université et que je me suis dit : « Je vais faire du journalisme, parce que je veux exercer ce métier différemment. Je veux être une journaliste qui documente et essaie d'aider".
Et il n'y a rien de tel que d'être sur - toute cette théorie occidentale sur le reportage impartial. Si vous êtes neutre dans une situation de génocide, alors vous êtes complice du génocide. Il n'y a pas le blanc et le noir dans cette affaire. Le journalisme est une profession censée ouvrir les yeux des citoyens, afin qu'ils puissent faire quelque chose pour mettre les gouvernements au pas. Et, bien sûr, la situation actuelle est que les gouvernements et les capitalistes contrôlent les médias, ce qui fait que tout cela n'est qu'une seule et même chose. Mais c'est à ce moment-là que j'ai pris ma décision. Et oui, j'ai également payé pour cela par la suite, parce que j'ai également été arrêté pour mon journalisme, détenue à deux reprises.
🎙 Amy Goodman : Je voudrais passer à un autre extrait de Where Olive Trees Weep, qui présente la journaliste israélienne de longue date Amira Hass, fille de survivants de l'Holocauste, correspondante de Haaretz dans les territoires palestiniens occupés. Nous entendrons également notre prochain invité, le Dr Gabor Maté.
Amira Hass :
Il s'agit du projet actuel de colonisation qui, par définition, vise à s'approprier la terre et à créer un système politique excluant les populations indigènes. Il y a 200 ans, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande ou au Brésil, ce n'était pas considéré comme une violation. C'était la norme. Aujourd'hui, parce que le sionisme est un mouvement colonial anachronique, le monde comprend qu'il n'est pas conforme à la norme, mais l'accepte.
Dr. Gabor Maté :
En Terre sainte, il y a toujours eu beaucoup de violence, d'oppression et d'injustice, depuis l'Antiquité. Et puis, la fondation de l'État d'Israël, qui n'a pu se faire qu'en niant les droits de la population locale. En ce sens, il s'agit d'un autre projet colonial. En 1917, lorsque [Arthur] Balfour, le ministre britannique des affaires étrangères - qui diable était-il pour promettre une terre étrangère à quelqu'un d'autre ?
🎙 Amy Goodman : C'est le Dr Gabor Maté, médecin et auteur canadien acclamé, Canadien d'origine hongroise, qui nous parle de son retour en Hongrie. Aujourd'hui, vous vous trouvez en Provence, en France, Dr Maté. En Normandie, les dirigeants du monde entier se sont rassemblés pour le 80ème anniversaire du jour J, où plus de 150 000 soldats alliés ont forgé une tête de pont pour libérer l'Europe du joug des nazis d'Adolf Hitler. Vous avez vous-même vécu l'Holocauste, en fuyant la Hongrie. Pouvez-vous nous parler du lien entre cette expérience et vos profondes inquiétudes sur ce qui se passe en Palestine ?
Dr Gabor Maté :
Tout d'abord, merci de m'accueillir à nouveau dans votre émission, Amy. Et merci d'avoir couvert cette question au cours des derniers mois.
Une étude réalisée en 2005 fait état de nombreuses études sur la santé mentale des enfants palestiniens. Bien avant que le Hamas ne prenne le pouvoir à Gaza, un grand nombre d'enfants palestiniens et gazaouis présentaient des symptômes de stress post-traumatique, notamment cauchemars, agressivité à l'égard des parents et énurésie. J'ai fait pipi au lit jusqu'à l'âge de 13 ans, parce que je suis né la même année que le jour J - je suis né en janvier - en tant qu'enfant juif sous l'occupation nazie et les bombardements, avec tout le stress et le traumatisme que cela implique. Comment pourrais-je ne pas m'identifier à cette expérience ? Ma mère m'a emmenée voir un psychologue à l'âge de 8 ou 9 ans pour mon incontinence nocturne. Je me souviens de ce que la psychologue a dit : "Madame, si l'énurésie est le seul symptôme de cet enfant, vous avez beaucoup de chance."
