❖ La CIA & le sionisme : Une histoire complexe
Le tristement célèbre J. Angleton de l'agence d'espionnage US a permis à Israël & à sa bombe de voir le jour & la prise de contrôle de la Cisjordanie, d'où sa pertinence dans le débat actuel sur Gaza
La CIA & le sionisme : Une histoire complexe
Comment le tristement célèbre James Angleton de l'agence d'espionnage a permis à l'Israël moderne - et à sa bombe - de voir le jour.
Par Jefferson Morley, le 1er mai 2024, SpyTalk
SOUDAIN, LE "SIONISME" DEVIENT UN MOT QUI FAIT RÉAGIR. Le terme désignant le mouvement nationaliste visant à construire un État juif en Palestine n'a pas souvent figuré dans le débat politique américain au cours du demi-siècle qui s'est écoulé depuis que l'ambassadeur des États-Unis aux Nations unies, Patrick Moynihan, a dénoncé une résolution des Nations unies de 1975 affirmant que "le sionisme est une forme de racisme". Aujourd'hui, le sionisme est revenu comme épithète et enjeu de l'élection de 2024.
L'antisionisme est "incontestablement" antisémite, affirme Bari Weiss de Free Press, un site d'information en ligne consacré aux "idéaux qui constituaient autrefois le fondement du journalisme américain". "Quiconque ne soutient pas l'existence d'un État juif, affirme-t-elle, hait le peuple juif". "Nous avons besoin de nous libérer du sionisme", estime Naomi Klein dans le Guardian (traduit sur ce blog ici). Elle qualifie le sionisme politique de "voie profondément immorale qui justifie aujourd'hui le broyage des commandements fondamentaux : Tu ne tueras point. Tu ne voleras point. Tu ne convoiteras point". Ainsi, comme le "génocide" et l'"antisémitisme", le "sionisme" est aujourd'hui un sujet explosif dans les conversations juives et la politique américaine.
C'est le lexique d'un conflit politique sismique. Le consensus générationnel solide et massif en faveur d'Israël au sein du parti démocrate s'est fracturé sur la question de Gaza. L'amalgame entre antisionisme et antisémitisme est un puissant argumentaire républicain pro-israélien. La question a défenestré deux présidentes d'université de la Ivy League et incité une troisième à ordonner l'arrestation massive d'étudiants protestataires. Résultat : les manifestations sur les campus se multiplient dans tout le pays (ndr : et dans de nombreux pays) et le débat sur la signification du sionisme s'étend de plus en plus.
L'histoire du sionisme en Amérique n'est nulle part plus influente, et plus méconnue, que celle de la Central Intelligence Agency. Alors que le siège de Gaza se poursuit, les États-Unis approvisionnant les bombes et les balles aux forces israéliennes, la CIA est profondément impliquée dans la guerre, fournissant des renseignements sur les dirigeants du Hamas et prenant la tête des négociations sur les otages. (Avant le 7 octobre, la CIA s'en remettait à Israël pour obtenir des renseignements sur le Hamas).
Dans le même temps, l'agence a également montré son indépendance par rapport aux récits de l'État israélien. Les analystes du renseignement américain s'accordent à dire que le Premier ministre Benjamin Netanyahou ne parviendra pas à éliminer le Hamas en tant que force de combat. Le siège sauvage, qui en est à son sixième mois, risque d'engendrer des générations futures de personnes prêtes à mener des actions violentes contre les États-Unis, affirment les analystes du renseignement américain.
La CIA a pris des positions en désaccord avec les dirigeants israéliens, notamment en ce qui concerne l'accord sur le nucléaire iranien négocié par le président Obama, avec l'aide de Bill Burns, haut fonctionnaire du département d'État, aujourd'hui directeur de la CIA. Malgré l'opposition véhémente des dirigeants israéliens, la CIA a toujours affirmé que le plan d'action global conjoint de 2015 limitait efficacement les ambitions nucléaires de l'Iran et faisait progresser les intérêts américains. Sous la pression du président Trump de l'époque et du lobby israélien pour qu'ils modifient la position de l'agence, Gina Haspel, directrice de la CIA, a même refusé de s'incliner. Contrairement à de nombreuses institutions, la CIA n'a pas été influencée par la pression sioniste dure.
