♟ Derrière la culpabilité collective, les dessous sales du soutien inébranlable de l'Allemagne à Israël
"Violée, déshonorée, pataugeant dans le sang... la bête enragée, le sabbat des sorcières de l'anarchie, un fléau pour la culture & l'humanité", Rosa Luxemburg à propos de la société bourgeoise du pays
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SOMMAIRE :
1 - Les dessous du soutien inébranlable de l'Allemagne à Israël - Matthew Read
2 - L'Allemagne devient un État policier à l'encontre de l'activisme pro-Palestine - Hebh Jamal
3 - Ironie de l'histoire : l'Allemagne est poursuivie pour complicité dans le génocide israélien de Gaza - Tarik Cyril Amar
4 - Le Nicaragua accuse l'Allemagne, devant la CIJ, de complicité dans le génocide présumé perpétré par Israël à Gaza - Johann Soufi
5 - La Namibie dénonce le soutien de l'Allemagne aux intentions génocidaires de l'État raciste d'Israël à l'encontre de civils innocents à Gaza - Compte Twitter du gouvernement namibien
6 - "Demain sera un jour palestinien" - Ghassan Abu-Sittah
7 - L'Allemagne se sent à nouveau spéciale - Tarik Cyryl Amar
8 - La police berlinoise fait une descente et empêche la tenue d'une conférence contre le génocide perpétré à Gaza - Tamino Dreisam & Peter Schwarz
9 - Yanis Varoufakis : "Mon plaidoyer pour l'humanité et la justice en Palestine qui m'a valu d'être banni" - Yanis Varoufakis
10 - Comment la CIA a créé l'Allemagne d'aujourd'hui - Kit Klarenberg
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1- ➤ Les dessous du soutien inébranlable de l'Allemagne à Israël
Pour comprendre le soutien inconditionnel de ce pays au génocide israélien, il faut comprendre les origines de l'État allemand.
Au lieu d'affronter les racines économiques du fascisme et les sections de la classe dirigeante qui ont soutenu Hitler, l'Allemagne, depuis 1949, a encouragé un récit de culpabilité collective.
Par Matthew Read, le 27 mars 2024, People Dispatch
L'ampleur du soutien apporté par le gouvernement allemand à Israël lors de l'offensive en cours à Gaza en a surpris plus d'un. Le chancelier allemand Olaf Scholz s'est montré encore plus modéré dans ses critiques à l'égard de Tel-Aviv que le président américain Joe Biden. La notion de Staatsräson ("raison d'État") est un point de référence central pour les hommes politiques allemands. Ce terme a été inventé pour la première fois dans un essai de l'ancien ambassadeur d'Allemagne en Israël, Rudolf Dreßler, au début des années 2000, et repris par Angela Merkel dans un discours devant la Knesset en 2008. Il est depuis devenu une pièce maîtresse des déclarations publiques allemandes et un outil idéologique pour légitimer le "droit à l'autodéfense" d'Israël. Comme l'a déclaré Scholz le 12 octobre 2023 :
"En ce moment, il n'y a qu'une seule place pour l'Allemagne. Nous sommes aux côtés d'Israël. C'est ce que nous voulons dire lorsque nous affirmons que la sécurité d'Israël est le Staatsräson de l'Allemagne".
Dans ce contexte, un nombre croissant de nations du Sud ont commencé à contester l'Allemagne pour avoir blanchi et même justifié le génocide des Palestiniens. En janvier 2024, le défunt président de la Namibie, Hage Geingob, a publié une déclaration critiquant vivement l'Allemagne pour sa défense non critique d'Israël et soulignant que le gouvernement allemand soutenait désormais activement un génocide en Palestine alors qu'il n'avait toujours pas expié son génocide contre les Herero et les Nama en Namibie (1904-1908). Pour des raisons similaires, le gouvernement nicaraguayen poursuit aujourd'hui l'Allemagne devant la Cour internationale de justice pour avoir aidé et encouragé le génocide israélien à Gaza.
Pour comprendre ce qui se cache derrière la Staatsräson allemande et ses relations bilatérales avec Israël, il est nécessaire de comprendre les origines de l'État allemand actuel et la tradition dans laquelle il s'inscrit.
Le contexte historique
La République fédérale d'Allemagne (RFA, communément appelée "Allemagne de l'Ouest" pendant la guerre froide) a été fondée en mai 1949. À l'instar de la Corée du Sud et de Taïwan, la RFA a été créée après la Seconde Guerre mondiale sous l'égide des États-Unis pour servir de rempart contre le socialisme. En tant qu'acteur central des stratégies occidentales d'"endiguement" et de "recul", l'État ouest-allemand devait être à la fois agressif envers l'Est socialiste et docile envers l'Ouest capitaliste. L'influence des entreprises qui avaient financé Hitler a ainsi été intentionnellement restaurée et les hommes d'affaires liés au parti nazi ont été officieusement pardonnés pour leur rôle dans les crimes contre l'humanité de l'Allemagne fasciste, bien qu'ils aient souvent profité directement du travail forcé sous le Troisième Reich (par exemple, Daimler, Siemens, Rheinmetall, etc.). Dans le même temps, la RFA était étroitement liée à l'ordre dirigé par les États-Unis par le biais du plan Marshall et de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), qui comprend encore aujourd'hui le stationnement de dizaines de milliers de soldats américains en Allemagne.
Les dirigeants de la jeune RFA ont immédiatement été confrontés au problème de savoir comment aborder publiquement l'Holocauste. Des photos de détenus des camps de concentration ont provoqué une onde de choc dans le monde entier et ont donné naissance à l'appel international Plus jamais ça ! Cependant, sur le plan intérieur, l'Allemagne de l'Ouest ne pouvait se permettre une dénazification complète de la société, qui aurait déstabilisé la base capitaliste de la RFA, comme cela a été le cas en Allemagne de l'Est, où les criminels de guerre et les hommes d'affaires nazis ont été rigoureusement expropriés. Ainsi, plutôt que de s'attaquer aux racines économiques du fascisme et de poursuivre les membres de la classe dirigeante pour leur complicité avec Hitler, les conservateurs et les libéraux de la RFA ont encouragé un récit de culpabilité collective de l'Allemagne que tous les citoyens devraient expier. La montée du fascisme n'est pas due au capitalisme et au système libéral de la République de Weimar (1918-1933), mais à la propension culturelle du peuple allemand.
Cette stratégie politique s'est manifestée par le soutien de l'Allemagne de l'Ouest à l'État d'Israël, fondé un an avant la RFA. Le premier chancelier ouest-allemand, Konrad Adenauer, avait publiquement décrit le premier accord de réparation de la RFA avec Israël en 1952 comme étant "fondé sur une obligation morale impérieuse". Face aux critiques internes concernant cet accord de trois milliards de marks - en particulier de la part du parti libéral-démocrate (FDP) et de son propre parti, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) - Adenauer avait annoncé : "il existe des valeurs plus élevées que les bonnes affaires". Pourtant, des documents du ministère allemand des affaires étrangères récemment mis au jour révèlent qu'Adenauer n'était en fait "disposé à négocier des réparations [avec Israël] qu'en raison de la pression exercée par les États-Unis". Le chancelier avait fait référence aux relations de l'Allemagne de l'Ouest avec les États-Unis et avait déclaré que "
rompre les négociations avec Israël sans résultat entraînerait les plus graves dangers politiques et économiques pour la République fédérale".
En d'autres termes, les États-Unis ont stipulé que si la RFA voulait redevenir un acteur puissant de la politique européenne, elle devrait apporter un soutien politique, économique et militaire important à l'État d'Israël. Si, au début, cette condition a suscité un vif mécontentement au sein du pays, les dirigeants de la RFA en sont venus à considérer les relations avec Israël comme propices à leurs propres intérêts, tant en termes de stratégie géopolitique que d'activités rentables pour les industries allemandes.
Ainsi, les ventes d'armes à Israël ont explosé ces dernières années ; Siemens bénéficie régulièrement de contrats israéliens, comme l'appel d'offres de 2018 des chemins de fer israéliens d'une valeur d'environ un milliard d'euros ; et le groupe pharmaceutique allemand Merck (dont la famille fondatrice était des nazis convaincus) entretient également des sites de recherche et des projets d'une valeur de plusieurs millions à travers Israël. Face aux images effroyables en provenance de Palestine, les médias allemands justifieront l'exportation d'armes et de capitaux vers Israël en répétant sans esprit critique la ligne officielle du gouvernement :
"Dans le passé, l'Allemagne a surtout fourni des sous-marins à Israël et a également subventionné les exportations avec l'argent des contribuables. La raison en est que l'Allemagne a déclaré que la sécurité d'Israël était un Staatsräson ("raison d'État"), compte tenu de l'assassinat de six millions de Juifs par l'Allemagne nazie".
Des concepts tels que le Staatsräson et la culpabilité collective allemande ont donc été développés en tant qu'instruments idéologiques pour détourner la responsabilité de la classe capitaliste allemande des crimes de guerre nazis dans le passé et pour dissimuler la poursuite brutale de ses intérêts économiques et politiques en Asie occidentale à l'heure actuelle. Cela aide le gouvernement allemand à créer des limites extrêmement étroites pour le débat public autour de ces politiques. Depuis le 7 octobre, la Staatsräson a également été utilisée pour intensifier considérablement les mesures anti-migrants. La plus effrontée de ces mesures est peut-être un nouveau décret dans l'État de Saxe-Anhalt, où les candidats à la citoyenneté allemande devront désormais prêter serment d'allégeance au "droit à l'existence" d'Israël.
Le Sud mondial défie l'hypocrisie allemande
Si le soutien inconditionnel de la RFA à Israël n'est pas nouveau, il a été mis en lumière par un nombre croissant d'États du Sud qui s'élèvent contre le génocide israélien.
Dans la presse allemande, les chroniqueurs se sont empressés de délégitimer le procès intenté par l'Afrique du Sud à Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) en le qualifiant de "manifestement unilatéral". Le ministre allemand de l'économie, Robert Habeck (Verts), s'est contenté de balayer l'affaire du revers de la main :
"Accuser Israël de génocide, c'est, à mon avis, inverser complètement les victimes et les auteurs, et c'est tout simplement faux".
Ici encore, le rôle de la classe capitaliste allemande dans l'alimentation du nazisme est confondu avec une "responsabilité historique particulière" que tous les Allemands partagent à l'égard d'Israël :
"En raison des chapitres les plus sombres de notre histoire, l'Allemagne doit vivre avec la terrible responsabilité d'un génocide perpétré en son nom. [L'Allemagne nazie a commis l'un des pires crimes de l'histoire de l'humanité, l'Holocauste contre les Juifs d'Europe. En gardant tout cela à l'esprit, nous pensons que la légitime défense contre un régime terroriste se cachant derrière la population civile comme bouclier humain pour maximiser la souffrance et rendre impossible la défense contre ses actions, ne constitue pas une intention génocidaire".
De tels arguments continuent d'influencer une grande partie de la population allemande, mais les dirigeants des pays du Sud sont moins perméables et ont commencé à remettre en question l'hypocrisie du gouvernement allemand. La première accusation sérieuse a été formulée au début de l'année 2024, lorsque le président namibien de l'époque, Hage Geingob, a publié une déclaration rappelant au monde que
l'Allemagne s'était rendue coupable du "premier génocide du 20ème siècle en 1904-1908, au cours duquel des dizaines de milliers de Namibiens innocents ont trouvé la mort dans les conditions les plus inhumaines et les plus brutales".
Renversant implicitement le Staaträson allemand, Geingob a affirmé qu'en intervenant devant la CIJ "pour défendre et soutenir les actes génocidaires d'Israël", la RFA a en fait révélé son "incapacité à tirer les leçons de son histoire abominable".
Au début du mois de mars 2024, un nouveau défi public a été lancé par le Sud : Le Nicaragua a déposé une nouvelle plainte devant la CIJ, cette fois directement contre l'Allemagne, accusant Berlin de violer ses obligations au titre de la "Convention sur le génocide" de 1949. Par son soutien politique, financier et militaire à Israël et par la suppression du financement de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA),
"l'Allemagne facilite la perpétration d'un génocide et, en tout état de cause, a manqué à son obligation de faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la commission d'un génocide".
Les libéraux allemands se sont empressés de qualifier cette affaire de
"manœuvre de diversion bon marché [...] d'une dictature qui refuse à ses propres citoyens toute garantie de l'État de droit".
Pourtant, quelques semaines plus tard, le gouvernement allemand a de nouveau été condamné publiquement, et cette fois-ci, cette condamnation n'est pas venue des "gouvernements autocratiques de gauche" d'Amérique latine, mais d'un allié jusqu'alors proche, la Malaisie. Lors d'une conférence de presse commune à Berlin, le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim a répondu à l'insistance de Scholz sur le droit d'Israël à l'autodéfense en demandant de manière provocante :
"Où avons-nous perdu notre humanité ? Pourquoi cette hypocrisie ? Pourquoi cette attitude sélective et ambivalente à l'égard d'une race ?".
