🚩 Julian Assange : Actualité semaine #14 - Avril 2024 🎗⏳
2 infos révélatrices : Ola Bini / Julian Assange même parodie de justice - L'administration Biden ne fera pas savoir si elle soutient la loi fédérale sur la protection des journalistes.
"Julian Assange est le martyre des Lumières"
- Günter Wallraff, journaliste d'investigation allemand
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SOMMAIRE :
1 - Julian Assange a perdu sa liberté parce que lui et WikiLeaks ont trop bien réussi - Interview de Stefania Maurizi par Anne Crignion
2 - Les manquements publics dans l'affaire Julian Assange - Daniela Lupp
3 - Pourquoi défendre Assange est essentiel - Margaret Kimberley
4 - Quand les dissidents deviennent des ennemis de l'État - John W. Whitehead
5 - La guerre judiciaire contre Julian Assange se poursuit - Moritz Müller
6 - La vengeance de Trump envers Julian Assange a fait voler la presse en éclats - Brian Karem
7a - La Chambre d'appel annule le jugement prononcé à l'encontre d'Ola Bini et le condamne pour accès non consenti à un système informatique - Tele Amazonas
7b - Ola Bini est confronté à des procureurs équatoriens qui cherchent à faire annuler l'acquittement d'une accusation de cybercriminalité - Karen Gullo
8 - L'administration Biden ne fera pas savoir si elle soutient la loi fédérale sur la protection des journalistes - Kevin Gosztola
9 - L'art au service d'Assange : Appel à artistes ! - Zeiten Unsere Wende
10 - La vérité sur le camarade Julian Assange : Tandis qu'il croupit en prison, ses collaborateurs journalistes brandissent leurs prix - Article de Charles Glass écrit au lendemain de l'arrestation de Julian Assange
11 - Rafael Correa : "Ils ont déjà détruit Assange" - Matt Kennard
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1- ♟ Julian Assange a perdu sa liberté parce que lui et WikiLeaks ont trop bien réussi
Avec l'affaire Assange, c'est la liberté de la presse qu'on menace.
Par L'Ordre mediatique, le 26 mars 2024, Agone
L’"affaire Assange", du nom de l’inventeur du site Wikileaks, emprisonné à Londres sous l’effet d’une interminable procédure et menacé de l’être à vie si les États-Unis obtenaient son extradition, s’enrichit d’un nouveau livre. La journaliste d’investigation Stefania Maurizi publie L’Affaire WikiLeaks, où elle retrace cette histoire avec le savoir d’une enquêtrice qui a connu Julian Assange à ses débuts. WikiLeaks n’avait pas encore fait irruption dans le monde avec la vidéo Collateral murder, publiée en 2010 et où l’on voit des soldats américains tuer, en 2007, des civils irakiens depuis leur hélicoptère comme des gamins aux manettes de jeux vidéo, et une flopée d’autres documents accablants pour la gouvernance des États-Unis. Selon le livre du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, paru en 2022, L’Affaire Assange. Histoire d’une persécution politique (Critiques), Julian Assange est l’objet, depuis plus de dix ans, de calomnies. Il bénéficie toutefois de nombreux soutiens, comme celui que lui portent le cinéaste anglais Ken Loach, signataire de l’avant-propos du livre de Stefania Maurizi, et le journaliste Serge Halimi du Monde diplomatique , qui l’a préfacé.
Alors que les avocats d’Assange se battent pour un dernier recours contre son extradition aux États-Unis – réponse de la Haute Cour britannique ce matin –, nous redonnons l'entretien que Stefania Maurizi a donnée à Anne Crignon pour L’Obs, où elle parle de Julian Assange, de son journalisme et militantisme, et aussi de l’homme qu’il est – Julian Assange serait en réalité porteur d’un syndrome d’Asperger, ce qui, par définition, lui confère plus ou moins d’étrangeté. Stefania Maurizi était les 20 et 21 février à la Haute Cour britannique, de Londres, où des juges, selon l’avis général plus attentifs que les fois précédentes, rassemblaient les éléments qui leur permettront de dire s’il peut présenter un ultime appel au Royaume-Uni pour empêcher son extradition vers les États-Unis.
🎙 Anne Crignon : Vous avez donc assisté à cette audience tant attendue. Que pensez-vous de la façon dont les choses se sont déroulées ?
Stefania Maurizi : Je suis journaliste depuis vingt-trois ans, dont dix-huit dans le journalisme d’investigation, eh bien jamais je n’ai vu de procès dans le monde occidental où la presse ait été traitée comme nous l’avons été. J’avais demandé l’autorisation d’assister à l’audience le 19 décembre 2023. Jusqu’à la veille de l’ouverture, les autorités britanniques ont refusé de valider ma demande. Une fois sur place, les journalistes ont fait la queue pendant deux heures devant le tribunal. Lorsque nous avons finalement été admis à l’intérieur, on nous a annoncé qu’aucun siège n’était réservé pour la presse. Nous étions relégués sur une galerie victorienne du XIXe siècle, sans tables pour prendre des notes ou utiliser nos ordinateurs portables, et aucune chance d’entendre ce qui se disait, aucune chance de comprendre qui parlait. Nous, journalistes, n’arrivions pas à y croire. Même lorsque avec un collègue du Spiegel, j’ai pu accéder à la salle d’audience et m’asseoir à trois mètres des avocats américains, ce qui se disait était inaudible ; non seulement la salle d’audience, très belle certes, ne dispose que d’une acoustique épouvantable mais, en plus, l’avocat principal représentant les États-Unis chuchotait, et les deux juges utilisaient rarement les microphones de manière efficace.
Nous n’avons pas pu entendre les questions posées par les juges et avons perdu la majeure partie de l’audience. C’est une injustice envers la presse étant donné qu’elle est ce contre-pouvoir que les États se doivent de respecter. Les autorités britanniques ont eu deux mois pour s’organiser de manière que nous puissions faire notre travail – il suffisait d’ailleurs de quelques microphones pour les avocats, et de tables pour prendre des notes. Apparemment, ils avaient reçu au moins 300 demandes d’accréditation pour assister à l’audience par liaison vidéo et de nombreuses autres pour y assister en personne ; ils étaient donc bien conscients de l’intérêt notoire de cet événement.
🎙 Par-delà cet étrange accueil de la presse, qu’est-ce qui ressort de l’audience ?
Ce qui en ressort est extrêmement préoccupant : Julian Assange est si malade qu’il n’a pas pu être là, ni même par liaison vidéo. Je connais Julian Assange : il aurait bien sûr assisté à cette audience s’il allait bien ; il veut tout voir et entendre, comprendre ce qui se passe. Mais au moins aurons-nous eu le récit, au cours de l’audience, des avocats d’Assange affirmant comment la CIA avait conçu des plans pour le tuer ou le kidnapper, et ce avant même son arrestation. Nous aurons entendu comment les autorités américaines ont déclaré à plusieurs reprises que le Ier Amendement ne le protégerait pas s’il était extradé vers les États-Unis et jugé, parce qu’il n’est pas citoyen américain. Le Ier Amendement est ce formidable bouclier constitutionnel qui a protégé le New York Times et le Washington Post lorsqu’ils ont révélé les Pentagon Papers en 1971. Si Assange et WikiLeaks ne bénéficient pas de sa protection, il n’aura aucune chance de se défendre. Et il n’a en réalité aucune chance : comment prendre au sérieux les autorités américaines lorsqu’elles affirment que le fondateur de WikiLeaks bénéficiera d’un procès équitable, alors que les services de renseignements les plus puissants du monde disent que les mêmes ont envisagé de le tuer ou de le kidnapper ?
🎙 Parlons, s’il vous plait, de l’homme qu’est Julian Assange, et de la première fois où vous l’avez rencontré…
Je l’ai rencontré en personne pour la première fois le 21 juin 2010. A ce moment-là, j’avais déjà travaillé sur les documents de WikiLeaks pour L’Espresso et La Repubblica. WikiLeaks m’avait appelée un an auparavant, en juillet 2009, en pleine nuit, parce qu’ils avaient un dossier sur les prétendus accords entre l’État et la mafia en Italie concernant la crise des ordures à Naples, et ils cherchaient, en Italie, une journaliste d’investigation pour vérifier si le dossier était fiable et d’intérêt public. En 2009, ce site n’était pas célèbre. C’était une organisation connue d’un public de niche. WikiLeaks n’avait pas encore publié les documents qui allaient faire l’effet d’une bombe, comme la vidéo Collatéral Murder. Quand j’ai collaboré pour la première fois avec WikiLeaks pour mon journal d’alors, L’Espresso, principal hebdomadaire en Italie, la rédaction en chef n’était pas convaincue de son importance mais, en tant que journaliste, j’avais été profondément impressionnée par sa dimension révolutionnaire : j’avais commencé à analyser leur travail dès 2008 et constaté qu’ils pouvaient obtenir des documents cruciaux comme le manuel d’opérations de la force opérationnelle militaire qui dirige Guantanamo, le "JTF Gtmo".
🎙 Ce document que l’American Civil Liberties Union (ACLU) avait cherché en vain à obtenir…
Et que WikiLeaks avait obtenu, oui. Dans un contexte de totale opacité du secret d’État, il y avait donc des sources prêtes à divulguer des documents exceptionnellement importants en utilisant la protection de la cryptographie. Mais Assange et WikiLeaks n’étaient pas seulement pionniers dans l’utilisation de la technologie pour protéger les individus prêts à révéler des secrets d’intérêt public, c’était aussi une équipe très courageuse. Lorsque le Pentagone a exigé de supprimer le manuel de leur site web, sa "publication" n’ayant pas été approuvée par eux-mêmes, ils ont dit non. Pour moi, leur bravoure était un espoir, étant donné l’opacité qui entourait le journalisme dans l’après le 11-septembre. J’ai d’ailleurs toujours été impressionnée par le courage exceptionnel de Julian Assange, des journalistes de WikiLeaks, et de leurs sources comme Chelsea Manning (1).
🎙 Dans les années 2010, tandis que les rédactions du monde entier sont en ébullition pour "réinventer-la-presse-à-l’heure-d’internet", Julian Assange cherche ailleurs, tenté par un journalisme issu de la pensée cypherpunk. L’une de ses motivations premières réside dans ce constat : les États mentent pour justifier des guerres aux mobiles inavouables. Il veut encourager les lanceurs d’alerte et mettre gratuitement à la disposition de tout le monde de quoi faire monter le niveau de lucidité et d’esprit critique dans "nos sociétés devenues des bidonvilles intellectuels", selon sa formule…
Tout à fait. Il s’agissait d’utiliser les avancées technologiques – internet et la cryptographie − pour démocratiser le savoir en révélant la criminalité d’État au plus haut niveau, relative à la guerre et aux crimes, tortures, exécutions extrajudiciaires. Ces données devenaient accessibles à des millions de personnes. Tout citoyen, journaliste, chercheur, politicien ou activiste du monde entier pouvait désormais avoir accès aux documents sur les guerres, de l’Afghanistan à l’Irak à celles menées contre le terrorisme, et faire de son propre chef des recherches spécifiques et en tirer des conclusions, sans se fier exclusivement aux récits parfois biaisés des journaux.
🎙 Son idée était donc de corriger l’asymétrie d’information qui, selon les analystes cypherpunks, ne cesse de s’aggraver entre les citoyens, exposés à une visibilité de plus en plus totale de leur vie privée, et les puissants de ce monde qui disposent de moyens de dissimulation antidémocratiques ?
Oui. Ce choix était révolutionnaire. Rendez-vous compte : cela signifiait que n’importe quel lecteur pouvait se prévaloir de ces sources originales pour demander justice devant un tribunal, ou encore les comparer avec les informations rapportées par les journalistes dans leurs articles : avaient-ils traité ce sujet avec précision, ou l’avaient-ils déformé, exagéré, censuré ? Ce processus de démocratisation a bel et bien donné du pouvoir aux lecteurs "ordinaires" : ils ne sont plus des destinataires passifs de tout ce qui est rapporté par les journaux, les télévisions ou les radios ; pour la première fois, il y avait un accès direct aux sources, ce qui diminuait considérablement l’asymétrie entre ceux qui jouissent de ce privilège et ceux qui ne l’ont pas.
🎙 Julian Assange ne serait-il pas, au fond, un idéaliste qui a échoué ?
C’est un idéaliste, oui, mais aussi un être humain complexe, capable de penser stratégiquement. Je ne crois pas du tout qu’il ait échoué, bien au contraire. Il a perdu sa liberté précisément parce que lui et son organisation, WikiLeaks, ont trop bien réussi. WikiLeaks a montré que la bataille contre ce que j’appelle le "pouvoir secret" – le plus haut niveau de pouvoir, où les services secrets, les armées et les diplomates opèrent dans le secret – peut être gagnée. C’est pourquoi le pouvoir veut sa mort et celle de WikiLeaks. Tant que WikiLeaks existera et sera opérationnel, cette puissance le percevra comme une menace.
🎙 Est-il vrai que Julian Assange soit un autiste Asperger et, si oui, en quoi cette caractéristique influe-t-elle sur sa façon d’être et de travailler ?
Julian Assange a été officiellement diagnostiqué comme porteur du syndrome du trouble autistique Asperger en 2020, lors de l’audience d’extradition. Je ne peux pas dire que j’en avais conscience auparavant mais, avec le recul, j’en vois chez lui des signes ; d’autant plus que, ayant obtenu un diplôme en mathématiques avant le journalisme, j’ai croisé dans cette discipline plus d’une personne avec ce profil. Le fait qu’Assange soit un Asperger était évident dès 2010, mais cela n’a été révélé au public que dix ans plus tard. Ce diagnostic explique bien certains comportements déroutants que nous sommes nombreux à avoir remarqués dans nos interactions avec lui au fil des ans.
L’écrivaine australienne Kathy Lette, ancienne épouse de l’éminent avocat des droits de l’homme Geoffrey Robertson, qui représentait Assange, a écrit que, dès 2010, elle avait réalisé que le fondateur de WikiLeaks était probablement autiste − son fils l’est, elle a donc une sorte de radar. Elle expliquait que les principales caractéristiques sont une mauvaise communication, une socialisation qui peut être brouillonne elle aussi, et souvent un trouble obsessionnel-compulsif chronique. S’ajoutent à cela l’anxiété, et bien sûr le très haut niveau de QI. Très vite, Assange est focalisé sur Wikipédia − une focalisation comme on en observe chez beaucoup de génies informatiques. Julian est quelqu’un de passionné, épris de philosophique, et il s’est révélé être un invité très divertissant. Je pense que bien entendu le syndrome d’Asperger a eu un impact sur sa vie, mais la plus grande déflagration dans son existence n’est pas l’autisme dont il est porteur mais le "super pouvoir" : les États-Unis qui l’ont tué à petit feu, aidés en cela par le gouvernement britannique. Et ils l’ont fait exclusivement parce que WikiLeaks a dévoilé de sales secrets. Si les États-Unis obtiennent l’extradition, il est perdu. Là, c’est le dernier appel pour Julian Assange, mais aussi pour nous, car si les journalistes ne sont pas libres de dénoncer les secrets de nos gouvernements, et si le public n’a pas le droit de savoir, alors les démocraties mourront et céderont peu à peu la place aux régimes autoritaires.
🎙 Au début, Julian Assange jouissait d’une très flatteuse renommée internationale. Il a reçu les plus grands prix de journalisme, du The Economist New media Award (2008) au prix de la Dignité catalane (2019). Il a été nominé pour le prix Nobel de la paix et il est même présent dans un album d’Astérix, Le Papyrus de César (2015), où son personnage, baptisé Doublepolémix, est correspondant à Rome du Matin de Lutèce. Et puis est arrivée l’"affaire suédoise", cette histoire de double agression sexuelle, suivie d’une chute immédiate de popularité. Qu’avez-vous pensé quand vous l’avez appris ?
Il est absolument crucial de comprendre qu’il n’y a jamais eu d’"accusations" en Suède. Et c’est là le nœud du problème. L’opinion publique et d’éminents journalistes croient toujours que Julian Assange a été "accusé" de viol en Suède, qu’il était censé rester en Suède pour le procès, et qu’il a échappé à la justice suédoise en se réfugiant à l’ambassade d’Équateur à Londres. C’est absolument faux. Il n’a jamais été inculpé pour viol ni d’agression sexuelle. Il a été mis en examen pour viol et agression sexuelle présumés, à peine quatre semaines après que lui et WikiLeaks ont commencé à publier les dossiers secrets sur la guerre en Afghanistan, les Afghan War Logs. Cinq jours plus tard, la procureure en chef de Stockholm de l’époque, Eva Finné, clôturait l’enquête pour viol en déclarant : "Je ne pense pas qu’il y ait de raison de soupçonner qu’il ait commis un viol", comme l’a rapporté la BBC. Cependant, Eva Finné a maintenu ouverte son enquête sur les allégations d’agression sexuelle sur Anna A. Assange s’est immédiatement rendu disponible pour un interrogatoire et le 30 août 2010, il a été interrogé par la police suédoise. Mais deux jours plus tard, le 1er septembre 2010, une autre procureure, Marianne Ny, a rouvert l’enquête préliminaire pour viol, agression sexuelle et contrainte. De ce jour, l’enquête sur des allégations de viol allait en rester à ce stade préliminaire pendant plus de six ans, précisément jusqu’en novembre 2016, parce que Marianne Ny a refusé d’interroger Julian Assange à Londres.
🎙 Il y avait pourtant un éventail de possibilités, non ?
