♟ Équateur : La bonne vieille arnaque de la "lutte contre le trafic de drogue" comme excuse à l'ingérence impériale
De la démolition institutionnelle à la doctrine du choc. La situation que traverse ce pays est idéale pour que la politique US transforme le vieux slogan "Yankees go home" en "Yankees come home".
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SOMMAIRE :
1 - Équateur : La bonne vieille arnaque de la "lutte contre le trafic de drogue" comme excuse à l'ingérence impériale - Pablo Bilsky
2 - Équateur : De la destruction des institutions à la doctrine du choc - Pablo Dávalos
3 - Équateur en détresse : cinq clés pour comprendre un pays brisé - Gerardo Szalkowicz
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1- ➤ Équateur : La bonne vieille arnaque de la "lutte contre le trafic de drogue" comme excuse à l'ingérence impériale
La Cour constitutionnelle a accepté le traité de coopération militaire avec les États-Unis et a décidé qu'il n'avait pas besoin de passer par l'Assemblée nationale. Et une fois de plus, le chef du Southern Command, Laura Richardson, est arrivé : "Nous tenons à aider ce pays et tous les autres pays de la région".
Par Pablo Bilsky, le 19 mars 2024, Nodal
Bien que les frontières des États-Unis soient les plus perméables au trafic de drogue et que ce pays connaisse l'une des crises sanitaires les plus irrépressibles et les plus meurtrières de son histoire en raison des overdoses de fentanyl, un opioïde synthétique (214 personnes meurent chaque jour, soit près de 9 par heure), les gouvernements latino-américains soumis aux politiques de Washington continuent de croire (ou font semblant de croire) que l'aide américaine et sa paradoxale "guerre contre la drogue", promouvant ce qu'elle prétend combattre, peuvent être efficaces. En réalité, ce n'est qu'une couverture : une excuse pour permettre à l'armée impériale d'entrer sur le territoire.
La situation que traverse l'Équateur est idéale pour que les gouvernements qui se rendent à l'ennemi transforment le vieux slogan Yankees go home en Yankees come home. En d'autres termes : ne partez pas, venez.
Le 9 janvier, la violence que le peuple équatorien subit depuis des années s'est intensifiée dans une grande partie du pays après la disparition d'un chef de gang notoire de sa prison. Explosions, pillages, fusillades et incendies de véhicules ont été signalés, et des émeutes ont éclaté dans plusieurs prisons. Des hommes armés ont pris d'assaut un studio de télévision lors d'une émission en direct. Des hôpitaux et des universités ont été attaqués. Quatorze personnes ont été tuées.
Le président équatorien Daniel Noboa, qui a pris ses fonctions le 23 novembre 2023, a décrété un "conflit armé interne" et a déclaré les bandes criminelles "organisations terroristes et acteurs non étatiques belligérants". Lors de sa campagne présidentielle, il avait promis une "main de fer", l'une des mesures qui, avec la militarisation de la société (y compris les troupes américaines), sont toujours présentées comme la solution. Or, l'expérience historique montre que, loin d'être la solution, elles font partie du problème. Un problème complexe inhérent au système capitaliste.
Le 23 janvier, la Cour constitutionnelle de l'Équateur a notifié sa décision concernant le traité de coopération militaire maritime entre les États-Unis et l'Équateur, et a jugé qu'il n'était pas nécessaire que le traité passe par l'Assemblée nationale, a rapporté le quotidien équatorien Primicias.
Le média ajoute que le traité entrera donc en vigueur dans les prochains jours, après que la Cour a renvoyé la procédure à la présidence pour qu'elle la poursuive.
Selon Primicias, le traité avec les États-Unis vise à mener des opérations conjointes contre les activités maritimes transnationales illicites, notamment le trafic de stupéfiants, de migrants, d'armes de destruction massive et la pêche illégale.
Il s'agit pour les deux parties de "prévenir, identifier, combattre, dissuader et interdire les activités maritimes transnationales illicites", en raison de la "nécessité urgente" de lutter contre la criminalité transnationale organisée.
Pour sa part, le quotidien équatorien El Universo précise que si l'accord ne propose pas l'installation d'une base étrangère, il permet aux forces armées équatoriennes de "mettre à disposition" des installations.
"Deux traités internationaux signés entre l'Équateur et les États-Unis pour la coopération en matière de défense ne prévoient pas la construction ou l'adaptation de bases militaires, mais il serait possible de prêter l'infrastructure des forces armées équatoriennes à des fins d'entraînement et de stockage", indique l'article signé par Sugey Hajjar.
La publication rappelle qu'entre septembre et octobre 2023, sous le gouvernement du président de l'époque, Guillermo Lasso, deux traités internationaux ont été signés avec les États-Unis pour la coopération bilatérale, intitulés "Accord sur les opérations contre les activités maritimes transnationales illicites" et "Accord sur le statut des forces". Ils ont été signés par l'ancien ministre des affaires étrangères Gustavo Manrique et l'ambassadeur des États-Unis en Équateur, Michael J. Fitzpatrick.
Nouvelle visite de la gardienne de l'arrière-cour
Lors de sa seconde visite en Équateur, la chef du commandement sud des États-Unis, la générale Laura Richardson, a rencontré le président Daniel Noboa, le procureur général Diana Salazar, les ministres de la défense et de l'intérieur ainsi que le haut commandement des forces armées et de la police, afin de discuter de la crise de sécurité à laquelle le pays est confronté, a rapporté Primicias.