Ce n'était pas le seul symptôme que j'avais. Si quelqu'un pense que l'histoire a commencé le 7 octobre, il devrait lire cette étude publiée dans la revue World Psychiatry. Les traumatismes auxquels les enfants sont le plus souvent exposés sont le fait d'avoir assisté à des funérailles, à des fusillades, d'avoir vu des personnes inconnues blessées ou mortes ou un membre de leur famille tué ou blessé. Un grand pourcentage de ces enfants présentait des symptômes de stress post-traumatique. Cela s'est passé il y a 20 ans en Palestine, en Cisjordanie et surtout à Gaza. Alors que nous célébrons le 80ème anniversaire du jour J, qui a marqué le début, du moins sur le front occidental, de la défaite de l'empire nazi, comment ne pas faire le lien avec ce qui se passe actuellement, alors que ces enfants de Gaza sont témoins de tout ce que je viens de décrire et dont les habitants de Gaza ont été témoins pendant des décennies, et que j'ai moi-même vécu lorsque j'étais enfant ? La résonance est tout simplement trop puissante.
Et ce film magnifique - et, en fait, la partie la plus belle du film, même si j'aime beaucoup mon amie Ashira, n'est pas celle qui la concerne, bien qu'elle y joue un rôle majeur. C'est lorsque les réalisateurs montrent l'expérience des paysans, des bergers et des gens ordinaires palestiniens, et ce que c'est que de vivre sous cette occupation brutale et implacable. Je me suis donc rendu sur place pour travailler sur ce projet. Et oui, cet anniversaire du jour J a une grande résonance pour moi. Encore une fois, c'est le 80ème anniversaire de ma propre naissance, cette année-là, mais aussi cette même horreur qui se reproduit aujourd'hui sur les enfants palestiniens et le peuple palestinien.
🎙 Amy Goodman : Dans cet extrait de Where Olive Trees Weep, diffusé en avant-première aujourd'hui, nous entendons la psychologue et militante des droits de l'homme Helena Beatriz Manrique Charro, de l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. Elle travaille avec les écoles des communautés bédouines de Cisjordanie.
Helena Beatriz Manrique Charro :
Vous n'êtes pas dans une situation où la situation traumatisante s'est produite et où les gens disposent maintenant d'un espace sûr où vous pouvez travailler sur cette situation. Il faut donc comprendre que le travail sur le traumatisme se fera dans un contexte de situation traumatique permanente. Vous ne pouvez pas mener une vie normale si vous êtes constamment exposé à la douleur, au chagrin et à la peine.
🎙 Amy Goodman : Dans cet extrait de Where Olive Trees Weep, le Palestinien Ahmad Saleh Barghouth raconte qu'il a été déplacé du village d'Al-Walaja lors de la Nakba.
Ahmad Saleh Barghouth :
Je suis né dans le village d'Al-Walaja en 1947. L'occupation israélienne a pris possession de notre village et nous a déportés. Nous avons été déplacés dans les collines et nous nous y sommes installés temporairement, dans des grottes et des tentes, dans l'espoir de retourner dans notre village, comme l'avaient promis les Nations unies. Nous avons vécu la vie de réfugiés, déplacés sans maison, sans terre et sans revenus. Être un étranger dans sa propre patrie est un sentiment terrible, un sentiment difficile à accepter, mais que pouvons-nous faire d'autre ? C'est la réalité dans laquelle nous vivons.
🎙 Amy Goodman : Dr. Gabor Maté, si vous pouvez prendre la parole à partir de là ? Vous êtes né trois ans auparavant. Vous avez aujourd'hui 80 ans. Parlez-nous de ce que cela signifiait pour vous de fuir la Hongrie et de ce que vous avez constaté lorsque vous êtes retourné en Cisjordanie il y a tout juste deux ans.
