❖ Israël entraîne le monde dans les ténèbres
Israël est la progéniture du colonialisme & de l'antisémitisme génocidaire européens, imposés par la force, le feu & la culpabilité occidentale sur une terre déjà habitée par un peuple autochtone.
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SOMMAIRE :
1 - Israël entraîne le monde dans les ténèbres - Susan Abulhawa
2 - Le jour où l'Occident a qualifié de "succès" le massacre de 270 Palestiniens - Jonathan Cook
3 - L'insta-génocide israélien (Le génocide israélien sur Instagram) - Younis Tirawi & Eran Maoz, une enquête de Zeteo en 2 parties
a. L'arme de l'humiliation envers les Palestiniens de Gaza
b. "Que Gaza brûle !" : Le flot de rhétorique génocidaire des soldats israéliens
Témoignages
4 - La nuit où Israël a tué ma famille - Reem A. Hamadaqa
5 - Je vais vous parler de notre vie sous la tente, et de celle des milliers de gens qui nous entourent - Rami Abou Jamous
6 - Mon Nuseirat - Haidar Eid
7 - Otages de la vengeance israélienne dans la bande de Gaza - Euro-Med Human Rights Monitor
8 - Pour cet Aïd, mes souvenirs de Gaza la magnifique - Johann Soufi
9 - Gaza depuis le 7 octobre - En accès libre sur Ciné Mutins
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1- ➤ Israël entraîne le monde dans les ténèbres
Par Susan Abulhawa, le 14 June 2024, The Electronic Intifada
Israël est étranger au monde moderne. Il est la progéniture du colonialisme et de l'antisémitisme génocidaire européens, imposés par la force, le feu et la culpabilité occidentale sur une terre déjà habitée par un peuple autochtone.
Israël incarne une violation contemporaine de l'éthique coloniale de l'ancien monde, qui justifiait le génocide, le nettoyage ethnique, le pillage à grande échelle, le vol sans fin et la destruction des peuples indigènes au nom de la colonisation et du droit divin d'un groupe d'humains prétendant supérieur.
Mais le monde moderne a évolué progressivement sur le plan moral. Il a depuis longtemps répudié, du moins en principe, les pulsions racistes et violentes qui alimentaient les machines coloniales génocidaires d'antan.
La nature anachronique d'Israël est perceptible dans la rhétorique de ses dirigeants et de ses citoyens. Benjamin Netanyahou évoque les bombardements nucléaires américains d'Hiroshima et de Nagasaki pour justifier le génocide israélien en cours à Gaza.
Les sionistes, en particulier ceux des nations coloniales comme les États-Unis et l'Australie, aiment à nous rappeler que ces pays ont été fondés sur le génocide et le nettoyage ethnique des peuples indigènes.
C'est de ces rappels que découlent leurs accusations de double standard et d'hypocrisie. "Vous vivez sur une terre volée, pourquoi ne partez-vous pas ?", dit leur rhétorique.
Implicitement, ils admettent qu'ils sont identiques à la force coloniale violente et raciste qui a donné naissance aux États-Unis.
En d'autres termes, alors que l'humanité a essayé et continue de s'efforcer de prévenir et de réparer les erreurs du passé, Israël évoque ces moments sombres de l'histoire de l'humanité, non pas dans le contexte du "plus jamais ça", mais comme des précédents qu'il serait en droit d'imiter.
Alors que nous découvrons encore aujourd'hui des charniers dans les "écoles indiennes" où des enfants autochtones ont été arrachés à leur famille et torturés à mort dans des internats, Israël revendique le droit de créer d'autres charniers de Palestiniens au nom de l'"autodéfense".
Alors que nous nous engageons dans un discours visant à obtenir une reconnaissance et des réparations, comme le monde l'a fait pour les Juifs européens, Israël réclame le droit de procéder à un nettoyage ethnique des indigènes palestiniens, voler leurs terres, piller leurs ressources et raser leurs villes et leurs terres agricoles.
Alors que nous imaginons et nous efforçons de créer une réalité postcoloniale d'universalisme révolutionnaire, d'inclusion, d'équité et de compréhension, Israël exige le droit à l'exclusivité juive et le droit juif aux dépens des non-Juifs.
Invoquer le colonialisme américain pour justifier sa propre version n'est pas différent d'invoquer l'esclavage généralisé de l'Amérique comme un précédent à imiter.
Ordre fondé sur des règles ?
Les gouvernements occidentaux ont longtemps vanté leurs valeurs comme des phares de la démocratie et de l'idéalisme vers lesquels la modernité doit tendre. Ils adorent faire la leçon au monde sur le droit et l'ordre fondé sur des règles, sur la liberté d'expression, la liberté de réunion, la liberté de ceci et de cela.
Mais voyez avec quelle rapidité ils dénoncent, opposent leur veto et attaquent les tribunaux, les organisations de défense des droits de l'homme et les protocoles de l'ONU lorsque les institutions qu'ils ont contribué à créer ne servent pas leurs intérêts impériaux. Regardez la rapidité avec laquelle ils étouffent les voix et font intervenir leur police contre leurs propres citoyens tentant d'exercer ces libertés.
Ils agissent ainsi parce qu'Israël est contraire aux valeurs démocratiques. Israël est antithétique aux valeurs démocratiques, aux droits de l'homme et à ce que l'on appelle l'ordre fondé sur des règles.
L'Occident doit donc choisir entre Israël et les idéaux qu'il prétend défendre. Et jusqu'à présent, il choisit Israël.
Ce faisant, il se précipite dans l'abîme, entraînant avec lui le monde entier.
Les commentateurs indiens parlent déjà d'une solution "à l'israélienne" au Cachemire. Le monde reste silencieux alors que des dictatures arabes comme les Émirats arabes unis arment des milices génocidaires au Soudan afin de prendre le contrôle des vastes ressources en or et en uranium du pays.
Israël entraîne le monde dans une obscurité épidémique qui se répandra sur toute la planète si on ne le stoppe pas et si on ne le tient pas pour responsable de l'holocauste qu'il commet à Gaza et désormais, semble-t-il, en Cisjordanie également.
La "solution" n'est nullement compliquée, contrairement à la propagande sioniste omniprésente.
Il s'agit simplement d'une adhésion à une morale universelle acceptée et rejetant la suprématie juive comme elle rejette toutes les autres formes de suprématie. Cela signifie l'égalité des droits pour tous les habitants de la terre, le retour des réfugiés palestiniens dans une nation de citoyens fondée sur le principe "une personne, une voix".
Susan Abulhawa est écrivaine et militante. Son dernier roman s'intitule Against the Loveless World.
📰 https://electronicintifada.net/content/israel-dragging-world-darkness/47081?
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2- ➤ Le jour où l'Occident a qualifié de "succès" le massacre de 270 Palestiniens
Les Israéliens dansent dans les rues, la Maison Blanche salue une opération "audacieuse", Rishi Sunak exprime son soulagement. Comment le carnage à Gaza est devenu la nouvelle normalité
Par Jonathan Cook, le 12 juin 2024, Blog de l'auteur
Israël n'a pas seulement franchi les prétendues "lignes rouges" de l'administration Biden à Gaza. En massacrant le camp de réfugiés de Nuseirat le week-end dernier, Israël les a transgressées à coups de bulldozer.
Samedi, une opération militaire israélienne visant à libérer quatre Israéliens détenus par le Hamas depuis son attaque du 7 octobre contre Israël s'est soldée par la mort de plus de 270 Palestiniens, dont beaucoup de femmes et d'enfants.
Le véritable bilan ne sera peut-être jamais connu. Un nombre incalculable d'hommes, de femmes et d'enfants sont encore sous les décombres des bombardements, écrasés à mort, ou pris au piège et suffocant, ou succombant lentement à la déshydratation s'ils ne peuvent être dégagés à temps.
Des centaines d'autres souffrent de blessures atroces - si leurs blessures ne les tuent pas - dans une situation où il n'y a pratiquement plus de structures médicales après la destruction des hôpitaux par Israël et l'enlèvement massif du personnel médical palestinien. En outre, le blocus imposé par Israël depuis des mois ne permet pas de disposer du nécessaire pour soigner les victimes.
Les Israéliens et les organisations juives américaines - si promptes à juger les Palestiniens qui acclament les attaques contre Israël - ont célébré le carnage causé par la libération des captifs israéliens, qui auraient pu rentrer chez eux il y a plusieurs mois si Israël avait été disposé à accepter un cessez-le-feu.
Des vidéos montrent même des Israéliens dansant dans la rue.
Selon certaines informations, l'opération israélienne sanglante menée dans le centre de Gaza pourrait avoir tué trois autres captifs, dont un citoyen américain.
Dans des commentaires au journal Haaretz publiés dimanche, Louis Har, un otage libéré en février, a parlé de sa propre captivité :
"Notre plus grande crainte était les avions de Tsahal et la peur qu'ils bombardent le bâtiment dans lequel nous nous trouvions."
Ajoutant :
"Nous ne craignions pas qu'ils [en référence au Hamas] nous fassent quelque chose subitement. Nous ne nous opposions à rien. Je n'avais donc pas peur qu'ils me tuent".
Les médias israéliens ont rapporté que le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, avait décrit l'opération de samedi comme
"l'une des opérations les plus héroïques et les plus extraordinaires dont j'ai été témoin au cours de mes 47 années de service au sein de l'establishment de la défense israélienne".
Le procureur général de la Cour pénale internationale cherche actuellement à obtenir un mandat d'arrêt contre Gallant, ainsi que contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Les accusations portent notamment sur les efforts déployés pour exterminer la population de Gaza par une famine planifiée.
Terrorisme d'État
Depuis plus de huit mois, Israël bafoue sans retenue les lois établies de la guerre.
On sait qu'au moins 37 000 Palestiniens ont été tués à ce jour à Gaza, bien que les responsables palestiniens ne soient plus en mesure de compter correctement les morts depuis de nombreuses semaines en raison de la destruction incessante par Israël des institutions et des infrastructures de l'enclave.
Israël a en outre provoqué une famine qui, la plupart du temps à l'abri des regards, affame progressivement la population de Gaza.
En janvier dernier, la Cour internationale de justice a jugé Israël pour génocide. Le mois dernier, elle a ordonné l'arrêt immédiat de l'attaque israélienne contre la ville de Rafah, au sud de Gaza. Israël a réagi à ces deux jugements en intensifiant ses massacres.
Autre preuve de l'impunité dont jouit Israël, l'opération de sauvetage de samedi a donné lieu à un nouveau crime de guerre flagrant.
Israël s'est servi d'un camion d'aide humanitaire - censé apporter des secours à la population désespérée de Gaza - pour couvrir son opération militaire, ce qui s'appelle, en droit international, un "crime de guerre".
Depuis des mois, Israël bloque l'aide à Gaza, dans le cadre de ses efforts pour affamer la population et a également pris pour cible les travailleurs humanitaires, tuant plus de 250 d'entre eux depuis octobre.
Mais plus spécifiquement, Israël mène une guerre contre l'UNRWA, affirmant sans preuve que la principale agence d'aide de l'ONU à Gaza est impliquée dans les opérations "terroristes" du Hamas. Il veut que l'ONU, dernière bouée de sauvetage de la communauté internationale à Gaza face à la sauvagerie gratuite d'Israël, disparaisse définitivement.
En cachant ses propres soldats dans un camion d'aide, Israël a tourné en dérision ses prétendues "préoccupations en matière de terrorisme" en faisant exactement ce dont il accuse le Hamas.
Mais l'action militaire d'Israël a également porté atteinte aux efforts d'aide - seuls moyens de mettre fin à la famine à Gaza - au centre du champ de bataille. Le Hamas a désormais toutes les raisons de craindre que les travailleurs humanitaires ne soient pas ce qu'ils semblent être, et soient en réalité des instruments du terrorisme d'État israélien.
Un motif malveillant
Dans ces circonstances, on aurait pu supposer que l'administration Biden s'empresserait de condamner les actions d'Israël et de prendre ses distances par rapport au massacre.
Au lieu de cela, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale du président Joe Biden, a tenu à s'attribuer le mérite de ce carnage, qu'il a qualifié d'"opération audacieuse".
Il a admis dans une interview dimanche que les États-Unis avaient offert leur assistance pour l'opération de sauvetage, mais il a refusé de préciser de quelle manière. D'autres rapports font état d'un rôle de soutien de la part du Royaume-Uni.
"Les États-Unis soutiennent Israël depuis plusieurs mois dans ses efforts visant à identifier les lieux où se trouvent les otages à Gaza et à soutenir les efforts déployés pour tenter de les sauver ou de les récupérer", a déclaré Sullivan à CNN.
Les commentaires de Sullivan ont alimenté les soupçons existants selon lesquels cette assistance va bien au-delà de la fourniture de renseignements et d'un approvisionnement constant en bombes qu'Israël a larguées sur la minuscule enclave de Gaza au cours des derniers mois - plus que le total des bombes qui ont frappé Londres, Dresde et Hambourg réunies au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Un représentant de Joe Biden a révélé au site web Axios que des soldats américains appartenant à une soi-disant unité d'otages américains avaient participé à l'opération de sauvetage qui a massacré des civils palestiniens.
En outre, des images montrent la jetée flottante de Washington comme toile de fond pour les hélicoptères impliqués dans l'attaque.
Ce quai a été ostensiblement construit au large de la côte de Gaza pour un coût faramineux - quelque 320 millions de dollars - et en deux mois, afin de contourner le blocage par Israël de l'aide par voie terrestre.