Ces développements sont les derniers signes de l'affaiblissement de l'hégémonie idéologique et économique de l'Occident. Des concepts tels que "l'ordre international fondé sur des règles" et le Staatsräson allemand n'ont plus assez de poids pour faire taire les dissidents au niveau international. La lutte pour la propriété d'organismes internationaux tels que la CIJ est une expression de la "nouvelle humeur" dans le Sud.
L'Occident sape sa propre hégémonie idéologique
La République fédérale d'Allemagne s'inscrit dans la tradition du capitalisme allemand, avec tous les squelettes qui se cachent dans son placard. Son soutien inconditionnel à Israël est le produit, d'une part, d'intérêts économiques et géopolitiques égoïstes dans la région et, d'autre part, d'un effort pour détourner la responsabilité de l'holocauste et de la réticence à dénazifier la société ouest-allemande. L'autre Allemagne - la République démocratique allemande (RDA) - s'inscrivait dans une tradition très différente. Elle était gouvernée par les communistes et les sociaux-démocrates qui avaient croupi en exil ou dans les camps de concentration d'Hitler pendant le Troisième Reich. La revendication "Plus jamais ça" n'y était pas comprise comme une culpabilité collective à porter par tous les Allemands, mais comme un devoir militant de combattre le fascisme et le racisme, quelle que soit la forme qu'ils prenaient. En tant que telle, la RDA soutenait fermement le droit des Palestiniens à l'autodétermination et à la résistance à l'occupation.
Aujourd'hui, en Allemagne, l'espace de débat public sur cette question devient de plus en plus étroit. Le soutien à la Palestine est censuré ou carrément interdit. Pourtant, le gouvernement allemand ne peut faire taire aussi facilement les États du Sud. En continuant à voyager d'un pays à l'autre, en justifiant sans cesse le génocide israélien à Gaza tout en propageant la notion de "politique étrangère féministe", le gouvernement allemand sape rapidement l'hégémonie idéologique de l'Occident et expose sa propre hypocrisie au monde entier.
Matthew Read est chercheur au Zetkin Forum, basé à Berlin.
📰 https://peoplesdispatch.org/2024/03/27/whats-really-behind-germanys-unshakeable-support-of-israel/
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2- ➤ L'Allemagne devient un État policier à l'encontre de l'activisme pro-Palestine
L'État allemand prend des mesures extraordinaires pour réprimer l'activisme pro-palestinien, notamment en arrêtant des militants à leur domicile en pleine nuit.
Par Hebh Jamal, le 7 avril 2024, Mondoweiss
Le 22 mars à 6 heures du matin, les militants pro-palestiniens Said et Yasemin, qui dormaient à leur domicile berlinois, ont été réveillés par des policiers armés et cagoulés qui ont enfoncé leurs portes au même moment. La police berlinoise a ensuite fouillé leurs effets et confisqué leurs appareils électroniques, y compris leurs téléphones. Cette descente simultanée avait pour but de dissuader l'un de communiquer avec l'autre ou de l'avertir.
Dans une série de messages publiés sur les réseaux sociaux, Said a déclaré que cette descente était la troisième visite de la police et qu'il maintenait être visé pour son activisme et qu'il n'avait rien fait de mal.
"Pourquoi le gouvernement allemand fait-il tout son possible pour me criminaliser ? Je n'ai rien fait de mal. Je rends le gouvernement allemand et les médias responsables de tout ce qui pourrait m'arriver !"
Yasemin me dit qu'elle a été prise pour cible en raison d'une vidéo qu'elle a réalisée sur les réseaux sociaux concernant l'action menée contre le diplomate et ambassadeur d'Israël en Allemagne, Ron Proser. "J'ai expliqué pourquoi les militants protestaient contre Proser dans ma vidéo, mais la police [a pris cela comme une preuve] de ma présence". Or le Yasemin n'y était pas.
Elle estime toutefois que cette descente n'était pas un incident isolé, mais s'inscrivait en fait dans le cadre d'une campagne plus vaste menée par les autorités à l'encontre des militants pro-palestiniens.
"Nous ne sommes pas seulement attaqués et arrêtés, nous sommes aussi prématurément triés sur le volet alors que nous participons à des rassemblements de protestation légaux.
Un jour, après m'avoir arrêtée sans aucune raison, ils ont pris mes empreintes digitales et ma photo d'identité et m'ont emprisonnée", a déclaré Yasemin.
Au moins une fois, des policiers en civil l'ont même suivie jusqu'à son domicile.
"Tout cela parce que je proteste activement contre les violations des droits de l'homme commises par Israël. Je suis inquiète parce que je me demande maintenant quelle sera la prochaine étape. Vont-ils aller jusqu'à me tirer dessus ?"
Ce n'est pas la première fois que la police berlinoise fait une descente au domicile d'une personne à cause d'une publication sur les réseaux sociaux. Au début du mois, la police a frappé à la porte d'une femme d'âge moyen qui avait posté "de la rivière à la mer, la Palestine sera libre" sur ses réseaux sociaux et l'a arrêtée. Elle a été inculpée pour "utilisation des symboles d'organisations anticonstitutionnelles", a déclaré la police de Berlin dans un communiqué. En Allemagne, le ministère de l'intérieur a déterminé de son propre chef que le chant de protestation populaire était le slogan du Hamas et du réseau de solidarité Samidoun, une organisation pro-palestinienne interdite.
L'Allemagne opère comme une extension de l'État d'apartheid israélien. Non seulement ce pays diffuse à l'encontre des Palestiniens la même propagande qu'Israël, mais il a également adopté des tactiques similaires de guerre psychologique envers les activistes afin de décourager la solidarité au sein du pays.
Les raids effectués sur les réseaux sociaux sont extrêmement similaires à la "politique de tolérance zéro" menée par Israël à l'égard des réseaux sociaux en Palestine, qui a conduit à l'arrestation de centaines de Palestiniens de nationalité israélienne ayant exprimé leur solidarité ou leur soutien à la population de Gaza. Dans une vidéo virale diffusée au début de ce conflit, la police israélienne a arrêté une femme pour un message posté sur Whatsapp. Dans la vidéo, elle supplie les officiers et, par peur, se rétracte même en disant : "Que Dieu protège Israël".
Bien évidemment, les messages ne constituent nullement une menace, ni pour Israël, ni pour l'Allemagne. Les raids et les arrestations ont pour but de susciter la peur et de dissuader d'autres citoyens de participer à des manifestations ou de s'exprimer contre le génocide israélien à Gaza.
Auto-absolution
À Berlin, cela s'est traduit par des mesures extraordinaires visant à réprimer l'activisme pro-palestinien. Tout récemment, l'État et les médias ont fait tout leur possible pour empêcher la tenue du Congrès sur la Palestine, un rassemblement d'universitaires, d'activistes et de journalistes internationaux tels que l'historien Salman Abu Sitta et le journaliste Ali Abunimah.
La sénatrice de l'intérieur, de la numérisation et du sport, Iris Spranger, a déclaré que les autorités surveillaient le projet de conférence sur la Palestine, tandis que le chef de faction de la CDU, Dirk Stettner, a exigé que tout soit fait pour empêcher le prétendu "événement antisémite".
"Il s'agit d'une violation flagrante de notre liberté d'expression. Le fait que le gouvernement allemand et la presse aient qualifié la conférence de rassemblement de haine antisémite, sans même s'intéresser au contenu de la conférence ou mentionner qu'un groupe juif important aide à l'organisation et qu'un quart des orateurs sont juifs, montre que les politiciens allemands ne sont pas intéressés par la protection de la communauté juive en Allemagne, mais préfèrent intimider, menacer et restreindre financièrement les organisateurs pour protéger leur propre idéologie génocidaire", m'a rapporté l'un des organisateurs du congrès sur la Palestine.
Judische Stimme, le groupe juif antisioniste qui fait partie du comité d'organisation, finance le congrès. Il est désormais la cible de la campagne de répression de l'État. Mardi, la banque publique Berliner Sparkasse a bloqué le compte du groupe et tous les fonds collectés sur GoFundMe pour le congrès sont à présent inaccessibles. La banque a exigé de connaître les noms et adresses actualisés de chaque membre de l'organisation, une mesure sans précédent et pour le moins étrange. Le groupe estime au contraire que cette situation est directement liée à son travail de solidarité.
"L'État allemand criminalise et intimide les juifs qui s'élèvent contre le génocide, le plus ridicule étant que l'État présente cela comme une "lutte contre l'antisémitisme"", ont déclaré les organisateurs du congrès.
En effet, cette attaque contre la conférence n'a pas pour but de protéger le peuple juif. Elle vise à justifier la réponse coloniale de ce pays à l'Holocauste : en protégeant la sécurité nationale d'Israël (ou ce qu'ils ont décrit en 2008 comme leur Staatsräson ou raison d'État), l'Allemagne peut tourner la page sur son passé nazi. Et en affirmant qu'Israël est, en fait, le véritable représentant de la communauté juive mondiale et que la définition de l'antisionisme et de l'antisémitisme doit être considérée comme un fait, il ne peut y avoir d'espace pour l'identité palestinienne.
En fait, pour l'Allemagne, les Juifs antisionistes représentent la même menace pour l'État que les Palestiniens, car ils obligent le pays à faire face au génocide du passé et à leur soutien au génocide et à l'apartheid du présent.
Remettre en cause l'État policier allemand
Un de mes amis palestiniens, Mahmoud, est actuellement pris pour cible par l'État de Karlsruhe pour avoir tenu les propos suivants lors d'une manifestation :
"La Palestine est pour tous les peuples, de la rivière à la mer, indépendamment de leur confession ou de leur religion."
Ces propos ont suffi à l'État pour déclarer qu'il avait commis un crime de haine en remettant en cause le droit d'Israël à exister. Il a été condamné à payer 7 500 euros d'amende.
Au cours de nos conversations, Mahmoud a non seulement exprimé le caractère surréaliste et grotesque de la situation, mais aussi le fait que l'État est prêt à se donner beaucoup de mal pour le cataloguer, lui et tous les Palestiniens, comme de dangereux criminels méritant qu'on leur consacre du temps et de l'argent pour les poursuivre en justice.
"Aujourd'hui, c'est moi, mais ensuite, ce sera tout les autres", m'a-t-il dit.
Cette peur de dire ce qu'il ne faut pas ou d'être qualifié d'activiste est visible et ressentie dans les rues d'Allemagne. Nombreux sont ceux qui ont renoncé à venir aux manifestations. Les musulmans et les mosquées ont cessé de faire de la publicité pour les manifestations, et beaucoup hésitent même à s'afficher sur les réseaux sociaux. L'impact psychologique de la guerre menée par l'Allemagne contre les Palestiniens fait son œuvre, tandis que l'élite des médias soutient la rhétorique hégémonique de l'État.
Des militants comme Mahmoud, Yasemin et Said défendent constamment le peuple palestinien avant le 7 octobre comme aujourd'hui, en dépit des mesures draconiennes prises par l'État pour criminaliser la solidarité avec la Palestine. Cependant, de nombreux Allemands doivent prendre de multiples risques lorsqu'ils décident de participer à une manifestation ou de partager un message sur les réseaux sociaux, car ils se rendent compte que leur démarche visant à mettre fin à un génocide équivaut à remettre en question l'État allemand lui-même.
Cependant, Yasemin, qui n'est pas elle-même palestinienne, me dit que même si elle est inquiète, cela ne l'empêchera jamais de se battre pour la cause palestinienne.
"Tant que le génocide et la coopération ne s'arrêteront pas, tant que les vrais criminels seront là, je ferai entendre la voix des Palestiniens. Je ne pourrais dormir la nuit en sachant que je ne fais rien contre cela, même s'il ne s'agit que d'être présent à une manifestation."
Sur Instagram, Said a écrit que,
bien que "le ciblage du gouvernement à mon égard ait conduit à des menaces, je refuse de garder le silence."
Mahmoud m'a exprimé un sentiment similaire alors que nous nous remémorions près d'un olivier qu'il avait réussi à ramener chez lui depuis Naplouse.
"En tant que Palestinien, je n'ai pas le choix. Nous devons nous battre."
Mahmoud conteste devant les tribunaux l'amende infligée par l'État de Karlsruhe et ne capitule pas devant un seul chef d'accusation.
"Je suis convaincu de n'avoir rien fait de mal et je sais que moi-même comme tous les autres militants pro-palestiniens sommes du bon côté de l'histoire".
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3- ➤ Ironie de l'histoire : l'Allemagne est poursuivie pour complicité dans le génocide israélien de Gaza
Le retournement mondial contre Israël est loin d'être achevé, mais l'affaire de Managua devant la CIJ en est l'un des signes les plus clairs.
Par Tarik Cyril Amar, le 8 avril 2024, Blog de l'auteur
Les 8 et 9 avril, la Cour internationale de justice (CIJ), souvent appelée Cour mondiale, tiendra des audiences dans le cadre d'une affaire opposant le Nicaragua à l'Allemagne. Managua accuse Berlin de faciliter le génocide et les violations du droit international par Israël à l'encontre des Palestiniens et cherche à mettre fin à l'aide militaire à l'État juif.