Dr. Gabor Maté :
Eh bien, vous savez, il y a de tristes parallèles.
Dans quelques jours, je me rendrai en Hongrie. Je montrerai pour la première fois à mes enfants l'endroit même, les pavés de Budapest, où ma mère m'a confié à un parfait inconnu pour me sauver la vie, et je ne l'ai pas revue pendant cinq ou six semaines. On peut traverser la Hongrie et l'Europe de l'Est sans savoir qu'il y avait une vie juive, des villages juifs, des bâtiments, des synagogues, des écoles. On peut traverser Israël sans savoir qu'il y avait une vie palestinienne, des villages, des écoles, des cimetières.
Je me suis rendu en Cisjordanie pour la troisième fois, il y a deux ans, afin de travailler avec ces femmes, dont beaucoup ont été torturées dans les prisons israéliennes et présentent tous les symptômes typiques de ce que nous appelons le syndrome de stress post-traumatique. Mais ce que je peux vous dire, c'est que l'atmosphère en Cisjordanie il y a deux ans, lorsque j'y étais, pesait bien plus que lorsque je m'y étais rendu pour la première fois au cours de la première Intifada. À l'époque, en 1992, lors de ma première visite, il y avait encore de l'espoir. Le monde semblait alors prêter attention à la cause palestinienne. Il y avait une certaine sympathie internationale pour les droits légitimes des Palestiniens. Il y a deux ans, c'était le découragement. La population se sentait seule, abandonnée. La pression de l'occupation, l'intensité de l'occupation - il n'y a pratiquement aucune famille dont les membres n'ont pas été emprisonnés à un moment ou à un autre. Il y avait l'intensité de l'occupation, les points de contrôle, la surveillance, ce terrible mur que vous pouvez voir [inaudible] des territoires occupés. Tout cela s'est combiné pour créer un sentiment de découragement et d'isolement.
Dans le même temps, j'ai été extrêmement impressionné par la résilience et l'endurance dont font preuve les Palestiniens. Je dois également mentionner ici les Israéliens sensibles et courageux qui s'opposent à tout cela, comme Amira Hass, l'une d'entre eux. Certains ont d'ailleurs participé à l'organisation de ma visite. Il ne s'agit donc pas d'une question de Juifs contre Arabes ou de Palestiniens contre Israéliens. Il s'agit d'un système qui s'est imposé comme un monstre, supprimant et comprimant la vie nationale, culturelle et personnelle des Palestiniens. C'est ce que j'ai vu lorsque j'étais là-bas il y a deux ans.
Ce qui est intéressant, c'est que les femmes avec lesquelles je travaillais présentaient le plus souvent un sentiment de culpabilité, parce qu'elles n'avaient pas été assez fortes pour résister, parce qu'elles n'avaient pas sauvé leurs amis. Il s'agit d'une réaction typique au traumatisme : ces choses, c'est de ma faute. Mais vous savez, en tant que personne travaillant sur les traumatismes, j'ai été choqué d'être témoin de tout cela à une telle échelle, même pour moi. Et que pouvais-je faire pour les aider ? Au moins, ce que je pouvais faire, et ce que ce film fait, et ce que votre programme fait si régulièrement, c'est témoigner, témoigner pour qu'ils ne se sentent pas abandonnés, pour qu'Ashira n'ait pas à se sentir si seule avec son expérience.
🎙 Amy Goodman : Nous tenons à tous vous remercier d'avoir été avec nous, Dr Gabor Maté, médecin canadien acclamé et auteur de nombreux livres, qui se rend maintenant en Hongrie, où, enfant, il a été remis par sa mère à un étranger alors qu'il fuyait l'Holocauste ; Ashira Darwish, journaliste palestinienne et guérisseuse de traumatismes - tous deux présentés dans le nouveau film, dont la première a lieu aujourd'hui, Where Olive Trees Weep ( Là où pleurent les oliviers).