Les observateurs ont fait valoir à l'époque qu'il s'agissait non seulement d'un moyen extraordinairement peu pratique et inefficace d'acheminer l'aide, mais qu'il y avait probablement des motifs cachés et inavouables derrière sa construction.
Son emplacement, à mi-chemin de la côte de Gaza, a renforcé la division de l'enclave en deux par Israël, créant un corridor terrestre qui est effectivement devenu une nouvelle frontière et à partir duquel Israël peut lancer des raids dans le centre de Gaza, comme celui de samedi.
Ces critiques semblent avoir eu raison. La jetée a à peine fonctionné comme voie d'acheminement de l'aide depuis que les premières livraisons sont arrivées à la mi-mai.
Elle s'est rapidement brisée et sa réparation et sa remise en service n'ont été annoncées que vendredi.
Le fait que le quai semble avoir été utilisé immédiatement comme tête de pont pour une opération qui a tué au moins 270 Palestiniens entraîne Washington encore plus loin dans la complicité avec ce que la Cour mondiale a qualifié de "génocide plausible".
Mais comme pour l'utilisation du camion d'aide, cela signifie également que l'administration Biden se joint une fois de plus à Israël - après avoir retiré son financement à l'UNRWA - pour discréditer directement l'opération d'aide à Gaza au moment où elle est la plus urgente.
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'annonce faite dimanche par le Programme alimentaire mondial (PAM), selon laquelle il mettait fin à l'utilisation de l'embarcadère pour les livraisons d'aide, en invoquant des problèmes de "sécurité".
Un massacre "réussi"
Comme toujours, pour les médias et les hommes politiques occidentaux - qui se sont fermement opposés à un cessez-le-feu qui aurait pu mettre fin aux souffrances des captifs israéliens et de leurs familles il y a plusieurs mois - les vies palestiniennes ne valent littéralement rien.
Le chancelier allemand Olaf Scholz a jugé bon de qualifier de "signe d'espoir important" le massacre de plus de 270 Palestiniens lors de la libération des quatre Israéliens, tandis que le Premier ministre britannique Rishi Sunak a fait part de son "immense soulagement". Le nombre effroyable de morts n'a jamais été mentionné.
Imaginez que l'on décrive en ces termes une opération du Hamas qui a tué 270 Israéliens pour libérer une poignée des centaines de membres du personnel médical enlevés à Gaza par Israël au cours des derniers mois et dont on sait qu'ils sont détenus dans un centre de torture.
Le Times de Londres, quant à lui, a aisément effacé le massacre des Palestiniens de samedi en qualifiant l'opération de "frappe chirurgicale".
Les médias ont uniformément salué l'opération comme un "succès" et comme "audacieuse", comme si le meurtre et la mutilation d'un millier de Palestiniens - ainsi que les crimes de guerre en série commis par Israël au cours de ce processus - n'avaient pas à être pris en compte.
Le principal reportage de BBC News samedi soir s'est concentré sur les célébrations des familles des captifs libérés, traitant le massacre des Palestiniens comme une simple réflexion d'après-coup. L'émission a souligné que le nombre de morts était "contesté" - sans mentionner que, comme toujours, c'était Israël qui contestait.
En réalité, la sauvage opération de "sauvetage" aurait été tout à fait inutile si Netanyahou n'avait pas été aussi déterminé à traîner les pieds pour négocier la libération des captifs et éviter ainsi la prison pour corruption, et si les États-Unis n'avaient pas été aussi indulgents à l'égard de ses atermoiements.
Il sera également très difficile de répéter une telle opération, comme l'a fait remarquer le correspondant militaire de Haaretz, Amos Harel, ce week-end. Le Hamas en tirera les leçons et surveillera encore plus étroitement les captifs restants, très probablement sous terre dans ses tunnels.
Le retour des captifs restants "ne se fera probablement que dans le cadre d'un accord qui nécessitera d'importantes concessions", a-t-il conclu.
Tirer parti d'un massacre
Benny Gantz, le général-politicien qui a contribué à superviser les huit mois de massacre d'Israël à Gaza au sein du cabinet de guerre de Netanyahou et qui est largement décrit comme un "modéré" en Occident, a démissionné du gouvernement dimanche.
Bien que le différend porte ostensiblement sur la manière dont Israël se retirera de Gaza au cours des prochains mois, l'explication la plus probable est que Gantz souhaite à la fois prendre ses distances avec Netanyahou, alors que le Premier ministre israélien risque d'être arrêté pour crimes contre l'humanité, et préparer des élections pour prendre sa place.
Le Pentagone et l'administration Biden considèrent Gantz comme leur homme. Le fait qu'il ne fasse plus partie du gouvernement pourrait leur donner un moyen de pression supplémentaire sur Netanyahou à l'approche de l'élection présidentielle américaine de novembre, au cours de laquelle Donald Trump tentera activement de se rapprocher du premier ministre israélien.
L'accent mis sur la politique israélienne - plutôt que sur la complicité des États-Unis dans le massacre de Nuseirat - constituera sans aucun doute une distraction bienvenue, alors que le secrétaire d'État américain Antony Blinken effectue une tournée dans la région. Il souhaitera une fois de plus être vu en train de rallier le soutien à un plan de cessez-le-feu censé permettre la libération des prisonniers israéliens - un plan que Netanyahou sera déterminé, une fois de plus, à contrecarrer.
Les efforts de Blinken risquent d'être encore plus désespérés dans le sillage immédiat de l'implication trop manifeste de l'administration Biden dans l'assassinat de centaines de Palestiniens.
La prétention de Washington à être un "honnête intermédiaire" semble à tout le monde - en dehors de la classe politique et médiatique occidentale toujours obéissante - encore plus dérisoire qu'à l'accoutumée.
La vraie question est de savoir si les échecs diplomatiques en série de Blinken pour mettre fin au massacre de Gaza sont un bug ou une caractéristique.
La contradiction flagrante de la position de Washington à l'égard de Gaza a été mise en évidence la semaine dernière lors d'une conférence de presse du porte-parole du département d'État, Matthew Miller.
Il a laissé entendre que l'objectif d'Israël et des États-Unis était de persuader le Hamas de se dissoudre - vraisemblablement par une forme de reddition - en échange d'un cessez-le-feu. Le groupe avait intérêt à agir de la sorte, a déclaré Miller, "parce qu'il ne veut pas que le conflit se poursuive, que le peuple palestinien continue de mourir. Ils ne veulent pas de guerre à Gaza".
Même la presse occidentale, habituellement complaisante, a été déconcertée par ses propos laissant entendre qu'un crime contre l'humanité - le massacre de Palestiniens, tel qu'il s'est produit au camp de Nuseirat samedi - était considéré par Washington comme un moyen de pression à exercer sur le Hamas.
Mais il est plus probable que cette apparente contradiction soit simplement symptomatique de l'enchevêtrement logique résultant des efforts de Washington pour détourner l'attention du véritable objectif : gagner du temps pour permettre à Israël de faire ce qu'il a déjà si bien commencé à mettre en œuvre.
Israël doit finir de pulvériser Gaza, la rendant définitivement inhabitable, afin que la population soit confrontée à un dilemme brutal : rester et mourir, ou partir par tous les moyens possibles.
Le même "quai humanitaire" américain mis en service pour le massacre de samedi pourrait bientôt être le "quai humanitaire" qui servira de sortie pour le nettoyage ethnique des Palestiniens de Gaza, qui seront expédiés hors de la zone de mort créée par Israël.
📰 Lien de l'article original :
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3- ➤ L'insta-génocide israélien (Le génocide israélien sur Instagram)
A- Première partie : L'arme de l'humiliation envers les Palestiniens de Gaza
Par Younis Tirawi & Eran Maoz, le 10 juin 2024, Zeteo
Younis Tirawi est un journaliste palestinien couvrant la politique et la sécurité dans les Territoires palestiniens occupés, partageant principalement des mises à jour sur Twitter X.
Eran Maoz est un activiste vivant en Cisjordanie occupée.
Bébés, mariées et chars d'assaut. En parcourant la page Facebook du photographe David Stein, on découvre de magnifiques photos de mariages et d'événements prises il y a peu. Mais au cours des huit derniers mois, ce qui était une ligne de temps remplie de portraits de bonheur est devenu une ligne parsemée d'images de guerre, car David Stein a tourné son objectif vers son déploiement à Gaza.
Certaines des photos de guerre de Stein ne sont pas vraiment mémorables : des soldats marchant, se tenant debout, posant avec leurs armes. Mais une photo sort du lot. Non seulement pour ce qu'elle montre, mais aussi parce que Stein a choisi de la prendre et de la télécharger sur les réseaux sociaux. "Nous nous contenterons de cette photo ; il y a des photos qui ne sont pas destinées à être publiées", écrit-il en hébreu dans la légende.
On y voit un groupe de Palestiniens détenus, dont au moins un homme âgé et deux enfants, déshabillés jusqu'à leurs sous-vêtements. Les jeunes garçons et les hommes, dont la plupart semblent avoir les yeux bandés, sont alignés. Beaucoup ont les bras tendus pour toucher les épaules de la personne qui se tient devant eux. On ne sait pas très bien où ils sont emmenés, quels sont leurs noms, s'ils sont toujours en vie aujourd'hui. C'est une image qui en dit long et rien à la fois.
Depuis le début de la guerre, nous avons découvert des centaines de photos et de messages postés par des soldats israéliens à Gaza. Celles qui montrent des Palestiniens ressemblent souvent à celle de Stein : humiliantes, irrespectueuses et dégradantes. Mais d'autres mettent en scène les soldats israéliens eux-mêmes, se relaxant dans les maisons des Palestiniens, jouant avec des jouets d'enfants palestiniens et de la lingerie féminine, mangeant la nourriture que les Palestiniens ont laissée derrière eux alors qu'ils fuyaient pour sauver leur vie.
Certains clichés que nous avons découverts étaient cachés derrière des comptes privés, mais beaucoup d'autres étaient publics, soulignant le comportement éhonté, acceptable, voire encouragé, qui s'est emparé de l'armée et de la société israéliennes. Les messages sur les réseaux sociaux que nous avons documentés n'offrent pas un aperçu de la guerre ; ils offrent une image bien plus complète. Un tableau qui lève le voile sur ce que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré à nouveau vendredi "l'armée la plus morale du monde" et qui révèle la réalité : la déshumanisation des Palestiniens est inscrite dans l'ADN de l'armée israélienne.
Dans cette enquête exclusive en deux parties pour Zeteo, nous nous concentrons sur plus de deux douzaines de messages postés par des soldats israéliens, trouvés principalement grâce à des informations de sources accessibles. De nombreux comptes étaient et restent publics, mais nous avons également consulté et découvert des messages provenant de comptes privés. Certains ont été rendus privés ou semblent avoir été désactivés après que nous (un journaliste palestinien et un activiste basé en Cisjordanie occupée) les ayons contactés ou que l'armée israélienne ait demandé des commentaires. La majorité des cas cités dans la première partie de cette enquête sont rapportés ici pour la première fois.
Dans la plupart des cas, nous avons vérifié les comptes grâce à de multiples images ou vidéos postées directement sur les comptes des soldats israéliens. Nous avons confirmé le grade et la brigade ou le bataillon par l'insigne sur l'uniforme du soldat ou par d'autres sources. Sauf indication contraire, les soldats qui ont partagé les messages n'ont pas répondu à nos demandes de commentaires.
"Heureux de ces scènes"
Pour de nombreux soldats israéliens, il semble que le fait de poster des images de Palestiniens détenus leur permette de partager leur expérience avec leurs amis, voire de s'en vanter. Ils ne semblent pas se soucier de l'humiliation subie par les Palestiniens, ni de l'impact que ces photos pourraient avoir sur la réputation d'Israël dans le monde.
Pour Stein, l'image des détenus semble valoir la peine d'être partagée pour "transmettre un peu de l'histoire" de son temps à la guerre, comme l'indique une partie de la légende de son album en hébreu.
Stein est l'un des rares soldats israéliens que nous avons contactés à avoir accepté de nous parler. Lors d'un entretien téléphonique en mai, il a reconnu que son déploiement à Gaza "n'était pas facile - de voir un être humain dans cette situation", mais en même temps, il a admis qu'il ne se souciait pas de la présence d'enfants et d'hommes âgés parmi les détenus.
"Ce qui m'importait, c'était notre mission de garde. Je n'ai pas participé à leur arrestation. Je ne sais rien. On nous a dit que ces hommes étaient des Nukhba", a-t-il déclaré à Zeteo, en référence à une unité d'élite au sein de l'aile militaire du Hamas qui serait en grande partie à l'origine de l'attaque du 7 octobre. Nukhba est le mot arabe pour "élite".
Selon Stein, certains détenus ont été placés face au mur. "Ils ne pouvaient pas parler, ils ne pouvaient rien faire", a-t-il dit.
"Notre mission était de veiller à ce que tout se passe dans le calme. C'était notre principale préoccupation. Parfois, nous devions faire taire les détenus parce que nous ne voulions pas qu'ils communiquent entre eux... Nous devions veiller à ce que le silence règne, et nous devions parfois intervenir pour qu'ils se taisent", a-t-il ajouté, sans préciser en quoi consistait une telle intervention.
Interrogé sur une autre photo qu'il a partagée et qui montre la destruction du quartier de Shuja'iyya, dans la ville de Gaza, Stein dit qu'il n'a pas été choqué par ce qu'il a vu.
"Je ne sais pas si le mot "choquant" est approprié. Nous étions plutôt satisfaits de ces scènes".