Oui. Assange et ses avocats ont demandé que l’entretien soit mené par téléphone, ou par vidéoconférence, ou par écrit, ou en personne à l’ambassade d’Australie. Toutes ces options étaient parfaitement admissibles selon la loi suédoise. Mais Marianne Ny les a toutes rejetées : elle voulait absolument l’extrader vers Stockholm pour l’interroger. Il faut bien avoir en tête que Julian Assange faisait seulement l’objet d’une enquête ; il n’était pas du tout censé être jugé à Stockholm, vu qu’il n’était pas inculpé. Personne ne comprenait pourquoi Marianne Ny voulait l’extrader juste pour l’interroger. Quoi qu’il en soit, jamais Assange ne s’est pas opposé à l’interrogatoire : dès le début, il a accepté d’être interrogé. S’il s’est opposé à l’extradition vers la Suède, c’est qu’il était convaincu qu’elle pourrait ouvrir la voie à une extradition vers les États-Unis. Marianne Ny aurait pu s’y prendre autrement et se prévaloir des accords d’entraide judiciaire entre la Suède et la Grande-Bretagne pour l’interroger à Londres, comme de nombreux procureurs le font chaque jour − et comme la juge française Eva Joly l’a dit publiquement pendant des années.
🎙 Même l’Équateur a voulu aider à ce que Marianne Ny puisse l’interroger, avant même de lui accorder l’asile…
L’Équateur proposait sa coopération pour que Julian Assange soit interrogé à son ambassade à Londres. Dans une correspondance diplomatique datée du 25 juillet 2012 − que j’ai obtenue des autorités suédoises en vertu de la loi sur la liberté d’information −, l’Équateur a écrit au ministère suédois des Affaires étrangères, l’informant que Julian Assange était prêt à être interrogé à l’ambassade et que les responsables équatoriens étaient prêts à fournir toute aide nécessaire à la procureure suédoise, et ceci avant de proposer l’asile diplomatique. La Suède n’a même pas répondu. Pourquoi ? Mon enquête [publiée dans L’Espresso] a permis d’en découvrir la raison : ce sont les autorités britanniques du Crown Prosecution Service, en particulier l’avocat Paul Close, qui ont conseillé aux procureurs suédois de ne pas interroger Assange à Londres. En excluant la seule stratégie juridique qui aurait pu permettre une résolution rapide de l’affaire suédoise, les autorités britanniques du CPS ont contribué à créer le bourbier juridique et diplomatique qui maintient Julian Assange coincé à Londres depuis 2010.
🎙 L’embrouillamini suédois est-il la raison pour laquelle tout le monde a cessé de soutenir Assange et WikiLeaks ?
Ces allégations faisaient certainement partie de la campagne de diabolisation contre Julian Assange et WikiLeaks. Assange a été laissé dans les limbes. Ni inculpé ni innocenté. L’étiquette de "violeur", elle, est restée attachée à son nom pendant des années, lui aliénant l’opinion publique − un des rares boucliers pour quelqu’un qui a révélé les secrets du Pentagone, de la CIA et de la diplomatie américaine. L’affaire suédoise a joué un rôle décisif dans la diabolisation prolongée et continue de Julian Assange, en le privant de l’empathie et du soutien de l’opinion publique mondiale. En particulier de la partie la plus sensible aux révélations sur les crimes de guerre et la torture, qui est souvent aussi la plus soucieuse des droits des femmes. D’autres attaques sont venues, comme les allégations selon lesquelles lui et WikiLeaks mettaient des vies en danger par leurs publications, alors qu’à ce jour les autorités américaines n’ont jamais été en mesure de nommer un seul individu tué, blessé, torturé ou incarcéré à la suite de ces publications.
🎙 Ce n’est pas faute d’avoir cherché pourtant.
Je pense que les révélations de Julian Assange et de WikiLeaks ont été examinées et étudiées par la CIA, le Pentagone, la communauté du renseignement américain, et les services secrets du monde entier. Il n’est pas exagéré d’affirmer que les publications de WikiLeaks ont été plus scrutées que celles de toute autre organisation journalistique. En 2013, lors du procès en cour martiale de Chelsea Manning, le chef du groupe de travail du Pentagone chargé d’enquêter sur les conséquences des révélations de WikiLeaks, Robert Carr, général de brigade, a déclaré qu’il n’avait jamais eu connaissance d’un seul individu tué à la suite de ces publications. Il est grotesque qu’une puissance dont la seule guerre en Irak a causé des centaines de milliers de morts innocents et 9,2 millions de réfugiés traque un journaliste qui n’a pas causé un seul mort, et cherche à l’enterrer en prison pour le restant de ses jours. Seul Franz Kafka, dans Le Procès, est à la hauteur de tels mensonges et absurdités.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Anne Crignon, parus sous le titre "Julian Assange a perdu sa liberté parce que lui et WikiLeaks ont trop bien réussi" dans L’Obs le 9 mars 2024
Notes
(1) Ancienne analyste militaire, Chelsea Manning a donné à WiliLeaks des documents classés Secret Défense sur les crimes des soldats américains, en Afghanistan notamment - elle a été condamnée pour violation de l’Espionage act, libérée depuis. [ndlr]
📰 https://agone.org/aujourlejour/avec-l-affaire-assange-cest-la-liberte-de-la-presse-quon-menace
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2- ♟ Les manquements publics dans l'affaire Julian Assange
Par Daniela Lupp, le 27 mars 2024, Zeiten Unsere Wende
"Le moment où j'ai pris congé d'Assange en cette fin d'après-midi ne m'a jamais quitté. Je lui avais serré la main, lui ai souhaité le meilleur et m'apprêtais à partir, les médecins étaient déjà à la porte. Soudain, sa main s'est resserrée sur la mienne et il m'a retenu. Ce qu'il voulait dire lui était visiblement difficile. "Je déteste dire ça...", a-t-il commencé. Puis il a hésité un moment interminable avant que les mots ne franchissent enfin ses lèvres : "Please, save my life !"" (S'il vous plaît, sauvez-moi la vie).
- Nils Melzer sur sa première rencontre avec Julian Assange à la prison de Belmarsh
Manquement et silence des médias
Les principales missions des médias sont, primo, d'effectuer des recherches consciencieuses et, secundo, de rendre compte objectivement de ces résultats. Dans le cas de Julian Assange, aucun de ces deux devoirs n'a été respecté.
Julian Assange est le journaliste et fondateur de la plate-forme WikiLeaks, d'abord adulé publiquement puis laissé pour compte, qui nous a révélé par son travail le visage hideux des grandes puissances. Et il continue de le faire. Non pas comme il l'aurait souhaité - par le biais d'Internet et d'autres médias - mais par le traitement qui lui est désormais réservé. On ne pouvait pas le dresser, il fallait donc resserrer toujours plus l'étau autour de son cou. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède et finalement l'Équateur - chacune de ces nations tirait sur son bout de ficelle. Et tout le monde a regardé et continue de regarder. Aucune intervention criante des politiques ou des grands médias à travers le monde. Même certaines organisations de défense des droits de l'homme doutaient de la nécessité de protéger la vie de Julian.
L'ignorance du public vient surtout du silence constant des médias. Cela ne doit pas être une excuse, car finalement, suffisamment de personnes ont réussi à s'informer par elles-mêmes. Grâce à ce regard plus attentif, ils ont appris qu'un journaliste de notre Occident "moral et toujours respectueux des droits de l'homme", qui se plaît à critiquer hautainement des pays pas si "irréprochables", est poursuivi en toute impunité depuis de nombreuses années.
Quel est l'objectif du silence des médias ? Souhaitent-ils plaire au puissant ami américain ? Ne peuvent-ils pas croire qu'une telle injustice soit possible dans notre démocratie si fonctionnelle, ou soutiennent-ils même sciemment cette persécution ? Croient-ils qu'en détournant le regard, tout s'arrangera ? La liberté de la presse n'est-elle pas assez précieuse à leurs yeux pour qu'ils rompent le silence ? Sont-ils à ce point habitués à ne pas poser de questions qu'ils ne remarquent même pas la censure ou s'en réjouissent ? Ou n'en saisissent-ils pas toutes les conséquences ? Quelle que soit la raison, elle légitime une injustice qui peut ainsi se perpétuer quasiment sans entrave.
On ne soulignera jamais assez le danger apparemment inavoué pour la liberté de la presse dans son ensemble. Le traitement indigne réservé à Assange, l'ennemi public des États-Unis, doit faire comprendre que les griffes de la justice américaine franchissent l'Atlantique et menacent l'Europe, suspendant l'État de droit et les droits de l'homme et brisant les esprits les plus récalcitrants. La menace s'adresse à tous les journalistes.
La presse se souvient d'Assange - et entonne à nouveau la vieille rengaine
Début mai 2019, un mois seulement après la sortie musclee d'Assange de l'ambassade vers la "Her Majesty's Prison Belmarsh" (prison de Sa Majesté de Belmarsh), le "Guantanamo" britannique comme on l'appelle en raison de ses mesures de sécurité strictes, lorsque Nils Melzer, alors représentant spécial des Nations unies pour la torture, a examiné le célèbre détenu, les médias n'avaient pas réagi à son annonce d'un communiqué de presse. Un seul journaliste de Ruptly, "une agence d'information proche de la chaîne de télévision publique russe RT*", a semblé s'intéresser aux conclusions de l'enquête.
L'audience actuelle à Londres les 20 et 21 février a apparemment réveillé une presse en hibernation. Julian Assange - certes pas à la une, mais au moins ressuscité - est mentionné dans les médias grand public. Toujours, bien sûr, avec en prime les accusations américaines bien connues.
Markus Lanz a également accordé une place à Julian Assange lors de son émission sur la chaîne ZDF le 14 mars. Ce qui s'est passé lors de l'audience de février à la Haute Cour de Londres a pu être constaté lors de ce débat : la partie adverse n'a aucun nouvel argument. Elle ressasse à l'identique depuis des années les mêmes affirmations, réfutées depuis longtemps, montrant qu'elle considère Julian Assange comme un rustre, un sale gosse, un narcissique, un violeur, un traître et un compagnon de vie. Les grands médias, qui ne restent pas tout à fait muets, jugent Assange sans faire toute la lumière sur le sujet et laissent ainsi l'impression qu'un criminel reçoit ici le châtiment mérité. C'est également le cas de Markus Lanz.
Ce qui était formidable dans cette émission, c'est qu'on a donné la parole à Gabriel Shipton, le frère de Julian, sur l'état de santé de Julian, les conditions de détention et les visites de ses enfants. Lanz ne l'a toutefois jamais interrogé sur les contre-vérités qui font encore de son frère le méchant des médias.
Au lieu de cela, deux personnes extérieures ont pu éclairer Assange sur sa situation : Kai Ambos, professeur de droit pénal, et Heribert Prantl, journaliste. Tous deux étaient d'accord pour dire qu'il était temps de libérer Assange. Alors que Prantl s'est prononcé en faveur de cette mesure en invoquant la liberté de la presse, son adversaire Ambos était plutôt favorable à la libération d'Assange par charité, "pour des raisons humanitaires", parce que son châtiment avait déjà été suffisant.
Ce qu'il reproche en particulier à Assange - et qui est effectivement présenté de manière très émotionnelle - c'est la publication "grossièrement négligente" et non éditée de documents qui auraient mis en danger des informateurs dans des pays comme l'Afghanistan, la Syrie et l'Irak. Il serait donc important de dénoncer les crimes de guerre, mais pas les secrets d'État.
Ambos affirme ensuite qu'Assange a vécu de son plein gré pendant des années au sein de l'ambassade équatorienne et revient sur les accusations suédoises de viol, qui ne seront certes pas poursuivies pénalement, mais uniquement parce qu'elles seraient en partie prescrites. Le portrait de l'homme dangereux est à nouveau dressé.
Une extradition vers les États-Unis pourrait même, dans certaines circonstances, être bénéfique pour Assange, poursuit Ambos. Il se pourrait qu'il ne soit même pas condamné en raison de l'importance de la liberté de la presse aux États-Unis. La peine capitale ne serait naturellement pas à l'ordre du jour, car selon la Convention européenne des droits de l'homme, il ne pourrait donc pas être extradé.
Ces suppositions du candidat opposé pourraient être le fruit d'une touchante crédulité envers le système juridique démocratique. Mais si l'on considère les nombreuses décisions étranges prises et appliquées jusqu'à présent par les États de droit impliqués dans le cas d'Assange, on devrait plutôt qualifier cette vision de naïve.
Prantl, défenseur d'Assange, avait malheureusement moins bien préparé ses contre-arguments. Il a répété : "Julian Assange est un pionnier du numérique. Il a été le premier à essayer de traiter ce genre de volumes de données". Il a ainsi justifié "les quantités gigantesques de données qu'Assange aurait déversées sur le réseau". S'il a fort heureusement évoqué le danger que représente le traitement d'Assange pour l'ensemble de la liberté de la presse, il n'a réfuté aucune des calomnies, qui ne l'ont sans doute guère surpris.
C'est pourquoi il est si important de faire toute la lumière sur cette affaire, et c'est pourquoi je souhaite apporter ici les réponses manquantes - toutes tirées, sauf indication contraire, du livre de Nils Melzer, l'ancien représentant spécial de l'ONU pour la torture et les violations des droits de l'homme, qui s'est penché de manière exhaustive sur le cas Assange et a mené des recherches méticuleuses et surtout objectives, comme l'exigeait son statut professionnel.
Quelle est la vérité ?
Julian Assange - antipathique et narcissique ?
Le fait que Julian Assange soit antipathique à l'invité de Monsieur Lanz, comme ce dernier le dit, montre l'image transmise au public à son sujet. Je me pose à ce sujet la question de la pertinence pour le débat télévisé, mais aussi pour son propre jugement. Car la partialité implique notamment l'aveuglement face aux faits. Et les grands médias ont contribué avec diligence à transformer l'ancien héros en monstre.
Dans un premier temps, Nils Melzer a lui aussi eu ce préjugé, qu'il a révisé après s'être longuement penché sur le cas Assange :
"Si Assange était un narcissique impitoyable, il n'aurait pas ce sens de la justice très prononcé, reconnaissable dans chaque interview, ni cet intérêt évident pour le sort d'autrui. C'est la seule façon d'expliquer pourquoi Assange s'est engagé dans une épreuve de force avec les gouvernements les plus puissants du monde. Rendre publique l'injustice de leur politique, leur double morale et les secrets sordides de leurs guerres - cela a dû être pour lui une telle nécessité qu'il était prêt à tout risquer pour cela".
Au contraire, Melzer le décrit comme
"un homme extrêmement intelligent, mentalement hyper résistant, qui s'efforçait désespérément de tenir les rênes de son propre destin, alors qu'on les lui avait déjà arrachées des mains depuis longtemps".
Julian Assange, un danger pour l'humanité ?
Lors des débats sur Assange, l'affirmation selon laquelle Julian aurait mis en danger des vies humaines par sa publication non expurgée est omniprésente. Je voudrais à nouveau citer Mr Melzer à ce sujet :
"Contrairement à ce qui est souvent affirmé, les informations qui pourraient mettre des personnes en danger et qui ne sont pas encore accessibles au public sont caviardées par WikiLeaks. (...) Il n'existe à ce jour aucune preuve à l'appui de la thèse si souvent répétée par le gouvernement américain selon laquelle des personnes auraient été mises en danger par les publications de WikiLeaks. Dans la vidéo Collateral Murder, en revanche, des personnes sans défense ne sont pas simplement mises en danger, elles sont massacrées devant la caméra. Mais personne n'en parle. Personne n'a jamais été puni pour cela".
Il y avait
"90 000 fichiers de rapports de terrain de la guerre d'Afghanistan, plusieurs centaines de milliers de la guerre d'Irak et, à partir de novembre, encore un quart de million de dépêches du personnel des ambassades américaines de tous les pays du monde. Il est important de noter que, sur ordre d'Assange, toutes ces publications sont précédées d'un rigoureux processus de "limitation des dommages", au cours duquel les noms des personnes potentiellement menacées sont censurés individuellement. Ainsi, dès la publication de l'Afghan War Diary en juillet 2010, Assange retient environ 15 000 documents afin de laisser le temps au gouvernement américain et à la mission militaire internationale ISAF d'identifier les données sensibles qui doivent être caviardées. Ce n'est que la publication par négligence du mot de passe de documents originaux codés par WikiLeaks et non édités par un journaliste du Guardian qui incitera Assange, un an plus tard, à publier lui-même les documents concernés sans les éditer".
Melzer poursuit en disant que la poursuite d'Assange et d'autres lanceurs d'alerte, comme Chelsea Manning et Edward Snowden, n'a pas lieu
"parce que ces personnes auraient vraiment causé de gros dégâts. Personne n'a été sérieusement mis en danger, aucune perte de biens nationaux n'a été enregistrée et aucune guerre n'a été perdue".
Au lieu de cela, il faut empêcher d'autres révélations, d'autres plateformes WikiLeaks, car l'opération Collateral Murder n'a pas été un phénomène isolé.
Séjour à l'ambassade, un choix ?
L'affirmation effrontée selon laquelle Assange aurait volontairement séjourné pendant des années à l'ambassade équatorienne doit également retenir l'attention. La médecin Sondra Crosby, spécialiste respectée de l'examen des victimes de torture, a rendu visite à Julian Assange à l'ambassade, où il a séjourné entre 2012 et 2019. Son rapport d'expertise, rendu début 2019, a conclu que les conditions avaient "gravement affecté la santé d'Assange". "L'exiguïté des locaux et le manque de possibilités de mouvement qui en résulte ; le manque de lumière du jour ; l'isolement social" auraient entraîné un stress chronique, comme l'explique Melzer. Viennent s'ajouter à cela la restriction des droits de visite, l'absence de traitement médical et sa surveillance permanente, même lors de consultations médicales confidentielles.