Le journal équatorien ajoute que les militaires sont arrivés le 22 janvier, en même temps qu'un avion ukrainien transportant un don d'équipements de sécurité et d'intervention d'urgence essentiels.
"La réunion a porté sur la sécurité et la situation actuelle en Équateur, sur les efforts considérables déployés pour lutter contre les activités criminelles, sur la décision du président Noboa de déclarer ces 22 gangs comme organisations terroristes et d'autoriser l'armée et la police à travailler de concert, ce qui est très important et ce qu'elles ont très bien fait dans le cadre de ces missions", a déclaré Richardson.
Ajoutant :
"Nous avons déjà un portefeuille d'investissements très solide avec l'Équateur. Évidemment, cela s'inscrit dans la durée. Il s'agit d'une coopération entre militaires, entre le commandement sud des États-Unis et l'armée équatorienne. Notre portefeuille s'élève à 93,4 millions de dollars et comprend non seulement le transfert d'équipements militaires, mais aussi l'assistance humanitaire, la réponse aux catastrophes et la formation militaire professionnelle. Et cette formation est importante, non seulement parce que le personnel militaire équatorien se rend aux États-Unis pour y suivre une formation, mais aussi parce que nous apportons diverses choses à l'Équateur".
Faisant référence à sa joie de rencontrer les nouvelles autorités équatoriennes après la victoire de Noboa, Richardson a annoncé :
"Pour l'année fiscale 2024, nous avons prévu un total de 124 activités en Équateur. Mais nous essayons également d'accélérer certaines choses déjà planifiées. Par exemple, nous livrerons un avion C 130 le 23 février. Nous avons également d'autres projets en cours pour accélérer l'augmentation du transfert d'équipements militaires".
Avant d'énumérer,
"Désormais, une nouvelle chaîne de commandement est en place. C'est pourquoi je suis heureuse d'être venue si rapidement et de pouvoir les rencontrer, parler du portefeuille d'investissement, l'examiner et le présenter au président Noboa et aux membres du cabinet, afin de pouvoir évoquer ce que nous faisons avec l'US Southern Command et l'armée équatorienne. Et il ne s'agit pas seulement de moi en tant que commandant du Southern Command. J'étais accompagnée de hauts commandants de l'armée de terre, de la marine, de l'armée de l'air, des marines, et tous participent et coopèrent sur les questions de sécurité avec leurs homologues chefs de service".
Richardson a insisté sur le fait que l'intérêt de son pays allait au-delà de l'Équateur et s'étendait à l'ensemble de la région :
"Nous avons constaté un soutien important de la part des pays voisins de l'Équateur. Il faudra que toutes les démocraties travaillent ensemble pour contrer les menaces".
La chef du commandement américain pour la région sud a conclu :
"Nous organisons des exercices, des conférences, des groupes de travail, nous partageons des informations, nous voulons renforcer la sécurité de l'Équateur. Nous voulons aider ce pays à traverser cette situation, et pas seulement l'Équateur, mais également tous les autres pays de la région confrontés à ces menaces criminelles, au changement climatique, à la sécheresse, à l'insécurité alimentaire, à la réponse aux catastrophes, à la migration irrégulière".
Dollarisation : une aubaine pour les narcos
Dans son article intitulé Équateur : de la démolition institutionnelle à la doctrine du choc (ndr : voir traduction de cet article ci-après n°2), l'économiste équatorien Pablo Dávalos affirme que le décret sur les conflits armés internes (décret exécutif n° 111) est une stratégie faisant directement partie de la doctrine du choc en tant que condition possible de l'ajustement économique.
"S'il est vrai que le pays connaissait une vague de violence le transformant, en quelques mois, en l'un des pays les plus violents du monde, il est également vrai que tant le gouvernement de Guillermo Lasso que celui de Daniel Noboa n'ont jamais rien fait pour contrôler la crise de la sécurité citoyenne", peut-on lire dans l'article du média équatorien Desde abajo.
L'auteur souligne que
les gouvernements néolibéraux "bien qu'ayant les possibilités, les ressources humaines et financières ainsi que les cadres institutionnels pour contrôler l'emprise croissante des groupes criminels organisés sur les territoires et exercer la violence contre les citoyens, n'ont en effet jamais entrepris la moindre tentative pour mettre un terme à cette violence".
Il interroge également sur les raisons pour lesquelles le gouvernement de Guillermo Lasso (2021-2023) a permis aux groupes criminels organisés de consolider et d'étendre leur contrôle sur les territoires :
"Pourquoi a-t-il abandonné non seulement les territoires, mais aussi les politiques publiques au profit des groupes criminels organisés ? Pourquoi a-t-il soumis la société à un programme intensif d'austérité fiscale alors qu'il savait pertinemment que les coupes et l'élimination des programmes sociaux favoriseraient directement les groupes criminels organisés ?" écrit Dávalos, tout en affirmant l'existence d'un véritable narco-État dans le gouvernement Lasso.
La déclaration de guerre, selon Dávalos, permet au gouvernement "d'imposer une série de mesures d'ajustement économique sans que la société ne puisse réagir". En outre, la dollarisation, en vigueur depuis 23 ans, permet d'utiliser le système monétaire pour le blanchiment d'argent, favorisant à la fois les narcotrafiquants et les grandes entreprises.