Stein n'est pas le seul à avoir posté des photos de Palestiniens détenus. Un compte Instagram avec le nom d'utilisateur @itamar_meiri13, prétendant être le soldat israélien Itamar Meiri de la brigade Givati, a téléchargé une image semblant montrer trois Palestiniens en sous-vêtements levant les bras. La légende dit en hébreu : "Mahomet est mort" - une phrase souvent utilisée dans la rhétorique anti-musulmane.
Un autre compte Instagram avec le nom d'utilisateur @liad_ohayon.6, prétendant être Liad Ohayon également de la brigade Givati, a partagé une photo en avril paraissant montrer un groupe de Palestiniens dans des positions avilissantes.
Un compte Instagram avec le nom d'utilisateur @gol.d_films, prétendant être celui du soldat Ofek Pazz, a publié des photos montrant des dizaines de Palestiniens à l'hôpital indonésien près du camp de réfugiés de Jabalia, déshabillés jusqu'aux sous-vêtements et les bras attachés dans le dos. L'hôpital, qui servait de refuge aux Palestiniens espérant échapper au piège mortel qu'est devenu le camp de réfugiés, a été partiellement détruit et pris d'assaut par l'armée israélienne à la fin de l'année dernière.
Pazz n'essaie même pas de cacher le fait que les personnes photographiées sont des civils.
"Ici, nous commençons à avoir affaire à des civils", écrit-il en hébreu dans la légende. À propos de ces images, Pazz ajoute qu'elles sont, à son avis, "follement difficiles dans ce qu'elles représentent... Je ne sais pas du tout si je me sens bien avec ou pas. À vous de juger".
Les images que nous avons trouvées reflètent une tendance plus générale à la déshumanisation des Palestiniens - par les soldats israéliens, les médias occidentaux et l'ensemble de la société israélienne. Les apologistes de la conduite d'Israël affirment que le fait de déshabiller les Palestiniens, comme dans les images ci-dessus, répond à des impératifs de sécurité. Ce prétexte semble également être utilisé pour justifier le fait de les menotter, de leur couvrir les yeux et de les maintenir dans des positions humiliantes. Mais on ne voit pas bien en quoi le fait de publier ces photos sur les réseaux sociaux sert des objectifs de sécurité. Selon nous, il semble que les soldats se sentent encouragés à publier de telles photos pour les likes. "Roi", "Grand Frère" et "Professionnel", peut-on lire dans les commentaires des posts que nous avons découverts.
Une politique qui n'en a que le nom
La politique de l'armée israélienne interdit tout "comportement inapproprié" des soldats sur les réseaux sociaux qui "s'écarte des valeurs des FDI ou porte atteinte à la dignité humaine", qui "affecte l'image des FDI et la perception du public", ou qui nuit à la sécurité nationale. "Un tel comportement peut donner lieu à des mesures disciplinaires ou pénales", ajoute la politique, traduite de l'hébreu.
Le général de division Yifat Tomer-Yerushalmi, avocat en chef de l'armée israélienne, a adressé un avertissement aux commandants en février, soulignant les cas de comportements qui s'écartaient des valeurs et du protocole de Tsahal et qui avaient été commis par des troupes dans la bande de Gaza. Tomer-Yerushalmi a déclaré que les cas comprenaient "des déclarations inappropriées encourageant des phénomènes inacceptables ; un usage injustifié de la force, y compris contre des détenus ; le pillage, qui comprend l'utilisation ou l'enlèvement de biens privés à des fins non opérationnelles ; ainsi que la destruction de biens civils en contradiction avec les protocoles".
Mais en surveillant les comptes des soldats israéliens sur les réseaux sociaux au fur et à mesure qu'ils pénètrent dans la bande de Gaza, il apparaît clairement que cette politique n'a de politique que le nom.
Dans un message que nous avons découvert, un soldat israélien tape du pied, semblant faire semblant de fumer la chicha dans la maison d'un Palestinien. Dans un autre, un soldat pose en souriant à côté d'un mannequin. Sur un cliché, des soldats semblent manger dans des pots de Nutella. La famille dont le Nutella provient vraisemblablement, si elle est encore en vie, fait probablement partie de celles qui connaissent la famine alors qu'Israël continue d'empêcher l'aide d'entrer dans la bande de Gaza. Sur d'autres images, des soldats s'amusent avec des jouets et portent des vêtements de femmes palestiniennes. Ces incidents ne se limitent pas à un bataillon spécifique, mais concernent plusieurs unités engagées dans des offensives militaires à Gaza.
S'emparer de maisons appartenant à des civils pour des besoins militaires n'est pas un phénomène rare dans l'histoire de l'armée. Mais, comme le montrent les fils d'actualité des soldats israéliens sur les réseaux sociaux, ils utilisent les foyers et tout ce qu'ils contiennent à des fins allant bien au-delà de la "nécessité militaire".
Gil Rivlin, de la brigade de Givati, a publié sur son compte Instagram une photo de lui tenant un string rouge trouvé dans une maison palestinienne. "Il n'y avait pas de message de menace ici, seulement l'ironie de l'endroit où ils placent leurs armes et la façon dont c'est devenu la norme pour eux, parallèlement au reste de leur vie", a-t-il affirmé dans un message à Zeteo en mai. Pourtant, la publication d'une telle photo sur les réseaux sociaux ne répond à aucune nécessité opérationnelle et n'a aucune raison d'être. Le porte-parole du Bureau des droits de l'homme de l'ONU a précédemment décrit de telles publications comme "dégradantes pour les femmes palestiniennes comme pour toutes les femmes". Le compte Instagram de Rivlin semble avoir été désactivé peu de temps après que nous ayons contacté l'armée israélienne pour obtenir un commentaire.
Un porte-parole de l'armée israélienne a déclaré à Zeteo que "toutes les vidéos, images et publications sur les réseaux sociaux" que nous avons signalées "sont incompatibles avec les valeurs de l'armée israélienne et ne reflètent pas sa politique".
Le porte-parole a noté que "dans un certain nombre de cas examinés, il semble que l'expression ou le comportement des soldats dans les séquences soit inapproprié, et qu'ils ont été traités en conséquence". Mais le porte-parole a ajouté que "l'acte documenté, qui accompagne la déclaration, a été exécuté à des fins militaires et conformément aux ordres (par exemple, dans le cas de la destruction d'infrastructures ennemies)".
Selon le porte-parole, "les autorités compétentes connaissaient plusieurs des incidents énumérés dans la requête, qui ont été examinés et traités au niveau disciplinaire et au niveau du commandement avant que la requête ne soit soumise". L'armée israélienne n'a pas précisé en quoi consistaient précisément les mesures disciplinaires. "Les cas qui n'étaient pas connus auparavant ont été transférés pour un examen et un traitement plus approfondis", a indiqué le porte-parole.
Le comportement et les messages des soldats pendant la guerre contre Gaza peuvent refléter un comportement "inapproprié" et indiscipliné ainsi qu'un manque de valeurs morales, mais à notre avis, il y a un aspect plus prononcé dans ces messages : Ils véhiculent un message d'appropriation, de mépris total des Palestiniens dont ils photographient la maison, la nourriture, les vêtements et les jouets. Les soldats font preuve d'aisance et de nonchalance, assis sur une chaise ou debout, tenant fièrement leurs affaires comme s'ils étaient chez eux. Ce qui est absent de ces photos, ce sont les anciens occupants des maisons, ayant probablement fui pour sauver leur vie dans un paysage d'enfer. Les posts de soldats envoient le message que cette terre, cette maison, est la leur. Il semble que pour eux, les Palestiniens qui y vivaient ont déjà été effacés.
Appels à la réinstallation
Il ne s'agit pas seulement d'un message implicite. Nous avons découvert plus d'une douzaine de messages contenant des vidéos et des photos montrant des drapeaux orange, symbolisant le mouvement Gush Katif qui appelle à la réinstallation à Gaza. Le Gush Katif était un ensemble de plus d'une douzaine de colonies israéliennes situées dans le sud de Gaza jusqu'au désengagement d'Israël en 2005.
En décembre, le major Benyaho Hochman a publié sur son compte Facebook une vidéo dans laquelle il plaide avec passion en faveur de la création de colonies sur les ruines de maisons palestiniennes. "On m'a demandé si le rêve sioniste était terminé", déclare-t-il dans la vidéo en hébreu. "Netzarim sera reconstruite et rétablie", ajoute-t-il en faisant référence à l'une des colonies israéliennes implantées à l'intérieur de la bande de Gaza avant le désengagement. La vidéo est légendée : "Sur le sable de Netzarim. Nous sommes revenus à la maison..."
Le 21 décembre, un compte Instagram avec le nom d'utilisateur @afikhajaj1, prétendant être le soldat Afik Hajaj de la brigade Givati, a partagé une vidéo montrant des soldats au cœur de la ville de Gaza. "C'est la ville de Gaza... dans le futur, Nova Beach", dit l'un des soldats en anglais, en utilisant le mot Nova, qui décrit le festival de musique où des dizaines d'Israéliens ont été tués lors des attaques du Hamas. "Non, Hajaj Beach", dit un autre soldat.
Depuis le désengagement d'Israël de la bande de Gaza en 2005, l'appel à la réinstallation de Gaza est resté une idée marginale. Mais cette frange s'est rapprochée du courant dominant à mesure que le gouvernement israélien s'est rapproché de l'extrême droite. Les ministres ultranationalistes Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, connus pour leur rhétorique xénophobe et raciste, ont poussé à l'implantation de nouvelles colonies dans les territoires occupés. Le mois dernier, le ministre de la sécurité nationale Ben Gvir a déclaré qu'il serait "très heureux" de vivre à Gaza après la fin de la guerre.
Pourtant, une partie non négligeable de la société israélienne s'oppose à la colonisation de Gaza. Selon un récent sondage, moins d'un quart des Israéliens juifs pensent qu'Israël devrait rétablir les colonies dans l'enclave. Les opposants tirent les leçons du passé, lorsque des milliers de colons ont résidé illégalement à Gaza pendant des décennies. Cette entreprise a toutefois pris fin en 2005, après que l'armée israélienne et les colons eurent subi des pertes considérables en raison de la résistance palestinienne et de l'escalade des dépenses de défense et de sécurité.
L'opposition provient également de l'animosité entre de nombreux Israéliens libéraux et les colons résidant en Cisjordanie occupée qui cherchent désormais à s'installer également à Gaza. Selon une grande partie de l'opinion publique israélienne, ces derniers exigent une part disproportionnée du budget de l'État, font peser sur l'armée israélienne le fardeau de la protection de leurs colonies et nuisent à la réputation internationale d'Israël.
En d'autres termes, le discours entre la droite et la gauche israéliennes concernant les colonies à Gaza se concentre entièrement sur les avantages et les inconvénients pour les Israéliens - l'armée israélienne, l'économie israélienne, l'image d'Israël dans le monde et la sécurité des Israéliens. Ces arguments ne tiennent absolument pas compte du fait que Gaza abrite plus de deux millions de Palestiniens et qu'il s'agit d'une terre palestinienne. Toute réinstallation de Gaza par Israël mettrait probablement encore plus en péril la sécurité, la liberté de mouvement et l'économie des Palestiniens de la bande. En termes de discours, Gaza fait déjà l'objet d'un nettoyage ethnique. Cela explique pourquoi, en Israël, préconiser la construction de colonies à Gaza semble être plus controversé que de préconiser un génocide contre les habitants de Gaza. L'Israélien moyen, considéré comme modéré sur le plan politique, est indifférent aux dizaines de milliers de victimes, à la famine et à la destruction, mais s'oppose à la construction de nouvelles colonies. Cela ne signifie pas nécessairement que de telles colonies ne finiront pas par être établies. Au moins une douzaine de ministres du gouvernement, dont trois du Likoud, le parti de Netanyahou, auraient participé à une conférence appelant à la réinstallation de l'enclave. Pour sa part, Netanyahou a affirmé qu'il n'était pas intéressé par la réinstallation dans la Bande de Gaza.
Résister à la désensibilisation
Les messages que nous avons découverts donnent une image de destruction, de déshumanisation et de détachement. Pour chaque hôpital bombardé, chaque université et école maternelle détruites, chaque personne ensevelie sous les décombres et chaque personne privée de nourriture et d'eau potable, les Palestiniens sont censés taire leur indignation parce qu'Israël prétend que tout cela est fait pour des raisons de sécurité. Mais alors, pourquoi les soldats qui prétendent se concentrer sur la neutralisation des "menaces" sont-ils détournés de leur objectif en documentant des aspects apparemment non menaçants de leur déploiement - les Palestiniens dans des positions dégradantes, leurs camarades soldats revêtant de la lingerie féminine, la nourriture, les vêtements et les jouets laissés derrière eux ? L'importance accordée à ces moments, l'envie de les capturer et de les partager avec des amis, semblent illustrer un appétit de domination et la conviction que les Palestiniens sont moins que des êtres humains. Le prétexte de la sécurité est un mirage qu'Israël jette non seulement sur les Palestiniens enlevés à Gaza, mais aussi sur toutes ses actions dans la bande.
Après avoir visionné des centaines de photos et de vidéos, entendu les rires et les cris de joie des soldats, traduit les remarques méprisantes et désobligeantes à l'égard des Palestiniens, de leurs maisons et de leurs biens, et fait défiler sans fin les commentaires de soutien que les soldats reçoivent de leurs amis et de leurs camarades, il est de plus en plus difficile de résister à désensibilisation. Nous avons partagé les documents collectés et leurs traductions entre nous, et après plusieurs échanges de ce type, ils n'ont plus suscité la réaction émotionnelle qu'ils avaient au départ. La réaction mécanique censée nous rappeler que nous sommes témoins de quelque chose d'extraordinairement anormal s'est estompée.