📰 https://www.democracynow.org/2024/6/6/where_olive_trees_weep
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2- ➤ Les oliviers qui racontent l’histoire de la dépossession des Palestiniens
Chassés par la force, les Palestiniens de Saffuriya se sont vus interdire de revenir en 1948, laissant derrière eux des oliviers anciens dont s’occupent aujourd’hui des Juifs israéliens.
Par Meron Rapoport, 28 avril 2020, Agence Média Palestine
La semaine dernière, mon collègue Edo Konrad a publié un article révélant qu’en l’honneur du Jour du souvenir célébré par Israël, le ministère de la Défense avait décidé d’offrir aux familles israéliennes endeuillées des bouteilles d’huile d’olive produites dans une colonie de Cisjordanie occupée.
Cette huile d’olive est produite par Meshek Achiya, une usine située au cœur des territoires occupés, à environ 45 kilomètres au nord de Jérusalem, et fondée en1997 dans l’avant-poste de colonie d’Achiya. Comme Dror Etkes, expert en matière de création de colonies, l’a expliqué à Konrad, Achiya compte parmi les six avant-postes établis à l’ouest de la colonie de Shiloh pour s’emparer de terres appartenant à des propriétaires palestiniens.
À la suite de la publication de l’article, un certain nombre de familles endeuillées ont présenté une requête demandant au ministère de la Défense de reprendre ses cadeaux.
À la fin de la semaine, Haaretz Magazine a publié un article sur des Israéliens qui cultivent des oliviers anciens en Galilée, dans le nord d’Israël. L’article est centré sur la famille Noy-Meir, qui cultive des "centaines de vieux arbres", dont l’âge atteint bien souvent entre 200 et 800 ans, sur des terres mitoyennes du Moshav Tzippori en Basse-Galilée. L’huile d’olive produite par l’entreprise des NoyMeir, Rish Lakish, a reçu de vifs éloges de Ronit Vered, auteure de l’article et critique gastronomique d’Haaretz.
Mais comment des arbres aussi vieux sont-ils venus entre les mains de la famille Noy-Meir, qui s’est installée à Tzippori il y a à peine 20 ans ? Dans l’article, aucun contexte historique n’est fourni pour expliquer l’existence de ces arbres, lesquels, écrit Vered, "sont répartis sur une vaste superficie et se trouvent dans des prés où culture et récolte sont difficiles".
Nul besoin d’être un expert en arboriculture pour trouver une réponse : le Moshav Tzippori occupe des terres appartenant au village palestinien de Saffuriya, détruit et dépeuplé.
Selon Palestine Remembered, site web consacré à la préservation du souvenir de plus de 400 villages palestiniens détruits pendant la Nakba, Saffuriya était une localité relativement importante, comptant plus de 5000 habitants en 1948. Les alentours du village, selon le livre de Walid Khalidi All That Remains (Tout ce qui reste), étaient "dotés d’un sol fertile et de ressources en eaux de surface et souterraines", les olives étant la "production principale" du village.
L’armée israélienne s’est emparée de Saffuriya le15 juillet 1948. Selon des habitants du village, il n’est resté dans le village qu’un petit nombre de personnes après un bombardement aérien par les forces israéliennes, et rares sont ceux qui ont pu revenir et rentrer en possession de leurs biens.
Dans son livre The Birth of the Palestinian Refugee Problem (La naissance du problème des réfugiés palestiniens), qui révélait des archives d’État israéliennes dissimulées jusqu’alors (auxquelles Khalidi se réfère), l’historien israélien Benny Morris écrit que ceux qui étaient restés à Saffuriya en ont été chassés en 1948, mais que "des centaines de personnes sont revenues en s’infiltrant" au cours des mois suivants.
Les autorités israéliennes, écrivait Morris, craignaient, si on laissait rester sur place les Palestiniens qui étaient revenus, de voir le village "retrouver rapidement sa population d’avant-guerre". À ce stade, des colonies juives avoisinantes commençaient à "convoiter les terres de Saffuriya".