Cependant, il est également vrai que la CIA a été influencée par le sionisme dès sa création et que cette influence a été décisive pour permettre à l'État sioniste de s'étendre et de dominer le Moyen-Orient.
Le fantôme
L'histoire commence avec James Angleton, un maître espion de la CIA décédé, célébré dans la fiction populaire et le cinéma hollywoodien. Son nom est plus discrètement gravé dans une pierre plantée sans ostentation au bord d'une allée de jardin serpentant à travers un parc surplombant la vieille ville de Jérusalem.
"À la mémoire d'un véritable ami, James (Jim) Angleton (1917-1987)", peut-on lire comme épitaphe en anglais, en hébreu et en arabe.
C'est Efraim Halevy, un ami de longue date d'Angleton ayant été chef du Mossad à la fin des années 1990, qui m'a orienté vers ce modeste mémorial. En 2015 et 2016, j'ai interviewé Halevy dans son appartement de la banlieue nord de Tel Aviv pour ma biographie d'Angleton, The Ghost.
Avec un mélange de franchise et de tact, Halevy m'a parlé d'Angleton et de ses amis juifs qui ont tissé des liens entre les services de renseignement américains et israéliens dans les années 1950. Leur lien s'est transformé en une alliance stratégique entre les États-Unis et Israël, qui a été mise à l'épreuve à de nombreuses reprises au fil des ans, et aujourd'hui à nouveau par l'attentat du 7 octobre.
Angleton était un espion protéiforme, un critique littéraire multilingue formé aux arts obscurs de l'espionnage et des opérations sous fausse bannière. Sa carrière a suivi l'ascension de la CIA après la Seconde Guerre mondiale. Il a été célèbre pour avoir dupé l'espion soviétique Kim Philby, aidé à lancer le fameux programme de manipulation mentale MKULTRA, traqué les taupes du KGB, dénoncé les communistes, fomenté des assassinats et influencé des guerres. Lorsque son programme illicite de surveillance intérieure a été révélé par le New York Times en 1974, il a perdu son pouvoir et a été disgracié.
Pourtant, Angleton n'a jamais cessé d'impressionner. Il était "très britannique dans son style et ses manières", a déclaré Joseph Persico, un historien qui l'a interviewé à la retraite. "Une collection de points de vue. ... Il était manifestement impatient face à la stupidité. Grand et cadavérique. ... l'homme le plus sinistre que j'aie jamais vu".
Angleton est devenu l'archétype de l'espion américain : paranoïaque, peut-être fou, vivant sur la frontière ténue entre le génie et le monstre. Le Congrès a recueilli son témoignage à huis clos. Richard Avedon le photographie. Au moins quatre romans à succès (Orchids for Mother, The Spike, SpyTime et Harlot's Ghost) tournent autour de son personnage, de même que deux mini-séries de la chaîne (The Company et A Spy Among Friends). Dans le film de Robert DeNiro sur la CIA, The Good Shepherd (2006), Angleton était le modèle d'Edward Wilson, le brillant homme de Yale qui incarnait les aspirations corrompues de l'agence.
Halevy a réussi à me persuader qu'Angleton était une figure historique mondiale, notamment en raison de sa foi inébranlable dans le sionisme, dans le droit d'Israël à contrôler la Palestine historique.
Ambition amorale
Angleton était peut-être un allié improbable de l'État juif. Fils d'un millionnaire qui possédait la franchise National Cash Register en Italie, Angleton a étudié à Yale et s'est lié d'amitié avec Ezra Pound, le poète expatrié dont les émissions de radio anti-américaines et antisémites diffusées depuis Rome lui ont valu d'être inculpé pour trahison.