Ne pas devenir insensible est une tâche permanente, en particulier pour ceux qui se sentent concernés. C'est pourquoi nous continuons à regarder de plus en plus de contenus provenant de Gaza avec l'intention de nous rappeler que chaque Palestinien blessé ou tué est un fils, une sœur, un mari ou une mère ; que chaque bâtiment bombardé était une maison, un bureau, une clinique, une école, une université ; et que chaque appel à la poursuite de l'"anéantissement" de Gaza sur les réseaux sociaux des soldats ou par le public est un appel à l'élimination de toute possibilité de vie familiale, de communauté et de nation - pour effacer les souvenirs accumulés et éteindre tous les futurs potentiels.
Note de la rédaction : Nous avons flouté les visages des détenus palestiniens dans les messages.
Dans la seconde partie de cette série intitulée "Que Gaza brûle" : Le flot de rhétorique génocidaire des soldats israéliens, nous approfondissons et analysons la rhétorique génocidaire que nous avons découverte dans les messages sur les réseaux sociaux des soldats israéliens déployés à Gaza.
Voir la traduction ci-dessous.
📰 Lien de l'article original :
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B- Deuxième partie : "Que Gaza brûle !" : Le flot de rhétorique génocidaire des soldats israéliens
Le génocide israélien sur Instagram, deuxième partie de l'enquête pour Zeteo
Par Younis Tirawi & Eran Maoz, le 13 juin 2024, Zeteo
Le haut commandant militaire israélien Gur Rosenblat est explicite : Toute la bande de Gaza, "et pas seulement l'organisation du Hamas", doit être éliminée et ses deux millions d'habitants chassés. La bande de Gaza, écrit-il sur les réseaux sociaux, doit "cesser d'exister".
Bien que Rosenblat, chef de la brigade d'infanterie du nord d'Israël et directeur général adjoint du ministère de l'éducation, précise qu'il ne s'exprime pas en sa qualité officielle dans un message publié le 13 octobre sur Facebook, il n'essaie aucunement de dissimuler ses appels au génocide. "Les personnes qui sont des animaux humains et ceux qui les soutiennent doivent payer le prix fort - si ce n'est de leur vie, ce sera de l'expulsion", écrit-il.
Trois jours plus tard, un compte Instagram avec le nom d'utilisateur @gvrrvznblt qui prétend être Rosenblat, a posté une photo avec la légende : "Pourquoi ne pas tuer dix, vingt mille Gazaouis par jour avec des bombardements pour chaque jour où ils ne rendent pas les personnes enlevées [otages israéliens]... Folie".
En appelant à une "victoire décisive" sur Facebook le 20 novembre, Rosenblat précise que "seul l'effacement complet et définitif" de la ville de Gaza, la plus peuplée de l'enclave palestinienne avant la guerre, et le "transfert de ses habitants vers la partie sud de la bande... peuvent apporter un certain changement", dit-il.
Ajoutant :
Une "sorte de deuxième ou troisième Nakba. Tout comme [le village palestinien de] Sheikh Munis, sur les ruines duquel Tel-Aviv a été établie [en 1948], et de nombreuses autres colonies arabes ont été effacées, la ville de Gaza doit l'être également."
Rosenblat n'est pas le seul. Depuis le 7 octobre, nous avons découvert des centaines de messages publiés sur les réseaux sociaux par des militaires israéliens, y compris des commandants, véhiculant une rhétorique déshumanisante, haineuse et souvent génocidaire. Ces messages viennent s'ajouter à un ensemble de preuves de plus en plus nombreuses indiquant ce que les groupes de défense des droits de l'homme et d'autres ont appelé un schéma systématique de crimes de guerre commis par les forces israéliennes dans la bande de Gaza. Ils mettent également à nu l'intention de la guerre menée par Israël contre Gaza. Il ne s'agit pas d'une "guerre défensive" visant à garantir un "minimum de dommages aux civils", comme Israël et ses alliés aiment à le prétendre. Les propres mots des soldats suggèrent que l'atteinte aux civils par la mort, la destruction et le déplacement est, en fait, un objectif.
Dans la première partie de notre enquête pour Zeteo, nous avons mis en lumière les photos déshumanisantes que les soldats ont partagées depuis Gaza. Dans cette seconde partie, nous documentons la rhétorique génocidaire devenue un thème trop commun parmi les soldats israéliens, y compris ceux qui sont déployés à Gaza. Sauf indication contraire, les soldats ayant partagé les photos n'ont pas répondu à nos demandes de commentaires.
Un plan pour les réduire en poussière
Le 8 octobre, une page Facebook se réclamant du colonel (réserviste) Elad Schvartz a publié une vidéo contenant un message à l'intention des dirigeants israéliens :
"Si, dans les quatre heures, tous les otages ne sont pas libérés, commencez à brûler Gaza", déclare l'officier supérieur de la 91e division, vêtu de son uniforme militaire. "Quartier après quartier".
À une quarantaine de kilomètres de là, des soldats appartenant apparemment au 5060ème bataillon de réserve, qui opère dans la ville d'Hébron en Cisjordanie occupée, ont lancé leur propre appel, plus large, à brûler les villes palestiniennes dans l'ensemble des territoires occupés : "Que votre village brûle, que votre village brûle", scandent plusieurs militaires dans une vidéo postée sur Instagram par un soldat israélien.
Ces exigences, appelant à la destruction générale d'un peuple et de sa terre, n'étaient pas une simple rhétorique. Comme le monde a pu le constater au cours des huit derniers mois, elles ont servi de plan de destruction, documenté non seulement par les Palestiniens de Gaza, mais aussi par les soldats israéliens sur le terrain dans la bande de Gaza, apparemment impatients de se vanter auprès de leurs partisans de ce qu'ils prévoyaient de faire - et du moment où ils le feraient.
Cela a été particulièrement vrai lors des combats qui se sont déroulés dans le quartier très peuplé de Shuja'iyya, près de la ville de Gaza, où de nombreux Palestiniens avaient trouvé refuge au début de la guerre. Lorsque l'armée israélienne a pénétré dans la zone en décembre, la coupure des communications ont empêché de savoir exactement ce qui se passait. La bataille s'est avérée féroce.
Au moins deux comptes Instagram, déclarant être des soldats de la brigade de Givati, ont partagé ce qui semble être des images de drone montrant des bâtiments du quartier en flammes. Sur la vidéo, on entend une voix non identifiée, vraisemblablement celle d'un soldat, dire qu'ils partent pour "l'opération huitième nuit de Hannouka" afin d'incendier Shuja'iyya. La voix ajoute : "Que nos ennemis apprennent et soient dissuadés... Nous les réduirons en poussière".
Mohammed Abo Al-Kombz, originaire de Shuja'iyya, a déclaré à Zeteo que des parties entières du quartier et des zones voisines avaient été incendiées d'une manière semblant correspondre à ce que montre la vidéo.
L'armée israélienne n'a pas répondu à nos questions spécifiques à propos de ces images, ni à celles concernant une opération spécifique comme celle mentionnée dans la vidéo. Mais le fait que la vidéo ait été téléchargée sur les réseaux sociaux par des soldats israéliens semble illustrer le message qu'ils voulaient faire passer : "anéantir" les Palestiniens "jusqu'à les réduire en poussière".
Le 19 décembre, le capitaine Roi Azran a publié sur Facebook une vidéo de Shuja'iyya, qui semble montrer la destruction du quartier. "Voici Gaza, la fille d'une prostituée. Tout Shuja'iyya va s'enflammer", dit quelqu'un dans la vidéo.
En janvier, un compte Instagram au nom d'utilisateur alon_dayann, se présentant comme le soldat israélien Alon Dayan, a publié une vidéo utilisant un langage similaire. "Bonjour, fils de putes", dit un soldat dans la vidéo avant de tirer sur ce qui semble être des maisons civiles. La légende de la vidéo dit en hébreu : "Que Gaza brûle et tous ses habitants avec".
Dans un message publié sur Facebook en décembre, Sharon Ohana, du Corps des ingénieurs de combat de l'armée israélienne, semble préfigurer les événements à venir. Le "destin" de Shuja'iyya, Khan Younis et Rafah "doit être le même que celui du nord de la bande de Gaza au début de la guerre : de la terre, du feu et des restes de béton", écrit Ohana en décembre. "Nous devons aplatir toute la bande de Gaza !
Le message d'Ohana n'est-il pas une mauvaise plaisanterie ? Ohana indique clairement que ce n'est pas le cas. "Ensemble, nous allons tout aplatir n'est pas une plaisanterie, mais une déclaration sans équivoque écrite dans le sang par les meilleurs officiers des Forces de défense israéliennes (FDI) soucieux de la sécurité... ce n'est pas pour rien...".
Alors que la bataille faisait rage à Shuja'iyya, d'autres unités israéliennes envahissaient la ville de Khan Younis, dans le sud de Gaza. Le soldat israélien Peleg Harush a publié une vidéo sur Instagram le 5 décembre, montrant des volutes de fumée provenant de ce qui semble être des maisons appartenant à des Palestiniens. "Ah... Gaza brûle. Puissiez-vous brûler vifs, fils de putes", dit une voix en hébreu dans la vidéo.
Dans un autre message posté en janvier sur le même compte, un soldat semblant être Harush envoie un message aux habitants de Gaza en hébreu :
"Tout est en ruines, détruit, brûlé, fracassé. Vous n'avez nulle part où retourner, habitants de Gaza. À tous les chers habitants de Gaza, vous n'êtes pas chers. Vous êtes bon marché....Nous allons vous faire vivre un calvaire... Vous allez souffrir à chaque seconde pour ce que vous nous avez fait.... Vous allez mourir."
Culture de l'impunité
Pour un pays qui qualifie son armée de "plus morale du monde", on pourrait penser que de tels messages entraîneraient des mesures disciplinaires sévères afin de protéger son image dans le monde. Mais comme le montre notre enquête, l'armée israélienne, du moins publiquement, n'a pris que de rares mesures pour empêcher ses soldats de partager de tels contenus.
Ce que nous avons découvert, c'est une culture de l'impunité.
Sauf indication contraire, l'armée israélienne n'a pas répondu aux questions de Zeteo concernant des soldats ou des messages spécifiques. Mais un porte-parole de l'armée israélienne a déclaré à Zeteo que "toutes les vidéos, images et publications sur les réseaux sociaux" que nous avons signalées "sont incompatibles avec les valeurs de l'armée israélienne et ne reflètent pas sa politique".
Dans "un certain nombre de cas examinés, il apparaît que l'expression ou le comportement des soldats dans les séquences est inapproprié et qu'ils ont été traités en conséquence", a déclaré le porte-parole, notant toutefois que "l'acte documenté, par lequel la déclaration est accompagnée, a été effectué à des fins militaires et conformément aux ordres", comme dans le cas de la destruction de "l'infrastructure ennemie".
"Les autorités compétentes étaient au courant de plusieurs des incidents énumérés dans la requête, lesquels ont été examinés et traités au niveau disciplinaire et au niveau du commandement avant la soumission de la requête", a déclaré le porte-parole. L'armée israélienne n'a pas précisé en quoi consistaient les mesures disciplinaires.
Ajoutant :
"Les cas qui n'étaient pas connus auparavant ont été transférés pour un examen et un traitement plus approfondis. Dans les cas où des soupçons d'infraction pénale justifient l'ouverture d'une enquête, celle-ci est ouverte par la police militaire."
Le porte-parole de l'armée israélienne, Daniel Hagari, a déclaré à ABC News au début de l'année que l'armée israélienne était "une armée du peuple. Et nous suivons les principes, les valeurs et le droit international".
Plusieurs des messages découverts dans le cadre de notre enquête restent en ligne, même s'il est évident que la politique de l'armée en matière de réseaux sociaux n'a pas été respectée.
Dans le cas de Harush, qui a dit dans un message "Que vous brûliez vifs, fils de putes", l'armée israélienne nous a dit en février que le comportement du soldat était inapproprié et qu'il avait été traité en conséquence, sans donner plus de détails. Pourtant, dans un message datant de la mi-avril, il a écrit "Gaza we back" (Gaza, nous revoilà), sans avoir supprimé ses autres messages.
À bien des égards, ces messages sont le reflet d'une grande partie de la société israélienne après le 7 octobre. Une "fièvre génocidaire" s'est emparée des ondes, de l'industrie du divertissement, des épiceries et des quartiers du pays, a écrit en mai Diana Buttu, collaboratrice de Zeteo. Au début de l'année, la grande majorité des Israéliens juifs interrogés dans le cadre d'un sondage ont déclaré qu'ils pensaient que l'armée utilisait "une force adéquate ou insuffisante" à Gaza. De nombreux messages publiés sur les réseaux sociaux et relevés dans le cadre de cette enquête ont reçu des dizaines de commentaires de soutien et de mentions "j'aime".
Des messages génocidaires, malgré l'ordonnance de la CIJ
La décision de l'armée israélienne d'autoriser, même indirectement, l'existence de ces messages s'est déjà avérée lourde de conséquences. En janvier, la Cour internationale de Justice a ordonné au gouvernement israélien de prendre des mesures pour prévenir et punir toute "incitation directe et publique au génocide", qui est punissable en vertu de la Convention sur le génocide. L'Afrique du Sud, qui a porté l'affaire contre Israël devant la Cour internationale de justice, a cité plusieurs messages similaires publiés par des soldats israéliens, dont au moins un que nous avons révélé précédemment, comme preuve de l'incitation au génocide.