Selon Morris, un haut responsable israélien a déclaré en novembre 1948 : "Il y a près de Nazareth un village… dont les territoires les plus distants sont nécessaires à nos colonies. On peut peut-être leur octroyer un autre endroit.” Peu après, “les habitants ont été embarqués dans des camions en janvier 1949 et ont subi une nouvelle expulsion vers les localités arabes d’‘Illut, al-Rayna et Kafr Kanna".
En bref, les "centaines de vieux arbres" ne sont pas tombés du ciel. Les habitants palestiniens de Saffuriya les ont plantés et cultivés pendant des siècles. Les arbres leur ont été volés par la force. L’État donne ces arbres à bail après s’être arrogé la propriété des terres du village. Une partie de ces terres est maintenant incluse dans une forêt cultivée, plantée par le Fonds national juif.
La famille Noy-Meir a eu le mérite d’apporter une aide à des cueilleurs d’olives palestiniens de Cisjordanie et s’associe à des Palestiniens dont les familles ont été déracinées de Saffuriya. Cependant, ignorer l’histoire du village, comme le fait l’article d’Haaretz, ne vaut pas mieux que d’ignorer les terres volées sur lesquelles Meshek Achiya produit son huile d’olive en Cisjordanie.
Taha Muhammad Ali, le célèbre poète palestinien, est né à Saffuriya et en a été expulsé. La famille de Mohammad Barakeh, l’homme politique qui préside le Haut Comité de suivi des Arabes israéliens, a été déracinée de ce village. Saffuriya a disparu, mais son souvenir est vivant.
J’appartiens à un mouvement israélo-palestinien - Two States, One Homeland (Deux États, un pays) — qui fait la proposition suivante : chaque Palestinien, chaque Israélien juif, doit pouvoir vivre dans le lieu de son choix entre le fleuve et la mer, que ce lieu se trouve dans l’État d’Israël ou dans l’État de Palestine. Les réfugiés qui reviennent seront citoyens de la Palestine et pourront vivre en Israël comme résidents de plein droit, de même que les citoyens israéliens pourront vivre comme résidents de plein droit en Palestine. Une confédération établira un mécanisme destiné à faciliter la restitution des biens expropriés au cours du conflit et/ou à proposer une compensation financière.
Nous n’avons aucun avenir ici si nous fermons les yeux sur ce qui s’est passé en1948, en imaginant que le conflit a commencé avec l’occupation de 1967. C’est faux.
Une version de cet article a été publiée en hébreu sur Local Call. Pour la lire, c’est ici.
Meron Rapoport est rédacteur à Local Call.
Traduction : SM pour Agence Média Palestine - Source : +972 Magazine
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3- ➤ Toulouse, refuge des archives filmiques palestiniennes
Depuis un an, la Cinémathèque de Toulouse conserve des copies numérisées de films palestiniens tournés principalement dans les années 1970 par des réalisateurs militants. Des trésors d’héritage politique, collectés par la cinéaste Khadijeh Habashneh, qui ont vocation à repartir un jour en Palestine.
Par Emmanuel Riondé, journaliste, le 24 mai 2024, Orient XXI
Deux enfants jouant aux billes dans la poussière d’un camp de réfugiés ; un combattant qui file dans une ruelle, fusil mitrailleur au poing ; une femme affairée en cuisine ; le pas lent d’un vieillard arpentant son champ d’oliviers ; le regard de défi d’un jeune contrôlé par l’armée israélienne ; un intellectuel analysant les dernières tractations diplomatiques...
Ce sont des images en noir et blanc, abîmées pour beaucoup, à la bande-son parfois grésillante, ou incertaine. Mais des images importantes, des archives filmiques qui racontent la Palestine, l’occupation et la lutte, tout cela de l’intérieur, entre la fin des années 1960 et le début des années 1980. Inédites ou très peu connues, une bonne partie d’entre elles est désormais sous bonne garde à la cinémathèque de Toulouse, depuis la rentrée 2023.