"Tout cela fait partie de la politique des États-Unis sur le continent"
Dans le même journal, sous le titre Équateur : une guerre contre le mouvement indigène, l'écrivain et activiste uruguayen Raúl Zibechi, qui travaille avec les mouvements sociaux, considère
qu'"avec une criminalité organisée active et puissante, le pouvoir se consolide, avec peu de légitimité mais toute la force robuste de l'appareil armé de l'État. Si le gouvernement n'avait pas déclenché le crime organisé, il aurait dû opter pour un coup d'État, qui aurait été politiquement plus coûteux et aurait eu plus de chances de ne pas venir à bout de ceux qui sont en bas de l'échelle".
L'analyste cite le journaliste argentin Gerardo Szalkowicz, qui explique dans son article publié dans Tiempo Argentino, intitulé L'Équateur en grande souffrance : cinq clés pour comprendre un pays brisé (ndr : voir traduction de cet article ci-après n°3) :
"Le complot qui détruit l'Équateur a des particularités locales mais répond à un modèle qui s'est installé avec force dans les années 1980 au Mexique, en Colombie ainsi que dans certains pays d'Amérique centrale et qui, ces dernières années, s'est répandu, à différentes échelles, dans toute la région".
Zibechi affirme qu'il s'agit là de la politique des États-Unis pour le continent, qui se préparent actuellement à intensifier leur présence en Équateur, avec leurs propres conseillers militaires et ceux d'Israël, comme cela s'est déjà produit en Colombie. Il convient de rappeler que des groupes de réflexion tels que le bulletin français Global Europe Anticipation Bulletin (GEAB) soutiennent que l'Amérique latine sera au centre du conflit entre les États-Unis et la Chine pour l'hégémonie mondiale au cours des prochaines décennies.
"Nous sommes confrontés à un modèle de militarisation (légale et illégale) visant à soumettre le peuple par la terreur, tout en alimentant une structure d'affaires de plusieurs millions de dollars. Le groupe criminel Los Lobos (lié au Cartel de Jalisco - Nouvelle Génération) exploite 20 mines d'or dans l'Azuay, contrôle 40 groupes de mineurs irréguliers et obtient des bénéfices de près de 4 millions de dollars par mois, comme viennent de le rapporter trois médias péruviens", ajoute Zibechi, l'écrivain et activiste uruguayen.
Concluant :
"À proprement parler, nous devrions parler de capitalisme et non de criminalité. D'accumulation par la dépossession et la guerre et non d'affaires illicites. Le rôle des grands médias est de semer la confusion, comme si l'État et le crime étaient deux choses différentes, comme si la violence criminelle et la violence policière et militaire n'avaient pas les mêmes objectifs : paralyser la population pour faciliter l'accumulation et la dévastation des vies".
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2- ➤ Équateur : De la destruction des institutions à la doctrine du choc
Par Pablo Dávalos, le 13 janvier 2024, Desde Abajo
Le décret relatif au conflit armé interne (décret exécutif n° 111), publié le 24 janvier 2009, définit en réalité une stratégie directement inscrite dans la doctrine du choc comme condition de possibilité de l'ajustement économique.
S'il est vrai que le pays connaissait une vague de violence qui l'avait transformé, en quelques mois, en l'un des pays les plus violents du monde, il est également vrai que tant le gouvernement de Guillermo Lasso que celui de Daniel Noboa n'ont jamais rien fait pour contrôler la crise de la sécurité citoyenne.
Bien qu'ayant les possibilités, les ressources humaines et financières et les cadres institutionnels pour contrôler l'emprise croissante des groupes criminels organisés sur les territoires et exercer la violence sur les citoyens, les autorités n'ont jamais fait la moindre tentative pour mettre un terme à cette violence.
Pourquoi le gouvernement de Guillermo Lasso (2021-2023) a-t-il permis aux groupes criminels organisés de consolider et d'étendre leur contrôle sur les territoires ? Pourquoi a-t-il cédé non seulement des territoires mais aussi des politiques publiques au profit des groupes criminels organisés ? Pourquoi a-t-il soumis la société à un programme intensif d'austérité fiscale alors qu'il savait que les coupes et l'élimination des programmes sociaux favoriseraient directement les groupes criminels organisés ?
Certains éléments avalisent et confirment la présence du narco-État ou du lumpen-accumulation dans le gouvernement de Guillermo Lasso. L'un de ces éléments se trouve dans la loi que Lasso a envoyée à l'Assemblée nationale le 28 octobre 2021 et qui a été approuvée un mois plus tard avec les voix, curieusement, du mouvement progressiste Revolución Ciudadana. Il s'agit de la loi organique pour le développement économique et la viabilité fiscale après la pandémie de Covid-19.
Cette loi contient, dans son deuxième chapitre, les mécanismes de régularisation des avoirs à l'étranger qui autorisent le blanchiment d'argent et le blanchiment de capitaux (Régime fiscal volontaire, unique et temporaire pour la régularisation des avoirs à l'étranger). Cette loi a non seulement permis le blanchiment d'argent et de capitaux, mais a également permis à ces capitaux de participer aux processus de privatisation que le gouvernement Lasso avait l'intention de mettre en œuvre.