En décembre 1939, Angleton a écrit à Pound pour se plaindre de la couverture médiatique américaine de la domination de l'Europe par l'Allemagne nazie. "La presse diffuse tous les récits de sources britanniques et laisse de côté Berlin", commente-t-il. "Tout est britannique et les juifs causent une puanteur diabolique [sic]. C'est ici, à New York, que se produira le prochain grand pogrom, et ils ont besoin d'un millier de ghettos en Amérique. Juif, juif et juif, même les Irlandais sont perdants".
Des opinions aussi crues n'étaient pas en décalage avec celles de ses contemporains de l'élite. (Le président Truman était lui aussi antisémite en privé, mais il ne lui a fallu que 11 minutes pour reconnaître Israël en tant qu'État en 1948).
Au début
Lorsque les États-Unis sont entrés en guerre, Angleton a rejoint l'Office of Strategic Services et a été envoyé à l'école de renseignement anglaise, où il a appris les arts de l'espionnage auprès de Philby, l'étoile montante du renseignement britannique qui était également un espion du KGB. Parlant couramment l'italien, Angleton a été chargé de mener des opérations de contre-espionnage à Rome, où il a excellé par son ambition amorale. Tout en cultivant des sources pour les services de renseignement américains, il a protégé des personnes telles qu'Eugène Dollman, le traducteur d'Hitler, et (Junio) Valerio Borghese, le Prince noir du fascisme italien, et a régulièrement fait des repotages sur les "itinéraires d'évasion des Juifs".
Il s'agissait de réseaux organisés par l'Agence juive pour faire passer clandestinement les survivants désespérés de l'Allemagne nazie de l'Europe centrale à la côte méditerranéenne, puis, par bateau, à la Palestine, alors sous contrôle britannique. L'une des sources d'Angleton, un journaliste allemand du nom d'Arthur Pier, dirigeait les agents d'Aliyah B, la filière de l'Agence vers la Terre sainte où les sionistes espéraient établir un État juif. Avec la victoire d'Israël lors de la guerre de 1948, Pier a changé son nom en Asher Ben-Natan. Il est devenu diplomate pour le nouvel État juif et confident d'Angleton.
Avec la création de la CIA en 1947, les amis juifs d'Angleton ont donné à la nouvelle agence certains de ses premiers contacts avec les dirigeants israéliens. En 1950, Angleton a organisé la visite à Washington de Reuven Shiloah, le fondateur de la première organisation de renseignement israélienne. Impressionné par la structure de la CIA, Shiloah est rentré chez lui pour réorganiser son service fragmenté en une nouvelle agence appelée l'Institut pour le renseignement et les tâches spéciales, inévitablement connue sous le nom de "Mossad", mot hébreu pour "Institut".
En 1951, le Premier ministre David Ben-Gourion est venu aux États-Unis et a emmené Shiloah avec lui. Ben-Gourion a rencontré en privé le président Truman ainsi que le directeur de la CIA, Walter Bedell Smith.
"L'objectif de la réunion", m'a dit Halevy, "était de clarifier en termes clairs que, .... en dépit du fait que la Russie avait été un facteur clé dans la survie d'Israël, Israël se considérait comme faisant partie du monde occidental, et qu'il maintiendrait ses relations avec les États-Unis dans cet esprit".
Pacte secret
L'accord négocié par Angleton a jeté les bases de l'échange d'informations secrètes entre les deux services de renseignement et les a engagés à se faire des rapports sur des sujets d'intérêt mutuel.
C'est ainsi qu'est né le "compte Israël", un arrangement inhabituel dans lequel les opérations israéliennes étaient effectivement retirées de la division Proche-Orient de l'agence et placées sous le contrôle exclusif d'Angleton.
En 1975, Angleton a expliqué en détail cette relation aux enquêteurs du Sénat.
"On a dit aux Israéliens que nous ne travaillerions pas avec eux contre les Arabes, mais que nous travaillerions avec eux sur les renseignements soviétiques, les renseignements relatifs au bloc soviétique et le communisme là où il existait", a-t-il déclaré lors d'un témoignage à huis clos. L'accord n'avait pas été approuvé par le Congrès et ni consigné par écrit. "L'usage veut que le renseignement l'emporte sur l'écrit", a expliqué Angleton.