Du fusil à la caméra
Au total, 34 films ont été numérisés - à défaut d’être restaurés - entre court, moyen et long-métrage. Il s’agit exclusivement de documentaires, tournés par des cinéastes palestiniennes et palestiniens. En mars 2024, le public a pu découvrir une partie de ces pépites diffusées au cours de deux soirées, les 8 et 9 mars, intitulées "Archives en exil", dans le cadre de la 10ème édition du festival Ciné-Palestine de Toulouse. Les deux soirs, face à une salle comble à chaque fois, se trouvait la réalisatrice palestinienne Khadijeh Habashneh. C’est grâce à son travail de recherche et de collecte durant ces vingt dernières années que cette précieuse sauvegarde a pu voir le jour.
On peut faire commencer l’histoire à l’été 1982. La direction de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et les fedayins palestiniens, assiégés par l’armée israélienne, quittent alors Beyrouth par bateau sous la protection d’une force multinationale. Ils laissent un petit trésor dans la capitale libanaise : une cinémathèque contenant les films réalisés par des palestiniens et des palestiniennes, produits ou co-produits par différentes formations de l’OLP (notamment le Fatah, le Front démocratique pour la libération de la Palestine - FDLP, le Front populaire pour la libération de la Palestine - FPLP), mais aussi par des cinéastes étrangers amis de la révolution palestinienne. S’y trouve également une importante archive de matériel filmique non monté, tourné depuis 1967 par tous ces réalisateurs·trices palestiniens et étrangers. Khadijeh Habashneh faisait partie du convoi qui quittait le Liban. Jointe à Amman par Orient XXI, elle se souvient :
Nous avions entre 85 et 90 films dans notre cinémathèque à Beyrouth, et beaucoup d’images documentant les activités du mouvement de résistance : un affrontement avec les sionistes, la vie quotidienne et la situation des populations dans les camps, une manif, un sit-in, les activités sociales et culturelles, des séances d’entraînement au maniement des armes, l’enseignement dans les camps, etc. Toutes les activités de la révolution... Mais cela faisait beaucoup de documents accumulés, et nous n’avons pas pu les emporter avec nous lorsque nous avons pris le bateau.
Les premiers films ont été réalisés à partir de 1967 par les cinéastes palestiniens Mustafa Abu Ali, futur mari de Khadijeh Habashneh, Hani Jawhariyya et Sulafa Jadallah. L’année suivante en Jordanie, ils et elles seront à l’origine de la fondation d’une Unité du cinéma de Palestine (Palestine film unite), structure dépendant du Fatah qui deviendra en 1970 l’Institut du cinéma palestinien (ICP) placé sous la tutelle de l’OLP (1).
Films achevés et montés ou simples bobines de rushs, l’ICP détient un matériel cinématographique réalisé et produit par des cinéastes "qui voulaient s’engager dans la lutte palestinienne, et cela passait pour eux par le cinéma et la photo", résume Hugo Darroman, docteur en études cinématographiques et spécialiste du cinéma palestinien (2). Il s’agit alors - c’est une urgence politique - de documenter, raconter et accompagner la lutte de libération nationale. Leurs images et leurs films, où le passage du fusil à la caméra est souvent perceptible, vont trouver une place dans le "troisième cinéma", du nom de ce courant cinématographique né en Amérique latine dans les années 1960.
Aux côtés de films produits par les différentes organisations de l’OLP figurent d’autres travaux sur la Palestine réalisés et/ou coproduits par des Vietnamiens, des Soviétiques, des Cubains... Du documentaire quasi exclusivement. "À l’époque, on ne pouvait pas faire de fictions, explique Khadijeh Habashneh. Cela nécessitait beaucoup d’argent et ce n’était pas facile à distribuer dans les cinémas. Nous avons donc fait essentiellement des documentaires qui ont tourné dans les festivals...". Des copies sont adressées aux représentations de l’OLP à l’étranger, aux camarades révolutionnaires dans le monde arabe et en Europe, à des groupes de cinéastes amis. Un peu partout dans le monde, les images passent dans des clubs, des centres sociaux, sont projetées dans des débats et des rencontres. "Dans les années 1970, le cinéma palestinien était l’un des cinémas militants les plus connus...", assure la réalisatrice.