La promulgation de cette loi par Guillermo Lasso a sanctionné quelque chose qui commençait à devenir une certitude dans la société : la convergence entre le pouvoir politique et le crime organisé ainsi que le trafic de drogue pour leur permettre d'utiliser le système monétaire de la dollarisation à des fins de blanchiment d'argent.
Il n'est donc pas surprenant que la violence de ces groupes criminels explose l'année suivante lors des guerres pour le contrôle des territoires par ces groupes criminels organisés. Face au vide étatique, ces groupes prennent le contrôle de vastes territoires et génèrent leur propre système de taxation, qu'ils appellent "vaccins", et mettent en place un système d'extorsion où le meurtre, la violence et la torture sont utilisés comme heuristiques.
Ainsi, des modestes vendeurs de rue aux petits commerçants, en passant par les sociétés d'agro-exportation et les industriels, les enseignants des écoles primaires et secondaires et les habitants des bidonvilles, tous ont été intégrés, sous le regard complice de l'État, dans ce vaste système d'extorsion. Ceux qui refusaient de payer l'extorsion étaient systématiquement éliminés et une chape d'impunité couvrait ces excès.
Au cours de l'année 2022, le bureau du procureur général, l'institution en charge des procédures pré-procédurales et des enquêtes criminelles, s'est davantage consacré à la persécution des opposants politiques au gouvernement de Guillermo Lasso, et a laissé la majorité des assassinats et des meurtres contre la population impunis.
Au cours de la même période, l'ambassade des États-Unis a annoncé au pays l'existence de "narco-généraux" au sein de la police nationale, preuve que le crime organisé a coopté les principales institutions et organes chargés de protéger les citoyens.
Si la violence du crime organisé a commencé à prendre forme juste après la pandémie de Covid-19, c'est parce que les groupes criminels organisés entamaient leurs processus de querelles et de conflits et leur cooptation du système politique, du système judiciaire et de l'Etat.
Ces conflits se sont accentués en 2022 et 2023, lorsque les différents groupes ont dû se disputer les marchés et les chaînes logistiques pour l'acheminement de la drogue, le contrôle des territoires et la cooptation de l'État. L'année 2022 a attesté de la consolidation du pouvoir de la criminalité organisée. En effet, le pays a pu le vérifier lorsque l'année suivante, en 2023, une enquête de la police nationale elle-même, que le bureau du procureur général et le haut commandement de la police ont tenté d'ignorer, appelée León de Troya, a démontré la relation directe de Danilo Carrera, mentor politique et économique, ainsi que parent direct de Guillermo Lasso et l'un des membres les plus notables de l'oligarchie du pays, avec la mafia albanaise et le trafic de stupéfiants.
En outre, le rapport de police et les révélations du journalisme d'investigation ont associé Danilo Carrera et les collaborateurs de Guillermo Lasso, passés de la Banque de Guayaquil à la gestion de l'État, à un réseau de corruption dans la gestion d'entreprises publiques.
Afin de permettre l'administration et le contrôle de la corruption dans les entreprises publiques, Guillermo Lasso a violé la loi et émis un décret exécutif en vertu duquel il a confié la gestion des entreprises publiques à l'une des personnes qui sera dénoncée par la police et le journalisme d'investigation comme étant l'axe, avec Danilo Carrera, d'un important réseau de corruption.
C'est dans ce contexte que l'Assemblée nationale a décidé de mettre en accusation Guillermo Lasso pour corruption. Les principaux partis politiques de droite, avec le soutien des grands médias, ont tenté de faire échouer le procès en destitution, mais compte tenu des preuves accablantes et de l'imminence de la destitution et d'un probable procès pénal pour corruption, le président de l'époque, Guillermo Lasso Mendoza, a opté pour une "mort croisée" (1) et pour l'anticipation des élections.
(1) En Équateur, le mécanisme de la muerte cruzada (mort croisée) permet au président de dissoudre l’Assemblée nationale, de convoquer sous trois mois de nouvelles élections et de gouverner entre temps par décrets. Ce qui crée une situation de forte incertitude politique dans le pays et permet d'ouvrir une nouvelle phase du néolibéralisme autoritaire dans le pays.
Même dans le contexte de "mort croisée", Lasso a tenté de faire passer des lois de privatisation pour transférer des infrastructures publiques aux capitaux qui s'étaient réfugiés dans la régularisation des actifs et dont l'origine n'avait jamais été déterminée. La Cour constitutionnelle l'en a empêché.
Cependant, la situation sociale et économique du pays s'est aggravée parce que le gouvernement de Guillermo Lasso est allé jusqu'à l'extrême pour se conformer aux mesures d'ajustement exigées par le FMI et a réduit les dépenses publiques d'investissement à un point tel qu'il a provoqué l'effondrement de la compagnie pétrolière publique, qui, pour la première fois depuis fort longtemps, a considérablement réduit sa capacité de fonctionnement, ainsi que de l'infrastructure électrique, conduisant le pays à connaître, pour la première fois depuis des décennies, des pannes d'électricité et à acheter de l'énergie dans les pays voisins.
Dans les régions frontalières, comme la province d'Esmeraldas, le gouvernement était radicalement absent. Comme il s'agit d'une région frontalière et côtière, le trafic de drogue dispose de ports et de conditions d'exportation nécessitant un affaiblissement de l'État pour fonctionner, et c'est exactement ce qu'a fait Lasso. En conséquence, cette province, ainsi que Guayas, sont devenues un no man's land où le crime organisé a pu s'implanter sans problème majeur.
