❖ La Colombie du bon côté de l'histoire grâce à son président Gustavo Petro
Petro effraie les élites, un homme politique, un bon, osant s'engager en public sur des questions dépassant le champ de manœuvre, étiqueté par les puissances dominantes du monde, une cible à abattre
La Colombie est du bon côté de l'histoire
Daniel García-Peña est le nouvel ambassadeur de la Colombie aux États-Unis sous son premier gouvernement de gauche. Il s'est entretenu avec Jacobin au sujet de la campagne judiciaire de la droite contre le président Gustavo Petro, de la rupture des liens diplomatiques avec Israël et d'une Colombie plus indépendante.
Interview de Daniel García-Peña, nouvel ambassadeur de Colombie aux États-Unis, par Luca DeCola, le 17 octobre 2024, Jacobin
Introduction
Alors qu'il entame sa troisième année de mandat, Gustavo Petro, le premier président colombien de gauche, a récemment attiré l'attention du monde entier sur son pays face à ce qu'il a décrit comme "le début du coup d'État" contre son administration. Bien que Gustavo Petro ait réussi à mettre en œuvre une réforme des retraites, une réforme fiscale de 4 milliards de dollars, une nouvelle stratégie de lutte contre la drogue et un changement sans précédent de la politique étrangère de la Colombie, les efforts de la gauche pour changer la Colombie ont été menacés par un barrage constant de contestations juridiques de la part des forces et des élites de droite.
Daniel García-Peña, le nouvel ambassadeur de Petro aux États-Unis - historien, journaliste primé, haut commissaire pour la paix sous le président Ernesto Samper, et conseiller de l'Alliance démocratique M-19, aujourd'hui disparue - aborde ces défis dans cet entretien pour Jacobin. Comment le premier gouvernement de gauche colombien va-t-il se comporter avec les États-Unis, qui ont longtemps compté sur les dirigeants conservateurs de ce pays d'Amérique latine pour sauvegarder leurs intérêts impériaux ?
S'entretenant avec le photographe Jesse Gwilliam et le chercheur indépendant Luca DeCola, l'ambassadeur García-Peña a abordé la question de la lawfare (ndr : guerre juridique, instrumentalisation politique de la loi) contre l'administration de Gustavo Petro, les tensions internes et les défis auxquels est confrontée la gauche colombienne, les perspectives de paix dans un conflit armé interne et la rupture des liens diplomatiques entre la Colombie et Israël.
Luca DeCola :
Je voudrais commencer par vous interroger sur ce que le président a appelé "l'avancée d'un coup d'État en douceur" en Colombie. Comment évaluez-vous l'assaut actuel de la droite contre l'administration de Petro sous la forme de campagnes de désinformation et de guerre juridique ?
Daniel García-Peña :
Le président Petro représente, sans aucun doute, un problème pour les intérêts de l'élite qui ont gouverné le pays pendant des décennies. Son administration et ses partisans s'attaquent à un système politique et à un modèle économique bien ancrés, avec des pratiques politiques qu'il est très difficile de changer du jour au lendemain. Personne à gauche ne s'attendait à ce que ce soit un long fleuve tranquille.
En Colombie, la lawfare est devenue un obstacle au changement, une méthode utilisée par les élites pour étouffer l'agenda progressiste du gouvernement, mais c'est aussi un signe du désespoir de la droite et, à bien des égards, de sa faiblesse. L'élection de Petro en 2022 était un résultat indirect de l'accord de paix de 2016 avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l'aboutissement d'une lutte constante pour la démocratie, les droits de l'homme et l'expansion de la gauche colombienne. Il fallait donc s'attendre à ce qu'une élite qui, contrairement à d'autres pays d'Amérique latine, a maintenu les mêmes personnes et les mêmes familles au pouvoir pendant des siècles, se livre à des actes illégaux sauvages.
Jesse Gwilliam :
Pensez-vous que la coalition du Pacte historique a la force interne et la cohérence politique nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux de Petro face à l'assaut de la droite et à un parlement hostile ? Ou s'agit-il d'un moment historique dont les fondements sont plus fragiles et susceptibles de manquer de longévité ?
Luca DeCola :
Il s'agit d'une question très difficile, qui concerne non seulement la gauche démocratique colombienne, mais aussi la gauche internationale. Comment reconnaître la diversité des idées et des forces de la gauche et, en même temps, la nécessité d'une structure politique unifiée et organisée ?