(Comme SpyTalk l'a rapporté en juin dernier, le compte Israël est l'un des secrets les mieux gardés du gouvernement américain. La dernière version partiellement déclassifiée du témoignage d'Angleton de 1975, publiée par la CIA l'année dernière, contient encore des dizaines de détails clés).
En 1951, le Premier ministre David Ben-Gourion a remplacé le furtif Shiloah par Issar Harel, un espion grégaire qui pensait que les renseignements secrets étaient essentiels à la survie d'une petite nation entourée d'ennemis.
"Jim avait une énorme admiration pour Isser, comme il l'appelait toujours", a rapporté Halevy. "Il me parlait souvent d'Isser, ainsi qu'à d'autres personnes, comme étant l'exemple même de la réussite d'Israël en matière de collecte de renseignements et d'opérations de renseignement à l'étranger".
Angleton s'est également lié avec Amos Manor, chef du contre-espionnage de l'agence israélienne de renseignement intérieur, connue sous le nom de Shabak ou Shin Bet. Né en Roumanie sous le nom d'Arthur Mendolovitchy, Manor a grandi dans une famille juive aisée, dont la plupart des membres sont morts durant l'Holocauste. En 1948, il a émigré en Israël à l'aide d'un faux passeport. Manor a dirigé ce que les Israéliens appelaient l'opération Balsam, leur intermédiaire avec les services de renseignement américains.
"Aux yeux de Jim, Isser était l'officier de renseignement par excellence, tout comme Amos était le chef de la sécurité par excellence, qui déjouait l'espionnage soviétique et attrapait les traîtres et les espions", a expliqué Halevy.
"L'attitude initiale de Jim à notre égard était très méfiante, mais par la suite, il est devenu un fervent admirateur d'Israël du point de vue américain", a déclaré Memi DeShalit, un officier du renseignement militaire d'origine lituanienne qui s'est lié d'amitié avec Angleton alors qu'il était en poste à l'ambassade d'Israël à Washington dans les années 1950.
En 1963, Meir Amit, commandant des FDI lors de la campagne avortée d'Israël pour prendre le contrôle du canal de Suez, est devenu le chef du Mossad et, par la suite, un ami proche d'Angleton. Amit rendit visite à Angleton à son domicile de Tucson, en Arizona, et ils firent du tourisme dans l'Ouest américain, où Amit aimait s'habiller en cow-boy.
Avec la venue d'Amit, la collaboration entre la CIA et le Mossad s'est élargie. L'un des résultats, selon les auteurs Leslie et Andrew Cockburn, a été une opération connue sous le nom de KK MOUNTAIN (KK étant la désignation de la CIA pour les opérations israéliennes). Des millions de dollars en espèces ont été versés chaque année au Mossad, ont rapporté les Cockburn dans leur livre Dangerous Liaisons (1991). En retour, les Israéliens autorisaient leurs agents à agir en tant que substituts américains dans toute l'Afrique du Nord et dans des pays tels que le Kenya, la Tanzanie et le Congo.
"À cette époque, le conflit Est-Ouest - les États-Unis contre l'Union soviétique - faisait rage sur tout le continent [africain]", a déclaré M. Halevy. "La lutte pour le contrôle des minerais et autres ressources naturelles, souvent d'une importance stratégique capitale, était un élément majeur de la guerre froide. Angleton a immédiatement compris l'importance et la valeur du rôle israélien et l'a applaudi et encouragé".
Angleton en est venu à penser que les Israéliens étaient un modèle pour les États-Unis et l'Occident. Leur stratégie intransigeante pour contrôler le Grand Israël était un modèle pour la défense du monde libre contre le communisme. L'écolier antisémite est devenu un sioniste pur et dur par intuition.