Archives volées par l’armée israélienne
Malgré l’exode palestinien de 1982, des membres de l’ICP restent à Beyrouth et tentent de mettre tous les originaux des films et archives de l’Institut à l’abri. Mais quelques années plus tard, on perd la trace des bobines, volatilisées pendant la guerre qui ne s’achèvera qu’en 1990.
L’universitaire israélienne Rona Sela qui travaille sur "l’histoire visuelle du conflit israélo-palestinien" a levé le voile sur ces disparitions dans un article paru en 2017 et intitulé "Saisies à Beyrouth, les archives pillées de l’Institut du cinéma palestinien et de la section art et Culture" (3). Conservés au Studio Rock de Beyrouth, les films disparaissent dès 1982. Les rushs bruts, passées des quartiers Al-Fakhani à Al Hamra dans Beyrouth, vont elles disparaître en 1986, alors que la guerre des camps ravage la capitale libanaise. Les recherches de l’universitaire, "basées sur différentes sources, révèlent que plusieurs films de l’ICP qui se trouvaient au Studio Rock ont été saisis par les forces de défense israéliennes et sont donc entre les mains du département israélien d’archives militaires", écrit Rona Sela, soulignant qu’en revanche aucune "saisie" israélienne (un vol, en clair) "n’a été confirmée pour les archives [filmiques palestiniennes]".
Pour Hugo Darroman, "l’hypothèse la plus probable, même si elle n’a jamais été officiellement confirmée par les autorités israéliennes, est que c’est bien Israël qui a récupéré et détient à ce jour ces archives". De fait, le doute est faible. Selon le site "lanceur d’alerte" Madanïya, le ministère de la défense israélien admet que les archives de l’armée contiennent 158 films saisis lors de la guerre du Liban en 1982.
C’est en 2004 que Khadijeh Habashneh décide de se lancer dans la quête de ces films disparus. Installé à Ramallah, son mari Mustapha Abu Ali, réalisateur en 1974 du film devenu un classique They do not exist ("Ils n’existent pas", en référence à la phrase prononcée en 1969 par Golda Meir, niant l’existence du peuple palestinien), veut recréer une cinémathèque palestinienne. Lorsqu’il meurt en 2009, Khadijeh poursuit seule le travail de recherche et de collecte. Durant plus de quinze ans, elle va parcourir l’Europe, le Maghreb et le Proche-Orient, multiplier les mails et les échanges téléphoniques. Elle résume : "J’ai contacté plus de cent personnes, partis politiques, officiels, anciennes représentations devenues des ambassades qui étaient susceptibles de détenir des copies. Nous avons récolté une soixantaine de films, nous en avions déjà 30". En 2012, elle apprend que les Archives audiovisuelles du Mouvement démocratique ouvrier (AAMOD) ont récupéré les archives du parti communiste italien. Y figure entre autres un film sur le massacre, la bataille et la résistance du camp de Tal al-Zaatar en août 1976, au Liban (4). Au fil des recherches, d’autres films de cette période, conservés notamment à Berlin et en Tunisie, resurgissent. Mais beaucoup, parmi les copies sur lesquelles elle remet la main, doivent être sauvées et conservées.
En résonance avec la ville rose
En 2018, la cinéaste est invitée lors de la 4ème édition du festival Ciné Palestine de Toulouse pour participer à une table ronde sur la question des archives. Elle cherche des partenariats et des lieux pour sauvegarder tout ce qu’elle a récolté. Un an plus tard, Franck Loiret, le directeur délégué de la Cinémathèque de Toulouse la rencontre à Jérusalem puis à Ramallah. "Le projet était incroyable, elle a passé toute une partie de sa vie à chercher des copies de films, on ne pouvait pas la laisser seule avec ça...", témoigne-t-il.