Dans sa dernière phase, le Pacte historique est essentiel car il rassemble un large éventail de groupes, de mouvements sociaux et de partis politiques. Cependant, le parti n'a pas d'organisation ou de structure cohérente ; la seule chose qui maintient la coalition est la figure de Petro, lequel est occupé à gouverner le pays. Nous nous efforçons donc toujours de trouver un équilibre entre la diversité politique, qui est nécessaire, et un programme politique capable de remporter les élections. C'est de cela qu'il s'agit.
Néanmoins, il existe un agenda pour le changement, un programme et des idées au-delà du Petro. La Colombie est en train de changer, et les réalités du moment présent forcent les citoyens à se confronter à la nécessité de se rassembler autour de ce programme pour mettre en œuvre des réformes des retraites, des soins de santé et de l'éducation, pour défaire les politiques néolibérales précédemment mises en œuvre en Colombie, et pour parvenir à une paix durable.
Luca DeCola :
Le tribunal américain du district sud de Floride a récemment reconnu la responsabilité de Chiquita Brands International dans le financement des paramilitaires des Forces unies d'autodéfense de Colombie (AUC). Pouvez-vous nous parler de l'importance de ce verdict pour les Colombiens ?
Daniel García-Peña :
Le verdict prononcé en Floride à l'encontre de Chiquita Brands est important pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il y a la question du système judiciaire colombien. Le président Petro a abordé ce point en tweetant : "Pourquoi le système judiciaire américain a-t-il pu déterminer de manière judiciaire que Chiquita Brands finançait le paramilitarisme à Urabá ? Pourquoi le système judiciaire colombien n'a-t-il pas été capable de le faire ?".
Les paramilitaires et Chiquita Brands n'ont pas agi en vase clos ; ils ont travaillé en étroite collaboration avec les élites économiques colombiennes. Mais qui sont ces Colombiens impliqués ? Qui sont les élites colombiennes qui ont financé les paramilitaires ? Le chemin à parcourir est encore long et la justice colombienne est loin d'avoir traité l'implication des élites dans le paramilitarisme.
Le verdict concernant Chiquita rappelle également l'évolution de ces groupes paramilitaires. Aujourd'hui, les élites n'ont plus besoin de groupes armés ; les personnes qu'elles voulaient assassiner l'ont été, et les terres qu'elles voulaient accaparer l'ont aussi déjà été. Dans de nombreuses régions de Colombie, les paramilitaires ont gagné la guerre. C'est triste et effrayant à dire, mais c'est vrai.
Nous avons maintenant une nouvelle phase de renforcement des forces paramilitaires, une nouvelle génération : les fils, les héritiers des paramilitaires, qui n'ont jamais pris les armes mais ont été envoyés étudier aux États-Unis et sont tous des hommes d'affaires. Et une partie considérable de leur succès, disons-le, est leur capacité à dominer le système politique et à infiltrer les partis politiques - la parapolitique.
Luca DeCola :
Pouvez-vous évoquer les efforts déployés par le gouvernement pour réaliser son programme de paz total (paix totale) et négocier un accord avec les acteurs armés, notamment les guérilleros de l'Armée de libération nationale (ELN) ? Quelles sont les perspectives actuelles de paix ?
Daniel García-Peña :
Aujourd'hui, l'obstacle le plus important aux négociations de paix est constitué par les tensions internes au sein de l'ELN, qui ont culminé avec la récente scission du front sud-ouest de la guérilla et la poursuite de négociations séparées avec le gouvernement. L'ELN est une organisation très différente des FARC, dont la structure de commandement est beaucoup plus décentralisée et où chaque front dispose d'une grande autonomie.
Compte tenu de leurs origines idéologiques et historiques dans la théologie de la libération, où l'appartenance à l'ELN est presque comme l'appartenance à une organisation religieuse, la question de l'unité est cruciale. Ces tensions internes ont donc suscité une réaction de la part du centre de commandement de l'ELN, qui considère la scission du front sud-ouest comme une tentative du gouvernement de diviser les guérilleros.
Pourtant, aucune négociation avec l'ELN n'a progressé autant qu'aujourd'hui sous le président Petro, et de loin. Non seulement c'est la première fois que l'ELN s'engage dans un processus de paix, mais je constate que la base sociale et politique de l'ELN exerce en fait une pression politique sur la guérilla pour qu'elle parvienne à une résolution.