L'ordonnance spécifique de la CIJ relative à la prévention de l'"incitation au génocide", qui faisait partie d'un ensemble de mesures provisoires émises par la Cour, était l'une des deux ayant reçu le soutien du juge israélien de l'époque, Aharon Barak. Pourtant, malgré l'ordonnance du tribunal, de nouveaux messages contenant des propos génocidaires continuent d'apparaître.
En avril, un compte Instagram se réclamant de Yehuda Ben Moha, cofondateur du bataillon Eyal, a partagé une vidéo montrant ce qu'il dit être des camions transportant de la farine, avec la légende : "J'aurais mis du poison pour les "non impliqués". Même les chauffeurs de camion égyptiens ne les supportent pas". Ben Moha a refusé de commenter le message, et le compte a cessé d'être public après que nous l'ayons contacté pour obtenir un commentaire.
Le 17 avril, un compte Facebook se réclamant du lieutenant-colonel Maoz Schwartz, du bataillon 7007, a publié une photo montrant des Palestiniens déplacés de force en train de se baigner dans la mer. "Ils sont à la plage et nos otages dépérissent en captivité ?? Ils [les Gazaouis] peuvent crever ! Pas de plage, pas de piscine, rien !", écrit-il. "Toute la bande de Gaza n'est qu'une vaste zone de terroristes, y compris les personnes se baignant à la plage sur la photo".
Le récit de l'armée s'effondre
Nos efforts d'investigation ont non seulement révélé les comportements troublants des soldats israéliens, mais ont également contribué à l'action en justice intentée par l'Afrique du Sud contre Israël devant la CIJ. Cependant, notre travail a également attiré l'attention des médias israéliens, qui ont dirigé leurs tirs non pas sur les soldats ayant eu un comportement barbare, mais sur nous pour les avoir exposés.
Déterrer ces documents a été une tâche ardue. Ce travail a non seulement attiré l'attention de la communauté internationale sur la situation, mais il a également suscité des discussions essentielles sur la responsabilité et la justice. Il met en évidence la nécessité d'un examen plus approfondi et plus complet des pratiques et politiques de facto au sein de l'armée israélienne. Au fur et à mesure que les preuves se multiplient, l'obligation de rendre des comptes devient de plus en plus urgente.
En fin de compte, les messages que nous avons dénichés révèlent un contraste frappant avec le récit soigneusement élaboré qu'Israël cherche à projeter. Bien que l'armée israélienne affirme à plusieurs reprises qu'elle prend des précautions pour minimiser les dommages causés aux civils, les témoignages des soldats et des officiers sur le terrain racontent une histoire bien différente, caractérisée par une destruction aveugle et une culture d'impunité omniprésente, qui, selon nous, a essentiellement fourni aux soldats une approbation tacite pour poursuivre leurs agissements sans craindre les conséquences. Les preuves recueillies jusqu'à présent ne représentent qu'une petite fraction de ce qui existe.
Mais l'"incitation au génocide" est désormais évidente aux yeux du monde entier.
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Témoignages
4- ➤ La nuit où Israël a tué ma famille
Dans la nuit du 2 mars, Israël a éliminé quatre générations de ma famille. J'ai survécu de justesse au massacre. Il m'incombe désormais de témoigner de leur histoire.
Par Reem A. Hamadaqa, le 13 juin 2024, Mondoweiss
Le 2 mars, Israël a anéanti quatre générations de ma famille en une seule nuit. Une frappe israélienne vers minuit a tué 14 personnes de ma famille. Israël a pris l'essence même de ma vie, mes êtres chers les plus précieux, et a fait de moi une "survivante".
"Partez au sud, ou nous ferons tomber cette école sur vos têtes", tel est l'avertissement que les soldats israéliens nous ont adressé et nous avons alors décidé de quitter notre maison dans le nord de la bande de Gaza. À ce moment-là, ma famille avait survécu à 40 longs jours de bombardements, accueillant souvent des dizaines de personnes déplacées dans notre maison. Après ce message, nous nous sommes vus contraints de fuir.
Une école de l'UNRWA située à proximité a été notre premier point de chute. Ce furent nos premiers pas dans le voyage en quête d'une notion floue appelée "sécurité". Nous sommes partis et avons marché pendant plus de six heures, sous le soleil. Nous avons fini par atteindre le sud et, malgré tout, ma famille a été tuée dans la zone "sûre" où l'occupation israélienne nous avait dit de nous rendre.
Tués à minuit
Nous avons survécu près de 100 jours dans la maison de mon oncle maternel à Khan Younès. Ce n'était pas un meilleur endroit pour se procurer de la nourriture ou de l'eau, mais il était censé être désigné comme "sûr". Sa maison était située dans le bloc 89, que l'occupation désignait comme un bloc "vert". C'est pourquoi nous y sommes restés et n'avons pas fui. Quoi qu'il en soit, nous étions déjà déplacés.
Une douzaine de femmes et d'enfants se trouvaient dans la maison lorsque, le 2 mars, les bombardements intenses ont commencé vers 22 h 30.
Environ une heure plus tard, je voyais pour la dernière fois mes parents, mes sœurs, mes cousins, ma grand-mère et, malheureusement, toute ma vie, même si je ne le savais pas à l'époque. J'ai lu le troisième chapitre d'un roman. J'ai bavardé avec mes parents. Nous avons appelé ma sœur, déplacée à Rafah dans une tente. J'ai taquiné ma plus jeune sœur. Je me suis endormie, fermant sans le savoir le dernier chapitre de ma vie.
Je me suis réveillée avec les bombardements massifs, ceux qui consistent essentiellement en une série d'explosions continues.
Terrifiée, je me suis réveillée en criant. Mon père et ma mère se tenaient près de la porte. Heba, ma sœur aînée, était à mes côtés. Nous avons tous hurlé. Tout ce que je voyais par la fenêtre devant la maison était en feu. Ces scènes faisaient écho à ce que nos cœurs ressentaient.
"Papa, n'ouvre pas la porte !", avons-nous crié. En quelques secondes, la maison nous est tombée sur la tête. J'ai senti les murs et le plafond s'effondrer, et la pièce m'a explosé au visage. J'ai vu le dos de Papa et de Maman, et j'ai senti Heba debout à côté de moi, en train de crier. J'ai vu Ola, qui dormait, apparemment indifférente à l'explosion.
Je me suis réveillé sous les décombres.
La lune était pleine. Il faisait si sombre qu'il devait être minuit, et il faisait si froid. L'hiver ne nous avait pas encore quittés. Je me suis retrouvée seule, prisonnière et incapable de bouger.
J'avais beau avoir lu des histoires sur la sensation d'être piégé sous les décombres, c'était loin d'être ce que j'avais imaginé. Je ne saurais dire combien de temps je suis restée inconsciente. Lorsque je me suis réveillée, j'ai cru que j'avais rêvé. Un cauchemar. J'avais tellement mal.
J'ai crié à pleins poumons, cherchant quelque chose en vain. J'ai dégagé les blocs de gravats recouvrant mes mains, ma poitrine et mon abdomen. Ils étaient lourds, mais ma respiration l'était encore plus. J'attendais l'inconnu.
J'ai entendu mon oncle crier, appeler ses fils, et j'ai entendu un homme s'éloigner des chars en courant, appelant mon oncle qui arrivait par derrière. J'étais incapable de dégager mes jambes des gravats qui les recouvraient. Au bout de près d'une heure, mon frère et mon cousin, qui vivaient dans la maison d'en face, m'ont trouvé. Miraculeusement, Ahmad m'a secourue. Il a soulevé les tonnes de pierres qui recouvraient mon corps.
Des chars, pas d'ambulances
Ahmad m'a soulevée et a couru, me portant sur son dos. Chacun de ses pas et de ses mouvements brisait mon âme de douleur. Il m'a emmenée dans sa maison, à quelques mètres de là, touchée elle aussi par les bombardements.
Partout, des éclats de verre et de meubles recouvraient la maison et coupaient quiconque y entrait. Ahmad m'y a déposée.
Les enfants et les femmes étaient assis dans l'obscurité, horrifiés, tandis que les obus tirés par les chars voisins nous encerclaient. Tous étaient sous le choc de voir que ces maisons avaient été prises pour cible, alors même que des débris de verre nous tombaient dessus. Mais pour moi, c'était clair. J'ai été extraite des décombres, le visage et les vêtements brûlés, couverte de sang et de poussière.
Quelques instants plus tard, ma sœur, qui vivait alors dans une maison voisine, est entrée en courant après qu'une attaque a détruit le bâtiment dans lequel elle se trouvait avec son mari et ses cinq enfants. La maison s'était effondrée sur leurs têtes. Cinq jeunes enfants vêtus de vêtements en lambeaux, apparemment brûlés, se tenaient là. Ils étaient tous vivants, sains et saufs. Elle les a sortis des décombres, miraculeusement indemnes.
Nous avons appelé une ambulance et le CICR, mais nos appels sont restés sans réponse. Bien que le quartier dans lequel nous nous trouvions, bombardé, ait été classé "vert", donc censé être sûr, la zone était désormais considérée comme "rouge" en raison de l'invasion, et les ambulances ne s'y aventuraient pas. Les chars et les bulldozers envahissaient. Les secours ont dit : "Il y a des dizaines de personnes dans votre cas. Il y a des dizaines de martyrs et de blessés. Nous ne pouvons pas venir".
Ajoutant : "La zone est dangereuse. Que Dieu vous vienne en aide".
Pris au piège
En l'espace d'une demi-heure, les chars et les bulldozers israéliens ont assiégé toute la zone. J'ai recouvert tout mon corps d'une couverture, sans quoi les éclats de verre laisseraient des cicatrices inoubliables sur mon visage.
Alors que nous entendions les tirs incessants de l'artillerie israélienne se rapprocher, les femmes et les enfants se sont cachés dans une pièce du fond. Il ne restait plus que moi, incapable de bouger, et mon oncle, vivant mais complètement et grièvement brûlé, gisant près du balcon.
Mon frère, ma sœur et mon cousin, impuissants, sont partis à la recherche d'autres survivants. Ils ont sorti trois de mes cousins, Hani, 24 ans, Shams, 16 ans, et Muhammad, 18 ans. Alors qu'ils les extrayaient, des obus les ont pris pour cible sans discontinuer. Hani et Shams étaient complètement brûlés et déchiquetés. Muhammad était en sang. Aucun d'entre eux n'a reçu de soins médicaux. Tous trois se sont vidés de leur sang jusqu'à ce que mort s'ensuive. Tous trois avaient des rêves et des objectifs. Tous trois ont été tués.
Lorsque les bombes sont tombées, les familles se sont cachées, chaque mère avec ses enfants. Les hommes sont partis à la recherche de ceux qui criaient à l'aide. On m'a de nouveau emmenée dans la pièce où tout le monde se trouvait. Quelques minutes plus tard, un char israélien a tiré un obus incendiaire sur la pièce à côté de nous. Le mur s'est effondré sur les enfants de ma sœur. Ils n'ont eu aucune chance. La pièce s'est embrasée en quelques secondes.
Les enfants étaient coincés sous les décombres. La porte et la fenêtre se sont refermées sous l'effet de la pression. Mon frère a tenté de briser la fenêtre. Il a jeté les enfants d'en haut alors que tout le monde dans la pièce suffoquait. Après tout, il valait mieux être brisé que carbonisé. Un autre tir d'obus israélien a suivi. La porte a été soufflée et est tombée dans ma direction. Toutes les mères ont crié pour leurs enfants. Tout le monde a couru.
J'ai vu Ahmad tenir Maryam, ma nièce de 8 ans, morte. Ses longs cheveux blonds pendaient, du sang recouvrait tout son petit visage, ses yeux, son nez, ses oreilles. Elle s'est vidée de son sang. Anas, un enfant de 3 ans, n'avait pas une goutte de sang. Nous pensions qu'il dormait. Son visage et ses mains étaient encore chauds. Il avait l'air d'un ange.
Ma sœur a tenu ses deux petits sans vie dans ses bras toute la nuit. Elle a essayé de vérifier leur respiration sans relâche. Elle a appelé l'ambulance en vain.
Elle leur a demandé de l'aide par téléphone. "Comment puis-je savoir s'ils sont encore en vie ou morts ?"
Avec les bombardements incessants, la famille s'est divisée. On n'entendait plus aucun bruit sous les décombres. Mes parents et mes sœurs n'ont pas émis le moindre son. Personne ne sait s'ils ont été tués par les ondes de choc, s'ils se sont vidés de leur sang ou s'ils ont suffoqué.
Nous nous sommes enfuis en quête d'un abri. Le bruit des chars et des bulldozers se rapprochait. Si nous n'avions pas fui, ils nous auraient traînés et massacrés en roulant sur nos corps. J'ai laissé ma famille derrière moi. Ahmad m'a porté sur son dos et je les ai laissés là, en train de crier.
Nous avons repéré les chars sur la route principale et nous nous sommes cachés dans une tente voisine. Nous avons attendu pendant 15 heures, jusqu'à ce que nous décidions de nous enfuir de la tente, quoi qu'il arrive. Je me suis évanouie plusieurs fois. J'ai attendu que ma famille soit secourue. J'ai attendu de savoir ce qu'il était advenu de mes cousins blessés. J'ai attendu de savoir ce qu'il était advenu de Maryam et d'Anas. "On a diagnostiqué un diabète chez ma mère", insistais-je. "Elle ne pourra pas s'en sortir si elle saigne".