Le contrôle exercé par Angleton sur les opérations israéliennes de 1951 à 1973 et ses relations de travail avec les différents chefs des services de renseignement israéliens se sont révélés extrêmement bénéfiques pour Israël. Sous la surveillance d'Angleton, les Israéliens ont obtenu des armes nucléaires et ont pris le contrôle de la Cisjordanie arabe. Le rôle central qu'il a joué dans ces deux événements montre l'influence profonde du sionisme sur les services de renseignement américains. La quête d'armes nucléaires par Israël trouve son origine dans l'esprit de David Ben-Gourion, père fondateur de l'État juif, qui a décidé très tôt qu'Israël avait besoin d'armes nucléaires pour se défendre. C'était une idée audacieuse à une époque où seules quatre nations dans le monde possédaient des arsenaux atomiques. Ben-Gourion s'est entouré d'un groupe d'Israéliens de confiance partageant les mêmes idées pour mener à bien ce projet.
Angleton connaissait déjà certains d'entre eux.
Lorsque le diplomate Memi DeShalit et sa femme sont retournés vivre en Israël dans les années 1950, Angleton a entretenu leur amitié par des visites régulières. Amos DeShalit, frère de Memi, était professeur de physique nucléaire à Tel-Aviv et a largement contribué au programme nucléaire israélien. Les liens étroits qu'entretenait Angleton avec les DeShalit "rendaient inévitable le fait qu'il apprenne la construction [du réacteur de Dimona] dans le Néguev", écrit Seymour Hersh dans The Samson Option.
En 1956, Asher Ben-Natan, la source d'Angleton à l'époque de l'OSS, a aidé à organiser le transfert initial de la technologie nucléaire française vers l'installation de Dimona, qui, selon Israël, n'était qu'un laboratoire de recherche.
Au début de l'année 1961, la CIA a envoyé un avion espion U2, qui est revenu avec des clichés pris à haute altitude d'une construction inhabituelle en cours à Dimona. Une estimation officielle des services de renseignement a conclu que
"le secret et la tromperie entourant l'entreprise [de Dimona] suggèrent qu'elle est destinée, au moins en partie, à la production d'uranium de qualité militaire".
"Angleton n'était pas inquiet", a déclaré Dino Brugioni, alors directeur adjoint du Centre national d'interprétation photographique de la CIA, qui a informé le chef du contre-espionnage des photos de Dimona prises par l'U2.
"C'était un type très drôle", a confié Brugioni à Hersh. "Je le rencontrais, l'informais ; il posait quelques questions, vous partiez - et vous ne saviez jamais ce qu'il avait entre les mains. Parfois, son bureau était plongé dans l'obscurité et il n'y avait qu'une petite lampe pour vous éclairer. C'était une vraie bête de foire".
Le Conseil américain du renseignement, qui examinait les opérations de la CIA pour le compte de la Maison Blanche, a recommandé à l'agence de "diffuser rapidement toutes les informations" sur le programme nucléaire israélien au reste du gouvernement, afin de respecter la politique de non-prolifération nucléaire au Moyen-Orient définie par le président John F. Kennedy.
Angleton a tout simplement ignoré la recommandation. Le successeur de JFK, Lyndon Johnson, se souciait moins de la prolifération nucléaire et a assoupli les exigences américaines concernant l'inspection sur place de Dimona, qui, aux dires d'Israël, n'était qu'une installation de recherche.
En 1965, Angleton a appris de Sam Papich, un agent de liaison du FBI, que le Bureau et la Commission de l'énergie atomique enquêtaient sur la disparition de plusieurs centaines de livres de matières fissiles dans une installation d'enrichissement de l'uranium en Pennsylvanie.
La société appartenait à David Lowenthal, un homme d'affaires né aux États-Unis qui avait rejoint la Haganah, la force d'autodéfense juive, après la Seconde Guerre mondiale. Lowenthal a contribué à l'achat d'un navire, le Pan York, qui a permis à quelque huit mille Juifs d'immigrer en Palestine. Pendant la guerre de 1948, il a servi dans les forces armées sous le commandement de Meir Amit, qui, en tant que chef du Mossad, a participé au programme nucléaire secret d'Israël. "Je me souviens de vous comme d'un grand sioniste", a dit Amit à Lowenthal à la fin de sa vie.