L'inefficacité et la bureaucratie de l'État colombien constituent un autre aspect de ce conflit qui n'est pas exclusivement un problème pour Petro ou son gouvernement. L'ELN a donc malheureusement raison, à bien des égards, de pointer du doigt l'incapacité de l'État colombien à mettre en œuvre une politique en général, ce qui constitue également un problème considérable dans le cadre de l'accord de paix de 2016. Le fait que tant de signataires de l'accord de paix de 2016 aient été assassinés montre que nous n'avons toujours pas réussi à surmonter ce qui s'est passé avec l'assassinat systématique du parti de l'Union patriotique dans les années 1980, 1990 et au début des années 2000. Il est difficile de comprendre comment un pays avec autant de violence a pu en même temps générer des processus démocratiques.
Luca DeCola :
Pouvez-vous nous parler de la rupture des liens diplomatiques entre le gouvernement colombien et Israël en raison du génocide perpétré à Gaza, ainsi que l'avenir des relations entre la Colombie et les États-Unis ?
Daniel García-Peña :
Le fait est que la Colombie est du bon côté de l'histoire. La décision de Petro de rompre les liens diplomatiques avec Israël s'inscrit dans le cadre d'un tollé international contre le gouvernement israélien. L'arrêt des ventes d'armes d'Israël à la Colombie n'aura pas d'impact substantiel sur l'économie d'Israël, qui pourra les vendre ailleurs. Mais d'un point de vue moral et éthique, c'est la meilleure chose à faire. Je suis fier que notre président et notre pays soient devenus si catégoriques et si virulents sur cette question.
J'ai récemment été invité à un événement à l'université de Californie à Santa Barbara. Des gens venus de partout - du Soudan, d'Égypte et d'ailleurs - m'ont dit : "Ah, votre président est en faveur du peuple palestinien". À bien des égards, Petro est l'une des voix majeure l'Amérique latine sur la question de Gaza.
La politique étrangère de la Colombie a toujours été très timide et les administrations précédentes n'ont jamais voulu contrarier les États-Unis. En fait, à Washington, l'un des membres du personnel de l'ambassade colombienne m'a récemment dit qu'il était courant dans le passé que le gouvernement colombien informe les États-Unis avant de faire une annonce publique sur une quelconque question politique.
Mais cette fois, lorsque nous avons rompu nos liens avec Israël, nous n'avons rien dit aux États-Unis. Ils sont capables de lire les gros titres du New York Times comme tout le monde. Ce sont là quelques-uns des signes d'un État colombien plus indépendant et plus souverain, et les États-Unis devront s'en accommoder.
📰 https://jacobin.com/2024/10/colombia-petro-ambassador-israel-lawfare
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Gustavo Petro
Les politiciens du futur et les obstacles actuels
Par Boaventura de Sousa Santos, le 15 octobre 2024, Savage Minds
La période récente n'a pas manqué de raisons d'être pessimiste. En effet, la paix, la démocratie et la garantie minimale de la durabilité écologique, trois sources de stabilité et de civilité dans les relations sociales, ont été fortement mises à mal par de nombreuses menaces. L'esprit du temps, tout en dégradant les institutions, les relations entre les citoyens et l'État ainsi que les relations entre les États, détériore également les relations entre les personnes sur les lieux de travail, les communautés et les familles et, enfin, les relations entre la vie humaine et la vie non humaine, que nous appelons communément la nature, comme en témoignent les événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents.
Mais comme c'est typiquement le cas chez les humains, au milieu de la tempête apparaissent des signes de calme, au cœur du puits d'angoisse le plus profond, l'espoir renaît de la lumière au bout du tunnel, au cœur de l'oppression existe toujours un résistant, au milieu du conformisme, quelqu'un qui dit non, comme nous l'a si bien chanté le regretté interprète de la résistance antifasciste au Portugal, Adriano Correia de Oliveira. Dans Men in dark times (Hommes des sombres temps), titre d'un receuil d'Hannah Arendt, nous devons valoriser tout ce qui peut sauver la dignité de la vie humaine. Après tout, la grande énigme est que nous existons au lieu de ne pas exister. Dans un univers où tant de choses ont dû coïncider pour qu'émergent des êtres particulièrement conscients, des êtres conscients de l'existence de leur propre conscience et qui y réfléchissent.
En politique, le monde a été avare en leaders à même de susciter une admiration particulière. La petite politique des affaires et des crises actuelles et permanentes favorise l'émergence d'hommes politiques mineurs, parfois très mineurs. Cette troisième décennie du millénaire s'est révélée particulièrement pauvre et, pour cette raison, les leaders qui se distinguent méritent une attention toute particulière.