L'issue des auditions est imprévisible. Mais il s'agit clairement d'un événement très important qui pourrait avoir des conséquences considérables, et ce pour trois raisons :
Premièrement, il s'agit de la plus haute juridiction des Nations unies. Elle n'a pas la capacité indépendante de faire appliquer ses décisions, mais celles-ci ont un poids politique, que ce soit à court ou à long terme.
Deuxièmement, bien qu'Israël ne soit pas directement présent dans la salle d'audience, son génocide en cours à Gaza est au cœur de la procédure.
Enfin, quelle que soit la décision de la CIJ, elle aura des répercussions sur d'autres pays, notamment occidentaux, qui ont soutenu Israël et son agression.
L'argument principal du Nicaragua n'est pas compliqué : la convention des Nations unies de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide (en bref, la convention sur le génocide) codifie plus d'une infraction. Selon ses termes, perpétrer un génocide - article 3(a) - n'est qu'une façon de commettre un crime horrible. Il en va de même pour la complicité (article 3(e)). Enfin, tous les États signataires s'engagent non seulement à ne pas être auteurs ou complices, mais aussi à prévenir et à punir le génocide (article 1).
Les représentants de Managua soutiennent que Berlin est coupable à deux titres principaux : "L'Allemagne facilite la commission d'un génocide", affirment-ils, ce qui signifie qu'elle agit en tant que complice. Et "en tout état de cause, elle a manqué à son obligation de faire tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher la commission du génocide". En outre, le Nicaragua accuse Berlin de violer le droit international humanitaire, également connu sous le nom de droit des conflits armés, ainsi que diverses autres normes contraignantes du droit international, en aidant Israël à poursuivre ses occupations illégales, son système d'apartheid et sa "négation du droit à l'autodétermination du peuple palestinien".
Malgré une désinformation persistante, le terme "apartheid" ne se réfère pas uniquement au cas historique du régime raciste sud-africain entre 1948 (officiellement) et le début des années 1990. Au contraire, l'apartheid est un crime contre l'humanité internationalement reconnu depuis un demi-siècle déjà, comme le confirme l'article 7 du statut de Rome (la base de la Cour pénale internationale) de 1998. En d'autres termes, l'apartheid est un crime de la même catégorie que, par exemple, l'"extermination" ou l'"esclavage" et peut malheureusement se produire n'importe où.
Dans le même ordre d'idées, le droit à l'autodétermination n'est pas une question d'idéologie ou de rhétorique politique, ni même de choix. Il s'agit plutôt d'un principe fondamental du droit international moderne. Il a été codifié dans la Charte des Nations unies et a été réaffirmé à maintes reprises dans des conventions et traités clés, ainsi que, et c'est peut-être le plus notoire, dans la "Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux" adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies en 1960.
En somme, le Nicaragua ne plaisante pas : Son cas fait appel à de nombreuses obligations cardinales en vertu du droit international. Il va également beaucoup plus loin que les "simples" actions de l'Allemagne lors de l'attaque génocidaire d'Israël contre les Palestiniens, actuellement en cours. À cet égard, l'affaire se concentre sur la poursuite et, en fait, l'escalade des exportations militaires de l'Allemagne vers Tel-Aviv et sur la décision de Berlin de supprimer le soutien financier à l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Mais Managua vise également les fondements de la politique de longue date de Berlin à l'égard d'Israël et donc, inévitablement, à l'égard de la Palestine. Les enjeux sont par conséquent encore plus importants qu'il n'y paraît à première vue.
La réaction publique en Allemagne a été discrète et souvent peu sérieuse : le journal archi-conservateur Welt, par exemple, soupçonne le Nicaragua d'agir dans l'intérêt de la Russie : L'Allemagne est l'un des principaux partisans des sanctions imposées par l'UE à la Russie au sujet de l'Ukraine, de sorte que Managua - caricaturé dans le meilleur style de la guerre froide comme étant "fidèle à Moscou " - doit essayer de rendre la monnaie de sa pièce au Kremlin. Des preuves ? Zéro, bien sûr. (Le Welt est bien sûr une publication phare du groupe de médias Axel Springer, extrêmement pro-israélien. Il gagne également de l'argent grâce au courtage dans les colonies illégales d'Israël en Cisjordanie occupée).
Mais l'Allemagne et ses motivations et rationalisations alambiquées ne sont pas, en fait, l'aspect le plus intéressant de cette affaire. Celui-ci réside plutôt dans ses implications internationales : C'est la première fois qu'il est demandé à la CIJ de se prononcer sur une accusation de complicité dans le génocide perpétré à Gaza.
La plainte de l'Afrique du Sud contre Israël portait, bien entendu, sur le rôle d'Israël en tant qu'auteur principal du crime. Il est important de rappeler que la CIJ a estimé qu'il existait une possibilité plausible qu'Israël commette effectivement un génocide, ce qui, à ce stade, était la pire issue possible pour Tel-Aviv (car les décisions complètes dans ce type d'affaires prennent toujours des années). Les juges ont donné plusieurs instructions à Israël (que son gouvernement a toutes traitées avec un mépris total) et, bien sûr, ont autorisé la poursuite de l'affaire. Étant donné qu'Israël n'a fait qu'intensifier sa politique de violence anarchique depuis lors, il se pourrait bien qu'il soit condamné dans un avenir pas si lointain.
En attendant, même la conclusion préliminaire de la CIJ selon laquelle le génocide est plausible a renforcé l'urgence de la question de la complicité : Si le génocide est au moins une possibilité plausible, la complicité l'est tout autant. La question clé est donc de savoir comment la Cour définira la complicité. On voit mal comment la livraison d'armes et de munitions ne pourrait pas être considérée comme une complicité. De même, la suspension par l'Allemagne de son soutien financier à l'UNRWA était absurde, car elle se fondait sur des allégations israéliennes qui, à leur tour, sont susceptibles d'avoir impliqué l'extorsion de faux aveux par la torture.
Ce n'est pas pour rien que de nombreux autres pays (tels que la Norvège, l'Irlande, la Belgique, la Turquie, l'Espagne, le Portugal et l'Arabie saoudite) n'ont jamais cessé de soutenir l'UNRWA, tandis que d'autres qui avaient initialement cessé de payer ont repris leur financement (la France, le Japon, la Suède, la Finlande, le Canada et l'UE). L'immonde compromis de l'Allemagne - rétablir partiellement le financement mais exclure spécifiquement Gaza, où l'aide est la plus urgente - risque fort de ne pas impressionner les juges.
Néanmoins, il est peu probable que le Nicaragua obtienne gain de cause avec toutes ses accusations, même si, de l'avis de l'auteur, elles sont toutes parfaitement logiques. Mais même une victoire partielle de Managua aurait des implications qui iraient bien au-delà de l'Allemagne. Si les juges suivent, même dans une certaine mesure, l'argument clé du plaignant concernant la complicité, tous les gouvernements et organismes internationaux ayant soutenu Israël au cours de son assaut actuel contre les Palestiniens risqueront de faire l'objet d'accusations similaires. Comme cela devrait être le cas.
Cet effet de précédent potentiel serait un motif de profonde inquiétude pour les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'Union européenne dans son ensemble, ou du moins pour sa Commission qui s'empare du pouvoir sous la direction de l'impitoyable partisane d'Israël, Ursula von der Leyen. Comme l'a noté le Washington Post, un élan mondial croissant se desssine, enfin, en faveur de l'arrêt des livraisons d'armes à Israël. Les États-Unis et l'Allemagne, qui fournissent près de 99 % de toutes les importations d'armes à Israël, sont les deux principaux résistants, mais ils semblent de plus en plus isolés.
Et les institutions ne sont pas les seules à avoir des raisons de s'inquiéter, les individus aussi. Certains fonctionnaires britanniques se rebellent déjà parce qu'ils n'apprécient pas de se retrouver complices d'un génocide. Dans le même ordre d'idées, plus de 600 juristes, universitaires et anciens juges importants, y compris d'anciens juges de la Cour suprême, ont publiquement averti le gouvernement britannique "qu'il enfreint le droit international en continuant d'armer Israël".
Ce virage vers une attitude plus critique à l'égard de Tel-Aviv a été fortement catalysé par le récent massacre par Israël de sept membres du personnel de l'organisation humanitaire World Central Kitchen (WCK). Si l'une des victimes était un jeune Palestinien, les autres étaient, d'une manière générale, des "Occidentaux". Il est clair que ces morts ont beaucoup plus de valeur pour les élites occidentales et, dans l'ensemble, pour l'opinion publique, que celles de plus de 30 000 Palestiniens. Même aux États-Unis, des dizaines de membres démocrates du Congrès ont demandé publiquement l'arrêt des transferts d'armes vers Israël. Parmi les signataires figurent non seulement les critiques traditionnels d'Israël, comme Rashida Tlaib, mais aussi Nancy Pelosi, partisane inconditionnelle d'Israël.
Le Nicaragua a déposé son dossier auprès de la CIJ le 1er mars. Les audiences auront lieu dès maintenant. Il s'est avéré que la vilenie des forces israéliennes en général, et dans le cas particulier de l'attaque contre le convoi des WCK, a eu pour conséquence que Berlin, et indirectement Tel Aviv, se trouvent aujourd'hui confrontés à ces audiences face à un retournement généralisé, même s'il est loin d'être exhaustif, de l'opinion publique à l'égard d'Israël. Les juges de la CIJ sont, bien entendu, des juristes de haut niveau. Leur évaluation de l'affaire ne dépendra pas de ce contexte immédiat, et ils pourraient même décider de rejeter l'affaire de Managua, bien qu'ils ne le devraient pas. Mais la question de la complicité dans le génocide israélien ne disparaîtra pas, d'une manière ou d'une autre.
Enfin, ce que beaucoup d'Allemands semblent oublier, comme l'infortuné mais arrogant Welt avec ses œillères et sa phraséologie usée de la guerre froide, c'est que le Nicaragua est un représentant classique à la fois du Sud global et du monde multipolaire émergent. À travers l'Allemagne, il défie un représentant tout aussi traditionnel de l'Occident, même s'il est secondaire et en proie à des crises. Le seul fait que l'Occident soit en train de perdre le contrôle des institutions et des récits clés marque un changement fondamental. Pour reprendre les termes tristement racistes du chef de la politique étrangère de l'UE, Josep Borrell, la "jungle" rend visite au "jardin". Mais c'est le jardin qui est sur la défensive : légalement, moralement et aux yeux de la majorité de l'humanité.
Publié pour la première fois sur RT.com le 7 avril 2024
Tarik Cyril Amar : C'est ici que j'écris sur tout ce qui m'intéresse et peut intéresser les autres. En général, mais pas toujours, cela finit par être lié à la politique, à la géopolitique, aux récits que nous sommes censés croire, et, en général, au pouvoir et à ses méthodes les plus viles.
📰 https://tarikcyrilamar.substack.com/p/historic-irony-germany-is-being-sued
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4- ➤ Le Nicaragua accuse l'Allemagne, devant la CIJ, de complicité dans le génocide présumé perpétré par Israël à Gaza
Johann Soufi explique brièvement les enjeux et la complexité juridique de cette démarche, et nous résume les audiences.
Pour rappel, Johann Soufi est avocat international spécialisé dans la justice et les droits de l'homme, directeur de l’Institut de formation juridique et de plaidoyer international ( IILAT) qui propose une formation sur mesure en plaidoyer et en droit international aux avocats, procureurs, juges et membres de la société civile travaillant dans le domaine de la justice internationale, ex-responsable juridique du Tribunal spécial pour le Liban, les Nations Unies, l’UNRWA.
L'analyse de Johann Soufi via Twitter X, les 8 & 9 avril 2024
Plaidoyer du Nicaragua
Le 1er février 2024, le Nicaragua a demandé à quatre pays - le Canada, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l'Allemagne - de suspendre leur soutien militaire à Israël, conformément à leurs obligations découlant de la Convention de 1948 sur le génocide.
À l’audience aujourd’hui devant la Cour (le 8 avril), le Nicaragua est représenté par son ambassadeur à La Haye, par l’avocat franco-allemand Daniel Müller, et le Prof. Alain Pellet, professeur à l’université Panthéon-Assas qui avait déjà représenté la Palestine devant la CIJ, le mois dernier.
Un petit commentaire ici. Cela met en lumière la beauté du droit international et de la justice internationale, qui transcendant les considérations nationales ou identitaires.
Deux questions juridiques principales aujourd’hui :
1. La requête du Nicaragua répond-elle aux critères pour l'adoption de mesures conservatoires ?
2. La jurisprudence de la CIJ dans l'affaire "l'Or Monétaire" est elle un obstacle ?
Ne paniquez pas, je vous explique.
Concernant les mesures conservatoires, on s’en souvient, elles requièrent pour la Cour de constater l’existence d'un préjudice imminent et irréparable qu’elle doit prévenir.
Le Nicaragua soutient qu'Israël commet des crimes de droit international (c'est certain), dont un génocide (c’est en débat devant la Cour). Il soutient également que l'Allemagne doit s'abstenir de prêter aide et assistance à ces crimes (c'est exact).