Ajustement économique, accumulation de lumpen (terme marxiste désignant la partie du prolétariat constituée par ceux qui ne disposent d'aucune ressource et caractérisée par l'absence de conscience de classe), narco-État, corruption, impunité, telles sont les conditions qui ont permis au crime organisé de devenir le maître du pays. Dans ce contexte, le ministère public et le pouvoir judiciaire se sont consacrés à la persécution vicieuse des opposants politiques de Guillermo Lasso, ainsi que des dirigeants et des leaders populaires, et ont créé une sorte de statut d'impunité et de limbes pour le crime organisé.
Bien que plusieurs massacres aient eu lieu dans les prisons en 2022, aucune institution de l'État n'a mis en œuvre une stratégie ou une politique visant à protéger les citoyens privés de liberté, à enquêter sur ce qui s'est passé, à punir les responsables et à mettre en place des politiques de réparation et de prévention. Au contraire, le ministère des finances a encore réduit les budgets de l'ensemble du système de soins pénitentiaires et tous les programmes sociaux liés à ce système ont été supprimés.
Les médias sont devenus une sorte de caisse de résonance du gouvernement Lasso et, à quelques exceptions près, n'ont pas alerté sur le tourbillon de violence dans le pays. Pour eux, les responsables de la violence étaient, par essence, les ennemis politiques de Guillermo Lasso. Ils ont ainsi couvert avec complicité le trafic de drogue et le crime organisé.
Pour cette raison, la "mort croisée" n'a pas changé les coordonnées de la violence parce qu'elle n'a pas mis au centre de la discussion le rétablissement de l'État comme condition préalable à la protection des citoyens contre la violence du crime organisé et du trafic de drogue. C'est ce que l'on peut constater dans la campagne présidentielle qui a défini la transition vers la "mort croisée".
Les différents candidats n'ont proposé aucune politique de sécurité autre que le populisme criminel et la répression ouverte. Certains candidats de droite, comme Jan Topic, par exemple, ont affiché un discours fasciste comme politique de sécurité citoyenne, mais quasiment aucun des candidats de droite n'avait pour priorité un programme de sécurité citoyenne.
Ce programme de sécurité impliquait le rétablissement de l'État et de son institutionnalité. Mais aucun des candidats de droite ne voulait récupérer l'État, car cela les mettrait en confrontation avec le FMI, l'ambassade américaine et leur propre idéologie.
Ainsi, la société n'a pas eu l'occasion de mettre à l'ordre du jour politique l'une des questions les plus importantes, à savoir le rétablissement de l'État en tant que bouclier de protection pour les citoyens. Les candidats de centre-gauche ont tenté de le faire, mais se sont heurtés à une campagne médiatique de diabolisation qui a empêché la société de débattre librement des questions prioritaires.
Pour diverses raisons, les électeurs ont opté pour l'un des plus jeunes candidats issus directement des secteurs les plus oligarchiques et conservateurs du pays, Daniel Noboa, fils du magnat de la banane Álvaro Noboa (qui a également tenté de devenir président du pays à plusieurs reprises) et neveu d'Isabel Noboa, dirigeante de l'un des groupes économiques les plus importants, le groupe Nobis.
Pour Daniel Noboa, la récupération de l'État et de son institutionnalité pour faire face à la crise sécuritaire ne fait pas partie de son programme, étant donné qu'il partage les positions néolibérales de l'État minimal. Par conséquent, sa première priorité en tant que président en exercice a été d'envoyer un projet de loi économique urgent pour empêcher son père de payer plusieurs dizaines de millions de dollars de dettes fiscales et permettre à sa tante de bénéficier du retour de la taxe sur la valeur ajoutée sur ses projets immobiliers.
En outre, il a favorisé les intérêts du groupe Nobis en autorisant un large régime d'exonérations fiscales pour les zones franches. Il convient de noter que le groupe Nobis possède l'une des zones franches les plus importantes du pays, le port de Posorja. En fait, au milieu du processus de négociation de cette loi, les principales compagnies maritimes ont décidé de transférer leurs activités dans la zone franche de Posorja.
Alors que cette loi était débattue à l'Assemblée nationale, les assassinats et la criminalité ont atteint des niveaux sans précédent dans le pays. Cela montre que les groupes criminels organisés ont lu Noboa d'un point de vue politique et savaient que, peut-être sous d'autres noms, mais qu'en réalité, il était la continuation du gouvernement de Guillermo Lasso.
C'est pourquoi ils ont intensifié leurs actions et décidé de contrôler encore plus de territoires, et ont soumis davantage d'entreprises, cette fois-ci directement celles se consacrant à l'agro-exportation, à leur mécanisme d'extorsion et de violence, et c'est à ce moment-là que ces groupes sont passés de la criminalité au terrorisme.
Il est donc pour le moins paradoxal que, dès ses premières semaines au gouvernement, Noboa, face à cette situation critique de violence dans le pays, ait décidé de supprimer le Secrétariat à la sécurité rattaché à la Présidence de la République, qui était l'organe chargé de coordonner les tâches de sécurité entre les institutions de l'État.