Dans le contexte actuel, il existe deux types d'hommes politiques compétents. Le premier type concerne les hommes politiques qui gèrent au mieux la politique actuelle que les forces politiques nationales et internationales leur imposent. Cela devrait être le devoir de tout bon dirigeant politique à notre époque. Pour donner des exemples, je pense qu'au niveau national, le meilleur que je connaisse est le président brésilien Lula da Silva, surtout parce qu'il le fait dans les pires conditions possibles (hégémonie de la droite sur la société et les médias ainsi qu'un Congrès majoritairement de droite). En termes de politique internationale, deux dirigeants politiques portugais compétents appartiennent à cette catégorie : António Guterres, secrétaire général de l'ONU, et António Costa, président élu du Conseil européen. L'un ou l'autre de ces hommes politiques (nous ne pouvons que spéculer sur António Costa) peut être considéré comme un dirigeant compétent dans le cadre du champ de manœuvre autorisé qui leur a été accordé. Ils sont des leaders compétents dans la gestion du passé parce qu'ils président des formes d'institutionnalité nationale ou internationale qui, comme je l'ai dit, montrent des signes d'effondrement, que ce soit celui de la démocratie ou celui pour la paix. Ils risquent d'être les fossoyeurs des institutions pour lesquelles ils ont été élus pour les sauver.
C'est pourquoi les projecteurs devraient être braqués sur l'autre espèce d'hommes politiques, les bons hommes politiques, ceux de l'avenir, ceux qui osent s'engager publiquement sur des questions dépassant le champ de manœuvre que les forces politiques nationales et internationales veulent leur imposer. Ce sont les hommes politiques qui usent de leur position pour élargir le champ étroit des libertés autorisées. Ces derniers courent des risques sérieux, précisément en raison de la désobéissance civile et politique qu'implique leur pratique.
À mes yeux, le dirigeant politique le plus distingué au monde est Gustavo Petro, président de la Colombie. Je le connais depuis de nombreuses années, mais je dois dire que j'ai été surpris lorsque j'ai lu son discours prononcé lors de la première Assemblée générale des Nations unies à laquelle il a assisté. C'était la première fois que j'entendais le président d'un pays parler avec autant de compétence technique et de conviction politique du grand problème tabou de notre époque : la probabilité de la sixième extinction, l'extinction de l'espèce humaine en raison de la catastrophe écologique qui se profile. Il a clairement démontré que si nous ne cessons pas de consommer gaz, pétrole et charbon, le risque d'extinction de l'humanité est bien réel.
On imagine la menace que cela représente pour tous les intérêts économiques, politiques et financiers et les pouvoirs qui les représentent. C'est le sujet le plus radicalement banni par les forces politiques internationales qui contrôlent l'agenda politique mondial (et donc onusien) sur le changement climatique et son chapelet de COP régulières et inutiles. C'est le sujet qui par excellence va au-delà des libertés autorisées parce qu'il remet en cause le (dés)ordre capitaliste et néocolonialiste dominant. Ce fut l'un des discours les plus importants prononcés dans le grand auditorium de l'ONU depuis sa fondation.
À partir de là, j'ai senti que Petro était un homme politique étiqueté par les puissances dominantes du monde, une cible à abattre. Ils lui ont accordé un peu de temps, espérant que son discours serait une manifestation éphémère, une vanité passagère d'un nouvel homme politique sur la scène internationale désireux de se faire un nom. La vérité est que Gustavo Petro a tenu le même discours à chaque réunion internationale à laquelle il a participé, et qu'il l'a fait avec de plus en plus d'habileté et de véhémence. En conséquence, il a connu quelques moments de friction avec certains de ses principaux alliés continentaux, en particulier Lula da Silva.
Son discours le plus récent et le plus incisif a été prononcé le 27 septembre lors du congrès organisé par la Cour constitutionnelle dans la ville de Manizales. Il s'agit d'un discours anthologique dont je vous cite un passage particulièrement important.
"À la réunion de Davos (Suisse) voici deux ans, à laquelle j'ai été invité, les personnes qui s'y sont rendues, qui se qualifient elles-mêmes de riches du monde, de super-riches, on les appelle maintenant milliardaires, avec un grand "M", en raison de l'énorme fortune qu'elles ont accumulée, ont exprimé avec leurs propres mots que l'humanité vivait une pluricrise, c'est le nom qui a été inventé : la pluricrise. Plusieurs crises en même temps.
Nous venions de traverser la pandémie Covid, il y avait à l'époque, comme nous l'avons subi ici en Colombie, une pénurie alimentaire ayant entraîné une recrudescence de la faim dans le monde en raison du prix des intrants et des aliments eux-mêmes à l'échelle mondiale, ce qui a provoqué l'inflation en Colombie lors du processus de passation de pouvoir, nous vivions la guerre qui commençait en Ukraine, nous vivions l'effondrement climatique, nous le vivons encore, et cela a été considéré comme plus que la crise et la stagnation économique. Les cinq crises qu'ils ont élucidées au sein de leur club social et qui, à travers les médias, sont exprimées comme les idées de ceux ayant accumulé le plus de capital au monde par rapport à l'humanité.