Survivants
Le lendemain matin, vers 11 heures, mon cousin a réussi à obtenir une charrette à traction animale pour nous emmener, mon oncle, les martyrs et moi, à l'hôpital. La carriole était pleine. J'ai reconnu les quatre personnes que je cherchais. "C'est ma famille, mes parents et mes deux sœurs", me suis-je dit. Personne n'a dit un mot.
J'ai demandé à mon frère : "Ils sont tous morts ?". Il n'a pas répondu, mais ses yeux baignés de larmes l'ont fait. Ils m'ont laissé là, à côté des martyrs. J'ai vu les longs cheveux de Maryam se balancer, mais d'autres petits pieds sont apparus. "Pourquoi les pieds de Maryam sont-ils si petits ?", ai-je demandé. "C'est Anas".
J'ai demandé à voir mes cousins blessés. "Où est Shams ? Et les garçons ?" On m'a dit qu'ils s'étaient vidés de leur sang.
Nous avons parcouru deux longs kilomètres jusqu'à la rue al-Rashid, puis jusqu'à la mer. Nous avons attendu l'ambulance. Tout au long de la route, les gens pleuraient. Ils disaient : "J'ai survécu".
J'ai perdu 14 précieux membres de ma famille. J'ai perdu mes parents, Sahar, 51 ans, et Alaa', 59 ans. J'ai perdu mes sœurs, Heba, 29 ans, et Ola, 19 ans. J'ai perdu ma grand-mère, Shifa', 80 ans. J'ai perdu ma nièce et mon neveu, Maryam, 8 ans, et Anas, 3 ans. J'ai perdu mon oncle maternel et toute sa famille, Ahmad, 49 ans, Samaher, 43 ans, ses fils, Farid, 26 ans, Hani, 25 ans, Muhammad, 18 ans, et ses filles, Sundus, 21 ans, et Shams, 16 ans. Tous ont été privés de la possibilité de réaliser leurs rêves. Tous étaient des jeunes gens débordant de vie qu'Israël a massacrés.
Mes quatorze êtres chers n'ont pas eu le luxe d'être enterrés immédiatement. Ce n'est qu'au bout de deux semaines, et seulement après que les chars et les soldats ont quitté la région, que leur inhumation a été possible. Nous n'avons pas encore pu enterrer la femme de mon oncle, toujours coincée sous les décombres.
Je garde de nombreuses cicatrices, tant physiques que psychologiques, et j'ai une période de convalescence très difficile devant moi. Mais moi, Reem, malgré ces graves blessures, je survivrai très certainement.
Si ma famille doit mourir, je dois vivre. Pour témoigner de leur histoire.
Reem A. Hamadaqa est assistante d'enseignement à l'IUG, traductrice et écrivaine s'intéressant à l'écriture pour et sur la Palestine. Vous pouvez la suivre sur Twitter @reemhamadaqa.
📰 https://mondoweiss.net/2024/06/the-night-israel-killed-my-family/
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5- ➤ Je vais vous parler de notre vie sous la tente, et de celle des milliers de gens qui nous entourent
Rami Abou Jamous, Journal de bord de Gaza n°36, Orient XXI
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi, sous la pression de l’armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et le siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.
Dimanche 9 juin 2024.
Aujourd’hui, je vais vous parler de la tente. Comme vous le savez, nous sommes exilés pour la deuxième fois. Après être passés de Gaza-ville à Rafah, près de la frontière égyptienne, nous sommes maintenant à Deir El-Balah, plus au nord, mais toujours à l’intérieur de la partie sud de la bande de Gaza, selon les Israéliens qui l’ont coupée en deux.
Cette fois, nous nous sommes installés dans une tente. La tente, c’est le symbole des réfugiés palestiniens depuis 1948. Les gens qui ont été forcés de quitter les villes de Jaffa, d’Acre, de la Palestine historique en général, sont tous venus s’installer dans des tentes pour fuir les massacres et les boucheries de l’époque. Ils se sont réfugiés à l’extérieur, au Liban, en Jordanie, en Syrie ; ou à l’intérieur, en Cisjordanie et à Gaza. Ils s’étaient installés dans la rue, dans des terrains vagues, partout où il y avait de l’espace. Ils croyaient que ça n’allait pas durer, qu’après y avoir commis des massacres, les milices israéliennes allaient quitter les villes et les villages, et qu’eux, les Palestiniens, allaient rentrer un jour. Cela fait 76 ans qu’ils l’attendent.
"Vivre dans une tente, c'est une humiliation et une vie infernale"
Aujourd’hui, Nous sommes en train de vivre la même chose. Nous sommes partis de Rafah pour fuir les massacres et les boucheries. Nous sommes partis malgré nous. C’était un exode forcé. Et la majorité des déplacés se sont installés dans des tentes. En 1948, c’étaient les Nations unies qui avaient donné des tentes aux réfugiés. C’est à nouveau le cas aujourd’hui, avec aussi l’aide d’ONG.
Des amis en France me demandent ce que c’est de vivre sous une tente. Ce n’est pas seulement échanger une pièce en dur pour un habitat en toile. Non, vivre dans une tente, c’est une humiliation et une vie infernale. Cette vie, nous allons peut-être la supporter pendant des mois ou des années. Cette guerre dure depuis huit mois et on ne sait pas quand elle va se terminer.
J’avais préparé ma famille à ce changement de vie inéluctable et radical. Jusqu’ici, ils se sont bien adaptés. Mais je sens la fatigue monter chez les enfants. Ils vont et viennent avec moi pour chercher de l’eau, par exemple, et ils découvrent petit à petit que ce n’est pas du tout un plaisir de vivre dans ces tentes. Je ne sais pas quand ils vont se rendre compte que c’est vraiment une vie très dure et que j’avais inventé un amusement qui n’existe pas. Et qu’on ne sait pas quand cette situation humiliante prendra fin. C’est dur de faire le clown, de montrer qu’on est solide, de faire croire que tout va bien.
Une tente, c'est comme un sauna plein de mouches
Vivre dans une tente, ce n’est pas seulement avoir un lieu pour dormir et pour rester en vie pendant quelques semaines, quelques mois, quelques années en attendant de rentrer chez soi. C’est une vie très difficile. Je vais vous parler de cette vie, de la nôtre et de celle des milliers de gens qui nous entourent. En comparaison, la nôtre est une tente cinq étoiles, et nous sommes six. Mais parmi les 1,5 million de déplacés, beaucoup d’autres familles vivent à 12 sous la même tente, souvent un abri de fortune fabriqué avec des bâches. Notre tente mesure quatre mètres de long sur cinq de large et un mètre quatre-vingts au milieu, le seul endroit où on peut se tenir debout. C’est juste un lieu pour dormir. Il est entièrement occupé par les matelas.
Vivre sous la tente, c’est endurer une chaleur d’enfer pendant la journée, avec des mouches qui pénètrent toujours à l’intérieur, même si on a tout fermé, et qui n’arrêtent pas de vous agacer. Une tente, c’est comme un sauna plein de mouches. Et la nuit, c’est l’inverse : il fait froid, parce qu’on est sur un terrain vague où il n’y a que du sable, non loin de la mer. Il faut mettre deux ou trois couvertures. Vivre sous une tente, c’est se réveiller en ayant mal partout, parce qu’on dort sur un sol déformé qui n’est pas plat, même si on a tout fait pour l’aplatir.
Vivre sous une tente, c’est aussi dépendre de l’aide humanitaire, et ne manger que des boîtes de conserve. C’est aller chercher tous les jours un endroit pour charger nos téléphones et nos lampes rechargeables, pour avoir un peu de lumières la nuit.
Vivre sous une tente c’est faire la queue tous les jours, pour l’eau, pour la nourriture, etc. Il faut marcher des centaines de mètres, parfois des kilomètres, pour aller remplir des seaux de sept à dix litres. Encore faut-il posséder des seaux. Ils coûtent aujourd’hui entre 50 et 60 shekels, (entre 12 et 20 euros) le seau, alors qu’avant, il était à deux shekels (un euro). Et au retour, il faut avoir une citerne pour stocker l’eau.
Vivre sous une tente, c'est dormir avec les yeux à moitié ouvert
Pour faire la cuisine, il faut un four en argile, et trouver du bois. Et quand on n’a pas de bois, on utilise n’importe quoi. Beaucoup de gens brûlent des cartons ou du plastique. On respire presque toute la journée cette fumée de plastique. On fait la lessive dans les seaux, on porte les mêmes vêtements trois ou quatre jours pour économiser l’eau. Pour les toilettes, on creuse un trou.
Vivre sous la tente, c’est aussi surveiller en permanence les insectes, les serpents, les scorpions. Moi, la nuit, je ferme tout, je peux le faire parce que j’ai une tente "cinq étoiles", mais ceux qui vivent sous des bâches, directement sur le sable, courent un vrai danger, surtout la nuit. Récemment, sur notre terrain, nous avons trouvé un scorpion. Les voisins ont vu des serpents. Donc vivre sous une tente, c’est dormir avec les yeux à moitié ouvert, avec toujours la crainte que quelque chose se faufile à l’intérieur. Je crains surtout pour Walid, mon fils de deux ans et demi. Quand il a vu des fourmis, il en a eu peur. Je lui ai chanté une chanson qu’il connaît, qui parle de fourmis qui marchent deux par deux, et je lui ai fait toucher les fourmis pour lui montrer qu’elles n’étaient pas dangereuses : "Regarde maman, je touche les fourmis !". J’essaye de lui montrer que tout ce qui nous entoure, tout ce qu’il voit n’est pas forcément un danger, parce que je ne veux pas installer la peur dans son cœur. Mais évidemment, je crains que s’il tombe sur un scorpion ou un serpent, il le touche en croyant que rien ne peut lui faire de mal…
Vivre sous la tente, c’est n’avoir aucune intimité. Comme vous le savez, nous sommes installés sur un petit terrain entouré d’un mur, avec deux autres familles, dont celle de mon ami Hassoun. Trois tentes en tout. Mais ce terrain est encerclé par un camp de déplacés, qui s’entassent les uns sur les autres dans des abris de fortune. On entend un bruit continuel, celui des conversations de milliers de personnes. On entend tout ce qui se dit sous les tentes les plus proches. On doit rester habillés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je vous ai déjà décrit les changements apportés par la guerre à notre société conservatrice, comment il n’y a plus d’intimité pour les femmes, comment cette vie discrète où on évitait la mixité est en train de disparaître. Nous avons construit un petit coin cuisine adossé au mur d’enceinte, pour gagner un peu d’espace, économiser les bâches et le bois de construction. Juste derrière le mur, il y a des tentes, on entend les gens parler, on entend tous les secrets de leur vie privée.
"Entendre le bourdonnement des drones sept jour sur sept"
Vivre sous la tente, c’est aussi être la proie de maladies dermatologiques. Moaz, le fils aîné de mon épouse, a le dos tout rouge à cause d’une piqûre d’insecte et d’une allergie. À l’hôpital, ils considèrent que ce genre de chose ne fait pas partie de leurs priorités. Ils sont débordés par l’afflux de blessés graves par les bombardements israéliens. Nous sommes allés voir des médecins et des pharmaciens, mais pour le moment ils n’ont pas trouvé de solution.
Vivre sous la tente, c’est entendre les bombardements en permanence, c’est entendre le bourdonnement des drones sept jour sur sept. C’est sentir que nous n’avons plus de toit ni de murs qui pourrait au moins nous protéger des éclats d’obus, car ceux-ci peuvent déchirer le tissu et provoquer des dégâts énormes dans les camps de déplacés, comme on l’a vu à plusieurs reprises, à Deir El-Balah ou ailleurs.
Vivre dans une tente, c’est aussi une vie d’humiliation. J’ai toujours insisté sur ce mot. C’est cela que les Israéliens veulent : nous humilier. Ils le font depuis 1948. À l’époque, nos parents ont commencé à vivre sous les tentes, parfois des abris de fortune comme aujourd’hui. Petit à petit, ces camps de fortune se sont transformés. Il y a eu de vraies tentes, puis ceux qui avaient les moyens ont construit en dur dans les camps où ils se trouvaient. Ils ne les ont pas quittés parce que ces camps étaient pour eux le symbole du retour. C’était une façon de dire : je suis de Jaffa, d’Haïfa, d’Acre, j’appartiens à cette ville ou à ce village dont j’ai été chassé. Pour eux, le camp représentait l’endroit d’où ils venaient. Même s’ils vivent dans une maison, ils considèrent qu’ils sont toujours sous une tente, sous un abri provisoire, avant de retourner un jour chez eux.
Mais cette tente est surtout le symbole de la résilience palestinienne, malgré tout ce qu’on peut vivre sous elle. Nous nous sommes installés sous des tentes pour ne pas quitter la Palestine. Nous en avons fait un symbole politique, pour dire que nous allons rentrer chez nous. Parce qu’un jour, tout cela va s’arrêter, et il n’y aura plus de tentes.
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6- ➤ Mon Nuseirat
Je suis né dans le camp de réfugiés de Nuseirat et il a fait de moi ce que je suis. Le massacre de Nuseirat ne sera pas le dernier à Gaza, mais comme tous les massacres commis par les colonialistes, il constituera un jalon dans notre longue marche vers la liberté qui ne sera pas oublié.
Par Haidar Eid, le 9 juin 2024, Mondoweiss
Je suis née dans le camp de réfugiés de Nuseirat, tout comme mes frères et sœurs. Mon père, ma sœur et mon frère sont enterrés dans deux de ses cimetières. La quasi-totalité du clan Eid y vit encore, et ceux qui ont été massacrés par la machine génocidaire d'Israël y sont enterrés. Des centaines de mes étudiants sont originaires de cette région. Je connais presque toutes les rues du camp ; je connais le visage de chacun de ses habitants, tous des réfugiés de villes et de villages rayés de la carte par l'apartheid israélien en 1948.