Il était donc évident que le nouveau gouvernement ne ferait rien pour changer la situation de violence dans le pays et sa profonde désinstitutionnalisation. Tout aussi clair que la corruption se poursuivrait et, cette fois, prendrait le caractère d'une politique d'État. Bien que la loi économique urgente, connue sous le nom de loi organique pour l'efficacité économique et la création d'emplois, exprime la corruption du nouveau gouvernement en légiférant spécifiquement pour les besoins des groupes économiques, l'Assemblée a décidé de l'approuver. Noboa a pu constater qu'il n'avait pas d'opposition politique et disposait d'une grande marge de manœuvre pour la privatisation de l'État et la radicalisation des politiques d'austérité.
Cependant, le gouvernement devait d'abord montrer qu'il contrôlait le pouvoir législatif ; le président Noboa a donc envoyé un nouveau projet de loi économique prioritaire, cette fois pour la privatisation du secteur de l'électricité : la loi organique sur la compétitivité de l'énergie. Comme prévu, l'Assemblée nationale a également approuvé sa proposition, à la quasi-unanimité. Noboa n'avait décidément aucune opposition politique.
Cependant, dans l'agenda de Noboa, l'un des points névralgiques de l'austérité était l'élimination des subventions aux carburants, en fait, un point clé et nécessaire pour un nouveau rapprochement et un nouveau programme de crédit avec le FMI. Ce point était stratégique car il était combattu par le seul véritable noyau de résistance du pays, le mouvement indigène. La question pour Noboa était donc de savoir comment briser la résistance et l'opposition du mouvement indigène.
Le climat tendu d'insécurité ne préoccupe pas le gouvernement dans la mesure où il a réalisé, en à peine deux mois, deux réformes structurelles importantes, mais il doit encore approuver les plus importantes d'entre elles : l'élimination des subventions aux carburants, l'augmentation de la TVA, la flexibilisation du travail et la privatisation de la sécurité sociale, et vaincre la résistance indigène.
Comment y parvenir ? C'est dans ce contexte que la crise de la sécurité citoyenne est présentée à Noboa comme l'argument idéal pour obtenir le soutien social nécessaire à ces nouvelles réformes structurelles. En effet, la vague de violence augmentait parce qu'il n'y avait pas d'État pour y mettre fin. Au contraire, sous Noboa, l'État avait été réduit encore plus que sous Lasso. Les quelques institutions qui existaient pour coordonner la sécurité, comme nous l'avons déjà indiqué, avaient été démantelées par Noboa dès ses premiers jours.
Mais cette crise de la sécurité pouvait être transformée en un argument puissant pour unir la société derrière le gouvernement. Rien de tel qu'une guerre pour construire le consensus nécessaire à la domination politique. Et c'est précisément ce que le gouvernement est en train d'inventer, une guerre.
Mais une guerre qui, pour être plus qu'une simple métaphore du pouvoir, doit répondre à des exigences formelles et juridiques et, en outre, s'inscrire dans le système juridique existant. C'est exactement ce que fait Noboa.
Face à l'insécurité, le gouvernement a décrété l'état d'urgence le 8 janvier 2024 et instauré un couvre-feu de 23 heures à 5 heures du matin le lendemain. Il a interdit toutes sortes de réunions publiques et autorisé la violation des domiciles et des correspondances. Il s'agit de mesures drastiques que la population accepte d'une certaine manière car, jusqu'à présent, ce sont les seules à avoir été adoptées pour faire face à la crise de la sécurité.
Le décret d'état d'urgence est la réponse du gouvernement à l'évasion d'un des plus dangereux criminels du pays du centre de réhabilitation pénitentiaire de la ville de Guayaquil. Cette évasion révèle que le gouvernement de Noboa n'a pas d'agenda en matière de sécurité des citoyens car ce n'est pas une priorité pour son régime.
Parallèlement au décret sur l'état d'urgence, un autre dangereux criminel prétendument lié à l'assassinat du candidat à la présidence Fernando Villavicencio s'est évadé d'une autre prison. Ces évasions s'accompagnent d'émeutes dans presque tous les centres de réhabilitation du pays et de la prise en otage des gardiens de prison par les émeutiers.
La stratégie du gouvernement, on le constate, s'effondre de toutes parts. C'est dans ce contexte que, le lendemain de l'évasion de ces dangereux criminels et des émeutes dans les prisons, un événement étrange et frappant s'est produit : une attaque dans la ville de Guayaquil par un groupe de criminels contre une chaîne de télévision publique, retransmise en direct dans tout le pays.
Jusqu'à présent, personne ne sait quel était l'objectif de cet attentat, ni qui, parmi les groupes criminels organisés, l'a commandité. C'est dans ce contexte que le gouvernement de Noboa s'est soudainement réinventé et a réussi à récupérer son capital politique en quelques heures. Sans que les circonstances le justifient, sans le moindre processus de justification légale et constitutionnelle et en dehors des dispositions du droit international humanitaire, c'est-à-dire du droit à la guerre, le président Noboa émet le premier décret de guerre dont le pays a connaissance au moins depuis le retour à la démocratie.
Le décret exécutif de conflit armé interne n'a rien à voir avec la situation d'insécurité et de violence que connaît le pays. Il s'agit plutôt d'un dernier recours pour récupérer du capital politique face à une crise sécuritaire à laquelle aucune réponse ou action n'avait été prévue.