Lowenthal est rentré aux États-Unis en 1955 pour se lancer dans les affaires en Pennsylvanie. Avec deux autres investisseurs, il créa une société appelée Nuclear Materials and Equipment Corporation (NUMEC). Lowenthal entendait développer un nouveau produit : le combustible nucléaire destiné à être utilisé dans les réacteurs commerciaux. Pour diriger la société, Lowenthal fit appel à Zalman Shapiro, un métallurgiste qui travaillait alors pour la Commission de l'énergie atomique. En l'espace de quelques mois, Shapiro a demandé et obtenu de l'AEC une licence d'exploitation de matières nucléaires.
L'adjoint d'Angleton, John Hadden, chef de la station de Tel Aviv, notera la coïncidence : l'AEC a délivré sa première licence de manipulation d'uranium hautement enrichi à une société privée, financée par un groupe de sionistes actifs, au moment même où Israël accélérait ses efforts secrets pour se doter d'armes nucléaires.
Hadden a conclu qu'Angleton avait aidé les Israéliens à obtenir la bombe. Comme je l'ai rapporté dans The Ghost, Hadden a dressé une liste de 29 raisons de croire que le chef du contre-espionnage avait trahi la politique américaine de non-prolifération au Moyen-Orient, permettant à Israël de fabriquer sa première arme nucléaire à la fin de l'année 1968.
"Le fait qu'ils nous l'aient volée ne l'inquiétait pas le moins du monde", a déclaré Hadden à son fils, qui a raconté l'histoire dans ses fascinantes mémoires, Conversations with a Masked Man. "Je soupçonne qu'au plus profond de son cœur, il leur aurait donné s'ils l'avaient demandé".
Hadden a mené sa propre enquête sur le terrain à Dimona et a trouvé des traces d'un isotope radioactif propre à l'installation NUMEC parmi la végétation à proximité du réacteur israélien. La direction scientifique de la CIA a ensuite conclu à l'unanimité qu'Israël avait "détourné" son combustible nucléaire des États-Unis.
Mais la mise en place d'un arsenal nucléaire n'a pas été la seule réalisation d'Angleton au nom de l'État juif.
Le feu vert
Au printemps 1967, Israël a craint que l'Égypte, dirigée par Gamal Abdel Nasser, n'envisage de venger l'humiliation de 1948 par une offensive militaire à travers le canal de Suez. Les Israéliens voulaient frapper les premiers, mais ils appréhendaient que le président Johnson ne suive la réaction du président Eisenhower à l'attaque israélienne contre l'Égypte en 1956 à Suez et ne retire le soutien des États-Unis, forçant ainsi Israël à abandonner à la table des négociations ce qu'il avait gagné sur le champ de bataille. Mais Angleton s'est arrangé pour qu'Amit rencontre le secrétaire à la défense Robert McNamara. Il défendit les intérêts des Israéliens. McNamara a appelé le président Johnson pour le consulter. "Après cet appel, Amit en a déduit que nous avions le feu vert, ou du moins un feu "flexible"", m'a dit Halevy.
Le matin du 4 juin 1967, Israël a frappé, laissant l'armée de l'air égyptienne en ruines et s'emparant de la Cisjordanie palestinienne ainsi que du plateau syrien du Golan. En l'espace d'une semaine, Israël a effectivement doublé le territoire ouvert à la colonisation juive. La guerre a concrétisé le rêve sioniste de conquérir le Grand Israël et a renforcé la légende d'Angleton à Langley.
"Son identification totale avec Israël a été un atout extraordinaire pour nous", écrit Amit dans ses mémoires en hébreu. "Nous n'aurions pas pu trouver un meilleur défenseur que lui".
En septembre 1969, le Premier ministre Golda Meir s'est rendu à Washington et a déclaré en privé au président Nixon qu'Israël avait fabriqué une arme nucléaire opérationnelle. Meir a demandé aux États-Unis d'adopter une politique d'"opacité" sur le sujet, c'est-à-dire de ne faire aucun commentaire public, une politique toujours en vigueur à ce jour.