"La conclusion de Crosby était sans équivoque : d'un point de vue médical, le traitement d'Assange violait l'interdiction de la torture et des mauvais traitements de la Convention internationale contre la torture".
En 2015 déjà, le groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire avait émis un avis sur la situation d'Assange à l'ambassade. Celui-ci a clairement réfuté le caractère soi-disant "volontaire" de son séjour. Sans accusation de la part des autorités suédoises et avec la crainte d'être extradé vers les États-Unis, on parlait déjà à l'époque
"d'un état de suspension incompatible avec la présomption d'innocence, dont la durée avait depuis longtemps dépassé toute mesure acceptable. (...) La seule façon pour Assange de se protéger d'une extradition vers les États-Unis, où l'attendent un procès inéquitable et des conditions de détention inhumaines, est de ne pas quitter le bâtiment. (...) Comme toute autre personne, il ne devrait pas être contraint de renoncer à sa sécurité et à son intégrité personnelle et de s'exposer au risque de graves violations des droits de l'homme. Pour cette raison, le fait qu'Assange soit resté au sein de l'ambassade ne peut justement pas être qualifié de démarche volontaire".
En mai 2019, un mois après son enlèvement par les autorités de l'ambassade, Melzer a reconnu, lors de sa visite à Belmarsh, des déficiences physiques, neurologiques et cognitives "qui m'ont en tout cas immédiatement rappelé des conversations avec d'autres prisonniers politiques dont l'isolement était déjà prolongé depuis longtemps". Les "vacances volontaires" d'Assange à l'ambassade avaient donc déjà laissé de graves séquelles.
Un procès équitable et pas de peine de mort pour Assange ?
La supposition d'Ambos selon laquelle Assange s'attendrait à un procès équitable aux États-Unis avec un éventuel acquittement a donc été contredite depuis des années déjà par les experts de l'ONU en matière de détentions arbitraires. Le spectacle britannique de juges partiaux et d'erreurs "inaperçues" lourdes de conséquences, en violation des droits de l'homme, pourrait avoir été un avant-goût de ce qui attend Assange aux États-Unis.
"Comme je l'ai expliqué en détail dans la lettre officielle que je vous ai adressée, les tribunaux britanniques n'ont pas encore fait preuve de l'impartialité et de l'objectivité requises par l'État de droit", a écrit Melzer au ministre britannique des Affaires étrangères de l'époque, Jeremy Hunt.
En effet, aucun délit pouvant entraîner la peine de mort n'a été notifié jusqu'à présent, mais même Nils Melzer était d'avis que les Américains seraient autorisés "à ajouter de nouveaux et d'autres chefs d'accusation, notamment après son extradition vers les États-Unis, sur la base de l'exposé des faits - effectivement inhabituellement large - figurant dans la demande d'extradition. Y compris, dans certaines circonstances, des délits passibles de la peine de mort ou d'une peine de prison à perpétuité sans possibilité de libération anticipée".
Les accusations suédoises
Les accusations de viol en provenance de Suède - une piste déjà complètement gelée qui a été réchauffée dans l'émission de Lanz - peuvent être expliquées en quelques mots : Pas d'accusation, pas de plainte pénale déposée par les victimes présumées, pas de preuves, mais une diffamation réussie.
Le moment de ces accusations a coïncidé "par pur hasard" avec le fait que
"les États-Unis avaient encouragé leurs alliés à trouver des raisons de poursuivre Assange en justice. (...) Depuis lors, la Suède et le Royaume-Uni ont tout fait pour empêcher Assange de faire face à ces accusations sans s'exposer en même temps à une extradition vers les États-Unis et donc à un procès à grand spectacle et un emprisonnement à vie. Son dernier refuge étant l'ambassade équatorienne à Londres*".
La procédure suédoise a également été entachée d'irrégularités juridiques et de faits étranges. De plus, Assange s'est vu refuser l'assurance de ne pas être extradé vers les États-Unis -
"un instrument standard des relations internationales, répandu dans le monde entier, utilisé quotidiennement dans le cadre de l'extradition et de l'expulsion de migrants. L'État qui extrade se fait garantir par écrit par l'État de destination que la personne à extrader ne sera en aucun cas exécutée, torturée ou soumise à d'autres mauvais traitements, que ses droits procéduraux seront garantis et qu'elle ne sera pas non plus extradée - conformément au principe universel de non-refoulement - vers un État tiers dans lequel la protection des droits de l'homme n'est pas garantie".
Décision des juges du 26 mars 2024
La décision ajournée des juges de la Haute Cour de Londres de l'audience d'appel d'Assange des 20 et 21 février n'a été rendue publique qu'un mois plus tard, le 26 mars. Cela montre que même la justice britannique, qui n'a guère été exemplaire jusqu'à présent dans l'affaire Assange, ne semble pas avoir une confiance aveugle dans la jurisprudence américaine. Des assurances sont requises de la part des États-Unis, assurances que l'on aurait pu et dû exiger il y a des années déjà : Les États-Unis doivent confirmer qu'Assange sera protégé par le droit à la liberté d'expression du premier amendement, qu'il ne sera pas désavantagé en tant que non-citoyen et qu'il ne risque pas la peine de mort***.
L'expulsion vers les États-Unis n'est cependant pas abandonnée pour autant, elle est tout simplement différée. Si les États-Unis ne répondent pas aux exigences dans les délais et dans leur intégralité, Julian aura la possibilité de faire appel. Si les garanties sont données, les avocats d'Assange peuvent présenter de nouveaux arguments pour un appel.
Ces exigences judiciaires confirment, en plus des paroles de Melzer, que les craintes d'un procès inéquitable et d'une peine de mort sont bien réelles.
Divulguer des secrets d'État, une trahison ?
Le thème du nécessaire secret d'État est également soulevé dans le débat de la ZDF. Tout le monde s'accorde à dire que certains secrets d'État méritent d'être protégés. Ils sont en revanche en désaccord sur la question de savoir si Assange a fait preuve d'une "négligence grave" en les publiant. C'est précisément là que commence la difficulté : qui décide de ce qui est d'intérêt public ? Dans le cas d'Assange, ce sont précisément les instances qui défendent le secret de leurs propres crimes tout en poursuivant le messager qui le décident.
Nils Melzer écrit à ce sujet dans son livre :
"J'ai passé deux bonnes décennies dans le système international, et j'en suis arrivé à la conviction que nous ne devons ni avoir besoin ni permettre ce type de secret cachant des domaines entiers aux citoyens. En effet, une sphère d'activité étatique qui se dérobe complètement à la connaissance et au contrôle du public ne devrait pas exister. Dès lors qu'elle existe, la porte est ouverte aux abus. On en arrive alors inévitablement à la dissimulation de crimes, à l'exploitation et à la corruption".
"La grande majorité des informations secrètes sont gardées secrètes pour des raisons de sécurité politique et non de sécurité nationale".
- Julian Assange
Sources :
* Nils Melzer : Der Fall Julian Assange - Geschichte einer Verfolgung ; Piper Verlag, 2021 (en français L'affaire Assange : Histoire d'une persécution politique)
** Nils Melzer : Demasking the Torture of Julian Assange ; 26.6.19 (ici en traduction française)
*** Bulletin d'information Gabriel Shipton, Assange Campaign Australia
Informations complémentaires sur Julian Assange :
Ortwin Rosner : 6 mythes sur Julian Assange; Unsere ZeitenWende am 6.3.24
Daniela Lupp : Quand la révéler un crime devient un crime ; Plateforme RESPECT le 11.5.23
Daniela Lupp est rédactrice en chef de Unsere ZeitenWende, sociologue, auteur, anciennement rédactrice à Plattform RESPEKT, a créé un site web à caractère spirituel avec une section critique "pour ceux qui pensent différemment".
📰 https://zeitenwende-magazin.at/die-oeffentliche-unterlassung-im-fall-julian-assange/
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3- ♟ Pourquoi défendre Assange est essentiel
Ce qui est particulièrement décourageant, c'est la façon dont les journalistes ont abandonné Assange et se sont transformés en ambassadeurs du gouvernement américain lorsqu'ils discutent de son cas.
Par Margaret Kimberley, le 29 mars 2024, La Progressive
Le 10 décembre est la Journée internationale des droits de l'homme. Il s'agit toujours d'un simulacre de jour férié pour les États-Unis, qui incarcèrent leur propre population à des taux supérieurs à ceux de tous les autres pays et font régulièrement la guerre au reste du monde.
En 2021, cette journée fut encore davantage une parodie que par le passé. Joe Biden avait organisé un étrange sommet sur la démocratie, au cours duquel il déclarait que les autres nations étaient bonnes ou mauvaises selon qu'elles suivaient ou non les diktats de l'empire américain. C'est à Londres que les États-Unis se sont comportés de manière particulièrement honteuse, en œuvrant avec le Royaume-Uni pour obtenir le droit d'extrader Julian Assange.
En 2018, Assange a été inculpé par le tribunal du district oriental de Virginie, un tribunal à huis clos où les acquittements sont rares. Son délit est l'un de ceux que le système ne tolère pas. Pendant des années, son organisation, Wikileaks, a révélé des crimes américains commis dans le monde entier.
Assange s'est attiré les foudres de quatre présidents américains, républicains et démocrates confondus. WikiLeaks a mis au jour des crimes de guerre commis sous l'administration de George W. Bush dans ses journaux de guerre pour l'Irak et l'Afghanistan.
Le soldat Chelsea Manning a divulgué la vidéo Collateral Murder, montrant des civils, dont deux journalistes de Reuters, se faire abattre par l'équipage d'un hélicoptère de l'armée américaine en 2007.
Collateral Murder a été diffusée en 2010, alors que Barack Obama était président. Toutes les prétendues divergences entre démocrates et républicains disparaissent lorsqu'il s'agit de protéger l'hégémonie américaine.
Le procureur général d'Obama, Eric Holder, a confirmé qu'Assange faisait l'objet d'une enquête. Bien que le ministère de la justice ait finalement choisi de ne pas l'inculper, il a préparé le terrain pour que Donald Trump fasse d'Assange un prisonnier politique. Le recours sans précédent d'Obama à l'Espionage Act a envoyé d'autres lanceurs d'alerte derrière les barreaux et permis à Trump de mettre la main sur Assange. Fidèle à lui-même, Joe Biden poursuit la politique de Trump et la persécution d'Assange.
L'administration Trump s'est appuyée sur le travail du DOJ d'Obama et a obtenu un acte d'accusation de 17 chefs d'accusation en 2018, avec des charges pouvant entraîner une peine de 175 ans. Bien sûr, ils ne se sont pas arrêtés aux accusations criminelles, inutiles tant que le gouvernement équatorien offrait à Assange un sanctuaire dans son ambassade de Londres.
L'administration Trump a assuré un prêt de 4 milliards de dollars du FMI à l'Équateur, juste un mois avant que les protections d'Assange ne soient levées. Le calendrier de la transaction et de l'arrestation n'est manifestement pas une coïncidence.
Il n'est pas surprenant que les présidents fassent la guerre aux diseurs de vérité du monde entier. Ce qui est particulièrement décourageant, c'est la façon dont les journalistes ont abandonné Assange et se sont transformés en ambassadeurs du gouvernement américain lorsqu'ils discutent de son cas.
Des médias tels que le New York Times, le Washington Post et le Guardian ont travaillé avec Assange pendant des années, publiant régulièrement les révélations de Wikileaks. Pourtant, ils n'ont guère pris la parole en sa faveur depuis son arrestation le 11 avril 2019.
Les élites libérales non plus, qui répètent comme des perroquets le mensonge selon lequel Assange est responsable de la défaite d'Hillary Clinton en 2016. Selon les propagandistes démocrates, des agents russes ont piraté les ordinateurs du Comité national démocrate et ont remis un lot de courriels embarrassants à WikiLeaks. Hillary Clinton qualifie même l'organisation de "Wikileaks russe", au cas où quelqu'un aurait oublié de blâmer d'autres personnes pour sa débâcle politique.
Bien entendu, Wikileaks a reçu les documents du DNC de la même manière que tous les autres. Un lanceur d'alerte les a divulgués, et le reste appartient à l'histoire. Sauf que l'histoire ne s'est pas déroulée comme la plupart des gens l'avaient prédit. Hillary Clinton a perdu, en grande partie à cause des pratiques corrompues révélées par Assange.
Les révélations du DNC représentaient une menace aussi grande que les carnets de guerre. Assange a révélé comment la campagne de Clinton a renforcé Trump, persuadée à tort qu'il serait le républicain le plus facile à vaincre. Elles ont également prouvé que le processus des primaires avait été truqué au détriment de Bernie Sanders, qui aurait été le meilleur candidat. Il fallait étouffer les révélations, et le besoin de faire d'Assange un bouc émissaire n'a fait que s'intensifier au fil du temps. Le Russiagate a été un moyen de le diaboliser et de le rendre persona non grata auprès de personnes qui auraient pu être ses défenseurs.
La vidéo Collateral Murder montre l'assassinat de deux Irakiens employés par Reuters à Bagdad. On pourrait penser qu'une certaine considération professionnelle serait accordée à leur mémoire, ne serait-ce que pour sauver les apparences. Mais ce n'est pas ainsi que fonctionnent les médias d'entreprise. Ils travaillent pour le compte de l'État et oublient commodément leurs relations passées avec Wikileaks et les assassinats de leurs confrères afin de rester dans les bonnes grâces de ceux qui poursuivent Assange.
En fin de compte, les États-Unis et le Royaume-Uni ne pourraient jouer le rôle de vilains garçons si les puissantes organisations de presse se comportaient comme des entités indépendantes et non comme un bras armé de l'État. Assange n'a pas d'amis influents et croupit à la prison de Belmarsh, où il a été victime d'un accident vasculaire cérébral le 27 octobre 2021. Sa santé physique et mentale se détériore tandis que des personnes sans scrupules à Londres et à Washington décident de son sort.
Ce processus corrompu doit être dénoncé et tous les partisans d'Assange doivent s'exprimer. Les États-Unis ne devraient pas être autorisés à faire usage de l'Espionage Act ou de tout autre mécanisme pour arrêter n'importe qui, n'importe où, et l'accuser d'un crime à la légalité douteuse. S'ils sont autorisés à le faire dans ce cas, ils le feront assurément à nouveau. Quiconque souhaite exposer des crimes graves se retrouvera dans la position d'Assange. Quiconque s'oppose à l'empire et à ses machinations sera en danger si Assange est extradé et jugé par le tribunal de l'Eastern District. Il est un prisonnier politique et d'autres suivront si les poursuites se poursuivent. Il n'est vraiment pas excessif de dire que nous sommes tous Julian Assange.
Les opinions exprimées ici sont uniquement celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions ou les convictions du LA Progressive.
Margaret Kimberley est rédactrice en chef du Black Agenda Report et auteur de Prejudiential: Black America and the Presidents . Vous pouvez la soutenir sur Patreon et également retrouver son travail sur Twitter et sur Telegram . Elle peut être contactée par e-mail à Margaret.Kimberley(at)BlackAgendaReport.com.
📰 https://www.laprogressive.com/law-and-justice/julian-assange-can-be-extradited
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4- ♟ Quand les dissidents deviennent des ennemis de l'État
"En ces temps de confusion mondiale, nous avons un besoin urgent d'hommes et de femmes qui se battent courageusement pour la vérité"
Par John W. Whitehead, le 2 avril 2024, The Future of Freedom Foundation
Lorsque exposer un crime devient un crime, alors vous êtes gouvernés par des criminels.
Dans le climat gouvernemental actuel, obéir à sa conscience et dire la vérité au pouvoir de l'État policier peut facilement faire de vous un "ennemi de l'État".
Et la liste des soi-disant "ennemis de l'État" s'allonge de jour en jour.
Julian Assange, fondateur de Wikileaks, n'est que l'une des victimes les plus évidentes de la guerre menée par l'État policier contre tout dissident ou lanceur d'alerte.
Voilà cinq ans, le 11 avril 2019, la police a arrêté Julian Assange pour avoir osé consulter et divulguer des documents militaires dépeignant le gouvernement américain et ses guerres sans fin à l'étranger comme étant imprudents, irresponsables, immoraux et responsables de la mort de milliers de civils.
Parmi les documents divulgués figure une vidéo de visée de deux hélicoptères américains AH-64 Apache engagés dans une série d'attaques air-sol, tandis que l'équipage aérien américain se moque de certaines des victimes. Parmi elles, deux correspondants de l'agence Reuters ont été abattus après que leurs appareils photo ont été pris pour des armes, ainsi qu'un chauffeur qui s'était arrêté pour aider l'un des journalistes. Les deux enfants de ce dernier, qui se trouvaient dans la camionnette au moment où les forces américaines lui ont tiré dessus, ont été grièvement blessés.
Les crimes de ce type perpétrés par le gouvernement n'ont rien de défendable.
Lorsqu'un gouvernement devient presque indiscernable du mal qu'il prétend combattre - que ce mal prenne la forme de la guerre, du terrorisme, de la torture, du trafic de drogue, du trafic sexuel, du meurtre, de la violence, du vol, de la pornographie, des expérimentations scientifiques ou de tout autre moyen diabolique d'infliger douleur, souffrance et servitude à l'humanité - ce gouvernement a perdu toute légitimité.
Ces mots sont durs, mais les temps difficiles exigent un franc-parler.