Le Nicaragua commence en rappelant que le droit d'Israël à se défendre ne doit être interprété que comme "le droit de protéger ses citoyens", et non comme un droit à la légitime défense au sens de l'article 51 de la Charte de l’ONU, car Israël est une puissance occupante à Gaza.
En tout état de cause ce doit être exercé dans les limites du droit international humanitaire. "L’Allemagne ne peut continuer à soutenir l’armée israélienne alors qu’elle a connaissance des crimes internationaux qui sont actuellement commis à Gaza", plaide Müller.
Le Nicaragua estime que ces crimes sont perpétrés en affamant la population de Gaza, un crime de guerre, contre l'humanité, et possiblement un génocide, et que la décision du ministère allemand des Affaires étrangères de suspendre sa contribution à l'UNRWA est susceptible de faciliter ces crimes.
Le Nicaragua considère donc qu'il y a urgence pour la Cour de prononcer des mesures conservatoires, dont un embargo sur les armes et la reprise de la contribution au budget de l'UNRWA.
Concernant l'admissibilité, dans l'Affaire de l'Or Monétaire en 1954, la CIJ avait conclu qu'elle ne pouvait pas statuer sur une question affectant les intérêts de tiers qui "seraient non seulement affectés par une décision, mais constitueraient l'objet même de la décision".
Cette jurisprudence a été confirmée dans l'Affaire concernant le Timor Oriental entre le Portugal et l'Australie, où la Cour avait conclu à son incapacité de statuer sans la présence de l'Indonésie.
L'Allemagne va probablement plaider que la Cour ne peut pas se prononcer sur sa complicité présumée dans le génocide sans d'abord constater l'existence d'un génocide.
Elle demandera à la Cour d'appliquer sa jurisprudence de l'Or Monétaire, en reconnaissant que la question du génocide concerne directement Israël, qui n'est pas partie à la présente procédure.
C'est un argument juridique important, que le Prof. Pellet tente de contourner en indiquant que cette question ne se pose pas à ce stade de la procédure (mais plus tard) et qu'Israël est déjà impliqué dans la procédure engagée par l'Afrique du Sud.
Il est à noter, en outre, que le principe de l'Or Monétaire a déjà été rejeté par d'autres juridictions, par exemple par la CPI lors de sa décision concernant le territoire de la Palestine. Cependant, il est question ici de la CIJ. Va-t-elle réviser sa jurisprudence ?
Un argument suggère que cela pourrait être le cas. La question du génocide est effectivement devant la Cour, et le Nicaragua a demandé à intervenir dans la procédure en vertu de l'Article 63, c'est-à-dire à être considéré comme partie intégrante du litige.
Je pense que je vous ai quelque peu perdu. Bon, en résumé, une décision fortement attendue et d'une grande complexité juridique. Nous attendons les plaidoiries de l'Allemagne demain et la décision sur les mesures conservatoires dans les semaines à venir.
En attendant, vous pouvez consulter mon entretien avec RFI où je discute des enjeux de cette procédure et de celles engagées devant les juridictions nationales pour imposer un embargo sur les armes à Israël.
Plaidoyer de l'Allemagne
Tout d’abord, l’Allemagne est le second fournisseur d’armes à Israël, après les États-Unis.
On m’a demandé pourquoi l’Allemagne et pas les USA ? Les USA ont émis une réserve à l’article IX de la Convention de 1948 sur le génocide, qui permet à la Cour de juger les différends relatifs à son interprétation. Leur consentement est donc nécessaire pour chaque affaire.
Ceci étant rappelé, on commence avec la plaidoirie du jour. L’Allemagne est représentée par la directrice juridique du ministère allemand des Affaires étrangères, Tania Von Uslar, et par Christian Tams, Sam Wordsworth KC, Anne Peters et Paolo Palchetti.
La juriste allemande, Tania von Uslar, rappelle qu’en raison de sa responsabilité historique dans la Shoah, l’Allemagne sera toujours un soutien infaillible d’Israël.
Elle affirme toutefois l’attachement de l’Allemagne au respect du droit international et, notamment, au droit des Palestiniens à l’autodétermination.
L’Allemagne ne nie pas qu’il existe un risque de violation, par Israël, du droit international humanitaire et un risque de génocide (comment aurait-elle pu en faire autrement alors que la Cour a déjà reconnu ce risque en janvier).
L’Allemagne affirme toutefois ne pas contribuer à ces crimes et prendre toutes les mesures en son pouvoir pour les prévenir, avec la mise en place de mécanismes internes stricts.
Samuel Wordsworth et Anne Peters affirment surtout que, procéduralement, la Cour ne peut pas prononcer de mesures conservatoires car l’État réellement concerné par la procédure, Israël, n’est pas partie. C’est la jurisprudence "Or Monétaire" dont je vous parlais hier.
C’est l’argument le plus fort pour l’Allemagne. Pour faire droit à la demande du Nicaragua, sur le fond de l’affaire, la CIJ doit renverser sa jurisprudence de l’Or Monétaire, ou au moins l’interpréter de manière souple.
Mais les juges peuvent aussi voir cette affaire comme une opportunité, maintenant qu’ils ont reconnu formellement le risque de génocide, de rappeler aux États leurs obligations, y compris de s’abstenir de livrer des armes à Israël.
Paolo Palchetti conclut, en français, en reconnaissant le caractère dramatique de la situation à Gaza mais en expliquant qu’il n'existe pas de risque immédiat de préjudice irréparable vis-à-vis de l'Allemagne, seulement d’Israël.
Concernant l’UNRWA, l’Allemagne explique qu’elle continue de financer massivement l’Agence des Nations unies (45 M€) et rejette la responsabilité de la catastrophe humanitaire sur Israël. "Le problème c'est l’entrave à l’entrée et à la distribution de l’aide humanitaire", explique l’avocat.
Il est vrai l’Allemagne a débloqué 45 M€ le 26 mars 2024 pour l’UNRWA. De là à y voir une corrélation avec la présente affaire… Le lendemain la France annonçait une aide de 30 M€ à UNRWA en 2024.
Je ne peux m’empêcher de rappeler ce que j’expliquais fin janvier lorsque plusieurs États occidentaux ont annoncé la suspension de l’aide à l’UNRWA suite aux accusations d’Israël. Aujourd’hui, à l’exception des États-Unis, ils font tous marche arrière.
Voilà pour le résumé de l’audience du jour. Les vidéos et transcriptions des plaidoiries du Nicaragua et de l’Allemagne sont disponibles sur le site de la Cour.
Honnêtement, je n’ai aucune idée de ce que les juges vont décider. RDV dans quelques semaines pour connaître le dénouement provisoire de cette affaire, et même avant avant s’ils décident de rejeter la demande pour des raisons procédurales (jurisprudence Or Monétaire).
Espérons que d’ici là, il y ait un cessez-le-feu, puisque le Président Macron, Al Sissi (Égypte) et le Roi Abdallah II (Jordanie) le demandent dans une tribune commune. Dommage qu’ils ne soient pas chefs d'État, ils auraient peut-être pu faire quelque chose ! ;-)
📰 https://x.com/jsoufi/status/1777379337399873591 & https://x.com/jsoufi/status/1777753669401751736
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5- ➤ La Namibie dénonce le soutien de l'Allemagne aux intentions génocidaires de l'État raciste d'Israël à l'encontre de civils innocents à Gaza
Compte Officiel de la Présidence de la République de Namibie, le 13 avril 2024, Source Twitter X
En 1904-1908, l'Allemagne a commis sur le sol namibien le premier génocide du 20ème siècle, au cours duquel des dizaines de milliers de Namibiens innocents ont trouvé la mort dans les conditions les plus inhumaines et les plus brutales. Le gouvernement allemand n'a pas encore totalement expié le génocide qu'il a commis sur le sol namibien. Par conséquent, au vu de l'incapacité de l'Allemagne à tirer les leçons de son horrible histoire, le président Hage G. Geingob exprime sa profonde inquiétude face à la décision choquante communiquée par le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne hier, 12 janvier 2024, dans laquelle il a rejeté l'accusation moralement juste portée par l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice, selon laquelle Israël commet un génocide contre les Palestiniens à Gaza.
Il est inquiétant de constater qu'ignorant la mort violente de plus de 23 000 Palestiniens à Gaza et divers rapports des Nations Unies soulignant de manière inquiétante le déplacement interne de 85% des civils à Gaza dans un contexte de pénurie aiguë de nourriture et de services essentiels, le gouvernement allemand a choisi de défendre devant la Cour internationale de justice les actes génocidaires et horribles du gouvernement israélien contre des civils innocents à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés.
L'Allemagne ne peut pas moralement exprimer son engagement envers la Convention des Nations Unies contre le génocide, y compris l'expiation du génocide en Namibie, tout en soutenant l'équivalent d'un holocauste et d'un génocide à Gaza. Plusieurs organisations internationales, telles que Human Rights Watch, ont conclu de manière effrayante qu'Israël se livrait à des crimes de guerre à Gaza.
Le président Geingob réitère son appel du 31 décembre 2023 : "Aucun être humain épris de paix ne peut ignorer le carnage perpétré à l'encontre des Palestiniens de Gaza". Dans le même ordre d'idées, le président Geingob appelle le gouvernement allemand à reconsidérer sa décision inopportune d'intervenir en tant que tierce partie pour défendre et soutenir les actes génocidaires d'Israël devant la Cour internationale de justice.
📰 https://x.com/NamPresidency/status/1746259880871149956
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6- ➤ Ghassan Abu-Sittah : "Demain sera un jour palestinien".
Pour nous, pour nous tous, une partie de notre résistance à l'effacement du génocide consiste à parler de demain à Gaza, à planifier la guérison des blessures de Gaza demain. Nous nous approprierons demain. Demain sera un jour palestinien.
Par Ghassan Abu-Sittah, le 12 avril 2024, Mondoweiss
Le 12 avril, le gouvernement allemand a empêché le Dr Ghassan Abu-Sittah d'entrer dans le pays pour prendre la parole lors d'une conférence à Berlin en tant que témoin du génocide à Gaza. La veille, le 11 avril, M. Abu-Sittah a été installé comme recteur de l'université de Glasgow dans le Bute Hall, après avoir été élu haut la main avec 80 % des voix. Voici la transcription du discours de Ghassan Abu-Sittah.
"Chaque génération doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir, dans une relative opacité."
- Frantz Fanon, Les misérables de la terre
Les étudiants de l'université de Glasgow ont décidé de voter en mémoire des 52 000 Palestiniens tués. En mémoire des 14 000 enfants assassinés. Ils ont voté en solidarité avec les 17 000 enfants palestiniens orphelins, les 70 000 blessés - dont 50 % d'enfants - et les 4 à 5 000 enfants amputés.
Ils ont voté la solidarité avec les étudiants et les enseignants des 360 écoles détruites et des 12 universités totalement rasées. Ils ont exprimé leur solidarité avec la famille et la mémoire de Dima Alhaj, une ancienne élève de l'université de Glasgow assassinée avec son bébé et toute sa famille.
Au début du 20ème siècle, Lénine a prédit que le véritable changement révolutionnaire en Europe occidentale dépendait de ses contacts étroits avec les mouvements de libération contre l'impérialisme et dans les colonies d'esclaves. Les étudiants de l'université de Glasgow ont compris ce que nous avons à perdre lorsque nous laissons nos politiques sombrer dans l'inhumanité. Ils ont également compris que ce qui est essentiel et particulier à Gaza, à savoir qu'il s'agit d'un laboratoire dans lequel le capital mondial étudie la gestion des populations excédentaires.
Ils se sont tenus à côté de Gaza et en solidarité avec son peuple parce qu'ils ont compris que les armes utilisées par Benjamin Netanyahou aujourd'hui sont celles que Narendra Modi utilisera demain. Les quadcopters et les drones équipés de fusils de sniper - utilisés de manière si sournoise et efficace à Gaza qu'une nuit, à l'hôpital Al-Ahli, nous avons reçu plus de 30 civils blessés abattus devant notre hôpital par ces inventions - utilisés aujourd'hui à Gaza seront employés demain à Mumbai, à Nairobi et à Sao Paulo. À terme, comme le logiciel de reconnaissance faciale mis au point par les Israéliens, elles arriveront à Easterhouse et Springburn.
Alors, en réalité, pour qui ces étudiants ont-ils voté ? Je m'appelle Ghassan Solieman Hussain Dahashan Saqer Dahashan Ahmed Mahmoud Abu-Sittah et, à l'exception de moi-même, mon père et tous mes ancêtres sont nés en Palestine, une terre qui a été cédée par l'un des précédents recteurs de l'université de Glasgow. Trois décennies avant que sa déclaration de quarante-six mots n'annonce le soutien du gouvernement britannique à la colonisation de la Palestine, Arthur Balfour avait été nommé recteur de cette université. "Une observation du monde... nous montre un grand nombre de communautés sauvages, apparemment à un stade de culture qui n'est pas profondément différent de celui qui prévalait chez les hommes préhistoriques", a déclaré Balfour lors de son discours de rectorat en 1891. Seize ans plus tard, cet antisémite a mis au point l'Aliens Act de 1905 pour empêcher les Juifs fuyant les pogroms d'Europe de l'Est de venir se réfugier au Royaume-Uni.