Cinq crises simultanées qui, à mon avis, sont liées et méritent une analyse détaillée de chacune d'entre elles, ce que nous ne pourrions pas faire aujourd'hui, mais parce qu'elles sont liées, pourquoi la guerre, pourquoi la faim, pourquoi la pauvreté et l'inégalité sociale qui l'accompagne, pourquoi la stagnation économique, pourquoi la pauvreté et l'inégalité sociale qui l'accompagne, pourquoi la stagnation économique. Elles sont liées à l'effondrement du climat, que je n'appelle plus une crise."
L'effondrement climatique
"La dénomination a changé, car il y a quelques années, on parlait de changement climatique... Mais depuis que la destruction de la forêt amazonienne dues aux incendies a commencé ce mois-ci, le concept doit passer de crise à effondrement, la destruction de la forêt amazonienne, selon la science, étant l'un des points de non-retour, un concept qu'ils ont construit, que nous n'aurions jamais dû atteindre et dont nous faisons déjà les frais. Cette question n'est pas discutée en politique, elle n'est pas abordée dans le débat politique, que ce soit à droite ou à gauche, et le problème de l'effondrement du climat n'est pas abordé dans les discussions humaines.
C'est la science, et quand la science lance un débat, c'est parce que la politique et les systèmes d'idées qui entourent la politique, la discussion politique, ont été complètement laissés de côté, sont devenus obsolètes. J'ajouterais l'économie, ma profession, à la politique, parce que c'est l'économie qui génère la crise ou l'effondrement climatique.
Et c'est là, disons, le point central de cette question, ce n'est pas comme les cinq précédentes extinctions de la vie sur la planète, que nous avons déjà eues par cinq fois, toutes pour des raisons climatiques, toutes. Une espèce est sauvée et reproduit le cycle de vie suivant jusqu'à ce qu'un nouveau choc climatique survienne, qu'elle disparaisse et que quelque chose fasse apparaître une nouvelle espèce, un nouveau système de vie. Cela s'est déjà produit cinq fois et c'est la sixième fois que cela se produit sur la planète Terre".
Alors que le président Petro parlait du point de non-retour de l'effondrement écologique, ses ennemis politiques, eux, pensaient à un tout autre point de non-retour : mettre fin à son mandat présidentiel par un coup d'État institutionnel, du type de ceux qui ont renversé ou paralysé d'autres présidents progressistes d'Amérique latine à partir de 2009 : Manuel Zelaya au Honduras (2009), Fernando Lugo au Paraguay (2012), Dilma Rousseff (2016) et Lula da Silva au Brésil (2018), Evo Morales en Bolivie (2019), Rafael Correa en Équateur (2020). Un peu plus d'une semaine après le discours de Gustavo Petro à Manizales, le Conseil national électoral a accusé le président colombien de fraude dans le financement de sa campagne électorale de 2022, une accusation susceptible de conduire à la perte de son mandat présidentiel par la Chambre des représentants.
Les raisons nationales de cette mobilisation des ennemis politiques de Petro sont multiples, mais il ne fait aucun doute que la lawfare ou guerre juridique (ndr : instrumentalisation politique de la loi) qui commence (ou qui se manifeste car elle est annoncée depuis un certain temps) sera suivie d'une mediafare ou guerre médiatique et que les répercussions internationales qui lui seront données sont dues à la nécessité de faire taire une voix qui gagnait trop de crédibilité auprès de trop de personnes. Une voix et un message que le capitalisme a compris mieux que quiconque : La proposition de Petro implique la fin du capitalisme et du néocolonialisme tels que nous les connaissons aujourd'hui.
Le capital international a une expérience historique remarquable dans la manière de berner et de diviser la gauche, et c'est ce qu'il fera dans le cas présent. Mais l'expérience historique nous montre également qu'il est beaucoup plus difficile de tromper le peuple. Et dans ce cas, le peuple colombien connaît par sa propre expérience, au sein de ses communautés, dans ses forêts, ses rivières, les conséquences catastrophiques dont parle Petro. Si le peuple colombien se lève pour soutenir Petro, le coup d'État échouera. ¡Nopasarán !
Boaventura de Sousa Santos est professeur émérite de sociologie à l'université de Coimbra au Portugal.
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