Selon l'interprétation juridique de ce décret sur les conflits armés internes, les groupes criminels organisés sont reconnus comme une force belligérante et, par conséquent, se voient accorder un statut politique qu'ils n'avaient pas auparavant. Ainsi, ces groupes criminels sont désormais traités selon les dispositions du droit international humanitaire, ce qui est une aberration dans tous les sens du terme.
Mais c'est l'argument idéal pour ressouder la société, récupérer le capital politique perdu et faire progresser la radicalisation néolibérale. Grâce à cette démarche, le gouvernement Noboa a désormais à sa disposition le loisir d'imposer une série de mesures d'ajustement économique sans que la société ne puisse le moins du monde réagir. C'est la doctrine du choc à l'état pur.
En effet, le gouvernement de Noboa militarise le pays, déplace les activités publiques et éducatives vers le format en ligne et provoque le malaise, l'angoisse et la peur dans la société. En promulguant le décret de guerre, le chaos s'installe dans le pays et la population court littéralement se réfugier chez elle. L'Équateur fait la une des journaux du monde entier. Le théâtre de la violence du crime organisé se transforme soudain en scène politique et géopolitique. Certains pays alignés sur les États-Unis offrent alors une assistance militaire au pays.
Mais il faut le dire haut et fort, il n'y a pas de guerre. Il s'agit d'une pure invention du gouvernement pour sortir d'une impasse politique générée par ses propres erreurs. Bien sûr, il y a de la violence de la part des groupes criminels organisés, mais il s'agit d'une violence qui est fonctionnelle au pouvoir et qui est créée et soutenue par le pouvoir. Mais de la violence de ces groupes criminels organisés à la déclaration de guerre, il y a un très grand écart, réglementé et spécifié par le droit international humanitaire.
Le décret sur les conflits armés internes a une logique politique et doit être interprété en conséquence. Il s'agit d'une stratégie politique génératrice d'avantages et élargissant l'espace politique du gouvernement dans une période d'usure et d'erreurs. Qui peut s'opposer à une guerre défensive destinée à protéger la population d'une menace réelle ? Comment remettre en question ce qui est évident : la transformation du crime organisé et de la délinquance en terrorisme, qui menace tout le monde sans exception ? Si l'on ne déclare pas la guerre au terrorisme, comment peut-on alors le combattre ?
Les menaces à la sécurité publique peuvent être résolues sans qu'il soit nécessaire de déclarer l'état de guerre ni de faire du narcoterrorisme un sujet politique. Elles peuvent être résolues avec les ressources existantes, mais cela requiert la volonté politique de récupérer l'État et son institutionnalité, c'est-à-dire de le sortir du gouffre dans lequel l'ont plongé les programmes de consolidation fiscale et de réforme structurelle du FMI et de la Banque mondiale.
Le président Daniel Noboa lui-même a confirmé qu'il n'y avait pas de guerre et que tout cela n'était qu'un argument créé par les personnes au pouvoir pour ouvrir l'espace politique et y placer les politiques économiques d'ajustement fiscal du FMI, lorsqu'il a déclaré que la guerre impliquait des coûts économiques et que, précisément pour cette raison, il envoyait à l'Assemblée nationale un nouveau projet de loi économique d'urgence, appelé Ley Orgánica para Enfuert : Loi organique pour faire face au conflit armé interne, à la crise sociale et économique, envoyée le 11 janvier 2024 et qui augmente la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 12 à 15 % et qui, en outre, empêche que cette nouvelle augmentation soit redistribuée aux gouvernements autonomes décentralisés et aux universités, comme le prévoit la loi.
Appeler une loi économique d'urgence une loi pour faire face au conflit armé interne, c'est placer la guerre comme vecteur dans la logique de l'ajustement économique. C'est avouer vouloir imposer l'ajustement néolibéral à la lettre et sans aucune considération pour le droit et le droit international.
Noboa utilise ainsi le manuel de la doctrine du choc pour imposer les réformes exigées par le FMI. Si cette loi économique d'urgence est adoptée, le FMI lui ouvrira les portes d'un nouveau prêt et d'un nouveau programme d'assainissement budgétaire. Il ne restera plus à Noboa qu'à éliminer les subventions sur les carburants, à réformer le marché du travail et à privatiser la sécurité sociale. Ainsi, en quelques mois, il aura fait avancer l'agenda néolibéral bien plus loin que Lenin Moreno et Guillermo Lasso n'ont cherché à le faire.
Mais pour y parvenir, il devra vaincre la résistance du mouvement social le plus puissant du pays, le mouvement indigène. Si Noboa est allé jusqu'à inventer une guerre qui n'existe pas afin de radicaliser l'ajustement néolibéral et de protéger les intérêts des entreprises et des oligarques, que va-t-il inventer maintenant pour soumettre et vaincre le mouvement indigène, actuellement la seule opposition à son gouvernement ?
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3- ➤ Équateur en détresse : cinq clés pour comprendre un pays brisé
Quelques pistes pour comprendre comment, en quelques années, l'Équateur est passé d'un pays paisible à un territoire gouverné par le crime organisé.
Par Gerardo Szalkowicz, le 10 janvier 2024
Par la force des images, l'irruption d'un gang de narcos brandissant fusils et grenades dans les studios de TC Televisión a choqué le monde entier, dans le paroxysme le plus cinématographique de quelques jours qui ont vu se succéder attentats à l'explosif, émeutes, pillages, fusillades, incendies de voitures, enlèvements et une panique généralisée qui a littéralement paralysé le pays.