Il est facile de rester silencieux face au mal.
Ce qui est plus difficile, ce dont nous manquons aujourd'hui et dont nous avons si désespérément besoin, ce sont les personnes qui ont le courage moral de risquer leur liberté et leur vie pour s'élever contre le mal sous toutes ses formes.
Tout au long de l'histoire, des individus ou des groupes d'individus se sont levés pour contester les injustices de leur époque. L'Allemagne nazie a eu son Dietrich Bonhoeffer. Les goulags de l'Union soviétique ont été remis en question par Alexandre Soljenitsyne. L'Amérique a vu son système de ségrégation raciale par code de couleur et son bellicisme dénoncés pour ce qu'ils étaient, à savoir une discrimination et un profit flagrants, par Martin Luther King Jr.
Et puis il y a eu Jésus-Christ, prédicateur itinérant et activiste révolutionnaire, non seulement mort en défiant l'État policier de son époque, à savoir l'Empire romain, mais aussi en proposant un modèle de désobéissance civile qui sera suivi par tous ceux, religieux ou non, qui viendront après lui.
En effet, il convient de se rappeler que Jésus-Christ - la figure religieuse vénérée par les chrétiens pour sa mort sur la croix et sa résurrection ultérieure - a payé le prix ultime pour s'être élevé contre l'État policier de son époque.
Non-conformiste radical, contestant l'autorité à chaque instant, Jésus était bien loin de la vision édulcorée, corporatisée, simplifiée, embourgeoisée et sissifiée d'une créature débonnaire tenant un agneau que colportent la plupart des églises modernes. En fait, il a passé sa vie d'adulte à dire la vérité au pouvoir, à remettre en question le statu quo de son époque et à s'opposer aux abus de l'Empire romain.
Tout comme l'empire américain d'aujourd'hui, l'empire romain de l'époque de Jésus présentait toutes les caractéristiques d'un État policier : secret, surveillance, présence policière généralisée, citoyens traités comme des suspects avec peu de recours contre l'État policier, guerres perpétuelles, empire militaire, loi martiale et représailles politiques contre quiconque osait défier le pouvoir de l'État.
Malgré toutes les louanges adressées à Jésus, on parle peu des dures réalités de l'État policier dans lequel il a vécu et de ses similitudes avec l'Amérique d'aujourd'hui, pourtant frappantes.
Le secret, la surveillance et la domination de l'élite. À mesure que le fossé entre riches et pauvres se creusait dans l'Empire romain, la classe dirigeante et la classe des nantis sont devenues synonymes, tandis que les classes inférieures, toujours plus privées de leurs libertés politiques, se désintéressaient de leur gouvernement et se laissaient facilement distraire par "le pain et le cirque". À l'instar de l'Amérique d'aujourd'hui, avec son manque de transparence étatique, sa surveillance intérieure manifeste et sa domination par les riches, le fonctionnement interne de l'Empire romain baignait dans le secret, tandis que ses dirigeants étaient constamment à l'affût de toute menace potentielle pour son pouvoir. La surveillance à l'échelle de l'État résultante était principalement assurée par l'armée, qui jouait le rôle d'enquêteur, d'exécutant, de tortionnaire, de policier, de bourreau et de geôlier. Aujourd'hui, ce rôle est rempli par la NSA, le FBI, le ministère de la sécurité intérieure et les forces de police toujours plus militarisées à travers le pays.
Une police omniprésente. L'Empire romain utilisait ses forces militaires pour maintenir la "paix", établissant ainsi un État policier s'immisçant dans tous les aspects de la vie des citoyens. De cette manière, ces officiers militaires, utilisés pour traiter un large éventail de problèmes et de conflits courants, appliquaient la volonté de l'État. Aujourd'hui, les équipes SWAT (Unité d'élite), composées de policiers locaux et d'agents fédéraux, sont employées pour exécuter des mandats de perquisition de routine pour des délits mineurs tels que la possession de marijuana et la fraude à la carte de crédit.
Des citoyens n'ayant que peu de recours face à l'État policier. Au fur et à mesure que l'Empire romain s'étendait, la liberté et l'indépendance individuelles ont pratiquement disparu, de même que tout sens réel de la gouvernance locale et de la conscience nationale. De même, dans l'Amérique d'aujourd'hui, les citoyens se sentent largement impuissants, sans voix et non représentés face à un gouvernement fédéral assoiffé de pouvoir. Alors que les États et les localités sont placés sous le contrôle direct des agences et des réglementations fédérales, un sentiment d'impuissance acquise s'empare de la nation.
Des guerres perpétuelles et un empire militaire. À l'instar de l'Amérique d'aujourd'hui et de sa pratique du maintien de l'ordre dans le monde, la guerre et une éthique militariste globale constituaient le cadre de l'Empire romain, qui s'étendait de la péninsule italienne à toute l'Europe du Sud, de l'Ouest et de l'Est, ainsi qu'à l'Afrique du Nord et à l'Asie de l'Ouest. Outre les menaces étrangères importantes, les guerres étaient menées contre des ennemis naissants, non structurés et socialement inférieurs.
La loi martiale. Rome finit par instaurer une dictature militaire permanente qui laissait les citoyens à la merci d'un régime totalitaire inaccessible et oppressif. Faute de moyens pour mettre en place des forces de police civique, les Romains s'en remirent de plus en plus à l'armée pour intervenir dans tous les cas de conflit ou d'agitation dans les provinces, qu'il s'agisse de petites échauffourées ou de révoltes de grande ampleur. À l'instar des forces de police d'aujourd'hui, avec leurs exercices d'entraînement à la loi martiale sur le sol américain, leurs armes militarisées et leur état d'esprit "tirer d'abord, poser les questions ensuite", le soldat romain avait "l'exercice de la force létale à portée de main", qui pouvait faire des ravages dans la vie des citoyens normaux.
Une nation de suspects. Tout comme l'Empire américain considère ses citoyens comme des suspects à traquer, surveiller et contrôler, l'Empire romain considérait tous les insubordonnés potentiels, du simple voleur à l'insurrectionniste à part entière, comme des menaces pour son pouvoir. L'insurrectionniste est considéré comme un adversaire direct de l'empereur. Un "bandit", ou révolutionnaire, était considéré comme capable de renverser l'empire, était toujours considéré comme coupable et méritait les peines les plus sauvages, y compris la peine capitale. Les bandits étaient généralement punis publiquement et avec cruauté afin de dissuader autrui de défier le pouvoir de l'État. L'exécution de Jésus était l'un de ces châtiments publics.
Actes de désobéissance civile par des insurgés. À l'instar de l'Empire romain, l'Empire américain a fait preuve d'une tolérance zéro envers des dissidents tels que Julian Assange, Edward Snowden et Chelsea Manning, qui ont révélé les dessous sordides de l'État policier. Jésus a également été qualifié de révolutionnaire politique à partir du moment où il a attaqué les collecteurs d'argent et les marchands du temple juif, un acte de désobéissance civile sur le site du siège administratif du Sanhédrin, le conseil juif suprême.
Des arrestations de type militaire en pleine nuit. Le récit de l'arrestation de Jésus témoigne du fait que les Romains le percevaient comme un révolutionnaire. Tout à fait semblable aux raids des équipes d'intervention d'urgence d'aujourd'hui, Jésus a été arrêté au milieu de la nuit, en secret, par un grand nombre de soldats lourdement armés. Au lieu de simplement demander Jésus lorsqu'ils sont venus l'arrêter, ses traqueurs ont collaboré au préalable avec Judas. Agissant comme un informateur du gouvernement, Judas a concocté un baiser comme marqueur d'identification secret, laissant entendre qu'un certain niveau de tromperie et de ruse devait être utilisé pour obtenir la coopération de ce révolutionnaire apparemment "dangereux".
Torture et peine capitale. À l'époque de Jésus, les prédicateurs religieux, les prophètes autoproclamés et les manifestants non violents n'étaient pas sommairement arrêtés et exécutés. En effet, les grands prêtres et les gouverneurs romains laissaient normalement une manifestation, en particulier si elle était de faible ampleur, suivre son cours. Cependant, les autorités gouvernementales n'hésitaient pas à se débarrasser des dirigeants et des mouvements paraissant menacer l'Empire romain. Les accusations portées contre Jésus - menace pour la stabilité de la nation, opposition au paiement des impôts romains et prétention à être le roi légitime - étaient purement politiques et non religieuses. Pour les Romains, l'une ou l'autre de ces accusations suffisait pour mériter la mort par crucifixion, généralement réservée aux esclaves, aux non-Romains, aux radicaux, aux révolutionnaires et aux pires criminels.
Jésus a été présenté à Ponce Pilate "comme un perturbateur de la paix politique", un chef de rébellion, une menace politique et, plus grave encore, un prétendant à la royauté, un "roi de type révolutionnaire". Après sa condamnation formelle par Pilate, Jésus est condamné à mort par crucifixion, "la méthode romaine d'exécution des criminels reconnus coupables de haute trahison". L'objectif de la crucifixion n'était pas tant de tuer le criminel qu'une déclaration éminemment publique destinée à mettre en garde de visu tous ceux qui défieraient le pouvoir de l'Empire romain. C'est pourquoi elle n'était réservée qu'aux crimes politiques les plus extrêmes : la trahison, la rébellion, la sédition et le banditisme. Après avoir été impitoyablement fouetté et tourné en dérision, Jésus a été crucifié.
Jésus, le révolutionnaire, le dissident politique et l'activiste non violent, a vécu et est mort dans un État policier. Toute réflexion sur la vie et la mort de Jésus dans un État policier doit tenir compte de plusieurs facteurs : Jésus s'est élevé avec force contre des choses telles que les empires, le contrôle des personnes, la violence d'État et la politique du pouvoir. Jésus a remis en question les systèmes de croyances politiques et religieuses de son époque. Les puissances mondiales craignaient Jésus, non pas parce qu'il leur disputait le contrôle des trônes ou du gouvernement, mais parce qu'il mettait à mal leurs prétentions à la suprématie et qu'il osait dire la vérité au pouvoir à une époque où cela pouvait coûter - et coûtait souvent - la vie à quelqu'un.
Malheureusement, le Jésus radical, le dissident politique qui s'en prenait à l'injustice et à l'oppression, a été largement oublié aujourd'hui, remplacé par un Jésus sympathique et souriant que l'on exhibe à l'occasion des fêtes religieuses, mais qui reste muet lorsqu'il s'agit de guerre, de pouvoir et de politique.
Pourtant, pour ceux qui étudient vraiment la vie et les enseignements de Jésus, le thème récurrent est celui de la résistance absolue à la guerre, au matérialisme et à l'empire.
Quel contraste avec le conseil donné aux Américains par les chefs d'église de "se soumettre à leurs chefs et à ceux qui détiennent l'autorité", ce qui, dans l'État policier américain, se traduit par se conformer, se soumettre, obéir aux ordres, s'en remettre à l'autorité et, de manière générale, faire tout ce qu'un fonctionnaire du gouvernement vous dit de faire.
Dire aux Américains d'obéir aveuglément au gouvernement ou de placer leur foi dans la politique et de voter pour un sauveur politique va à l'encontre de tout ce pour quoi Jésus a vécu et est mort.
Allons-nous suivre la voie de la moindre résistance - fermer les yeux sur les maux de notre époque et marcher au pas avec l'État policier - ou allons-nous nous transformer en anticonformistes "dévoués à la justice, à la paix et à la fraternité" ?
Comme nous le rappelle Martin Luther King Jr. dans un puissant sermon prononcé il y a 70 ans, "ce commandement de ne pas se conformer vient ... [de] Jésus-Christ, l'anticonformiste le plus dévoué du monde, dont l'anticonformisme éthique défie encore la conscience de l'humanité".
En fin de compte, comme je l'explique clairement dans mon livre Battlefield America : The War on the American People et dans son pendant fictif The Erik Blair Diaries, c'est cette contradiction qui doit être résolue si le Jésus radical - celui qui a tenu tête à l'Empire romain et qui a été crucifié pour avertir autrui de ne pas défier le pouvoir en place - doit être un exemple pour notre époque moderne.
John W. Whitehead est avocat constitutionnaliste, auteur, fondateur et président de l'Institut Rutherford. Il peut être contacté à l'adresse johnw@rutherford.org. Cet article est une version révisée d'un article paru à l'origine sur le site web de l'Institut Rutherford, www.rutherford.org, et est reproduit avec l'autorisation de l'auteur.
📰 https://www.fff.org/explore-freedom/article/when-dissidents-become-enemies-of-the-state-2/
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5- ♟ La guerre judiciaire contre Julian Assange se poursuit
Par Moritz Müller, le 5 avril 2024, NachDenkSeiten
Après que les juges de la Haute Cour de Londres ont accepté mardi dernier la demande de Julian Assange pour un procès en appel avec des restrictions, le temps nous a été donné de lire minutieusement la décision des juges. Il en ressort clairement à quel point l'approche actuelle des juges est taillée sur mesure pour les besoins du gouvernement américain. Partie intégrante du même establishment britannique, l'accusation et les juges semblent travailler main dans la main. Il ne reste comme contrepoids qu'une partie de la presse et un public critique. FreeAssange Berlin fait partie de ce public et nous les remercions de nous avoir fourni cette semaine un bulletin d'information actualisé. Quelques réflexions supplémentaires sur la décision de justice du 26 novembre 2009.
Le 26 mars, les juges Dame Victoria Sharp et Jeremy Johnson ont autorisé Julian Assange à faire appel devant la Haute Cour d'Angleterre et du Pays de Galles de certains points de la décision de première instance dans la procédure d'extradition.
Les avocats de Julian Assange avaient soulevé au total neuf points contre une extradition vers les États-Unis. Parmi ceux-ci, le juge n'en a admis que trois pour l'audience d'appel. En outre, ils ont offert au gouvernement américain jusqu'au 16 avril pour lever ces points en donnant des garanties, une procédure inhabituelle. Il arrive parfois qu'un tribunal donne des conseils de négociation à l'une des parties en litige, mais dans une affaire d'une telle importance, cela semble tout à fait hors du commun.
Si les juges ont interdit à Julian Assange de présenter de nouvelles preuves lors d'un éventuel procès en appel, ils ont en revanche autorisé les Etats-Unis à présenter des assurances ( tout autant de nouveaux "faits") après l'audience de fin février.
Les preuves non autorisées portent sur les projets de la CIA d'enlever ou de tuer Julian Assange. Les juges n'ont nullement mis en doute l'existence de ces plans. Pourtant, ces preuves ont été rejetées, avec la justification incroyable que les Etats-Unis avaient fomenté ces plans en considérant le risque que Julian Assange s'enfuie en Russie. Ce risque disparaîtrait en cas d'extradition vers les États-Unis (et donc entre les mains de la CIA aussi).
Il me semble impensable d'extrader une personne vers un pays dont le service de renseignement central a planifié son enlèvement ou son assassinat - d'autant plus si ce service de renseignement a également un droit de regard secret sur un éventuel procès contre ladite personne. Avec cette justification, les juges reconnaissent le meurtre et l'enlèvement comme des moyens quasiment légaux.
Qui plus est, les juges ont nié que Julian Assange soit poursuivi en raison de ses opinions politiques. Les juges ont en outre invoqué la loi britannique sur l'extradition de 2003 qui, contrairement à l'article 4 du traité d'extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni, ne contient pas de clause restrictive concernant les cas de nature politique. Les avocats d'Assange avaient fait valoir que cela n'avait pas de sens que cette clause de blocage existe pour l'extradition dans 150 États, mais pas dans le cas des États-Unis.
Je suis stupéfait que les juges n'aient pas admis ce motif d'appel. J'ai entendu de mes propres oreilles le juge Jeremy Johnson demander à l'un des représentants de l'accusation si la Grande-Bretagne extradait donc vers les États-Unis dans des affaires politiques parce que l'article 4 n'a pas réussi à être intégré dans la loi britannique, alors que les États-Unis peuvent invoquer le traité d'extradition et ne pas extrader vers le Royaume-Uni dans ce cas. Il a posé cette question avec un certain ahurissement dans la voix. On peut se demander si Dame Victoria Sharp a vu les choses très différemment ou ce qui a poussé le tribunal à ne pas admettre ce motif d'appel.
Un autre point non admis en appel est que la défense avait argumenté que Julian Assange ne savait pas, au moment de la publication des documents secrets, que cela était punissable. Daniel Ellsberg avait été acquitté dans l'affaire similaire des Pentagon Papers, car les juges avaient estimé que la publication était couverte par la protection de la liberté d'expression. Les avocats de la défense d'Assange ont fait valoir qu'il ne pouvait pas prévoir de se voir poursuivi dans le cadre de la loi américaine sur l'espionnage de 1917, dans la mesure où cela ne s'était encore jamais produit pour un journaliste.
Un autre motif d'appel rejeté par les juges était que Julian Assange ne pouvait pas s'attendre à un procès équitable aux États-Unis. Cela aussi est incroyable, car dans le district oriental de Virginie dans lequel Julian Assange fait face à des accusations, une grande partie de la population est employée dans la fonction publique ou dans des entreprises de sous-traitance. Autre élément qui devrait faire s'écrouler toute entreprise juridique normale : les conversations confidentielles entre Julian Assange et son équipe d'avocats, tenues à l'ambassade équatorienne de Londres, ont également été interceptées et transmises aux États-Unis. Parler d'un procès équitable dans ce contexte est pour le moins douteux.