Une nouvelle relation stratégique était consacrée : Israël n'était plus un pays du Moyen-Orient comme les autres, mais un allié des États-Unis, au même titre que l'Angleterre ou la France.
"Jim y voyait une évolution fantastique qui aurait dû se produire il y a très longtemps", a déclaré Halevy, qui était alors chef de la station du Mossad à Washington.
L'héritage
La chute d'Angleton a commencé par une défaillance des services de renseignement qui ressemble étrangement à celle du 7 octobre. En octobre 1973, les forces armées égyptiennes ont lancé une attaque surprise contre Israël alors que le pays célébrait la fête du Yom Kippour. Les services de renseignement israéliens ont été pris au dépourvu, de même que la CIA. Comme en 2023, Israël a subi des pertes dévastatrices et n'a pu riposter massivement contre ses ennemis arabes que grâce au réapprovisionnement en armes et en munitions de l'Amérique. La dépendance excessive d'Angleton à l'égard des sources israéliennes avait rendu l'agence aveugle à la réalité des intentions de l'Égypte.
La position d'Angleton fut soudainement menacée. Le secrétaire d'État Henry Kissinger était furieux de voir un allié américain impliqué dans une guerre pour laquelle il n'avait pas été prévenu. Le directeur de la CIA, William Colby, profita de l'occasion pour mettre fin au contrôle exclusif d'Angleton sur le compte Israël, tout en lui permettant de rester à son poste. ("J'estimais que la coordination était insuffisante dans les régions arabes", a-t-il pesté. )
Lorsque, dans les mois qui ont suivi, Seymour Hersh, du New York Times, a appris l'existence de la vaste opération d'espionnage interne d'Angleton, Colby a confirmé l'histoire, officieusement, afin de se débarrasser de son collègue gênant. Le gros titre du Times qui en a résulté a permis à Colby de faire ce qu'il voulait depuis le début : licencier Angleton.
C'est ainsi que les Israéliens ont perdu leur vertueux ami à Langley. Les relations entre les deux services de renseignement ne seraient plus jamais aussi simples. La coopération étroite entre les deux services s'est poursuivie, mais l'arrestation en 1986 de Jonathan Pollard, un analyste de la marine américaine espionnant pour le compte d'Israël, a aliéné de nombreux hauts responsables de la CIA. Pollard avait volé des quantités massives de renseignements américains pendant des années. Se sentant trahis par leurs homologues israéliens, les dirigeants de la CIA se sont constamment opposés aux efforts du lobby israélien pour obtenir la libération de Pollard. Comme pour Edward Snowden et Julian Assange, la simple mention du nom de Pollard provoque encore chez certains vétérans de la CIA des accès de vitriol à la mâchoire serrée. Pollard a passé 30 ans en prison avant d'être libéré en 2015 dans le cadre de la campagne de l'administration Obama visant à apaiser Israël au sujet de l'accord sur le nucléaire iranien.
Bien entendu, Angleton n'était pas le seul à avoir des sympathies sionistes dans le Washington de l'après-guerre. De nombreux élus et décideurs politiques de la capitale nationale ont contribué à renforcer l'alliance stratégique américano-israélienne au fil des ans. Mais le rôle d'Angleton dans la création de l'arsenal nucléaire israélien et dans la prise de contrôle de la Cisjordanie a été central, structurant et pérenne, ce qui explique pourquoi son histoire est pertinente dans le cadre du débat actuel sur Gaza. En ce qui concerne les alliés d'Israël à Washington, le chef du Mossad, Meir Amit, appelait son ami Angleton "le plus grand sioniste du lot".
Correction : Une version antérieure de cet article indiquait qu'Angleton avait "lancé" le célèbre programme de manipulation mentale MKULTRA. Elle a été mise à jour pour indiquer qu'Angleton avait "aidé à lancer" le programme.
Jefferson Morley est l'auteur de The Ghost: the Secret Life of CIA Spymaster James Jesus Angleton (St. Martin's Press, 2017).
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