Mais la séquence choquante et sans précédent de la chaîne publique de Guayaquil - et les événements qui l'ont précédée et suivie - n'est que le dernier chapitre d'une spirale de violence organisée qui dure depuis environ cinq ans et qui s'est fortement métastasée au cours des deux dernières années. La triste métamorphose d'un pays qui, de deuxième plus sûr d'Amérique latine, est devenu le plus violent, avec un taux d'homicide en hausse de près de 800 % depuis 2019.
La poudrière actuelle
La mèche de ces journées a été allumée par l'évasion de prison de deux barons de la drogue, sur fond d'émeutes et d'enlèvements de policiers dans une demi-douzaine de prisons. La crise carcérale est la face la plus visible de l'hécatombe : les massacres incessants, généralement dus à des affrontements entre gangs, ont fait plus de 460 morts parmi les prisonniers depuis 2021.
Le jeune président Daniel Noboa, entré en fonction voici un mois et demi pour achever le mandat de Guillermo Lasso, a réagi en décrétant l'état d'urgence et un couvre-feu, provoquant ainsi une avalanche d'attaques armées et d'attentats à la bombe dans tout le pays, y compris la prise de contrôle virale du canal.
Face au chaos généralisé, et après avoir reçu le soutien de l'ensemble du spectre politique - y compris de l'ancien président en exil Rafael Correa - Noboa a publié un nouveau décret reconnaissant l'état de "conflit armé interne" et ordonnant à l'armée de neutraliser 22 organisations qu'il a déclarées "groupes terroristes". Le premier jour de cette guerre totale contre les gangs s'est soldé par la mort d'au moins 13 personnes et l'arrestation de 70 autres.
Le pays est en état de choc : les cours sont suspendus, la plupart des magasins fermés et la population se barricade chez elle. Les chars de guerre sillonnent les rues désertes, tandis que les violences et les affrontements se multiplient et que l'issue du conflit est incertaine et sanglante.
Cinq raisons sous-jacentes
Voici quelques indices qui tentent de comprendre comment est né ce modèle de violence et de mort quotidienne régi par des bandes narco-criminelles :
1 - Le facteur international.
L'Équateur est situé entre la Colombie et le Pérou, les plus grands pays producteurs de cocaïne au monde. La présence des FARC dans le sud de la Colombie fonctionnait comme une sorte de blocus pour l'expansion des cartels en Équateur, mais la signature de l'accord de paix en 2016, et la démobilisation des guérilleros qui s'en est suivie, ont déconfiguré ce territoire frontalier et ouvert les vannes pour l'installation de l'économie criminelle, principalement dans les ports de Guayaquil et d'Esmeraldas.
Dans le contexte d'une reconfiguration des routes de la drogue, l'Équateur est devenu un centre régional majeur pour le stockage, le traitement et la distribution de drogues destinées principalement aux États-Unis et à l'Europe. En peu de temps, plus de vingt gangs ont proliféré, opérant de manière fragmentée, dans de nombreux cas en tant que sous-traitants des grands cartels mexicains et colombiens.
2 - Le démantèlement de l'État
Ce qui précède est lié au virage du modèle économique mis en œuvre avec la trahison de Lenín Moreno depuis 2018 et poursuivi par l'ancien banquier Guillermo Lasso. La recette néolibérale d'ajustement, d'austérité publique et de contraction de l'État a conduit à la réduction de la présence institutionnelle, à l'affaiblissement du contrôle des frontières et à la facilitation de la pénétration des gangs.
3 - La dérégulation financière
Conformément aux réformes structurelles néolibérales convenues avec le FMI, les contrôles sur la circulation des capitaux, les sociétés offshore et le blanchiment d'argent ont également été réduits. L'économie dollarisée, qui facilite le blanchiment d'argent et de capitaux, a fermé le cercle parfait pour le fonctionnement des trafiquants de drogue.
4 - La pénétration des institutions
La capacité de manoeuvre et l'omniprésence de ces gangs contrôlant territoires et prisons ne s'expliquent que par l'extension de leurs tentacules dans des secteurs importants des forces de sécurité, de la magistrature et de certaines personnalités politiques.
À la mi-décembre, le bureau du procureur a lancé l'opération Metastasis, qui a conduit à l'arrestation de 29 personnes, dont des juges, des procureurs, des policiers et des avocats, pour leurs liens avec le crime organisé. Dès 2021, les États-Unis avaient retiré leur visa à quatre hauts fonctionnaires de police qu'ils qualifiaient de "narco-généraux".
5 - Un plan régional
Le complot qui détruit l'Equateur a des particularités locales mais répond à un modèle qui s'est fortement installé dans les années 1980 au Mexique, en Colombie ainsi que dans certains pays d'Amérique centrale, et qui s'est propagé ces dernières années, à différentes échelles, à toute la région. Il implique la paramilitarisation des territoires afin de semer la terreur, de désarticuler le tissu social et de maintenir la population en état de sujétion, tout en alimentant une structure d'affaires à plusieurs millions de dollars. Des stratégies de domination tant anciennes que nouvelles pour continuer à garantir le contrôle du paysage latino-américain.
📰 https://www.tiempoar.com.ar/ta_article/ecuador-duele-cinco-claves-para-entender-un-pais-roto/
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