Nuseirat, l'un des huit camps de réfugiés de Gaza, est devenu un maillon essentiel de ma conscience nationale et de classe, un lieu à la fois de dénuement et de révolution. Au début des années 1970, j'étais un jeune enfant lorsque j'ai entendu parler des affrontements entre les fida'iyyin, nos surhommes, et les "méchants" sionistes. Les histoires d'héroïsme et de martyre pour défendre le camp et un pays perdu appelé Falasteen étaient discutées par la famille, les proches, les voisins et les amis - tous réfugiés du sud du "pays des oranges tristes", comme l'a dit notre géant intellectuel, Ghassan Kanafani. Un lien a été créé entre le village de Zarnouqa, d'où mes parents ont été expulsés par des voyous sionistes avec des milliers d'autres villageois en 1948, et Nuseirat.
Le dialecte de Zarnouqa/Nuseirat est devenu pour moi la forme correcte de l'arabe parlé ; on m'a dit que ses bortoqal (oranges) étaient les meilleures du monde entier (parfois, l'orateur reconnaissait qu'elles n'avaient rien à envier à celles de Jaffa ! Ces vergers d'orangers ont été replantés autour de Nuseirat jusqu'à ce que l'apartheid israélien décide de les déraciner tous pendant la première Intifada de la fin des années 1980 et du début des années 1990.
J'écris cet article quelques heures après qu'Israël génocidaire a tué 274 personnes et blessé plus de 400 belles Nuseiraties, dont beaucoup sont des membres de ma famille, des amis et des étudiants, et ce uniquement pour sauver quatre de ses captifs. 64 des victimes étaient des enfants et 57 des femmes. Ceux qui ont été brutalement assassinés se rendaient au camp Souk ou en revenaient, prenaient leur petit-déjeuner, jouaient dans la rue, se rendaient à l'hôpital Al Awda, préparaient à manger et rendaient visite à leurs parents et amis, ce qui signifie que le moment a été choisi avec soin afin de tuer le plus grand nombre de personnes possible.
Quand le génocidaire Biden sera-t-il satisfait ? Combien d'enfants devront encore perdre des membres ou être tués ? Combien de mères devront être assassinées ou perdre leurs enfants pour convaincre l'Occident colonial, États-Unis en tête, qu'il est temps d'instaurer un cessez-le-feu ? De toute évidence, les 36 800 morts, dont 15 000 enfants et 11 000 femmes, et plus de 11 000 personnes sous les décombres, ne suffisent pas. Que dire de la destruction de 70 % de l'ensemble de la bande de Gaza ? L'assassinat de centaines d'universitaires, de médecins et de journalistes ? L'effacement de familles entières des registres d'état civil ? La fermeture de ses sept points d'entrée ? La mort par la famine de ceux qui refusent de partir ou de mourir ?
Cela ne suffit toujours pas.
Gaza est en train d'être anéantie en temps réel sous les yeux du monde entier. Gaza a en réalité marqué le début de la fin des "droits de l'homme" tels qu'ils ont été définis et monopolisés par l'Occident colonial. Ni la Cour internationale de justice, ni la Cour pénale internationale, ni l'Assemblée générale des Nations unies et son Conseil de sécurité n'ont été en mesure d'arrêter le génocide et de protéger mon Nuseirat. Et pourquoi ? Uniquement parce que quelques Palestiniens de souche brune ont réussi à s'échapper de Gaza après plus d'une décennie et demie de vie sous un blocus terrestre, aérien et maritime total dans la plus grande prison à ciel ouvert de la planète ! Comment osent-ils briser l'image d'invincibilité militaire d'Israël et de l'Occident colonial ?
Nuseirat est un microcosme du génocide. La vie de quatre Israéliens blancs ashkénazes équivaut à celle de 274 mères, médecins et enfants autochtones. Le monde blanc célèbre cette "victoire" sans se soucier des "dommages collatéraux", tant que les victimes ne sont pas comme "nous", les dieux blancs de ce monde injuste.
Le massacre de Nuseirat n'est pas un moment de victoire après lequel Benjamin Netanyahou et sa bande de voyous fascistes peuvent s'arrêter là. Il y aura d'autres massacres commis par les mêmes colonisateurs assoiffés de sang. Mais Nuseirat, comme tous les massacres perpétrés par les colonialistes, que ce soit en Algérie, en Afrique du Sud, en Irlande ou dans d'autres colonies de peuplement, sera un point de repère dans notre longue marche vers la liberté. Seuls ceux qui se tiennent du bon côté de l'histoire savent lire les signes.
Haidar Eid est professeur associé de littérature postcoloniale et postmoderne à l'université al-Aqsa de Gaza. Il a abondamment écrit sur le conflit israélo-arabe, notamment dans des articles publiés par Znet, Electronic Intifada, Palestine Chronicle et Open Democracy. Il a publié des articles sur les études culturelles et la littérature dans un certain nombre de revues, notamment Nebula, Journal of American Studies in Turkey, Cultural Logic et Journal of Comparative Literature.
📰 https://mondoweiss.net/2024/06/my-nuseirat/
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7- ➤ Otages de la vengeance israélienne dans la bande de Gaza
Les témoignages de 100 détenus palestiniens libérés révèlent des crimes de torture et des traitements cruels
Par Euro-Med Human Rights Monitor, le 31 mai 2024
Territoire palestinien - Dans un nouveau rapport publié mardi 28 mai, Euro-Med Human Rights Monitor rapporte les témoignages d'une centaine de détenus palestiniens libérés. Ces témoignages confirment que les autorités et l'armée israéliennes ont commis des crimes atroces de détention arbitraire, de disparition forcée, de torture et de traitement inhumain et cruel contre des milliers de civils palestiniens qui ont été arrêtés dans le cadre du génocide israélien dans la bande de Gaza, qui se poursuit depuis le 7 octobre 2023.
Dans un rapport de plus de 50 pages intitulé Otages de la vengeance israélienne dans la bande de Gaza, Euro-Med Monitor met en lumière la pratique généralisée des arrestations collectives comme individuelles arbitraires par les forces israéliennes contre les civils dans la bande de Gaza. Parmi les personnes arrêtées lors des incursions militaires d'Israël et de ses attaques terrestres sur les villes, les camps et les quartiers résidentiels de la bande de Gaza figurent des femmes, des enfants, des personnes âgées et des personnes déplacées.
Le rapport est basé sur des déclarations, des témoignages et des entretiens personnels que l'équipe d'Euro-Med Monitor a menés avec 100 détenus ayant été libérés par l'armée israélienne à la suite d'opérations terrestres dans différentes parties de la bande de Gaza. Environ la moitié de ces détenus récemment libérés sont des hommes de moins de 50 ans, 17 autres des hommes âgés, 22 des femmes et 4 des enfants. Des informations supplémentaires ont également été recueillies à partir de rapports publiés par les autorités compétentes, les médias locaux et internationaux ainsi que les organisations de défense des droits de l'homme.
Les informations recueillies concluent que l'armée israélienne se livre régulièrement à des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des meurtres prémédités, des actes de torture, des traitements inhumains, des violences sexuelles et qu'elle refuse d'accorder le droit à un procès équitable. Cette enquête confirme également que l'armée israélienne a eu recours à la torture physique et psychologique à l'encontre des détenus civils palestiniens, notamment en les battant dans l'intention de les tuer, en commettant des violences sexuelles, en les électrocutant, en leur bandant les yeux ou encore en leur enchaînant les mains et les pieds pendant de longues périodes. Israël leur a également refusé l'accès à la nourriture et aux soins médicaux, y compris aux soins critiques et vitaux, a craché et uriné sur les détenus, et a commis d'autres actes cruels et dégradants, en plus des abus psychologiques, y compris le viol et les menaces de mort, le harcèlement verbal et d'autres formes de violence sexuelle.
Abdul Qader Jamal Tafesh, 33 ans, s'est entretenu avec l'équipe d'Euro-Med Monitor après avoir été arrêté par l'armée israélienne à l'hôpital Kamal Adwan, dans le nord de la bande de Gaza, où il avait trouvé refuge en tant que personne déplacée.
"Le 12 décembre 2023, les soldats m'ont arrêté et détenu dans l'un de leurs camps dans le nord de la bande de Gaza. Ils m'ont interrogé à l'intérieur de la villa de la famille Al-Barawi, dans la rue Beit Lahia, que l'armée avait transformée en caserne", a-t-il déclaré.
Selon Jamal Tafesh, dès que lui et les autres prisonniers sont arrivés dans la cour de cette maison, ils ont été inspectés à l'aide de divers moyens, dont des scanners spécifiques pour les "empreintes digitales".
"Après avoir été déshabillés et menottés, [une personne sur cinq] s'est vue demander de s'aligner devant des caméras, de se mettre à genoux et de baisser la tête. Je faisais partie de ces personnes".
Une fois au sol, poursuit Tafesh,
"[u]n des soldats m'a bandé les yeux, m'a collé une étiquette portant un numéro sur l'épaule et m'a fait courir sur environ 500 mètres avant de me jeter au sol".
Il a expliqué qu'un soldat l'a roué de coups et torturé, faisant passer ses menottes de l'avant à l'arrière même après qu'il eut révélé qu'il était blessé et qu'il avait déjà subi une opération au cours de laquelle du platine avait été inséré dans son épaule gauche, ce que le soldat pouvait voir puisque Tafesh était nu.
"Il m'a également frappé à coups de chaussure, aggravant la douleur, et [en particulier] là où j'ai été opéré, me faisant perdre connaissance à plusieurs reprises. Je leur ai demandé de faire venir ou de m'emmener chez un médecin, mais ils ont refusé", a-t-il précisé.
Il a ajouté :
"Un soldat s'est approché de moi et m'a demandé : "Voulez-vous mourir ?" Il a pris sa propre arme, en a retiré les munitions et a tiré juste à côté de mon visage".
M.Q., résident de la ville de Gaza et ingénieur employé par une entreprise locale, a demandé à ce que son nom complet ne soit pas divulgué pour des raisons de sécurité. Il a expliqué qu'il avait été détenu et gravement torturé par l'armée israélienne à son domicile :
"Ils m'ont sévèrement passé à tabac pendant plus d'une demi-heure sans interruption, puis m'ont forcé à m'asseoir sur une chaise de salle de bain à côté de la pièce. L'un des soldats m'a demandé de réciter la Shahada (une prière musulmane que l'on prononce lorsqu'on pense être sur le point de mourir) et après que je l'ai fait, il a tiré directement dans le mur à côté de moi".
M.Q. poursuit :
"Après cela, j'ai été menotté et attaché pendant que les soldats me lapidaient. Environ quinze minutes plus tard, ils m'ont fait sortir [de la salle de bain] et m'ont jeté sur le sol de la pièce. Ils m'ont également marché sur la tête et quatre d'entre eux m'ont uriné dessus tout en m'insultant".
En plus d'être détenus et soumis à la torture dans les bases militaires et les centres de détention israéliens - y compris les centres de détention secrets et non officiels, en particulier ceux situés près des frontières de la bande de Gaza - les détenus palestiniens ont également été soumis à la détention et à la détention prolongée sans aucune procédure légale régulière ou sans être présentés aux autorités judiciaires, en violation des lois internationales pertinentes en la matière.
La communauté internationale doit respecter ses obligations légales en vertu du droit international pour empêcher Israël de commettre des crimes contre tous les habitants de la bande de Gaza, y compris les détenus. Elle doit également activer des mécanismes de pression efficaces pour obliger Israël à cesser immédiatement ces crimes, à respecter le droit international et à protéger les civils palestiniens dans la bande de Gaza.
En vertu des articles 146, 147 et 148 de la quatrième convention de Genève de 1949, les hautes parties contractantes sont tenues de mettre fin aux graves violations perpétrées par Israël à l'encontre des civils palestiniens dans la bande de Gaza, y compris les crimes de torture et les traitements inhumains et dégradants infligés aux détenus palestiniens.
Toutes les nations doivent remplir leurs obligations internationales et cesser tout soutien militaire, politique et financier à Israël dans ses crimes contre la population civile de la bande de Gaza ; en particulier, tous les transferts d'armes, les permis d'exportation et l'aide militaire à Israël doivent être interrompus. Dans le cas contraire, ces nations seront complices de tous les crimes commis dans la bande de Gaza, y compris le génocide.
Des pressions doivent être exercées sur Israël pour qu'il mette fin à sa pratique de disparition forcée des prisonniers et détenus palestiniens de la bande de Gaza, qu'il révèle immédiatement tous ses centres de détention secrets, révèle l'identité de tous les Palestiniens emprisonnés par Israël dans la bande de Gaza, le lieu où ils se trouvent ainsi que le sort qui leur a été réservé, et assume l'entière responsabilité de leur sécurité et de la préservation de leur vie.
Afin de conclure l'enquête ouverte en 2021, la Cour pénale internationale doit coopérer avec toutes les parties et prendre des mesures sérieuses en soumettant des rapports spécialisés sur les crimes auxquels les prisonniers et les détenus palestiniens ont été exposés dans les prisons et les centres de détention israéliens depuis le 7 octobre. La Cour doit également émettre des mandats d'arrêt à l'encontre de tous les responsables de ces crimes, y compris ceux commis à l'encontre des prisonniers et des détenus, afin de les traduire en justice et de leur demander des comptes.