Motifs admis avec restrictions pour une procédure d'appel
Deux motifs interdépendants sont que la Cour estime que la liberté d'expression de Julian Assange risque d'être menacée et qu'en tant que non-citoyen américain, il ne bénéficie pas de la protection du premier amendement de la Constitution des États-Unis, qui protège la liberté d'expression.
En outre, la Cour a reconnu que les États-Unis n'avaient pas suffisamment écarté l'application et l'exécution de la peine capitale.
Étonnamment, la Cour a octroyé aux États-Unis un délai de trois semaines pour présenter des "assurances satisfaisantes" sur ces trois points. Les avocats de Julian Assange ont jusqu'au 13 mai pour présenter des arguments en réponse à ces assurances, sur lesquels le tribunal statuera ensuite jusqu'au 20 mai "ou éventuellement à une date ultérieure annoncée par le tribunal". Les charges sont connues au moins depuis l'arrestation d'Assange voici bientôt cinq ans, et l'on peut se demander ce qu'il y a de "constitutionnel" dans le fait d'offrir aujourd'hui au gouvernement américain le temps de prendre des engagements qu'il aurait pu faire depuis cinq ans.
Les observateurs estiment qu'il pourrait être difficile pour les États-Unis de présenter (si rapidement) des assurances réellement satisfaisantes. La partie du ministère américain de la Justice responsable de la conduite du procès semble être indépendante de celle chargée de fournir des assurances à un autre État.
Mais il ne semble pas s'agir de cela. Il est probable que le tribunal reconnaisse que les assurances données jusqu'au 14 avril ne sont pas suffisantes et qu'un procès en appel aura lieu en octobre, après de nouveaux mois de vacances d'été de la Haute Cour d'Angleterre et du Pays de Galles.
Julian Assange sera ainsi maintenu dans ses conditions de détention inhumaines pendant des mois encore, et ne comparaîtra pas avant les élections présidentielles américaines aux États-Unis, où un plus large éventail de questions pourrait alors à nouveau être abordé devant le tribunal.
En interdisant la présentation de nouvelles preuves et en refusant de déterminer si cette affaire est politique, les questions de fond sont effectivement écartées d'un éventuel procès en appel à Londres. Les trois points autorisés sont davantage des questions juridiques, et la question de savoir si les publications de WikiLeaks étaient et sont dans l'intérêt public ne pourra donc plus être examinée par la High Court depuis la décision du 26 mars.
Ceux qui souhaitent se faire une idée plus détaillée peuvent lire le jugement de 66 pages, une décision de justice de trois pages ou un communiqué de presse de quatre pages. (tous en anglais)
La procédure actuelle à Londres semble être très savamment pilotée conjointement par l'accusation et le tribunal. On veut y donner l'impression d'un État de droit, alors que c'est tout le contraire. Bon nombre de médias ne relèvent pas non plus ces divergences ou cette procédure illogique et inéquitable. De même, les termes utilisés sont à l'unisson. On lit souvent que Julian Assange a révélé des "secrets militaires" des États-Unis, ce qui est vrai, mais également trop réducteur, car nombre de ces "secrets militaires" concernaient des crimes avérés, des meurtres et des assassinats.
Beaucoup de résultats de recherche concernant "Julian Assange" sur Internet mènent à ces rapports des médias dominants, lesquels sont souvent aussi très peu à jour. Si l'on limite la recherche à "une semaine" ou "hier" en cliquant sur le bouton en haut à droite sous le mot recherché, cela devient plus intéressant et l'on tombe sur des articles comme celui-ci dans le magazine Overton ou celui de Manova. Mais même là, on y trouve des choses abracadabrantes, et il est recommandé d'être vigilant comme pour tout ce que l'on lit et entend - y compris ces quelques lignes que j'ai rédigées.
Il y a longtemps que j'ai renoncé à être "neutre" dans l'affaire Assange. Les injustices criantes dont il a été victime ces dernières années sont trop énormes. Bien sûr, Wikileaks et Julian Assange auraient peut-être pu faire des choses mieux, et des erreurs ont été commises. Mais je ne vois rien qui puisse justifier le traitement cruel infligé à Julian Assange depuis des années.
C'est pourquoi il est bon que les personnes que l'on trouve sur FreeAssange.eu et les nombreuses autres qui se battent pour Julian Assange et la liberté de la presse prennent position. Ainsi, ce vendredi, des veillées sont organisées à Berlin, Dessau et Paderborn, demain à Bonn et dimanche à Munich. La newsletter de FreeAssangeBerlin, déjà publiée hier jeudi sur NachDenkSeiten, est une autre prise de position importante.
📰 https://www.nachdenkseiten.de/?p=113450
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6- ♟ La vengeance de Trump envers Julian Assange a fait voler la presse en éclats
La vindicte mesquine de Trump aggrave encore la situation.
Par Brian Karem, le 4 avril 2024, Salon
Aussi divisée que soit la politique dans ce pays, il est une chose sur laquelle la plupart des citoyens s'accordent : Les médias sont mauvais.
Nous avons tout entendu : Le New York Times en ligne n'est rien d'autre qu'une page "puzzle". Les médias traditionnels se meurent. La consultation en ligne des sites d'information ne cesse de chuter. Les reporters sont minables. Les rédacteurs en chef sont pires et la seule institution à laquelle on fait moins confiance qu'aux médias est le Congrès - grâce à Marjorie Taylor Greene, Lauren Boebert, Jim Jordan et James Comer, entre autres.
Si tout cela est vrai dans une certaine mesure, on peut se demander pourquoi nous en sommes arrivés là. Les patrons des grands médias ont-ils soudainement décidé qu'ils serviraient de faire-valoir sans raison ? Ou bien y a-t-il eu autre chose ?
J'irai droit au but : Les hommes politiques de tous bords dénigrent les journalistes. Ils peuvent applaudir un rapport avec lequel ils sont d'accord, mais se retourneront contre ce même journaliste ou ce même organe de presse lorsqu'ils ne sont pas d'accord. Les responsables du déclin de la presse sont les hommes politiques, et en particulier tous les présidents depuis Ronald Reagan.
La semaine dernière, dans la salle de briefing de la Maison Blanche, l'administration Biden s'est mobilisée en faveur d'Evan Gershkovich, un journaliste du Wall Street Journal accusé d'espionnage en Russie, qui a passé un an en prison pour avoir fait son travail dans la Russie de Poutine. L'Agence pour la presse (AP) a rapporté en janvier que plus de 300 journalistes sont emprisonnés dans le monde pour avoir simplement exercé leur métier.
Partout dans le monde, un nombre sans cesse croissant de reporters sont emprisonnés et tués. On nous traite de "faux médias", de propagandistes et d'idiots. Pour la gauche, nous sommes qualifiés de complices se livrant à de fausses interprétations. Pour la droite, nous sommes traités de libtards (insulte généralement utilisée par les trolls conservateurs en ligne pour qualifier les libéraux de stupides), de communistes, de fascistes ou encore de "mainstream liberal media" (médias libéraux grand public).
Entre-temps, plusieurs organisations médiatiques ont rapporté qu'au moins 77 membres de la presse sont morts en essayant de couvrir la guerre à Gaza depuis le 7 octobre dernier.
Des cas où l'on tire littéralement sur le messager. Métaphoriquement, notre public a depuis longtemps décidé de nous blâmer pour les nouvelles qu'il n'aimait pas. Les membres des gouvernements agissent de la sorte et amènent les gens à s'interroger sur la réalité. Leur objectif : détourner l'attention et tromper le public. Ils veulent que vous nous blâmiez, afin que vous ne les remettiez pas en question. Tous les gouvernements le font. Certains le font mieux que d'autres.
La Russie est excellente dans ce domaine. Il en va de même pour la Corée du Nord et pour tous les dictateurs de pacotille et les républiques bananières de seconde zone de la planète. Mais un pays a ouvert la voie. Un pays a tracé les lignes maîtresses de tout ce qui a été fait à travers le monde pour les journalistes : Les États-Unis.
Je ne prends pas mon pied à le dire, mais les États-Unis sont en train de sombrer dans une bassesse sans précédent de mon vivant. Le manque d'éducation et l'état catastrophique du journalisme sont à blâmer. Ronald Reagan et tous ses successeurs ont contribué à notre perte.
Les États-Unis sont classés par Reporters sans frontières au 45ème rang en matière de liberté de la presse. Nous sommes une démocratie en perdition. La planète compte près de trois fois plus d'habitants que le jour de ma naissance et 25 fois moins de journalistes. La concentration des médias est la source du problème. Six sociétés détiennent aujourd'hui plus de 90 % de ce que vous voyez, lisez ou entendez. Notre gouvernement fédéral, à commencer par Reagan, a rendu possible cette concentration en appliquant la même logique que celle adoptée pour l'économie de ruissellement. Ni une ni l'autre n'a fonctionné. Les deux sont préjudiciables au corps politique.
Les ordinateurs ne sont pas à blâmer. Internet n'est pas en cause. La mauvaise gestion, le marketing des enseignes et les licenciements massifs résultant du sort réservé au journalisme par notre gouvernement sont les causes de notre problème.
Bien que l'administration présidentielle actuelle ait souvent acclamé la presse libre depuis la tribune de la salle de briefing Brady, et que le président Joe Biden lui-même ait souvent déclaré qu'il nous soutenait, il a lui aussi contribué à notre effondrement. Ne vous méprenez pas. Ce n'est pas une fausse interprétation. C'est un fait. Les deux présidents ayant le plus contribué au déclin du journalisme sont Ronald Reagan et le "Don orangé" - Trump étant de loin le pire.
Mais alors que Biden ne cesse de parler de démanteler les monopoles, à aucun moment il n'a indiqué la nécessité de le faire concernant les journaux, la télévision, la radio ou les réseaux sociaux. Et tandis qu'il nous exhorte à nous souvenir de Gershkovich, qui se souvient de Julian Assange ? La Russie a accusé Gershkovich d'espionnage. Le gouvernement américain a inculpé Julian Assange quasiment pour la même chose - et dans moins d'une semaine, ce dernier aura passé cinq longues années en prison sans jamais avoir été jugé.
Assange a été incarcéré pour des actions que l'ancien procureur général Eric Holder a qualifiées de similaires à celles entreprises lorsque le New York Times et le Washington Post ont publié les Pentagon Papers. Publier les secrets des gouvernements, c'est précisément ce que nous devrions faire. Aujourd'hui, nous publions de la merde parce que nous ne pouvons rien obtenir de mieux, sous peine de finir derrière les barreaux.
Assange a publié les secrets des gouvernements. L'administration Obama, dont Biden faisait partie, a décidé de ne pas le poursuivre pour cela. Rien n'est plus révélateur de la nécessité de s'assurer que Donald Trump ne revienne jamais au pouvoir avec ce qu'a fait son ministère de la Justice assassin à l'encontre d'Assange.
"Les citoyens comprennent le travail de Julian", m'a dit son frère Gabriel la semaine dernière. "Il a publié des informations embarrassantes pour le gouvernement américain, qui a décidé de se venger".
Human Rights Watch a souligné toute la portée de l'affaire Assange lorsqu'elle a été révélée pour la première fois il y a près de 15 ans. "Il s'agit d'un moment crucial pour la liberté d'expression et d'information, tant aux États-Unis qu'à l'étranger", a déclaré Dinah PoKempner, conseillère générale à Human Rights Watch. "Poursuivre WikiLeaks pour avoir publié des documents ayant fait l'objet de fuites créerait un précédent effroyable que d'autres gouvernements s'empresseront de saisir, en particulier ceux réputés pour tenter de museler les reportages politiques légitimes."
Sous Donald Trump, le ministère de la justice a poursuivi Assange. C'était prévisible après que Trump a décidé de démolir et de défaire tout ce qui a été fait sous l'administration Obama. Mais Assange a passé plus de temps en prison sous l'administration Biden que sous celle de Trump. Il croupit dans une cellule humide en Angleterre et se bat contre son extradition vers les États-Unis, ce qui, selon son frère, a de graves répercussions sur lui. "Il a 52 ans, mais en paraît beaucoup plus", a-t-il dit après sa dernière visite Belmarsh.
Après avoir rendu visite à Assange en prison le 9 mai 2019, Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a conclu qu'"en plus des affections physiques, Mr Assange présentait tous les symptômes typiques d'une exposition prolongée à la torture psychologique, notamment un stress extrême, une anxiété chronique et un traumatisme psychologique intense", comme le rapporte Wikipédia.
"C'est une torture à petit feu. Il n'a jamais tenu son plus jeune fils dans ses bras. Il a passé cinq ans en prison pour avoir exercé son métier de journaliste", a expliqué son frère.
Si tout cela vous échappe, c'est compréhensible. Nous sommes noyés dans un monde de gros titres allant de "Je suis un sociopathe et voici ce que je veux que vous sachiez" à "Ce que John Lennon a dit d'Elvis", en passant par "Les dix meilleurs films de science-fiction proposés ce mois-ci sur Netflix". C'est soit du vent, soit de la vieille merde, soit de quoi promouvoir du vent et de la merde.
Le travail accompli par Assange correspond à ce que le journalisme américain avait l'habitude de faire, mais ne le fait malheureusement quasiment plus aujourd'hui. Ce n'est pas une coïncidence qu'il ne soit pas originaire de ce pays, la plupart des journalistes encore en activité sont achetés et vendus par les grandes entreprises qui les contrôlent.
Quoi que vous pensiez d'Assange, ses initiatives et les poursuites dont il fait l'objet sont des actes de journalisme qui étaient autrefois monnaie courante, mais aujourd'hui en voie d'extinction. Le gouvernement américain le poursuit pour la simple raison qu'il refuse que ses petits ou grands secrets soient divulgués. Le parlement australien, plusieurs membres du Congrès, le chancelier allemand et d'autres personnalités du monde entier ont exhorté le gouvernement américain à abandonner ses poursuites contre lui.
J'ai maintes fois réclamé une déclaration du ministère de la justice au sujet de cette affaire. Je n'ai jamais reçu de réponse. La Maison-Blanche se contente de vous renvoyer au ministère de la justice. "C'est au procureur général de décider", nous dit-on systématiquement.
En attendant, la liberté en prend un coup.
Les mesures prises par notre gouvernement à l'encontre d'Assange et son manque de transparence à l'égard du public permettent à toutes les théories du complot de gagner du terrain - qu'un complot existe réellement ou non. Chaque cri de "l'État profond" gagne du terrain grâce à cela. Plus important encore, notre gouvernement, comme beaucoup l'ont souligné, offre le modèle par lequel les autoritaires du monde entier justifieront leurs actions contre les chercheurs de vérité et les diseurs de faits.
Chaque jour supplémentaire passé par Assange en prison devrait faire prendre conscience à tous que la liberté d'expression est à l'agonie. Nous vivons dans un monde en proie à la montée de l'autoritarisme. Si Joe Biden se soucie de la liberté d'expression et de la presse autant qu'il le prétend (nous savons tous que Trump s'en contrefiche et veut en fait éliminer toute critique à son encontre), il devrait alors prendre la parole et exhorter Merrick Garland à abandonner les poursuites à l'encontre de Julian Assange.
Il ne faut pas s'attendre à ce que cela se produise avant les élections, à moins qu'il ne devienne évident qu'un procès très médiatisé d'Assange pendant la saison électorale n'entame les chances de réélection de Joe Biden. Bien sûr, le gouvernement pourrait aussi faire traîner les choses et priver Assange de sa famille jusqu'à la fin de l'élection, de sorte que l'histoire ne reçoive que peu ou pas d'attention de la part des grands médias.
C'est ainsi que la liberté d'expression, et peut-être Julian Assange, mourront, incompris, oubliés, détestés et craints.
Tout ce qui compte, c'est le contrôle du message et donc du messager.
Brian Karem est l'ancien correspondant principal de Playboy à la Maison Blanche. Il a couvert toutes les administrations présidentielles depuis Ronald Reagan, a poursuivi Donald Trump à trois reprises avec succès pour conserver sa carte de presse, a passé du temps derrière les barreaux pour protéger une source confidentielle, a couvert des guerres au Moyen-Orient et est l'auteur de sept livres dont le dernier s'intitule "Free the Press".
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Ola Bini & Julian Assange, même parodie de justice.
Pour rappel, tout comme Assange, Ola Bini, qui a rendu visite à ce dernier à l'ambassade d'Équateur, a été arrêté l'aéroport de Quito, alors qu'il s'apprétait à embarquer pour se rendre à une conférence
7a- ♟ La Chambre d'appel annule le jugement prononcé à l'encontre d'Ola Bini et le condamne pour accès non consenti à un système informatique
Par Tele Amazonas, le 6 avril 2024
Le ministère public a informé que la Chambre d'appel a accepté à la majorité la requête du ministère public et a révoqué la sentence qui ratifiait l'innocence d'Ola Bini.
L'arrêt du vendredi 5 avril 2024 a déclaré l'accusé coupable du crime de tentative d'accès non autorisé à un système informatique.
"Avec cette sentence, les juges ont imposé une peine privative de liberté d'un an et ordonné le paiement d'une amende de quatre salaires unifiés de base", a déclaré le ministère public.
La procédure s'est déroulée devant le tribunal provincial de Pichincha, où le ministère public a fait appel de la sentence, qui acquittait Bini d'un prétendu accès non consenti à un système informatique.
En janvier 2023, un tribunal pénal de l'ordre judiciaire de Pichincha a rejeté les poursuites judiciaires engagées contre Ola Bini. Le litige durait depuis quatre ans pour un prétendu accès non autorisé à des systèmes informatiques d'entités publiques du pays.
Cependant, le ministère public a fait appel de cette décision et Bini continuera à bénéficier de mesures de précaution telles que la présentation de rapports périodiques à l'autorité judiciaire et l'interdiction de quitter le pays.