En 1920, mon grand-père Sheikh Hussain a bâti une école avec ses propres fonds dans le petit village où vivait ma famille. C'est là qu'il a jeté les bases d'une relation qui a placé l'éducation au cœur de la vie de ma famille. Le 15 mai 1948, les forces de la Haganah ont procédé à un nettoyage ethnique de ce village et ont chassé ma famille, qui vivait sur ces terres depuis des générations, vers un camp de réfugiés à Khan Younès, aujourd'hui en ruines dans la bande de Gaza. Les mémoires de l'officier de la Haganah qui avait envahi la maison de mon grand-père ont été retrouvées par mon oncle. Dans ces mémoires, l'officier note avec incrédulité que la maison était pleine de livres et contenait un certificat de licence en droit de l'université du Caire, appartenant à mon grand-père.
L'année suivant la Nakba, mon père a obtenu son diplôme de médecine à l'université du Caire et est retourné à Gaza pour travailler à l'UNRWA dans ses cliniques nouvellement créées. Mais comme beaucoup de ceux de sa génération, il s'est rendu dans le Golfe pour participer à la mise en place du système de santé dans ces pays. En 1963, il est venu à Glasgow pour poursuivre sa formation postuniversitaire en pédiatrie et est tombé amoureux de cette ville et de ses habitants.
C'est ainsi qu'en 1988, je suis venu étudier la médecine à l'université de Glasgow, et c'est là que j'ai découvert le potentiel de la médecine, comment une carrière dans ce domaine vous place au cœur de la vie des citoyens, et comment, si vous êtes équipé des bonnes lunettes politiques, sociologiques et économiques, vous pouvez comprendre comment la vie de ces derniers est façonnée, et bien souvent déformée, par des forces politiques échappant à leur contrôle.
C'est à Glasgow que j'ai vu pour la première fois la signification de la solidarité internationale. À l'époque, la ville regorgeait de groupes qui organisaient la solidarité avec le Salvador, le Nicaragua et la Palestine. Le conseil municipal de Glasgow a été l'un des premiers à se jumeler avec des villes de Cisjordanie et l'université de Glasgow a créé sa première bourse pour les victimes du massacre de Sabra et Shatila. C'est vraiment pendant mes années à Glasgow que mon parcours de chirurgien de guerre a débuté, d'abord en tant qu'étudiant lorsque je me suis rendu sur le terrain lors de la première guerre américaine en Irak en 1991, puis avec Mike Holmes au Sud-Liban en 1993, puis avec ma femme à Gaza pendant la deuxième Intifada, puis lors des guerres menées par les Israéliens à Gaza en 2009, 2012, 2014 et 2021, lors de la guerre à Mossoul dans le nord de l'Irak, à Damas pendant la guerre en Syrie et lors de la guerre au Yémen. Mais ce n'est que le 9 octobre que je me suis rendu à Gaza et que j'ai été témoin du génocide en action.
Tout ce que j'avais appris sur les guerres ne correspondait à rien de ce dont j'avais été témoin. C'était la différence entre une inondation et un tsunami. Durant 43 jours, j'ai vu les machines à tuer et déchiqueter les vies et les corps des Palestiniens de la bande de Gaza, dont la moitié étaient des enfants. Après mon retour au pays, les étudiants de l'université de Glasgow m'ont demandé de me présenter à l'élection au poste de recteur. Peu après, l'un des barbares de Balfour a remporté l'élection.
Qu'avons-nous donc appris du génocide et sur le génocide au cours des six derniers mois ? Nous savons que le scolasticide, c'est-à-dire l'élimination d'établissements d'enseignement entiers, tant au niveau des infrastructures que des ressources humaines, est un élément essentiel de l'effacement génocidaire d'un peuple. 12 universités complètement rasées. 400 écoles. 6 000 étudiants tués. 230 enseignants tués. 100 professeurs et doyens et deux présidents d'université tués.
Nous avons également appris, et c'est quelque chose que j'ai découvert lorsque j'ai quitté Gaza, que le projet génocidaire est comme un iceberg dont Israël n'en est que la partie émergée. Le reste de l'iceberg est constitué d'un axe génocidaire. Cet axe englobe les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Australie, le Canada et la France... des pays qui ont soutenu Israël par les armes - et continuent de soutenir le génocide par les armes - et qui maintiennent leur soutien politique au projet génocidaire afin qu'il se poursuive. Nous ne devons pas nous laisser abuser par les efforts déployés par les États-Unis pour tenter d'humaniser le génocide : Tuer des gens tout en larguant de l'aide alimentaire par parachute.
J'ai également découvert qu'une partie de l'iceberg génocidaire est constituée des facilitateurs du génocide. Des petites gens, hommes et femmes, dans tous les domaines de la vie, dans toutes les institutions. Ces facilitateurs de génocide sont de trois types.
Les premiers sont ceux que l'appartenance raciale et l'aliénation totale des Palestiniens ont rendus incapables de ressentir quoi que ce soit pour les 14 000 enfants tués et pour lesquels leur sort ne compte pas. Si Israël avait tué 14 000 chiots ou chatons, ces personnes auraient été complètement bouleversées par la barbarie de l'acte.
Le second groupe est constitué de ceux dont Hannah Arendt a écrit, dans La banalité du mal, qu'ils "n'avaient aucune motivation, si ce n'est une extraordinaire diligence à veiller à leur promotion personnelle".
Le troisième groupe est celui des apathiques. Comme l'a dit Arendt, "le mal se nourrit de l'apathie et ne peut exister sans elle".
En avril 1915, un an après le début de la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg écrivait à propos de la société bourgeoise allemande. "Violée, déshonorée, pataugeant dans le sang... la bête enragée, le sabbat des sorcières de l'anarchie, un fléau pour la culture et l'humanité". Ceux d'entre nous qui ont vu, senti et entendu ce que les armes de guerre infligent délibérément au corps d'un enfant, ceux d'entre nous qui ont amputé les membres irrécupérables d'enfants blessés ne peuvent qu'éprouver le plus grand mépris pour tous les acteurs impliqués dans la fabrication, la conception et la vente de ces engins de brutalité. La fabrication d'armes vise à détruire la vie et à ravager la nature. Dans l'industrie de l'armement, les profits augmentent non seulement grâce aux ressources capturées dans ou par la guerre, mais aussi grâce au processus de destruction de toute vie, tant humaine qu'environnementale. L'idée qu'il y aurait une paix ou un monde non pollué alors que le capital croît par la guerre est ridicule. Ni le commerce des armes ni celui des combustibles fossiles n'ont leur place à l'université.
Alors, quel est notre plan, face à ce "sauvage" et ses complices ?
Dans cette université, nous ferons campagne pour le désinvestissement de la fabrication d'armes et de l'industrie des combustibles fossiles, à la fois pour réduire les risques pour l'université suite à la décision de la Cour internationale de justice selon laquelle il s'agit plausiblement d'une guerre génocidaire et à l'action en justice intentée contre l'Allemagne par le Nicaragua pour complicité de génocide.
L'argent du sang génocidaire que ces actions auront permis de sauver pendant la guerre sera utilisé pour créer un fonds d'aide à la reconstruction des institutions universitaires palestiniennes. Ce fonds sera nommé Dima Alhaj, en mémoire d'une vie fauchée par ce génocide.
Nous formerons une coalition d'étudiants, de groupes de la société civile et de syndicats pour faire de l'université de Glasgow un campus exempt de violence sexiste.
Nous ferons campagne pour trouver des solutions concrètes afin de mettre fin à la pauvreté des étudiants à l'université de Glasgow et pour fournir des logements abordables à tous les étudiants.
Nous ferons campagne pour le boycott de toutes les institutions universitaires israéliennes qui, de complices de l'apartheid et du déni d'éducation aux Palestiniens, sont devenues des génocidaires et des négateurs de la vie. Nous ferons campagne pour une nouvelle définition de l'antisémitisme ne confondant pas l'antisionisme et le colonialisme génocidaire anti-israélien avec l'antisémitisme.
Nous lutterons avec toutes les autres communautés et les communautés racialisées, y compris la communauté juive, la communauté rom, les musulmans, les Noirs et tous les groupes racialisés, contre l'ennemi commun d'un fascisme de droite en pleine ascension, aujourd'hui absous de ses racines antisémites par un gouvernement israélien en échange de son soutien à l'éradication du peuple palestinien.
Pas plus tard que cette semaine, nous avons vu comment une institution financée par le gouvernement allemand a censuré une intellectuelle et philosophe juive, Nancy Fraser, en raison de son soutien au peuple palestinien. Il y a plus d'un an, nous avons vu le parti travailliste suspendre Moshé Machover, un militant juif antisioniste, pour antisémitisme.
Pendant mon vol, j'ai eu la chance de lire We Are Free to Change the World (Nous sommes libres de changer le monde) de Lyndsey Stonebridge. Voici un extrait de ce livre "C'est lorsque l'expérience de l'impuissance est la plus aiguë, lorsque l'histoire semble la plus sombre, que la détermination à penser comme un être humain, de manière créative, courageuse et complexe, est la plus importante". Il y a 90 ans, dans son "Chant de solidarité", Bertolt Brecht demandait : "À qui appartient le lendemain ? Et à qui appartient le monde ?".
Eh bien, je lui réponds, je vous réponds et je réponds aux étudiants de l'université de Glasgow : C'est à vous de vous battre pour ce monde. C'est votre avenir que vous devez créer. Pour nous, nous tous, une partie de notre résistance à l'effacement du génocide consiste à parler de demain à Gaza, à planifier la guérison des blessures de Gaza demain. Nous nous approprierons cette journée de demain qui sera une journée palestinienne.
En 1984, lorsque l'université de Glasgow a fait de Winnie Mandela sa rectrice, dans les jours les plus sombres du régime d'apartheid brutal de P. W. Botha, soutenu par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, personne n'aurait pu imaginer que, 40 ans plus tard, des hommes et des femmes sud-africains se tiendraient devant la Cour internationale de justice pour défendre le droit à la vie du peuple palestinien en tant que citoyens libres d'une nation libre.
L'un des objectifs de ce génocide est de nous noyer dans notre propre chagrin. À titre personnel, je tiens à ménager un espace pour que ma famille et moi-même puissions faire le deuil de nos proches. Je dédie ceci à la mémoire de notre bien-aimé Abdelminim, tué à 74 ans, le jour de son anniversaire. Je le dédie à la mémoire de mon collègue, le Dr Midhat Saidam, qui est sorti pendant une demi-heure pour emmener sa sœur chez eux, afin qu'elle soit en sécurité avec ses enfants, et qui n'est jamais revenu. Je le dédie à mon ami et collègue le Dr Ahmad Makadmeh exécuté par l'armée israélienne à l'hôpital Shifa il y a un peu plus de 10 jours avec sa femme. Je le dédie au toujours très souriant Dr Haitham Abu-Hani, chef du service des urgences de l'hôpital Shifa, qui m'accueillait systématiquement avec un sourire et une petite tape sur l'épaule. Mais surtout, nous le dédions à notre pays. Pour reprendre les mots de l'omniprésent Mahmoud Darwish,
"Pour notre terre, et c'est le prix de la guerre, la liberté de mourir de désir et de passion et notre terre, dans sa nuit ensanglantée, est un joyau qui brille au-delà du lointain et illumine ce qui est à l'extérieur... Quant à nous, à l'intérieur, nous étouffons davantage !"
C'est donc sur l'espoir que je voudrais terminer. Pour reprendre les mots de l'immortel Bobby Sands, "Notre revanche sera le rire de nos enfants".
JUSQU'À LA VICTOIRE POUR TOUJOURS !
📰 https://mondoweiss.net/2024/04/dr-ghassan-abu-sittah-tomorrow-is-a-palestinian-day/
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7- ➤ L'Allemagne se sent à nouveau spéciale
Aux côtés d'Israël, Berlin retrouve son autoritarisme intérieur, avec des mesures de répression à l'intérieur du pays et un mépris du droit international à l'étranger.
Les paroles et les actes de ces Allemands témoignent d'un sentiment de privilège - dérivé, de manière perverse, des crimes historiques de ce pays - qui permet à l'Allemagne de mépriser la raison et la loi, dans son pays comme à l'étranger. Ce n'est vraiment pas bon signe.