Euro-Med Monitor a été surpris d'apprendre que le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, n'a pas tenu compte des crimes de torture généralisés et systématiques perpétrés par Israël à l'encontre des prisonniers et détenus palestiniens, en particulier ceux de la bande de Gaza, lorsqu'il a annoncé lundi qu'il avait soumis une demande à la Chambre préliminaire pour délivrer deux mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et du ministre de la Défense Yoav Galat pour leur participation présumée à des crimes de guerre et à des crimes contre l'humanité à l'encontre des Palestiniens de la bande de Gaza. Ces accusations incluent des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité à l'encontre du peuple palestinien, mais pas la torture, bien qu'il y ait de nombreuses preuves à l'appui de ces allégations.
Des pressions doivent être exercées sur les autorités israéliennes pour qu'elles libèrent tous les détenus palestiniens arrêtés arbitrairement et, s'ils sont jugés, pour qu'elles garantissent l'équité des procédures. En outre, Israël doit restituer les dépouilles des prisonniers et détenus palestiniens décédés dans les prisons et centres de détention israéliens.
Vous pouvez lire le rapport complet en anglais dans l'article original.
📰 https://euromedmonitor.org/en/article/6342
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8- ➤ Johann Soufi : Pour cet Aïd, mes souvenirs de Gaza la magnifique
Avant le thread de Johann Soufi, un topo sur cet homme d'une persévérance incroyable et que jaime citer dans mes publications sur la Palestine …
Johann Soufi, exerce, depuis plus de 17 ans, comme avocat et procureur spécialisé dans le domaine de la justice pénale internationale et les droits de l’homme. Il a travaillé dans le procès pour génocide du gouvernement rwandais (TPIR), sur la condamnation de l’ancien président du Libéria Charles Taylor pour crimes de guerre (TSSL), et a dirigé la section des avis juridiques du Tribunal Spécial pour le Liban durant le procès pour terrorisme des assassins présumés de l’ancien premier ministre Rafic Hariri (TSL). Johann Soufi a également mené, pour les Nations Unies, de nombreuses enquêtes sur des crimes internationaux au Rwanda, au Timor-Oriental, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique ou au Mali. Il est l’ancien chef du bureau des Affaires juridiques de l'UNRWA à Gaza (Palestine) et travaille actuellement comme Procureur international en Ukraine. Johann Soufi est inscrit comme Conseil devant la Cour pénale internationale (CPI) et co-dirige l’Institut for Legal and Advocacy Training (IILAT) basé à La Haye. Johann Soufi est doctorant en droit international pénal au sein des universités Paris II Panthéon Assas (France) et Laval (Canada) et chercheur associé du Centre Thucydide (Paris II) et de la Clinique de droit international pénal et humanitaire (Laval). Champs de recherche : droit international pénal, droit international humanitaire, droit international. (Source)
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Originaire de la banlieue parisienne, Johann Soufi fait des études de droit à l’université de Cergy-Pontoise avant de faire un Master en droit international et l’école du Barreau. C’est la preuve que "pas besoin d’avoir fait Harvard ou Yale pour travailler aux Nations Unies" affirme-t-il. Un stage au Centre régional d’information des Nations Unies (UNRIC) à Bruxelles en 2006 marque sa première rencontre avec l’ONU. Son poste suivant dans un cabinet d’avocats pénalistes en région parisienne n’a pas effacé « cette envie de voyager, de découvrir le monde » qui l’anime.
Curiosité et persévérance face aux multiples rejets de candidatures finissent par porter leurs fruits. Les expériences s’enchaînent alors entre le Tribunal Pénal International pour le Rwanda à Arusha, le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone et celui pour le Liban à La Haye, des missions d’enquêtes au Timor Oriental, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique ou encore au Mali. Attaché aux enjeux du travail de terrain pour les populations locales, il saisit l’opportunité de partir à Gaza avec une nouvelle candidature pour se confronter à une mission aussi difficile que passionnante.
Les Nations Unies au cœur de la vie à Gaza
L’UNRWA, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés Palestiniens, est "une très grosse machine" indique Johann Soufi. Les 1,6 millions de "bénéficiaires" de ses services à Gaza sont "des enfants qui vont dans nos écoles, des patients qui sont soignés dans nos hôpitaux, des familles qui reçoivent les denrées alimentaires", précise-t-il. La mission de l’agence depuis 1950 est de "faire en sorte que la situation humanitaire ne soit pas pire qu’elle ne l’est déjà" admet-il. Comme "c’est l’UNRWA qui finance, qui soutient, qui aide" dans beaucoup de domaines, sauf la sécurité et la justice, l’agence est un acteur essentiel pour la survie de la population locale.
Au-delà de l’aide humanitaire qu’elle fournit, l’UNRWA est avant tout le "premier employeur en matière d’éducation, en matière de santé et le premier fournisseur de denrées alimentaires". Dans un territoire lourdement atteint par le chômage, sur les 13 000 employés de l’agence seulement 12 sont des internationaux et tous les autres sont Palestiniens. Les personnels de l’UNRWA sont donc à la fois ceux qui aident et ceux qui sont aidés. Ce sont "les mêmes familles, les mêmes gens". En tant que responsable des affaires juridiques, Johann Soufi fait face aux défis juridiques qui entravent le fonctionnement de l’organisation. Son champ d’actions s’étend de la supervision d’enquêtes internes, à la réalisation de contrats, en passant par le déblocage de marchandises à la frontière.
En dépit de la pauvreté les habitants de Gaza ont "les mêmes interrogations, les mêmes projets, la même vie" qu’ailleurs. Les Gazaouïs regardent les chaines de télévision internationales et les mêmes services de vidéo à la demande qu’en Europe. Ils vont aussi au restaurant ou au bord de la plage. Parlant anglais et, pour certains, l’hébreu, les Palestiniens se tiennent informés de la politique internationale dont ils dépendent, connaissant "mieux le monde, que le monde ne connait Gaza", remarque Johann Soufi.
Travailler pour l’ONU entre passion, flexibilité et insécurité
L’ONU offre des opportunités variées qui sont autant d’aventures humaines mais au prix d’une insécurité constante. Un grand nombre de contrats de travail sont limités à quelques mois, ce qui "n’intéresse pas forcément les gens se projetant dans une carrière stable", souligne Johann Soufi. Il est courant pour les employés de l’ONU après une mission de se retrouver sans emploi pendant des mois, un an ou plus. Le chômage signifie l’absence d’allocations, de retraite, ou d’assurance maladie bien que le salaire en tant que fonctionnaire international soit intéressant. Faire preuve de flexibilité pour voyager régulièrement comme Johann Soufi est une solution mais il avertit sur les tensions pouvant se créer entre la vie professionnelle et la vie privée. Malgré les frustrations, travailler à l’ONU "est passionnant", insiste-t-il car il est possible de "voir l’impact de son travail (…) sur la vie quotidienne des gens". Quand une enquête est terminée, que de la nourriture est distribuée ou quand un enfant est soigné, "c’est parfois une question de vie ou de mort", ajoute-t-il.
Si vous rêvez d’intégrer les Nations Unies, Johann Soufi vous conseille "d’enlever les barrières que vous avez en vous-même, d’essayer, et de ne pas abandonner" peu importe la quantité de refus à subir. Face à l’insécurité d’une telle vie professionnelle, il est essentiel de "savoir pourquoi on veut travailler à l’ONU" afin de garder son cap et une boussole dans les moments de doutes, que ce soit pour changer le monde ou faire des voyages. La capacité de se remettre en question est fondamentale pour s’améliorer tout en gardant confiance en soi. Tous ces efforts sont finalement récompensés par ce moment "tellement inconfortable, et en même temps plein d’espoir, plein d’excitation" de l’arrivée dans un nouveau pays, où un travail aura un impact direct sur la vie des habitants, ou simplement la survie d’un enfant. (Source).
Liens annexes :
Fiche de ressources bibliographiques et internet sur Gaza
Fiche de ressources bibliographiques et internet sur les Tribunaux internationaux et spéciaux
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Son CV est juste impressionnant !
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Thread partagé par Johann Soufi sur Twitter X le 16 juin 2024
Comme beaucoup, je suis épuisé de penser à la violence, la destruction et la terreur que vivent mes amis à Gaza. Pour cet Aïd qui ne peut être joyeux pour ceux qui souffrent tant, j'ai décidé de partager quelques-uns de mes plus beaux souvenirs de Gaza.
ndr : Johann Soufi a été chef du bureau des affaires juridiques de l'UNRWA de juin 2020 à mars 2023.
La vue, de jour et de nuit, de la terrasse de mon appartement dans le quartier Rimal, était l'un des plus beaux et des plus verts de Gaza.
L’odeur des fleurs du jardin du siège de l'UNRWA à Gaza, tous les matins, en arrivant au bureau.
Les souvenirs, c’est aussi le bruit des drones israéliens, constamment, de jour comme de nuit, que l'on oublie peu à peu, mais qui rappelle qu'il s’agissait d’une prison à ciel ouvert.
La vue incroyable sur le port de Gaza depuis la terrasse de l'immeuble Abu Ghalion, où résidaient certains de mes collègues internationaux (avant que celle-ci ne soit obstruée par la construction d'un nouvel immeuble).
La mosquée du port de Gaza, magnifique en fin de journée, comme de nuit.
La corniche de Gaza, depuis le port qui s'animait dès la tombée de la nuit, en particulier les soirs de Ramadan.
Le port de Gaza, où les familles venaient se promener le week-end.
Le restaurant The Light House en bord de mer, son buffet et sa vue unique sur la mer Méditerranée.
Les petits déjeuners avec mes collègues dans le jardin de l'UNRWA pour fêter des moments heureux (anniversaires, départ à la retraite).
En parlant de nourriture, je ne peux m'empêcher de mentionner la générosité des Gazaouis qui nous ont invités tant de fois, se sacrifiant souvent pour nous offrir des repas délicieux et pantagruéliques.
La vue incroyable depuis le rooftop du restaurant Nu Level, en plein centre de Gaza.
Les longues promenades sur la plage, où l’on croisait des familles, des sportifs, des gens qui apprenaient à monter à cheval.
Le patrimoine historique de Gaza (aujourd’hui largement détruit) qui nous rappelle son histoire millénaire!
Par exemple le Palais du Pacha où Napoléon aurait dormi selon la légende locale.
La grande mosquée Omari de Gaza, dans la vielle ville, aujourd’hui en grande partie détruite.
Le vieux cimetière britannique de Gaza, magnifiquement entretenu. Un oasis de calme et de verdure au milieu de ce territoire étriqué et surpeuplé.
Les fresques, partout sur les murs de Gaza, qui rappellent l’aspiration du peuple palestinien à la liberté et à la justice.
D’autres fresques, plus abstraites, moins politiques. L’art et la culture étaient omniprésents à Gaza malgré ce que l’on pourrait penser.
Les champs et les serres de fraises du nord de la bande de Gaza. Probablement les meilleures que j’ai jamais mangées de ma vie.
Les ruelles étroites des camps de réfugiés. La gentillesse des gens que j’y croisais. Les rires et les cris des enfants qui couraient après un chat, un cerf-volant ou une balle.
Ce soir si particulier où un concert de rock et de techno a été organisé en plein air dans un hôtel chic de Gaza par un groupe local. (Le Hamas interdisait normalement de tels événements).
Les écoles de l'UNRWA que certains calomnient sans rien connaître. Je me souviens surtout de ces enfants si fiers d'apprendre, dont les rêves sont exactement les mêmes que ceux des enfants en France et ailleurs, mais qui ont la malchance d'être nés au mauvais endroit !
Je me souviens aussi du spectacle de fin d'année, où toutes les écoles se réunissaient pour participer à des jeux, des tournois de foot ou de basket. Les rires et les cris des enfants, à Gaza comme partout dans le monde.
Le "Starbucks Café" de Gaza. Parce qu’à Gaza, certains aussi regardaient Netflix, écoutaient les chanteurs à la mode, jouaient à la PlayStation. La plupart des gens ne rêvait que d’une chose : avoir une vie "normale".
Gaza c'était surtout des collègues et amis, si gentils, si généreux, et qui souffrent tellement aujourd'hui. Si les médias ne peuvent pas se rendre sur place pour raconter leur vie et leurs souffrances, le moins que je puisse faire c'est de leur rendre hommage aujourd’hui.
Lors de mon pot de départ, je leur ai fait une promesse : celle de continuer à lutter pour le droit à la justice de toutes les victimes partout dans le monde, y compris les Palestiniens, qui n'y ont jamais eu droit.
J'avais apporté, à Gaza, le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale. Comme un symbole. Aujourd'hui, le Procureur de la CPI apporte un espoir de justice aux victimes en Palestine et en Israël. Plus que jamais, nous devons le soutenir ! La justice et la paix au Proche-Orient en dépendent.
📰 https://x.com/jsoufi/status/1802423607240397080
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🎥 Gaza depuis le 7 octobre
En accès libre sur Ciné Mutins (Les Mutins de Pangée)
Ce film sur le génocide en cours à Gaza diffusé à l'Assemblée Nationale, comporte des images sont très difficiles à regarder mais nécessaires. À partager.
Ce filme montre le quotidien des Gazaouis depuis le début de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza consécutive aux attaques du Hamas du 7 octobre.
Il regroupe des documents filmés par des journalistes locaux et diffusés sur les réseaux sociaux entre octobre 2023 et mai 2024.
📰 https://www.cinemutins.com/gaza-apres-le-7-octobre/watch/2034
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