Affaire Ola Bini
Ola Bini, 41 ans, a été arrêté le 11 avril 2019 alors qu'il s'apprêtait à quitter Quito pour le Japon. L'incident s'est produit quelques heures après que le gouvernement équatorien, alors présidé par Lenín Moreno, a mis fin à l'asile de Julian Assange dans son ambassade à Londres.
Cette décision a conduit les policiers londoniens à pénétrer dans l'ambassade équatorienne pour arrêter le fondateur australien de WikiLeaks au Royaume-Uni.
Julian Assange fait également l'objet d'une demande d'extradition vers les États-Unis, où il est accusé d'avoir divulgué des informations classifiées ayant mis le gouvernement de Washington dans l'embarras.
Les procureurs équatoriens avaient inculpé Bini parce qu'ils soupçonnaient l'informaticien d'avoir obtenu un accès non autorisé au système de la Corporation nationale des télécommunications (CNT) dans le but d'essayer d'obtenir des informations sur le contenu numérique des plates-formes de la compagnie pétrolière Petroecuador et de l'ancien Secrétariat national au renseignement.
Plusieurs articles concernant cette affaire ont été publiés sur ce blog (Taper Ola Bini dans la loupe de recherche).
Lire aussi
Ola Bini, ami de Julian Assange, demande à être libéré de sa garde à vue
Ola Bini réfléchit encore à l'opportunité de poursuivre l'État équatorien en justice
📰 https://www.teleamazonas.com/ola-bini-jueces-revocan-sentencia-pedido-fiscalia/
Cet article de Electronic Frontier Foundation (avant la nouvelle décision) explique plus en détail cette honteuse guerre juridique de l'Équateur contre l'ami d'Assange Ola Bini.
7b- ♟ Ola Bini est confronté à des procureurs équatoriens qui cherchent à faire annuler l'acquittement d'une accusation de cybercriminalité
Par Karen Gullo, le 1er avril 2024, EFF
Ola Bini, le développeur de logiciels acquitté l'an dernier d'accusations de cybercriminalité par un verdict unanime en Équateur, était de nouveau devant le tribunal la semaine dernière à Quito, car les procureurs, utilisant les mêmes preuves que celles qui avaient permis de l'innocenter, ont demandé à une cour d'appel d'annuler la décision en invoquant de fausses allégations d'accès non autorisé à un système de télécommunication.
Armés d'une image granuleuse d'une session telnet - que la juridiction inférieure avait déjà jugée comme n'étant pas une preuve d'activité criminelle - et du témoignage d'un expert de la juridiction inférieure - qui n'a jamais eu accès aux appareils et systèmes impliqués dans l'intrusion présumée - les procureurs ont présenté la théorie selon laquelle, en se connectant à un routeur, Bini a effectué un accès partiel non autorisé pour tenter de s'introduire dans un système fourni par la compagnie nationale de télécommunications de l'Équateur (CNT) au centre de contingence d'une présidence.
Si tout cela vous semble familier, c'est parce que c'est le cas. Dans le cadre d'une affaire pénale infondée, entachée d'irrégularités, de retards et de violations des droits de la défense, les procureurs équatoriens s'efforcent depuis cinq ans de prouver que Bini a enfreint la loi en accédant prétendument à un système d'information sans autorisation.
Bini, qui réside en Équateur, a été arrêté à l'aéroport de Quito en 2019 sans la moindre explication. Il a appris les accusations par un reportage télévisé le décrivant comme un criminel essayant de déstabiliser le pays. Il a passé 70 jours en prison et ne peut ni quitter l'Équateur ni utiliser ses comptes bancaires.
Bini a gagné son procès l'année dernière devant un panel de trois juges. La principale preuve présentée par le ministère public et l'avocat de la CNT pour étayer l'accusation d'accès non autorisé à un système informatique, télématique ou de télécommunications était une image imprimée d'une session telnet prétendument prise à partir du téléphone portable de Bini.
L'image montre l'utilisateur demandant une connexion telnet à un serveur ouvert en utilisant la ligne de commande de son ordinateur. Le serveur ouvert avertit que l'accès non autorisé est interdit et demande un nom d'utilisateur. Aucun nom d'utilisateur n'est saisi. La connexion est alors interrompue et fermée. Plutôt que de démontrer que Bini s'est introduit dans le système de réseau téléphonique équatorien, il montre la trace de quelqu'un qui a visité un serveur accessible au public et a ensuite poliment obéi aux avertissements du serveur concernant l'utilisation et l'accès.
L'acquittement de Bini a été une grande victoire pour lui mais aussi pour le travail des chercheurs en sécurité. En évaluant les preuves présentées, le tribunal a conclu que le bureau du procureur et la CNT n'avaient pas réussi à démontrer qu'un délit avait été commis. Il n'y avait aucune preuve que l'accès non autorisé ait jamais eu lieu, ni rien qui soutienne l'intention malveillante que l'article 234 du code pénal équatorien exige pour caractériser le délit d'accès non autorisé.
La Cour a souligné la nécessité de disposer de preuves adéquates pour prouver qu'un délit informatique présumé a eu lieu et a estimé que l'image d'une session telnet présentée dans le cas de Bini n'était pas adaptée à cette fin. Elle a en outre expliqué que les représentations graphiques, susceptibles d'être modifiées, ne constituent pas une preuve de cybercriminalité puisqu'une image ne permet pas de vérifier si les commandes qu'elle illustre ont été réellement exécutées. S'appuyant sur les témoignages d'experts techniques, le tribunal a déclaré que ce qui n'apparaît pas, ou ne peut être vérifié par la criminalistique numérique, ne constitue pas une preuve numérique digne de ce nom.
Les procureurs ont fait appel du verdict et reviennent devant le tribunal en utilisant la même image qui n'a pas prouvé qu'un crime avait été commis. Lors de l'audience du 26 mars, les procureurs ont déclaré que l'analyse de l'image telnet par leur témoin expert montrait qu'il y avait une connexion au routeur. Le témoin a comparé cela au fait de pénétrer dans la cour d'une propriété pour voir si le portail est ouvert ou fermé. Entrer dans la cour est analogue à se connecter au routeur, a déclaré le témoin.
En réalité, non. Notre interprétation de l'image, divulguée aux médias avant le procès de Bini, est qu'il s'agit de l'équivalent sur Internet de voir un portail ouvert, de s'en approcher, de voir un panneau "NO TRESPASSING" (ne pas entrer) et de s'en aller. Si cette image peut prouver quelque chose, c'est qu'il n'y a pas eu d'accès non autorisé.
Pourtant, aucune analyse d'expert n'a été effectuée dans les systèmes prétendument affectés. Le témoignage de l'expert s'est basé sur son analyse d'un rapport de la CNT - il n'a pas eu accès au routeur de la CNT pour en vérifier la configuration. Il n'a pas validé numériquement si ce qui était indiqué dans le rapport s'était réellement produit et il ne lui a jamais été demandé de vérifier l'existence d'une adresse IP détenue ou gérée par la CNT.
Mais ce n'est pas le seul problème de la procédure d'appel. L'appel est tranché par un panel de trois juges, dont deux ont décidé de maintenir Bini en détention après son arrestation en 2019 au motif qu'il y avait prétendument suffisamment d'éléments pour établir un soupçon à son encontre. La détention a ensuite été considérée comme illégale et arbitraire en raison de l'absence de tels éléments. Bini a intenté une action en justice contre l'État équatorien, y compris les deux juges, pour violation de ses droits. L'équipe de défense de Bini a cherché à écarter ces deux juges de l'affaire en appel, mais toutes ses demandes ont été rejetées.
La cour d'appel devrait rendre sa décision finale dans les prochains jours.
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8- ♟ L'administration Biden ne fera pas savoir si elle soutient la loi fédérale sur la protection des journalistes
En janvier, la Chambre des représentants a adopté une loi visant à protéger les journalistes. Alors pourquoi la Maison Blanche ne veut-elle pas s'exprimer à ce sujet ?
Par Kevin Gosztola, le 7 avril 2024, The Dissenter
La Maison Blanche a refusé de répondre à la question de savoir si le président Joe Biden était favorable à une loi fédérale sur le bouclier protégeant les journalistes contre la divulgation de leurs sources confidentielles.
En janvier, la loi "Protect Reporters from Exploitative State Spying Act", ou "PRESS Act", a été adoptée par la Chambre des représentants des États-Unis.
Cette loi "interdit au gouvernement fédéral de contraindre les journalistes et les prestataires de services de télécommunications à fournir des informations permettant d'identifier une source ou tout autre document obtenu ou produit par les journalistes dans le cadre de leur travail", selon un rapport de la commission judiciaire de la Chambre des représentants.
Plusieurs organes de presse américains, comme le New York Times et le Washington Post, soutiennent cette proposition de loi protectrice, de même qu'une coalition d'organisations de défense des libertés civiles, des droits de l'homme et de la liberté de la presse, dirigée par la Freedom of the Press Foundation (FPF), a également soutenu la législation.
Lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche le 4 avril, Steven Nelson du New York Post a interrogé l'attachée de presse de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre, sur la liberté de la presse, et notamment sur l'affaire de l'Espionage Act contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange.
"Notre gouvernement semble se rapprocher d'une éventuelle extradition de Julian Assange. Les groupes de défense de la liberté de la presse affirment que cette affaire menace de criminaliser notre profession. Je m'interroge donc sur l'état d'esprit de la Maison Blanche concernant cette affaire et la menace qu'elle fait peser sur la liberté de la presse.
Et la Maison-Blanche a-t-elle une position sur la loi fédérale sur le bouclier protégeant la presse, adoptée par la Chambre des représentants et dont le sénateur [Chuck] Schumer me disait qu'il espérait qu'elle arriverait sur le bureau du président [Joe] Biden cette année ?", a déclaré Nelson
Tout en s'efforçant d'esquiver la partie de la question concernant Assange, Mme Pierre a répondu : "Vous parlez de la loi sur la presse, plus précisément ?". Après quoi elle a offert une platitude, comme elle est payée pour le faire.
"Ecoutez, et je l'ai dit - je l'ai répété à maintes reprises. Je l'ai dit la semaine dernière : le journalisme n'est pas un crime. Nous avons été très clairs à ce sujet", a-t-elle déclaré.
Karine Jean-Pierre a également ajouté qu'elle n'avait pas examiné la loi sur la presse et qu'elle devrait s'adresser au bureau des affaires législatives de la Maison-Blanche pour discuter de cette loi en particulier.
En mars dernier, Nelson avait invité la Maison Blanche à commenter la loi sur la presse. Comme le précise Nelson, aucun porte-parole n'a répondu immédiatement à la demande de commentaire du Post sur la position de Joe Biden sur le projet de loi.
Nelson a donc reposé la question à Mme Jean-Pierre.
"Avant de continuer, juste pour confirmer. À votre connaissance, il n'y a pas encore de position sur la loi sur la presse ? Et l'affaire Assange, y a-t-il des inquiétudes à ce sujet et quant à ses conséquences ?"
Ce à quoi l'attachée de presse de la Maison Blanche a répondu :
"Je n'ai pas grand-chose d'autre à ajouter que ce que je viens d'exposer ici. Je vais donc m'en tenir à ce que je viens de vous dire".
Nelson a rapidement rappelé qu'Assange était détenu à la prison de Belmarsh depuis cinq ans, mais Mme Jean-Pierre est passée à une autre question.
Le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, a déclaré à Nelson au début du mois de mars avoir "bon espoir" que la loi sur la presse soit adoptée en 2024.
Il a ajouté qu'il devrait en discuter avec certains de ses collègues du Sénat, mais qu'il pensait que "ce projet de loi pourrait être adopté avec un soutien bipartisan".
"J'ai toujours soutenu la loi sur le bouclier. J'ai été l'un des auteurs de la première loi protectrice", a ajouté Schumer.
Il est curieux que l'administration Biden soit aussi prudente alors que le chef de la majorité démocrate au Sénat a déclaré qu'il espérait faire adopter la loi fédérale sur le bouclier. Le fait que la Maison Blanche élude la question de savoir si les journalistes américains méritent protection suggère que les responsables de l'administration ne soutiennent pas le projet de loi.
En octobre 2022, comme l'a mentionné Mme Jean-Pierre, le procureur général Merrick Garland et le ministère de la justice ont mis en place une politique visant à protéger les médias de "certains outils et actions d'application de la loi qui pourraient entraver de manière déraisonnable la collecte d'informations". Il s'agissait d'une réponse à des reportages sur les abus du pouvoir de citation à comparaître sous la présidence de Donald Trump.
Mais si une loi fédérale sur le bouclier protecteur n'est pas adoptée, cette politique pourrait facilement être abrogée par une future administration présidentielle.
Mme Jean-Pierre voudrait faire croire aux journalistes que Joe Biden "soutient fermement le droit d'une presse libre et indépendante", affirmant même que l'administration Biden admire le "courage de la presse libre".
Ces mots sont vides de sens si l'administration Biden ne soutient pas la législation qui pourrait garantir aux journalistes une certaine protection contre les intrusions injustifiables du gouvernement.
En outre, il est honteux que la Maison Blanche continue de dire que le journalisme n'est pas un crime tout en esquivant les questions des journalistes au sujet d'Assange.
Vous trouverez ci-dessous un extrait de l'échange entre la secrétaire de presse de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre, et Steven Nelson du New York Post. (2’ sous titres disponibles)
📰 https://thedissenter.org/biden-white-house-wont-say-whether-backs-press-act/
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9- ♟ L'art au service d'Assange : Appel à artistes !
Par Zeiten Unsere Wende, le 2 avril 2024
Julian Assange, journaliste et fondateur de la plateforme de divulgation WikiLeaks, est détenu depuis cinq ans dans une prison de haute sécurité à Londres pour avoir exposé des crimes de guerre américains qui auraient dû rester secrets. De nombreuses distinctions internationales, dont des nominations pour le prix Nobel de la paix, montrent qu'Assange a acquis une stature mondiale grâce à son action.
Il doit servir d'exemple - quiconque fouille dans les secrets des puissants est sévèrement puni. Ainsi, l'Australien, détenu actuellement à Londres en attendant d'être extradé vers les États-Unis, est devenu le symbole de la liberté de la presse dans le monde.
NOUS CHERCHONS ENCORE DES ARTISTES POUR CETTE EXPOSITION !!!
Informations sur les artistes de l'exposition "L'art pour Assange".
Nous nous réjouissons de ton intérêt pour Julian Assange et notre exposition artistique. Si tu souhaites participer avec une toile, merci de prendre note :
Inscription avant le 3 juin : la participation est gratuite et doit être annoncée au plus tard un mois avant le vernissage.
Tu trouveras bientôt le formulaire d'inscription ici. Il est important de joindre une photo de l'œuvre d'art à l'inscription, car un catalogue sera imprimé.
Thèmes des œuvres d'art : Assange et la liberté
Il est possible d'inscrire jusqu'à deux œuvres d'art par personne.
Il n'y a aucune limite d'âge pour la participation. Artistes professionnels mais aussi amateurs sont les bienvenus.
Nous nous réservons le droit de refuser la participation d'une œuvre d'art sans donner de raison, si nous estimons que le thème ne convient pas, si nous avons déjà suffisamment d'inscriptions ou autres.
Les tableaux seront exposés le lundi 1er juillet. D'ici là, ton œuvre doit être sur place.
Les œuvres seront déposées le samedi 20 juillet.
Nous n'acceptons que les œuvres d'art susceptibles d'être accrochées au mur, ce qui exclut les sculptures et autres. Les dessins, peintures, photographies, peintures murales sculpturales, etc. sont autorisés.
Ton œuvre d'art doit être prête à être accrochée (crochets, cadres, etc.).
Il est possible de vendre ton œuvre d'art sur place. Nous n'exigeons pas de redevance.
Ta présence personnelle à la série de manifestations n'est pas une condition préalable à ta participation. Cependant, il est possible que ton œuvre d'art se vende mieux si tu es présent sur place.
L'Amerlinghaus est un centre culturel autogéré, pas une galerie !
Pour toute question, adresse-toi à : redaktion@zeitenwende-magazin.at
Le programme exact de cette série d'événements est encore en cours d'élaboration. Tu trouveras des mises à jour régulières ici.
📰 https://zeitenwende-magazin.at/kunst-fuer-assange-wir-suchen-kuenstler/
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Article de Charles Glass écrit au lendemain de l'arrestation de Julian Assange, le 14 avril 2019.
10- ♟ La vérité sur le camarade Julian Assange : Tandis qu'il croupit en prison, ses collaborateurs journalistes brandissent leurs prix
Si le ministère de la Justice de Trump monte au créneau pour inculper Julian Assange en vertu de la loi sur l'espionnage, il pourrait passer le reste de sa vie en prison.
Par Charles Glass, le 14 avril 2019, The Intercept
Alors que Julian Assange croupit dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, dans le sud de Londres, un tribunal britannique se penche sur son sort. Le fondateur australien de Wikileaks, âgé de 48 ans, purge une peine pour le délit mineur d'avoir enfreint les conditions de sa libération sous caution et demandé l'asile à l'ambassade d'Équateur en 2012 afin d'éviter l'extradition vers la Suède. À l'époque, il craignait que les Suédois, réputés pour leur assistance à la restitution de suspects recherchés par les États-Unis, ne l'envoient directement de l'autre côté de l'Atlantique. À présent qu'Assange a perdu son refuge diplomatique, 70 membres du Parlement britannique ont pétitionné pour qu'il soit envoyé en Suède si les procureurs de ce pays rouvrent le dossier clos en 2017. La plus grande menace qui pèse sur sa liberté est la demande d'extradition du ministère américain de la justice, réclamant son procès aux États-Unis pour avoir conspiré avec Chelsea Manning en vue de pirater un ordinateur gouvernemental.