Par Tarik Cyryl Amar, le 13 avril 2024, Blog de l'auteur
La nouvelle ancienne Allemagne montre vraiment ses crocs aujourd'hui. Hier, un congrès organisé à Berlin pour soutenir la Palestine et protester contre le génocide des Palestiniens par Israël a d'abord fait l'objet d'un harcèlement systématique, avant de carrément la fermer. La police a envoyé une petite armée de près d'un millier d'agents, dont beaucoup portaient des tenues de combat noires, clairement destinées à effrayer par leur seule présence très perturbante, et elle a utilisé des méthodes issues - comme nous le dirions si cela s'était produit, par exemple, en Russie ou en Hongrie - du manuel de l'autoritarisme moderne : des questions "techniques", notamment des réglementations en matière de sécurité incendie, ont été ouvertement inventées et détournées pour retarder dans un premier temps l'événement, puis pour réduire le nombre de participants autorisés à entrer dans le lieu de réunion. Les personnes faisant la queue à l'extérieur ont ensuite été qualifiées à tort de s'être illégalement rassemblées. Lorsqu'un orateur est simplement apparu sur un écran vidéo, la police a rapidement utilisé ce prétexte pour pénétrer dans la salle de contrôle du lieu et couper le courant.
Comme une sorte de cerise teutonique sur ce riche gâteau de harcèlement et d'intimidation, un officier au look tout droit sorti du casting central à la recherche de "Siegfried" a couronné le tout en arrêtant un organisateur de congrès juif portant une Kipa. Félicitations, officier : Vous êtes désormais célèbre. Votre photo restera gravée dans les livres d'histoire.
Il ne fait aucun doute que la suppression du congrès était illégale et même inconstitutionnelle. Pourtant, il est peu probable que les responsables - en haut et en bas de la hiérarchie des autorités locales et centrales allemandes - de cette attaque en règle contre la liberté de réunion et la liberté d'expression fassent l'objet de poursuites judiciaires ou même d'une réaction publique significative.
Il y a deux raisons connexes d'être pessimiste : Premièrement, l'assaut contre le Congrès palestinien n'est que le dernier point culminant d'une répression systématique et soutenue. Les autorités allemandes, celles de la capitale Berlin en tête, ont déjà acquis une solide expérience de la terreur et de la répression des personnes manifestant leur solidarité avec les Palestiniens et la Palestine ou s'élevant ouvertement et clairement contre le génocide israélien et la complicité de l'Allemagne dans ce domaine. C'est exactement ce qu'a tenté de faire le Congrès palestinien. La réponse de l'Allemagne a été d'intensifier la répression, pour envoyer un message clair : L'Allemagne officielle maintiendra son infâme cap, s'accrochant à ses positions, comme le font historiquement les "élites" allemandes, une fois qu'elles se sont retranchées, se cramponnant fermement à la croyance arrogante qu'elles savent mieux que quiconque, même si la majorité de l'humanité dit le contraire.
En outre, bien sûr, il y a le fait que ces "élites" allemandes sont en train de doubler la mise : En termes moraux et juridiques - les membres du gouvernement de Berlin devraient s'inquiéter de poursuites individuelles dans un avenir meilleur - elles sont déjà profondément complices des crimes d'Israël. Et pas "seulement" dans le génocide, mais aussi - comme le Nicaragua le fait valoir à juste titre devant la Cour internationale de justice (CIJ) - dans divers autres crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
À ce stade, pour les complices de Berlin, changer de cap reviendrait à admettre tacitement à quel point ils se sont fourvoyés et se sont déjà auto-incriminés, tout comme les fonctionnaires obéissant à leurs ordres. Tôt ou tard, cette vérité les rattrapera. Mais les coupables acculés ont l'habitude de retarder le plus possible le moment de faire les comptes. Et plus le crime est grave, plus l'obstination est grande.
La seconde raison pour laquelle je ne m'attends pas à ce que l'Allemagne s'oppose à ce cas effronté de répression politique est qu'il reflète également un large - mais pas total - consensus au sein de la société allemande. Ce consensus de complicité allemand est particulièrement marqué parmi les médias et, d'une manière générale, parmi les "élites" culturelles qui façonnent et contrôlent une grande partie de l'opinion publique.
Bien avant que ses organisateurs et ses participants ne tentent courageusement de se rassembler, le Congrès palestinien a fait l'objet d'une campagne de diffamation généralisée. Les mensonges répandus à son sujet comprenaient, comme on pouvait s'y attendre, des accusations infondées d'"antisémitisme". Confondre la critique et la résistance à Israël et au sionisme - un régime d'apartheid génocidaire et son idéologie - avec l'"antisémitisme" est devenu un mensonge fondamental en Allemagne. Cette absurdité vicieuse et odieuse sert de test de conformisme que doivent passer ceux qui veulent appartenir à la communauté des "valeurs" de la nouvelle ancienne Allemagne. (Comme je l'ai expliqué en octobre dernier. Oui, ce schéma était prévisible, car il a déjà une longue histoire).
Après la fermeture du Congrès, Zeit, l'hebdomadaire allemand destiné à la classe moyenne ayant des ambitions de sophistication (ceux qui ne seraient pas pris vivants avec la presse à scandale Bild) s'est réjoui : "Kurzen Kongress gemacht" (Congrès de l'âge d'or). En dehors d'une émétique verbale, cette phrase est intraduisible. Elle équivaut, en gros, à "Ils les ont eus, ces salauds, et c'est bien fait pour eux". En tant qu'Allemand, je peux vous dire que cette phrase pue ce mélange immonde de servilité et de coups de pied au cul qui a toujours caractérisé l'Untertan, le sujet volontiers soumis à l'Obrigkeit (autorité) - "nos supérieurs", qui nous disent à juste titre ce qu'il faut faire et, plus important encore, ce qu'il faut penser - depuis le Kaiser, en passant par le Führer, jusqu'au Kanzler et à la télévision.
L'Allemagne officielle prend aujourd'hui le parti d'un génocide présenté à tort comme une "légitime défense" dans une lutte pour la simple existence. Ironiquement, c'est ce type de narration que les nazis - les plus grands génocidaires de l'histoire allemande - ont également déployé. C'est précisément ce que prétendait Hitler : en massacrant des Juifs, les Allemands se défendaient et défendaient leur avenir. Pervers ? Oui, tout à fait. Insensé ? Bien sûr. Absolument diabolique ? C'est évident. Pourtant, de nombreux représentants de l'"élite" allemande contemporaine laissent les génocidaires israéliens non seulement s'en tirer, en substance, avec les mêmes artifices, mais s'empressent de contribuer à la propagation de leurs mensonges.
Il est tristement logique qu'en ce moment même, de nombreux Allemands redécouvrent leur prédilection pour la répression politique brutale, pour autant qu'elle frappe ceux qui, de l'avis de la plupart d'entre eux, la méritent. L'Allemagne nazie, elle aussi, a piétiné les dissidents de sa "communauté nationale" à la fois avec la matraque policière et la botte (et encore, bien sûr) et avec ce qu'elle appelait le "sentiment national sain" - une façon fasciste de dire "nous sommes tous d'accord pour ostraciser/diaboliser/incarcérer/battre/tuer ces gens-là et c'est pourquoi ils le méritent".
Nombre d'observateurs à l'étranger se concentreront à juste titre sur la démonstration pure et éhontée de l'illégalité d'en haut lors de la répression du Congrès palestinien à Berlin. Mais il ne faut pas oublier deux autres éléments, tout aussi nocifs et alarmants : Le conformisme est à nouveau agressivement armé dans un style grandiose et fièrement intolérant ; et les "élites" allemandes - de même que les nombreux conformistes qui les suivent volontiers - sont en train de redécouvrir l'exceptionnalisme germanique : Les paroles et les actes de ces Allemands témoignent d'un sentiment de privilège - dérivé, de manière perverse, des crimes historiques de ce pays - qui permet à l'Allemagne de mépriser la raison et la loi, dans son pays comme à l'étranger. Ce n'est vraiment pas bon signe.
📰 Lien de l'article original :
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8- ➤ La police berlinoise fait une descente et empêche la tenue d'une conférence contre le génocide perpétré à Gaza
Par Tamino Dreisam & Peter Schwarz, le 14 avril 2024, WSWS
Vendredi 12 avril après-midi, la capitale allemande, Berlin, a été le théâtre de scènes rappelant l'époque du régime nazi. Des centaines de policiers ont terrorisé un congrès anti-guerre, opposé au génocide israélien à Gaza, avant de le disperser et de l'interdire au bout de deux heures.
D'éminents orateurs étaient attendus à ce congrès, organisé par la Voix juive pour une paix juste au Moyen-Orient et auquel participaient plusieurs organisations pro-palestiniennes. Parmi eux figuraient l'ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis, le député irlandais Richard Boyd Barrett, le médecin britanno-palestinien et recteur de l'université de Glasgow Ghassan Abu-Sitteh, l'expert palestinien Salman Abu Sitta, âgé de 86 ans et ancien membre du Conseil national palestinien, le cinéaste juif Dror Dayan ou encore le journaliste palestinien Hebh Jamal (vous avez un de ses articles traduit ci-dessus).
Les médias et l'establishment politique ont lancé à l'avance une campagne de diffamation vicieuse contre ce congrès. Du tabloïd Bild au "respectable" Tagesspiegel, tous ont dénoncé les participants comme des "ennemis d'Israël". Le Bild a titré vendredi matin : "Congrès des ennemis d'Israël. Ces fans de terroristes apparaissent aujourd'hui à Berlin".
L'"Alliance contre le terrorisme antisémite", qui regroupe des hommes politiques allant de l'Union chrétienne-démocrate/Union chrétienne-sociale (droite) au Parti de gauche, a déclaré que le congrès allait "répandre la haine antisémite" et que Berlin ne devait pas devenir "le centre de la glorification du terrorisme". Pour le Parti de gauche, l'ancien sénateur de Berlin pour la culture, Klaus Lederer, et l'ancienne sénatrice travailliste de Berlin, Elke Breitenbach, ont signé l'appel.
La police a agi en conséquence. Ghassan Abu-Sitteh s'est vu refuser l'entrée à l'aéroport de Berlin. Ce médecin, qui a travaillé à l'hôpital Al-Shifa de Gaza après le début de la guerre et a témoigné de ses horribles expériences dans une interview accordée à Der Spiegel le 6 décembre, devait donner une conférence au congrès dans la soirée. Au lieu de cela, il a été informé qu'il n'était pas autorisé à entrer en Allemagne avant le 14 avril.
Lorsque le lieu du congrès a été annoncé le vendredi matin (que les organisateurs avaient gardé secret pour des raisons de sécurité), un important contingent de policiers a été mobilisé. Sur les 2 500 policiers prévus pour l'ensemble du week-end de la conférence, près de 900 ont encerclé le hall du congrès à Tempelhof et ont érigé des barrières. Environ 25 personnes ont participé à une contre-manifestation contre le congrès organisée par la CDU et des groupes sionistes.
Sous prétexte de "règles de sécurité incendie", la police a restreint l'accès à la salle de congrès. Bien que la salle soit conçue pour accueillir 1 000 personnes, seules 250 ont été autorisées à entrer. La file d'attente de 250 autres participants, non autorisés à entrer, a été considérée sans ménagement par la police comme un rassemblement à dissoudre avant 15 heures. Dans le même temps, la police a arrêté des personnes faisant la queue, dont un membre de la Voix juive qui brandissait une banderole portant le message "Les juifs contre le génocide".
Tout en refusant l'accès à la réunion aux participants inscrits, la police a fait entrer clandestinement dans le bâtiment, par une entrée arrière, plusieurs dizaines de journalistes non accrédités, dont la plupart venaient de la presse Springer, qui a été le pire agitateur contre le congrès.
Des policiers en uniforme et armés se trouvaient également dans la salle de réunion pour intimider les participants. En raison des obstructions des forces de l'ordre, le congrès n'a pu débuter qu'après un long retard. Le prétexte de sa dissolution était une conférence vidéo de Salman Abu Sitta, lequel s'était également vu refuser l'entrée.
Abu Sitta, expulsé de Palestine alors qu'il était enfant en 1948, a consacré sa vie à la cause des Palestiniens, s'engageant dans des débats publics avec des militants pacifistes israéliens, tels que Uri Avnery et le rabbin Michael Lerner.
Deux minutes après le début de la conférence vidéo, 30 à 40 officiers de police ont pris d'assaut le podium vers 4 heures et demie pour bloquer la transmission, invoquant prétendument un contenu illégal pour justifier leur intervention. Par la suite, les forces de l'ordre ont violemment pénétré dans la salle de contrôle et ont coupé l'électricité et donc aussi les lumières dans le hall du congrès afin d'interrompre la retransmission en direct du congrès.
Moins d'une heure plus tard, à 17h24, la police a dissous le congrès et ordonné aux participants de quitter la salle de conférence. Sur place, les forces de l'ordre n'ont donné aucune raison à cette décision. Plus tard, elles ont justifié leur arbitraire par le risque que les orateurs ne nient l'Holocauste ou ne fassent l'apologie de la violence.
Peu de temps après, Udi Raz, membre du conseil d'administration de Jewish Voice for Peace et co-organisateur du Congrès palestinien, a été arrêté. Dans une interview accordée à Junge Welt, elle a déclaré que son arrestation avait été justifiée par le fait qu'elle avait traité un policier d'antisémite et que cela avait été perçu comme une insulte.