Ouverte en 1964, la Cinémathèque de Toulouse, deuxième nationale après celle de Paris, abrite l’une des collections les plus importantes d’Europe, avec près de 53 000 copies de films. "Et nous avons, à Toulouse, historiquement un grand fond militant", ajoute Franck Loiret, pour qui les films récoltés par Khadijeh Habashneh "résonnent" avec cette histoire. Il précise toutefois :
Mais le travail que nous faisons, nous, c’est d’abord celui d’historiens du cinéma. Ces films doivent être traités, analysés et vus par des étudiants, des chercheurs, le plus possible. Je tiens toujours à ce qu’ils soient présentés avec des spécialistes qui connaissent l’histoire dont il est question. Ces films sont passés près de la catastrophe, notre rôle à nous c’était de les sauver.
Un budget de 50 000 euros environ a permis de les rassembler, de les faire venir à Toulouse depuis Amman et Le Caire (où demeurent sept films trop endommagés pour être récupérés) et de les numériser. Il faudra autour de 15 000 euros supplémentaires pour la deuxième phase consistant à les faire circuler. En plus de la Cinémathèque de Toulouse, le ministère palestinien de la culture, le Consulat général de France à Jérusalem et la Fondation Art Jameel à Dubaï sont dans la boucle. Selon l’accord signé entre les parties, l’établissement du sud-ouest s’engage à conserver ces archives filmiques jusqu’à ce que la Palestine ait une structure en mesure de les récupérer et de les conserver dans de bonnes conditions. Tant physiques et chimiques que politiques.
Asmaa Alatawna, journaliste franco-palestinienne, correspondante de 1997 à 2000 de l’agence de presse espagnole EFE dans la bande de Gaza, a découvert l’existence de ces films lors du festival Ciné-Palestine en mars. Elle a notamment pu voir "Scènes d’occupation à Gaza", un documentaire de 13 minutes, tourné en 1973 par Mustapha Abu Ali, qui montre à la fois la violence de l’occupation et la puissance de la résistance intérieure palestinienne, dans ce territoire où elle a grandi et où se trouve encore sa famille :
Jeune, les seules images de Palestine que je voyais étaient celles de l’actualité et provenaient toujours d’un regard extérieur, celui des Israéliens ou de journalistes étrangers. Là, ce sont des Palestiniens qui ont filmé. Et ce sont des images de l’époque de mes parents et de mes grands-parents. Elles corroborent tous les récits qui m’ont été transmis oralement dans la famille. L’exil, les violences, les destructions... C’est comme si elles venaient acter ce qu’ils m’ont raconté. En les voyant, ça m’a fait l’effet d’un puzzle, de pièces qui s’assemblaient.
Pour Asmaa, les Palestiniens ont "la mémoire un peu bousillée" par 75 ans d’occupation et de narration sioniste. "C’est pour ça que ces images sont très importantes, insiste-t-elle. C’est comme un miroir...". Faire voir ces images au plus grand nombre de Palestiniens est aussi l’ambition de Khadijeh Habashneh :
Nous ne pouvons pas laisser les archives en Palestine aujourd’hui, elles seraient en danger, les Israéliens détruisent tout. Mais une grande partie de notre peuple n’a jamais vu ces films. Or, l’histoire et l’héritage culturel sont constitutifs de nos identités d’êtres humains. Alors, quand ce sera possible, ces archives iront à la Médiathèque nationale palestinienne et seront à la disposition du peuple. Pour qu’il voie ces images et connaisse cette histoire, dont il doit être fier. C’est très important.
📰 https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/toulouse-refuge-des-archives-filmiques-palestiniennes,7359
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