Les États-Unis insistent sur le fait qu'Assange ne sera pas condamné à la peine capitale. Si c'était le cas, le Royaume-Uni, à l'instar d'autres États européens, ne pourrait l'y envoyer. La peine maximale pour le délit de piratage informatique est de cinq ans, mais rien ne garantit qu'une fois arrivé aux États-Unis, Assange ne fera pas l'objet d'accusations supplémentaires au titre de la loi sur l'espionnage de 1917, que le président Barack Obama a invoquée à l'encontre de neuf personnes accusées d'avoir divulgué des informations secrètes au public. La peine encourue pour ce délit pourrait être la mort ou la prison à vie. Si Assange se retrouve dans le système judiciaire fédéral américain, il est possible qu'on ne le revoie jamais.
Sa destination la plus probable est l'"Alcatraz des Rocheuses", autrement dit l'United States Penitentiary Administrative Facility (ADMAX) à Florence, dans le Colorado. Parmi ses 400 détenus figurent Ted Kaczynski, le terroriste du marathon de Boston Dzhokhar Tsarnaev, l'agent du FBI devenu espion russe Robert Hanssen et le co-poseur de bombe d'Oklahoma City Terry Nichols. Le régime de la prison est aussi impitoyable que ses prisonniers : 23 heures d'enfermement quotidien dans une cellule en béton avec une fenêtre de 15 cm de large, six descentes quotidiennes de cellule et une septième le week-end, une heure d'exercice dans une cage extérieure, des douches pulvérisant de l'eau par jets d'une minute et des "fouilles" à la discrétion du personnel pénitentiaire.
Si le ministère de la Justice de Trump fait monter les enchères pour inculper Assange en vertu de la loi sur l'espionnage, un journaliste-éditeur n'ayant pas commis d'homicide pourrait passer le reste de sa vie à ADMAX, parmi des meurtriers, des traîtres et des trafiquants de drogue.
J'ai souvent rendu visite à Assange au cours des huit dernières années, d'abord dans la ferme de Norfolk de Vaughan Smith, un ancien officier de l'armée britannique et caméraman, où il a vécu en résidence surveillée pendant un an et demi. Ensuite, je l'ai vu dans les recoins lugubres d'une ambassade qui n'est rien de plus qu'un appartement aménagé de 58 mètre carré, sans espace extérieur. Ce n'était pas l'idéal, mais c'était mieux qu'ADMAX. Des avocats, des sympathisants et des amis sont venus lui tenir compagnie. John Pilger, quelques autres amis et moi-même lui avons offert plus d'un dîner de Noël. Au fil des mois, sa peau est devenue plus pâle par manque de soleil et sa santé s'est détériorée. Le Dr Sean Love, qui fait partie d'une équipe médicale avec le Dr Sondra Crosby du Centre médical de Boston et le Dr Brock Chisholm, psychologue britannique, qui a procédé à des évaluations régulières d'Assange depuis 2017, a déclaré : "Il n'avait pas la possibilité d'accéder à des soins médicaux". Le Dr Love s'est plaint que les médecins étaient sous surveillance électronique constante, ce qui constitue une violation de la relation médecin-patient, et que le gouvernement britannique ne permettait pas à Assange de se rendre en toute sécurité dans un hôpital pour une chirurgie dentaire urgente. Tout en méprisant l'hygiène d'Assange, la presse tabloïd britannique a ignoré ce que le Dr Love a appelé "les effets délétères de sept années d'enfermement, dont les risques comprennent une déficience neuro-psychologique, un affaiblissement des os, une fonction immunitaire compromise, un risque accru de maladie cardio-vasculaire et de cancer". Réagissant aux histoires selon lesquelles Assange ne se serait pas lavé, le Dr Love a insisté : "Il s'agit d'une véritable diffamation. Cela vise à avilir son humanité". Il estime que "l'effet cumulatif du traitement et de la souffrance qui lui ont été infligées constitue incontestablement une violation de la Convention de 1984 sur la torture, en particulier des articles 1 et 16".
Lors de ma dernière rencontre avec Assange cette année, son dynamisme dont je me souviens lors de notre première rencontre en janvier 2011 n'avait pas diminué. Il préparait du café, jetant un coup d'œil aux caméras de surveillance de la minuscule cuisine et de toutes les autres pièces de l'ambassade qui enregistraient ses moindres mouvements. Nous avons conversé pendant environ une heure, puis un fonctionnaire de l'ambassade m'a ordonné de partir. Entre-temps, nous avons discuté de sa santé, de sa stratégie pour éviter la prison, de sa famille et de l'accusation du Comité national démocrate selon laquelle il aurait été de connivence avec le président Donald Trump et la Russie pour pirater ses courriels et les publier. Le DNC prétendait qu'Assange avait révélé ses "secrets commerciaux", une référence aux méthodes utilisées par le DNC pour priver Bernie Sanders de l'investiture présidentielle. Le DNC utilise la loi RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act) de 1970, destinée à contrôler le crime organisé, pour poursuivre un journaliste-éditeur. S'il réussit, il créera un précédent qui devrait inquiéter les médias du monde entier.
Les avocats personnels du président Trump insistent sur le fait qu'aucun crime n'a été commis et qu'il n'y a donc pas eu d'association de malfaiteurs. Cela n'empêchera pas le ministère de la Justice, sous l'autorité du procureur général de Trump, d'engager des poursuites pénales contre Assange, non seulement pour avoir travaillé avec Chelsea Manning afin d'accéder à des secrets gouvernementaux, mais aussi pour examiner comment Assange a obtenu des documents confidentiels du ministère de la Défense et du département d'État, ainsi que le programme de piratage de la CIA que Wikileaks a publié en 2017 sous le nom de Vault 7. Le Guardian, qui avait autrefois coopéré avec lui, l'avait accusé d'avoir rencontré Paul Manafort à l'ambassade. Assange a déclaré : "Je n'ai jamais rencontré ou parlé à Paul Manafort". Le registre de l'ambassade, signé par tous les visiteurs, ne contient aucune trace de Manafort.
Assange a expliqué que les restrictions et la surveillance étaient devenues punitives, plus aucun recoin de l'appartement n'étant à l'abri des caméras et des microphones. C'est le "Truman Show", a-t-il plaisanté. Nous savions que les Équatoriens nous observaient, mais il était convaincu que les enregistrements étaient transmis aux États-Unis. Une personne chargée de surveiller les caméras a dû me voir prendre des notes, car un fonctionnaire de l'ambassade est entré dans la pièce et m'a ordonné de quitter les lieux. "Pas de journalistes", a expliqué Assange. Ce fut notre dernière conversation. C'était vendredi soir. Lorsque je suis parti, l'ambassade a fermé, le personnel est parti et Assange est resté seul jusqu'au lundi matin.
La route menant à Belmarsh a commencé en 2006, lorsque Wikileaks a révélé qu'un chef rebelle somalien avait tenté d'assassiner des représentants du gouvernement. Il a ensuite révélé les procédures choquantes appliquées dans le centre de détention américain de la base navale de Guantánamo Bay, à Cuba. Cela a incité les États-Unis à fermer le site Wikileaks, qui a repris du poil de la bête. Assange a ensuite révélé les activités du mouvement scientologique et, en 2010, les agissements illégaux des forces armées américaines en Afghanistan et en Irak, grâce à des documents dans lesquels les parties se mettaient elles-mêmes en accusation.
Les collaborateurs de Wikileaks étaient un consortium des plus grands journaux du monde, le New York Times, le Guardian au Royaume-Uni, El Pais en Espagne et Le Monde à Paris. Si Assange a violé la loi, alors ces derniers l'ont fait avec lui. Tout en expurgeant des milliers de documents de Wikileaks pour éviter d'identifier des sources de renseignements sensibles, les quotidiens ont présenté les guerres d'Afghanistan et d'Irak d'une manière qui s'écartait de la ligne officielle. L'une des révélations les plus mémorables est une vidéo militaire montrant l'équipage d'un hélicoptère américain prenant plaisir à abattre deux journalistes de Reuters et dix autres civils dans les rues d'Irak. Lorsque les enquêteurs américains ont découvert que la source des fuites était un analyste du renseignement nommé Bradley Manning, ils l'ont arrêté en mai 2010. Bradley, un soldat transgenre devenu Chelsea, a été condamné à 35 ans de prison pour espionnage en août 2013. Le président Barak Obama a commué la peine de Manning en janvier 2017, laissant l'affaire Assange en suspens.
Parmi les révélations ultérieures d'Assange figurent les courriels du président syrien Bachar al Assad, en aucun cas un ami de Washington. Assange devenait une rock star de la liberté d'expression. Et comme une rock star, il attirait les groupies. Jusque-là, tout était normal. Puis il s'est rendu en Suède, où deux femmes l'ont dénoncé à la police pour inconduite sexuelle.
La police suédoise a classé l'affaire et l'a autorisé à quitter le pays, mais les procureurs suédois ont réexaminé l'affaire et exigé qu'Assange revienne en Suède pour y être interrogé. Des sources au sein des services de renseignement suédois m'ont dit à l'époque qu'elles pensaient que les États-Unis avaient encouragé la Suède à poursuivre l'affaire. Assange a proposé d'être interrogé à Londres, où il se sentait plus à l'abri d'une extradition américaine qu'en Suède. Les Suédois, bien qu'ils n'aient jamais officiellement accusé Assange d'un quelconque acte criminel, ont exigé son extradition. La police britannique l'a arrêté dans l'attente d'une audience au tribunal.
Assange a d'abord été placé en détention, puis assigné à résidence dans la ferme de Vaughan Smith. Lorsque le tribunal a finalement décidé de le renvoyer en Suède, il a demandé et obtenu l'asile à l'ambassade de l'Équateur. Les conditions n'étaient pas idéales, mais le président et l'ambassadeur équatoriens lui ont apporté tout leur soutien. Les visiteurs, dont je faisais partie, allaient et venaient. Entre-temps, la Suède a abandonné son enquête sur les allégations des deux femmes. Assange n'est donc plus accusé que de s'être soustrait à la liberté sous caution en Grande-Bretagne, ce qui ne lui vaudra qu'une petite amende. Toutefois, s'il quittait l'ambassade pour se présenter au tribunal, il craignait que les États-Unis ne dévoilent leur acte d'accusation à son encontre et ne demandent son extradition.
Le 24 mai 2017, Lenín Boltaire Moreno Garcés est devenu président de l'Équateur et la vie d'Assange a changé. Allié du président Donald Trump ayant besoin de prêts du FMI, Moreno a remplacé l'ambassadeur par un fonctionnaire hostile à la présence d'Assange dans l'ambassade. Bien que le régime précédent ait accordé à Assange la citoyenneté, basée sur plus de cinq ans passés sur ce qui est légalement le sol équatorien, le nouveau gouvernement a coupé son accès internet et téléphonique et a limité le nombre de visiteurs. Le personnel de l'ambassade a changé. Les nouveaux fonctionnaires sont devenus moins cordiaux avec les visiteurs comme moi et visiblement hostiles à Assange. Puis, jeudi dernier, Moreno a ignoré le principe de l'asile politique et a demandé à la police britannique de venir le chercher. Les États-Unis ont présenté l'acte d'accusation qui, selon Assange, l'attendait depuis le début. Ainsi, Assange attend de savoir s'il sera à nouveau libre, tandis que les journalistes qui ont publié ses documents continuent de travailler sans crainte d'être poursuivis et, pour certains, brandissent leurs prix de journalisme tout en dénonçant l'homme qui les a rendus possibles.
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11- ♟ Rafael Correa : "Ils ont déjà détruit Assange"
Declassified s'est entretenu avec l'ancien président de l'Équateur qui a accordé l'asile à Julian Assange à Londres. Il évoque les relations avec les Britanniques, la façon dont les États-Unis ont cherché à contrôler son pays et la campagne de répression dont il a été victime.
Par Matt Kennard, le 22 septembre 2022, Declassified
"Les Britanniques sont habitués à ce qu’on leur obéisse, à ne pas négocier avec un pays du tiers-monde. Ils ont essayé de traiter avec nous comme avec un pays inférieur."
"Assange n'avait aucune perspective d'un processus juridique équitable aux États-Unis."
"On a engagé une compagnie de sécurité spéciale pour protéger l'ambassade de Londres, et Julian Assange... Ils ont été piégés par la CIA."
"J'ai résilié l'accord prévoyant l'installation d'une base américaine dans notre pays en 2009. Ce sont des mesures que les autorités américaines ne pardonnent pas."
Par un samedi matin de grisaille de la mi-juin 2012, le journaliste australien Julian Assange est entré dans l'ambassade d'Équateur dans le quartier de Knightsbridge, à Londres.
C'était un homme traqué. Au cours des deux dernières années, il avait révélé les secrets, en partenariat avec les plus grands journaux du monde, de la soi-disant guerre contre la terreur menée par les États-Unis, une extraordinaire explosion de violence qui faisait rage depuis plus d'une décennie.
La Cour suprême de Grande-Bretagne avait quelques jours auparavant approuvé son extradition vers la Suède pour être interrogé sur des allégations d'agression sexuelle, pour lesquelles il n'a jamais été inculpé. L'affaire a été abandonnée en 2019 après un examen des preuves.
Cette modeste et sombre ambassade de Londres avait à peine recueilli une ligne dans les médias d'information depuis son existence. Mais au cours des sept années suivantes, elle allait devenir une véritable affaire mondiale impliquant des complots d'assassinat, des niveaux de surveillance industriels et, finalement, l'expulsion forcée d'Assange par la police britannique en avril 2019.
Quand Assange est entré dans l'ambassade, le président de l'Équateur était Rafael Correa, un économiste formé aux États-Unis qui avait pris le pouvoir cinq ans auparavant, en 2007. Il était une figure majeure de la "marée rose" des gouvernements de gauche qui ont pris le pouvoir dans toute l'Amérique latine dans les années 2000 et qui allait rester en poste pendant une décennie.
Correa vit actuellement à Bruxelles, en Belgique, après avoir lui-même obtenu l'asile politique pour éviter les persécutions de l'Équateur, l'État qu'il dirigeait autrefois.
Ironie du sort, Correa et Assange, qui se trouve dans la prison de haute sécurité de Belmarsh depuis trois ans et demi, partagent maintenant un même avocat dans leur bataille contre l'extradition. Notre rencontre s'est déroulée dans les bureaux de cet avocat où une bannière géante "Free Assange" accueille les visiteurs.
Un panneau géant Free Assange accueille les visiteurs à l'entrée.
Dans une pièce sombre lambrissée donnant sur rue, Correa me raconte ce jour de juin où son ministre des Affaires étrangères lui a annoncé qu'Assange était entré à l'ambassade de Londres.
"Nous avons commencé à étudier son cas."
En août 2012 - "après deux mois d'étude de son dossier" - le gouvernement de Correa a accordé l'asile à Assange afin de le protéger des persécutions du gouvernement américain pour ses activités journalistiques.
"Il n'y avait aucune chance pour qu'il ait un processus équitable, c'était impossible. Je fais référence aux États-Unis, il y avait trop de pression publique, de pression gouvernementale, de pression médiatique contre lui.", dit Correa.
Vidéo de 55' avec sous titres disponibles :
LES NÉGOCIATIONS BRITANNIQUES
Au cours des cinq années suivantes, son gouvernement entamera de longues négociations avec les autorités britanniques, qui avaient lancé une campagne secrète, sous le nom de code Opération Pélican, pour faire sortir Assange de l'ambassade. Correa est sceptique quant à l'attitude du Royaume-Uni dans ces négociations.
"Ils sont historiquement une puissance impériale, donc ils croient parfois qu'ils ont toujours ce pouvoir. Quoi qu'il en soit, contre nous, cela ne fonctionnait pas. Et, oui, ils étaient très grossiers. Ils tenaient à imposer leurs lois, leurs propres règles, et nous ne l'avons pas accepté.", rapporte-t-il à propos des Britanniques.
Il poursuit :
"Nous avons, en tant que pays souverain, le droit d'accorder l'asile à quiconque sans donner d'explication. Mais nous avons donné une explication parce que nous avons respecté le gouvernement britannique, américain et suédois, alors que rien ne nous obligeait à le faire."
Selon Correa, la pression britannique s'est intensifiée peu après l'entrée d'Assange à l'ambassade.
"À un moment donné, les autorités britanniques nous ont menacés de pénétrer dans notre ambassade. Mais cela était contraire aux droits internationaux, absolument illégal, mais également stupide... Pourquoi ? Parce qu'ils disposent de bien plus d'ambassades que nous dans le monde."
Il marque une pause.
"Donc s'ils ont donné au monde un si mauvais exemple, les pires conséquences se retourneraient contre eux. Parce qu'alors, après ça, sans aucun prétexte, aucune raison, n'importe qui pourrait entrer, dans n'importe quel pays, dans leurs ambassades."
Ironiquement, la pression britannique a été beaucoup plus brutale que celle que Correa recevait des Américains.
"Sincèrement, je ne me souviens pas que le gouvernement américain nous ait menacés comme le gouvernement britannique lorsqu'il a déclaré qu'il pouvait intervenir dans notre ambassade. D'aussi loin que je me souvienne, nous n'avons pas reçu du gouvernement américain, une quelconque menace de ce genre.", déclare Correa.