Les opérations de police, telles que menées dans une dictature, ont été étroitement coordonnées avec le gouvernement de l'État de Berlin et le gouvernement fédéral. En ce qui concerne le Congrès palestinien, le secrétaire d'État à l'intérieur Christian Hochgrebe (social-démocrate, SPD) a annoncé à l'avance à la commission de l'intérieur qu'il "ferait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher des délits tels que l'incitation à la haine et l'utilisation de symboles interdits".
Le maire de Berlin, Kai Wegner (CDU), a remercié la police "pour son intervention décisive lors de cet événement haineux" vendredi après-midi. Les règles qui s'appliquent à Berlin ont été clairement établies. Wegner a poursuivi : "Nous avons clairement fait savoir que la haine envers Israël n'avait pas sa place à Berlin. Quiconque ne respecte pas cette règle en subira les conséquences".
La sénatrice de l'intérieur de Berlin, Iris Spranger (SPD), a pour sa part déclaré : "Je soutiens pleinement la décision des forces de l'ordre". Le ministère fédéral de l'Intérieur, dirigé par Nancy Faeser (SPD), a quant à lui écrit sur Twitter à l'approche du congrès : "C'est une bonne chose que la police berlinoise ait annoncé une répression sévère du soi-disant Congrès de la Palestine à Berlin. Nous surveillons de très près la scène islamiste".
Les organisations de jeunesse du SPD, de la CDU/CSU, des Démocrates libres et des Verts ont également soutenu l'opération policière. Avant le congrès, elles ont publié une déclaration commune "contre l'antisémitisme et la glorification du terrorisme", censés être véhiculés par le congrès.
Les méthodes autoritaires utilisées par la classe dirigeante allemande contre le Congrès palestinien sont inextricablement liées à son retour au militarisme. Selon les termes du ministre de la défense, Pistorius, "l'Allemagne ne peut pas être préparée à la guerre" sans abolir la liberté d'expression et la démocratie.
Après les États-Unis, l'Allemagne est le premier fournisseur d'armes d'Israël et le premier donateur de l'Ukraine. Le gouvernement est en train de transférer des milliards du budget social vers celui de l'armée et de réintroduire la conscription afin de disposer de chair à canon pour de nouvelles guerres. Bien qu'il ne soit plus possible de nier qu'Israël commet un génocide contre le peuple palestinien, le gouvernement soutient inconditionnellement le régime de Netanyahou et criminalise toute opposition à ce dernier.
L'attaque contre le congrès est dirigée contre l'opposition grandissante à cette politique de guerre. Selon un récent sondage, 69 % de la population allemande s'oppose aux actions militaires d'Israël dans la bande de Gaza. Mais plus la contestation de la population est forte, plus la classe dirigeante s'acharne. Les mesures dictatoriales de l'État policier sont destinées à intimider quiconque rejette ce programme militariste.
📰 https://www.wsws.org/fr/articles/2024/04/14/yygz-a14.html
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9- ➤ Yanis Varoufakis : "Mon plaidoyer pour l'humanité et la justice en Palestine qui m'a valu d'être banni"
Yanis Varoufakis s'est vu interdire non seulement de se rendre en Allemagne, mais aussi de participer à des vidéoconférences sur la politique organisées dans ce pays.
"Il s'avère que, puisque la police allemande a décrété que Ghassan Abu Sittah aurait enfreint la loi s'il avait osé ou osait poster une vidéo du discours qu'elle ne l'a pas autorisé à prononcer lors de notre congrès, la même chose s'applique à moi. Je suis heureux d'avoir enfreint leur loi pathétique en publiant mon discours."
Par Yanis Varoufakis, le 13 avril 2024, Jacobin
Aujourd'hui, le ministère de l'intérieur allemand a émis un "betätigungsverbot" (interdiction d'activité) à mon encontre, une interdiction de toute activité politique - non seulement celle de me rendre en Allemagne, mais aussi celle de participer à des événements Zoom organisés dans le pays. Je ne peux même pas diffuser une de mes vidéos enregistrées lors d'événements allemands.
Les problèmes ont commencé sérieusement hier, lorsque la police allemande a fait irruption dans une salle de Berlin pour dissoudre notre congrès sur la Palestine, organisé par le Mouvement pour la démocratie en Europe 2025 (DiEM25). Jugez par vous-même du type de société que l'Allemagne est en train de devenir si sa police interdit les émotions exprimées ci-après.
Chers amis,
Félicitations et remerciements les plus sincères pour votre présence ici - malgré les menaces, malgré la police en état d'alerte à l'extérieur de cette salle, malgré la pléthore de la presse allemande, malgré l'État allemand, malgré le système politique allemand qui vous diabolise pour votre présence ici.
"Pourquoi un congrès palestinien, Mr Varoufakis ?", m'a demandé récemment un journaliste allemand. Parce que, comme l'a dit un jour Hanan Ashrawi, "nous ne pouvons espérer que les personnes réduites au silence puissent nous faire part de leurs souffrances".
Aujourd'hui, la logique d'Ashrawi s'est renforcée de manière déprimante, parce que nous ne pouvons pas espérer des personnes réduites au silence, qui sont également massacrées et affamées, qu'elles nous en informent.
Mais il y a aussi une autre raison : parce qu'un peuple fier et honnête, le peuple allemand, est conduit sur la voie périlleuse d'une société sans cœur en étant associé à un autre génocide perpétré en son nom, avec sa complicité.
Je ne suis ni juif ni palestinien. Mais je suis incroyablement fier d'être ici parmi les Juifs et les Palestiniens - de mêler ma voix pour la paix et les droits de l'homme universels aux voix juives pour la paix et les droits de l'homme universels, aux voix palestiniennes pour la paix et les droits de l'homme universels. Le fait d'être réunis ici aujourd'hui est la preuve que la coexistence est non seulement possible, mais qu'elle est déjà là.
"Pourquoi pas un congrès juif, Mr Varoufakis ?", m'a questionné ce même journaliste, s'imaginant qu'il était futé. J'ai volontiers accueilli sa question.
Car si un seul juif est menacé, où que ce soit, simplement parce qu'il est juif, je porterai l'étoile de David à ma boutonnière et offrirai ma solidarité - quel qu'en soit le prix, quoi qu'il m'en coûte.
Soyons donc clairs : si des Juifs étaient attaqués, n'importe où dans le monde, je serais le premier à solliciter un congrès juif pour y inscrire notre solidarité.
De même, lorsque des Palestiniens sont massacrés parce qu'ils sont Palestiniens - en vertu d'un dogme selon lequel pour être tué et Palestinien, il faut être du Hamas - je porterai mon keffieh et j'offrirai ma solidarité quel qu'en soit le coût, quoi qu'il m'en coûte.
Les droits de l'homme universels sont universels ou ne signifient rien.
C'est dans cet esprit que j'ai répondu à la question du journaliste allemand par quelques-unes de mes propres questions :
Deux millions de Juifs israéliens, expulsés de leurs maisons et enfermés dans une prison à ciel ouvert il y a quatre-vingts ans, sont-ils toujours détenus dans cette prison à ciel ouvert, sans accès au monde extérieur, avec un minimum de nourriture et d'eau, sans aucune perspective de vie normale ou de déplacement, tout en subissant des bombardements réguliers depuis 80 ans ? La réponse est non.
Les Juifs israéliens sont-ils affamés intentionnellement par une armée d'occupation, leurs enfants se tordant sur le sol, hurlant de faim ? Non.
Des milliers d'enfants juifs blessés, sans parents survivants, rampent-ils dans les décombres de ce qui fut leur maison ? Non.
Les Juifs israéliens sont-ils bombardés par les avions et les bombes les plus sophistiqués du monde ? Non.
Les Juifs israéliens subissent-ils un écocide complet du peu de terre qu'ils peuvent encore appeler la leur, sans qu'il ne reste un seul arbre sous lequel ils puissent chercher de l'ombre ou dont ils puissent goûter les fruits ? Non.
Des enfants juifs israéliens sont-ils aujourd'hui tués par des tireurs d'élite sur ordre d'un État membre de l'Organisation des Nations unies (ONU) ? Non.
Des Juifs israéliens sont-ils aujourd'hui chassés de leurs maisons par des bandes armées ? Non.
Israël se bat-il aujourd'hui pour son existence ? La réponse est encore non.
Si la réponse à l'une de ces questions était positive, je participerais aujourd'hui à un congrès de solidarité juive.
Aujourd'hui, nous aurions aimé avoir un débat décent, démocratique et mutuellement respectueux sur la manière d'apporter la paix et les droits de l'homme universels à tous - Juifs et Palestiniens, Bédouins et Chrétiens - du Jourdain à la mer Méditerranée, avec des personnes qui pensent différemment de nous.
Malheureusement, l'ensemble du système politique allemand a décidé de ne pas le permettre. Dans une déclaration commune comprenant non seulement la CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate-Union chrétienne-sociale de Bavière) et le FDP (Parti démocrate libre), mais aussi le SPD (Parti social-démocrate), les Verts et, fait remarquable, deux dirigeants de Die Linke (La Gauche), le spectre politique allemand a uni ses forces pour faire en sorte qu'un tel débat civilisé, dans lequel nous pouvons être en désaccord, n'ait jamais lieu en Allemagne.
À toutes ces personnes, je dis : vous voulez nous réduire au silence, nous interdire, nous diaboliser, nous accuser. Vous ne nous laissez donc pas d'autre choix que de répondre à vos accusations ridicules par nos propres accusations rationnelles. C'est ce que vous avez choisi, pas nous.
Vous nous accusez de haine antisémite. Nous vous accusons d'être le meilleur ami de l'antisémite en mettant sur le même plan le droit d'Israël à commettre des crimes de guerre et le droit des Juifs israéliens à se défendre.
Vous nous accusez de soutenir le terrorisme. Nous vous accusons de mettre sur le même plan la résistance légitime à un État d'apartheid et les atrocités commises contre des civils, que j'ai toujours condamnées et que je condamnerai toujours, quels qu'en soient les auteurs - Palestiniens, colons juifs, ma propre famille, etc. Nous vous accusons de ne pas reconnaître le devoir des habitants de Gaza d'abattre le mur de la prison à ciel ouvert dans laquelle ils sont enfermés depuis quatre-vingts ans, et d'assimiler cet acte d'abattre le mur de la honte, pas plus défendable que ne l'était le mur de Berlin, à des actes de terreur.
Vous nous accusez de banaliser les actes de terreur du Hamas du 7 octobre. Nous vous accusons de banaliser les quatre-vingts années de nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël et l'édification d'un système d'apartheid à toute épreuve en Israël-Palestine. Nous vous accusons de banaliser le soutien à long terme de Benjamin Netanyahou au Hamas comme moyen de détruire la solution à deux États que vous prétendez favoriser. Nous vous accusons de banaliser la terreur sans précédent déclenchée par l'armée israélienne sur les habitants de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.
Vous accusez les organisateurs du congrès d'aujourd'hui de, je cite, "ne pas vouloir parler des possibilités de coexistence pacifique au Moyen-Orient dans le contexte de la guerre à Gaza". Êtes-vous sérieux ? Avez-vous perdu la tête ?
Nous vous accusons de soutenir un État allemand qui est, après les États-Unis, le plus grand fournisseur d'armes utilisées par le gouvernement Netanyahou pour massacrer les Palestiniens dans le cadre d'un grand plan visant à rendre impossible une solution à deux États et une coexistence pacifique entre Juifs et Palestiniens. Nous vous reprochons de ne jamais répondre à la question pertinente à laquelle tout Allemand doit répondre : Combien de sang palestinien doit couler avant que votre culpabilité justifiée à l'égard de l'Holocauste ne soit effacée ?
Soyons donc clairs : nous sommes ici à Berlin avec notre congrès palestinien parce que, contrairement au système politique et aux médias allemands, nous condamnons les génocides et les crimes de guerre, quels qu'en soient les auteurs. Parce que nous nous opposons à l'apartheid sur la terre d'Israël-Palestine, quel que soit celui qui a le dessus, tout comme nous nous sommes opposés à l'apartheid en Amérique du Sud ou en Afrique du Sud. Parce que nous défendons les droits de l'homme universels, la liberté et l'égalité entre les Juifs, les Palestiniens, les Bédouins et les Chrétiens sur l'ancienne terre de Palestine.
Et pour que nous soyons encore plus clairs sur les questions, légitimes et malignes, auxquelles nous devons toujours être prêts à répondre :
Est-ce que je condamne les atrocités du Hamas ?
Je condamne toute atrocité, quel qu'en soit l'auteur ou la victime. Ce que je ne condamne pas, c'est la résistance armée à un système d'apartheid conçu dans le cadre d'un programme de nettoyage ethnique progressif mais inexorable. En d'autres termes, je condamne toute attaque contre des civils et, en même temps, je me réjouis de tous ceux qui risquent leur vie pour abattre le mur.
Israël est-il engagé dans une guerre pour sa propre existence ?
Non, ce n'est pas le cas. Israël est un État doté de l'arme nucléaire, avec l'armée peut-être la plus avancée technologiquement au monde et la panoplie de la machine militaire américaine à ses côtés. Il n'y a là aucune symétrie avec le Hamas, un groupe qui peut causer de graves dommages aux Israéliens mais qui n'a absolument pas la capacité de vaincre l'armée israélienne, ni même d'empêcher Israël de poursuivre le génocide progressif des Palestiniens dans le cadre du système d'apartheid mis en place avec le soutien de longue date des États-Unis et de l'Union européenne.