Assange ayant obtenu l'asile d'un pays ami comme l'Équateur, il aurait dû être autorisé à quitter le Royaume-Uni en toute sécurité.
"Bien sûr, les Britanniques sont habitués à ce qu'on leur obéisse, pas à négocier avec un pays du tiers-monde. Ils ont essayé de traiter avec nous comme avec un pays subordonné.", explique Correa.
AUCUNE CHANCE DE PROCESSUS ÉQUITABLE
Correa me dit qu'il n'a parlé à Assange qu'une seule fois, lorsque celui-ci l'a invité à une interview pour The Julian Assange Show, une série d'interviews éphémères réalisées pour la plupart avant qu'il n'entre à l'ambassade.
"Je ne connais pas Julian Assange. Je ne lui ai jamais parlé au téléphone ni ne l'ai rencontré en personne. Vous voulez connaître ma position personnelle et honnête ? Je ne suis pas d'accord avec tout ce que Julian Assange a fait, mais cela n'a rien à voir."
Il ajoute :
"Le point principal ici est qu'il n'avait aucune possibilité d'avoir un processus juridique équitable aux États-Unis. Nous avions donc absolument le droit souverain d'accorder l'asile politique à Julian Assange."
Mais Correa n'est pas optimiste quant à l'objectif final des Américains et des Britanniques maintenant qu'ils lui ont mis la main dessus.
"Ils veulent le tuer. Ils sont en train de le détruire. Ils l'ont déjà détruit. Mon avocat, et nous avons cette interview dans le bureau de mon avocat à Bruxelles, eh bien, il est également l'avocat de Julian Assange et il peut vous dire qu'il est absolument détruit en tant qu'être humain. Ils ont donc déjà détruit Julian Assange.", dit-il
Correa poursuit :
" Le but est de faire de Julian Assange un exemple : voyez ce qui s'est passé avec quelqu'un qui a osé révéler nos secrets. Mais quels secrets Julian Assange a-t-il révélés ? Des crimes de guerre. Nous devrions le remercier. Au lieu de cela, ils sont en train de le tuer."
Je lui demande s'il pense qu'Assange sera libre un jour.
"Je suis très pessimiste. Je ne le crois pas. Ils veulent faire un exemple d'Assange : vous ne pouvez pas franchir ces lignes rouges, vous ne pouvez pas traiter avec nous, vous ne pouvez pas révéler nos crimes. C'est le message."
Il poursuit :
"J'ai été président pendant dix ans, Je suis parfaitement conscient que les pays doivent avoir des informations confidentielles. Mais il y a des limites. Vous ne pouvez pas cacher des crimes de guerre. Et même plus, vous pouvez trouver un double standard ici. Pourquoi ? Parce qu'à proprement parler, Julian Assange n'a pas publié l'information."
"L'information a été publiée par le New York Times, par Der Spiegel en Allemagne, par El Pais en Espagne, par le Guardian au Royaume-Uni. Pourquoi ne sont-ils pas sanctionnés, persécutés ? Parce qu'ils constituent la partie la plus solide de la chaîne. Ils ont choisi le maillon le plus vulnérable de la chaîne : Julian Assange."
"SAISIS PAR LA CIA"
Lorsque Assange se trouvait à l'ambassade d'Équateur, ce lieu était probablement le plus surveillé au monde. En juin, le gouvernement britannique a admis que Jennifer Robinson, l'avocate de longue date de Julian Assange, faisait vraisemblablement l'objet d'une "surveillance secrète qui violait ses droits fondamentaux". Les fonctionnaires équatoriens ont inévitablement reçu le même traitement.
"Nous étions conscients à ce moment-là - et nous continuons à l'être - que nous étions sous surveillance. Plus encore, nous avons engagé une société espagnole de sécurité spéciale afin de protéger l'ambassade, de protéger Julian Assange, du nom d'UC Global. Et ils nous ont trahis. Ils ont vendu l'information à la CIA. Ils ont été, si vous voulez, saisis par la CIA."
Il a ensuite été révélé plus tard que c'était pire que de la surveillance. En septembre 2021, Yahoo News a publié un article basé sur le témoignage de 30 anciens fonctionnaires américains montrant que la CIA avait ébauché des plans pour kidnapper ou tuer Assange à Londres. Correa dit avoir lu l'article. Cela l'a-t-il choqué ?
"Bien sûr, mais cela ne m'a nullement surpris car nous sommes habitués à ces pratiques. C'est l'histoire de l'Amérique latine".
Ajoutant :
"Une chose est très claire : pour le gouvernement américain, Julian Assange est un ennemi et ils veulent détruire ses libertés, sa réputation, et peut être même sa vie".
Ces dernières années, il est frappant de voir comment les dirigeants latino-américains ont mené la lutte pour la liberté d'Assange, de Cristina Kirchner en Argentine à Evo Morales en Bolivie.
Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a même montré la tristement célèbre vidéo Collateral Murder lors de sa conférence de presse présidentielle, a offert l'asile à Assange et a remis au président Biden, lors de leur rencontre, une lettre plaidant pour la libération d'Assange.
Pourquoi cette affaire de liberté de la presse d'importance historique mondiale est portée par ce continent ?
"Je n'ai pas de réponse à cette question. Je suis surpris, choqué, parce que Julian Assange a été trahi par des journalistes du monde entier, par des gouvernements du monde entier et par son propre gouvernement, le gouvernement australien", répond Correa.
Ajoutant :
"Si un citoyen équatorien subissait ce genre de pressions, de persécutions, de situation illégale, notre devoir serait de le défendre, mais le gouvernement australien s'en contrefiche."
LIBERTÉ DE LA PRESSE
Lorsque l'Équateur a accordé l'asile à Assange, une grande partie de la presse britannique a cherché des lignes d'attaque. L'une des lignes principales était que Correa réprimait la liberté de la presse en Équateur.
Le Financial Times, par exemple, écrivait : "Assange ne tenait pas compte de la détérioration du bilan de Correa en matière de respect de la liberté de la presse".
" Il s'agit de propagande ", explique Correa. "Pouvez-vous me donner un exemple d'attaque contre la liberté de la presse ? Mais parce que nous avons toujours cherché la vérité, parce que nous avions l'habitude de répondre aux mensonges de certains journalistes, nous sommes contre la liberté de la presse... C'est parce que nous sommes contre les mensonges, contre la manipulation."
L'administration de Correa tentait de briser le contrôle oligarchique des médias, particulièrement développé en Amérique latine.
En fait, l'un des exemples d'attaque contre la liberté de la presse cités par le Financial Times était une loi anti-monopole qui proposait que les actionnaires et les directeurs d'entreprises médiatiques détenant plus de 6% des entreprises médiatiques nationales se dessaisissent au profit d'autres intérêts non médiatiques.
"Vous devez être absolument conscient que l'instrument utilisé pour maintenir le statu quo en Amérique latine est les médias", me dit-il. "Vous devez poser cette question : à qui appartiennent ces médias ? Aux élites, afin de continuer à contrôler nos pays. Et elles s'opposeront à tout gouvernement qui essaiera de changer la situation très difficile de l'Amérique latine. Par exemple, nous continuons à être l'une des zones les plus inégalitaires du monde."
STRATÉGIE RÉGIONALE
Lorsque Correa a quitté le pouvoir en 2017, Lenín Moreno était le candidat désigné pour disputer les prochaines élections pour le parti Alianza País. Moreno avait été le vice-président de Correa pendant six ans, mais après avoir remporté l'élection de 2017, il a fait volte-face.
Le programme social-démocrate relativement modéré de Correa a vu l'extrême pauvreté en Équateur presque diminuer de moitié, les inégalités chuter de façon spectaculaire et les dépenses sociales exprimées en pourcentage du PIB presque doubler.
Mais Moreno a commencé à défaire progressivement les réformes progressistes de l'administration Correa, réintégrant l'Équateur dans l'infrastructure économique du consensus de Washington - et se rapprochant des États-Unis.
Une campagne de ce que l'on a appelé "lawfare" |NDR : instrumentalisation politique de la justice/loi] a été lancée contre des fonctionnaires de l'administration Correa. Nombre d'entre eux ont dû fuir le pays.
Le successeur de Moreno au poste de vice-président, Jorge Glas, a été arrêté et condamné à six ans de prison pour corruption. Il a été libéré en avril de cette année, mais a été de nouveau arrêté le mois suivant. Correa lui-même a été pris pour cible.
"C'est une stratégie régionale, pas seulement contre moi", dit Correa. "C'est contre [l'ancien président brésilien] Lula, contre Evo Morales. Cristina Kirchner... Donc quand vous avez ce genre de véritable stratégie, il n'y a pas de coïncidence. C'est une stratégie régionale et cela ne peut se produire que si les ambassades américaines dans nos pays la soutiennent."
Correa estime que l'octroi de l'asile à Assange par son administration a un rapport avec la situation.
"Bien sûr, une partie de cette persécution politique dont je fais l'objet est liée à Julian Assange. J'ai également résilié l'accord prévoyant l'installation d'une base américaine dans notre pays en 2009. J'ai arrêté cela. Ce sont des actes que les autorités américaines ne pardonnent pas."
En 2009, Correa a refusé de renouveler le bail de la base militaire américaine située dans la ville côtière de Manta, dans l'ouest de l'Équateur. "Nous renouvellerons la base à une condition : qu'ils nous laissent mettre une base à Miami - une base équatorienne", a-t-il déclaré. Les Américains ont refusé.
Tout dirigeant de gauche en Amérique latine sait que son principal ennemi est les États-Unis, qui ont désigné l'hémisphère occidental comme leur zone d'influence depuis 1823. Mais au cours de l'histoire récente, les méthodes utilisées par les États-Unis pour débarrasser la région de gouvernements indésirables se sont diversifiées et ne se limitent plus à des coups d'État militaires purs et simples, comme au Guatemala en 1954 ou au Chili en 1973.
"Il est très difficile d'avoir, surtout en Amérique du Sud, une invasion militaire des États-Unis, ce n'est pas possible", dit Correa. "Mais il existe des moyens plus subtils, si vous voulez, permettant de déstabiliser un gouvernement qu'ils désapprouvent. Par exemple, en finançant les groupes d'opposition, les ONG, et ils reçoivent cet argent, ce financement, de la National Endowment for Democracy dont tout le monde sait quil s’agit de la branche financière de la CIA."
LAWFARE
Mais Correa affirme que les États-Unis ne sont pas les seuls à vouloir le détruire, lui et son héritage.
"Il y a aussi la haine des médias, la haine de l'élite... pour essayer de conserver, de maintenir le statu quo. Nous représentons un danger pour le statu quo. Nous sommes un danger pour leurs privilèges."
En avril 2020, un tribunal équatorien a condamné Correa à huit ans de prison après l'avoir déclaré coupable d'accusations de corruption. Correa a été accusé au sujet d'un paiement de 6 000 dollars sur son compte privé, qui, selon lui, était un prêt.
"Huit ans de prison pour un paiement de 6 000 dollars. Une des preuves est que j'ai reçu d'un fonds commun que nous avions à la présidence. Ils ont dit qu'il s'agissait de pots-de-vin. 6 000 $ mis sur mon compte personnel dans une banque publique. Mais ils n'ont rien. C'est juste un coup monté contre nous", dit-il.
La sentence est tombée quelques heures avant qu'il ne s'inscrive comme candidat à l'élection présidentielle de 2021.
"De cette façon, ils ont réussi à m'empêcher de retourner dans mon pays. Ils m'ont empêché d'être candidat et ils ont fait de Lasso un président".
Guillermo Lasso, un banquier de droite qui a été mêlé aux fuites fiscales offshore des Pandora Papers, a remporté de justesse l'élection de 2021.
"Ils ne volent pas seulement notre réputation, notre stabilité, ils volent nos démocraties. Mais comme toutes ces attaques visent des dirigeants de gauche, personne ne s'en soucie", affirme Correa.
La même chose s'est produite au Brésil lorsque Lula a été emprisonné en 2018 pour des accusations de corruption, qui ont finalement été démontrées comme étant politiquement motivées. Il était incarcéré pour les élections de la même année.
"Ils ont empêché Lula d'être candidat et ils ont fait de Bolsonaro, un fasciste, le président du Brésil", ajoute-t-il.
LA TRAHISON
Jusqu'en 2017, Moreno avait été un allié et une figure clé de la "révolution citoyenne" qui a transformé l'Équateur pendant les 10 ans de Correa. Pourquoi a-t-il soudainement fait volte-face lorsqu'il est devenu président et tenté de détruire tout le mouvement dont il avait fait partie ?
"L'une des hypothèses les plus fortes est que Lenín Moreno s'est laissé corrompre. Nous nous en rendons très bien compte maintenant. Nous ne savions pas ce moment-là, mais maintenant nous savons qu'il avait un compte secret au Panama. Nous avons le numéro, nous avons tout."
"Alors peut-être que le gouvernement américain le savait avant nous, et qu'ils ont mis Moreno sous contrôle. Sinon, il est très difficile de comprendre ce qui a motivé le revirement de Moreno, qui est passé de notre programme politique, progressiste, à un programme d'extrême droite et à une subordination absolue aux États-Unis", explique Correa.
Il poursuit :
"Une preuve est que juste une semaine après que Lenín Moreno a pris ses fonctions, il a reçu Paul Manafort, le chef de campagne de Donald Trump, et Moreno a proposé à Manafort de remettre Assange au gouvernement américain."
"Vous avez plusieurs témoignages de personnes qui étaient présentes à cette réunion en Équateur, dans le palais présidentiel, une semaine après la prise de fonction de Lenín Moreno. Donc à ce moment-là, là, il négociait déjà avec Julian Assange."
En avril 2019, probablement dans le cadre de cet accord, Moreno a révoqué l'asile d'Assange et invité la police britannique à pénétrer dans l'ambassade équatorienne pour arracher le fondateur de WikiLeaks. Ce fut un moment décisif.
"Le pays a été humilié. Personne d'autre ne fera confiance aux pays d'Amérique latine pour y chercher l'asile politique. Les dégâts sont considérables. Considérables et durables. Et, plus encore, c'est contraire à notre constitution. Vous pouvez consulter l'article 41 de notre Constitution. Cet article interdit explicitement de donner aux persécuteurs une personne persécutée. Donc il [Moreno] a enfreint notre constitution", dit Correa.
"Mais il n'y a pas de problème tant que vous agissez en accord avec le gouvernement des États-Unis ou en accord avec les médias, les élites, et contre Correa, c'est peut-être le point le plus crucial."
Il est clair que la pression et le stress de l'affaire d'extradition et de la turbulence en Équateur ont eu un impact personnel sur Correa. Il parle rapidement, se pressant pour exprimer sa défense contre les attaques constantes. Il fait preuve d'une nervosité notable, tapant sans cesse du pied sur le sol.
Je demande à Correa ce qu'il pense de tout cela.
"Pour moi, c'est très dur", confie-t-il. "C'est très triste, très décevant, que cela soit arrivé. Nous devons continuer à nous battre pour récupérer le pays."
CHARLES ET CAMILLA
Correa affirme que la Grande-Bretagne avait une façon particulièrement coloniale de traiter son pays.
"Nous avons essayé d'avoir une bonne relation avec n'importe quel pays du monde, tout en restant dans un cadre de respect mutuel", m’a-t-il dit. "Mais il est clair que le Royaume-Uni manque de considération pour un pays comme l'Équateur, ce n'était pas seulement le cas de Julian Assange".
Récemment, Evo Morales a déclaré à Declassified que la Grande-Bretagne avait encore une "mentalité totalement coloniale". Je demande à Correa s'il est d'accord. "Malheureusement, oui", répond-il, avant de donner un autre exemple.
"En 2009, l'ambassadeur britannique m'a appelé pour me dire que le prince Charles et Camilla viendraient dans le pays pour visiter nos îles Galápagos. Nous étions très honorés de les accueillir. Mais l'ambassadeur britannique ne s'est pas contenté de me dire, il m'a ordonné de recevoir le prince Charles le dimanche. Et je lui ai dit : "Allons, ambassadeur, c'est le seul jour que je réserve à ma famille. Je travaille du lundi au samedi et j'essaie de consacrer mes dimanches à ma famille".”
L'ambassadrice britannique Linda Cross a insisté pour que ce soit le dimanche. Correa a alors fait remarquer :
"Mais il vient en ici vacances, nous pouvons donc le recevoir le lundi, chaque lundi nous avons une très belle cérémonie au palais présidentiel, la relève de la garde présidentielle. C'est une très belle cérémonie. Nous pouvons inviter le Prince Charles avec Camilla. Il y a beaucoup de monde dans le parc central en face du palais présidentiel. Il pourra les saluer".
L'ambassadeur Cross a continué à insister pour que ce soit dimanche.
"Finalement, j'ai envoyé mon vice-président pour recevoir le prince Charles et Camilla, et j'ai très bien compris qu'ils ne me le pardonnaient pas car l'année suivante, je devais aller à Londres. J'ai été invité par la London School of Economics et d'autres universités pour faire quelques discours. Et personne ne m'a accueilli en tant que président de l'Équateur à l'aéroport de Londres."
Ce type de traitement est révélateur d'un continent ne faisant pas confiance au gouvernement britannique, estime Correa.
"Nous ne sommes pas importants pour le gouvernement britannique".
Matt Kennard est enquêteur en chef à Declassified UK. Il a été membre puis directeur du Centre for Investigative Journalism à Londres. Suivez-le sur Twitter @kennardmatt
📰 https://www.declassifieduk.org/rafael-correa-they-have-already-destroyed-assange/
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