Les Israéliens ne sont-ils pas fondés à craindre que le Hamas veuille les exterminer ?
Bien sûr qu'ils le sont ! Les Juifs ont subi un Holocauste précédé de pogroms et d'un antisémitisme profondément ancré en Europe et en Amérique depuis des siècles. Il est tout à fait naturel que les Israéliens vivent dans la crainte d'un nouveau pogrom si l'armée israélienne se replie. Cependant, en imposant l'apartheid à ses riverains et en les traitant comme des sous-hommes, l'État israélien attise les feux de l'antisémitisme et renforce les Palestiniens et les Israéliens qui ne demandent qu'à s'anéantir les uns les autres. En fin de compte, ses actions contribuent à la terrible insécurité qui consume les Juifs en Israël et dans la diaspora. L'apartheid pratiqué à l'encontre des Palestiniens est la pire forme d'autodéfense des Israéliens.
Qu'en est-il de l'antisémitisme ?
L'antisémitisme est toujours un danger patent et présent. Il doit être éradiqué, en particulier dans les rangs de la gauche mondiale et des Palestiniens qui luttent pour les libertés civiles des Palestiniens dans le monde entier.
Pourquoi les Palestiniens ne poursuivent-ils pas leurs objectifs par des moyens pacifiques ?
Ils l'ont fait. L'OLP (Organisation de libération de la Palestine) a reconnu Israël et renoncé à la lutte armée. Et qu'ont-ils obtenu en échange ? Une humiliation absolue et un nettoyage ethnique systématique. C'est ce qui a nourri le Hamas et l'a élevé aux yeux de nombreux Palestiniens comme la seule alternative à un lent génocide sous l'apartheid israélien.
Que faut-il faire aujourd'hui ? Qu'est-ce qui pourrait ramener la paix en Israël-Palestine ?
Un cessez-le-feu immédiat.
La libération de tous les otages - ceux du Hamas et les milliers détenus par Israël.
Un processus de paix, sous l'égide des Nations unies, soutenu par un engagement de la communauté internationale à mettre fin à l'apartheid et à sauvegarder des libertés civiles égales pour tous.
Quant à ce qui doit succéder à l'apartheid, c'est aux Israéliens et aux Palestiniens de choisir entre la solution des deux États et celle d'un État fédéral unique et laïque.
Chers amis, nous sommes ici parce que la vengeance est une forme paresseuse de douleur.
Nous sommes ici pour promouvoir non pas la vengeance, mais la paix et la coexistence entre Israël et la Palestine.
Nous sommes ici pour dire aux démocrates allemands, y compris à nos anciens camarades de Die Linke, qu'ils se sont couverts de honte depuis assez longtemps - que deux maux ne font pas un bien - et que permettre à Israël de s'en tirer avec des crimes de guerre n'améliorera pas l'héritage des crimes commis par l'Allemagne à l'encontre du peuple juif.
Au-delà du congrès d'aujourd'hui, nous avons le devoir, en Allemagne, de changer le discours. Nous avons le devoir de persuader la grande majorité des Allemands honnêtes que les droits de l'homme universels priment. Le mot "plus jamais" signifie "plus jamais" pour tout le monde. Juifs, Palestiniens, Ukrainiens, Russes, Yéménites, Soudanais, Rwandais - pour tout le monde, où que ce soit dans le monde.
Dans ce contexte, j'ai le plaisir d'annoncer que MERA25, le parti politique allemand de DiEM25, figurera sur le bulletin de vote lors de l'élection du Parlement européen en juin prochain, afin de recueillir le vote des humanistes allemands soucieux d'avoir un député européen représentant l'Allemagne et dénonçant la complicité de l'Union européenne dans le génocide, une complicité qui est le plus grand cadeau de l'Europe aux antisémites en Europe et au-delà.
Je vous salue tous et vous propose de ne jamais oublier qu'aucun d'entre nous n'est libre si un seul d'entre nous est enchaîné.
📰 https://jacobin.com/2024/04/yanis-varoufakis-germany-banned-palestine-gaza/
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10- ➤ Comment la CIA a créé l'Allemagne actuelle
Par Kit Klarenberg, le 14 avril 2024, Blog de l'auteur Active Measures
Le 4 février, The Economist a publié une analyse dévastatrice - ou peut-être "pré-mortem" - de l'effondrement du Parti social-démocrate allemand (SPD) sous la direction d'Olaf Scholz. Élu en septembre 2021 lors d'un résultat que les médias occidentaux ont aussitôt qualifié de "choc", son gouvernement de coalition suscitait de grands espoirs dans de nombreux milieux. Aujourd'hui, il jouit de la plus mauvaise cote de popularité de tous les chanceliers de l'histoire moderne, et les sondages d'opinion nationaux placent l'approbation du SPD à 15 % ou moins.
The Economist décrit l'effondrement de Scholz et la perspective de l'extinction imminente de son parti en tant que force sérieuse au sein de la politique allemande comme un microcosme du déclin de l'influence économique et politique de Berlin de manière plus générale. Il note que les finances du pays sont devenues "molles" pendant son mandat, que la confiance du secteur des affaires s'est effondrée et qu'une inflation record a détruit les revenus et l'épargne des citoyens. D'autres sources ont décrit la "désindustrialisation" du pays, Politico ayant inventé le surnom de "Rust Belt on the Rhine" (ceinture de rouille sur le Rhin).
Dans le droit fil de ces méditations sur l'aggravation constante des maux de l'Allemagne, le sombre diagnostic de The Economist ne mentionne pas comment les sanctions occidentales imposées à la Russie en février 2022 sont à l'origine de la crise de Berlin. Scholz a été l'un des principaux promoteurs de l'initiative de l'administration Biden visant à "réduire le rouble à néant". Newsweek admet que "tout jeu de guerre réaliste aurait pu facilement prédire" que les sanctions non seulement échoueraient, mais qu'elles reviendraient en boomerang aux sanctionneurs.
Les quelques analystes qui ont prédit l'invasion de l'Ukraine bien à l'avance ont tous omis de prévoir que Berlin soutiendrait et faciliterait toute contre-attaque américaine, en particulier dans le domaine financier. Ils pensaient que l'Allemagne possédait l'autonomie et le bon sens nécessaires pour ne pas commettre un suicide économique délibéré au service de l'Empire. Après tout, la stabilité, la prospérité et la puissance du pays dépendaient fortement de l'énergie russe bon marché et facilement accessible. Mettre fin volontairement à cet approvisionnement serait inévitablement désastreux.
On peut leur pardonner cette lacune. Berlin, en particulier au lendemain de la réunification, a réussi à se présenter au monde comme un pays souverain, dirigé par des personnes sensées agissant dans l'intérêt supérieur de leur nation et de l'Europe. En réalité, depuis 1945, l'Allemagne est une nation fortement occupée, noyée sous le poids des installations militaires américaines, et sa politique, sa société et sa culture ont été agressivement façonnées et influencées par la CIA.
Cette réalité non reconnue est amplement décrite dans le livre révélateur de Philip Agee, lanceur d'alerte de l'Agence, Dirty Work : The CIA in Western Europe (Le sale boulot : La CIA dans l'Europe de l'Ouest), publié en 1978. Il est essentiel de comprendre qui est véritablement aux commandes à Berlin et quels intérêts les représentants élus de l'Allemagne servent réellement pour comprendre pourquoi Scholz, et d'autres, ont si ardemment embrassé les sanctions autodestructrices. Et pourquoi les faits de la destruction criminelle de Nord Stream 2 ne pourront jamais émerger.
Une présence énorme
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont imposés comme la superpuissance militaire et économique incontestée du monde. Comme l'a écrit Agee, l'objectif primordial de la politique étrangère américaine était alors de "garantir la cohérence du monde occidental" sous leur direction exclusive. Les activités de la CIA étaient donc "orientées vers la réalisation de cet objectif". Au service du projet de domination mondiale de l'Empire, "les mouvements d'opposition de gauche devaient être discrédités et détruits", partout.
Après que l'Allemagne de l'Ouest a été forgée à partir des zones d'occupation respectives de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis, le jeune pays est devenu une "zone cruciale" à cet égard, servant de "l'une des zones opérationnelles les plus importantes pour les programmes de grande envergure de la CIA" en Europe et ailleurs. Les opérations intérieures de l'Agence en Allemagne de l'Ouest visaient explicitement à s'assurer que le pays était "pro-américain" et structuré en fonction des "intérêts commerciaux" des États-Unis.
Dans ce processus, la CIA a soutenu secrètement l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et le SPD, ainsi que les syndicats. L'Agence "voulait que l'influence des deux principaux partis politiques soit suffisamment forte pour exclure et contenir toute opposition de gauche", explique Agee. Le SPD avait une tradition radicale et marxiste. Il a été le seul parti du Reichstag à voter contre la loi d'habilitation de 1933, qui a jeté les bases de la nazification totale de l'Allemagne et a conduit à sa proscription.
Réinstallé après la guerre, le SPD a conservé ses racines révolutionnaires jusqu'en 1959. Puis, dans le cadre du programme Godesberg, il a abandonné toute volonté de remettre sérieusement en question le capitalisme. Il est peu crédible de suggérer que la CIA n'a pas été expressément responsable de la neutralisation des tendances radicales du parti.
En tout état de cause, le contrôle effectif de la démocratie ouest-allemande a permis de garantir que l'"énorme présence" de Washington dans le pays - qui compte des centaines de milliers de soldats et près de 300 installations militaires et de renseignement distinctes - ne soit pas remise en question par les personnes au pouvoir, quel que soit le parti auquel elles appartiennent, malgré l'opposition constante d'une majorité de la population à l'occupation militaire américaine.
Cette présence a permis à la CIA d'obtenir "un certain nombre de couvertures différentes pour oeuvrer", selon Agee. La majorité de ses agents étaient intégrés dans l'armée américaine et se faisaient passer pour des soldats. La plus grande station de l'Agence était une base militaire à Francfort, mais elle disposait également d'unités à Berlin-Ouest et à Munich. Les agents américains étaient des "techniciens hautement qualifiés qui écoutaient les téléphones, épluchaient le courrier, surveillaient les gens et codaient ou décodaient les transmissions de renseignements", travaillant "dans tout le pays".
Des divisions spécialisées étaient chargées de "rentrer en contact avec des organisations et des personnes au sein de l'establishment politique", comme le SPD et ses représentants élus. Tous les renseignements recueillis étaient "utilisés pour infiltrer et manipuler" ces mêmes entités. En outre, la CIA a collaboré "très étroitement" avec les services de sécurité ouest-allemands dans de nombreux efforts d'espionnage intérieur, les diverses agences de renseignement du pays menant des opérations à la demande directe de l'Agence, "souvent [pour] protéger les activités de la CIA de toute conséquence juridique".
Discréditer et détruire
Aussi intimes soient-ils, les rapports de la CIA avec ses homologues ouest-allemands n'en ont pas moins connu des "difficultés", comme l'explique Agee. L'Agence n'a jamais fait entièrement confiance à ses protégés et a ressenti un besoin prononcé de "garder un œil" sur eux. Ce manque de confiance n'a toutefois pas empêché la CIA de s'associer au BND, le service de renseignement extérieur de l'Allemagne de l'Ouest, pour acheter secrètement la société suisse de cryptage Crypto AG en 1970. Peut-être cela a-t-il été fait pour "protéger les activités de la CIA de toute conséquence juridique".
Crypto AG produisait des machines de haute technologie permettant aux gouvernements étrangers de transmettre des communications sensibles de haut niveau dans le monde entier, à l'abri des regards indiscrets. C'est du moins ce qu'ils pensaient. En réalité, les propriétaires clandestins de Crypto AG, et par extension la NSA et le GCHQ, pouvaient facilement déchiffrer tous les messages envoyés via les appareils de la société, puisqu'ils élaboraient eux-mêmes les codes de cryptage. Cette connivence a fonctionné dans le plus grand secret pendant des décennies, et n'a été révélée qu'en février 2020.
On ne connaît pas l'étendue des informations recueillies par Crypto AG - ainsi que par son principal concurrent national, Omnisec AG, également détenu par la CIA - ni les fins néfastes auxquelles elles ont été utilisées. Il ne serait toutefois pas surprenant que les données récoltées aient contribué à informer les opérations de la CIA visant à "discréditer et détruire" l'opposition de gauche en Allemagne de l'Ouest et au-delà, des efforts qui se poursuivent sans aucun doute encore aujourd'hui.
La guerre froide est peut-être terminée, mais l'Allemagne reste fortement occupée. De tous les pays européens, l'Allemagne est la nation qui accueille le plus grand nombre de soldats américains, bien qu'une écrasante majorité de la population ait soutenu leur retrait partiel ou total dans les années qui ont suivi l'effondrement du mur de Berlin. En juillet 2020, le président de l'époque, Donald Trump, a annoncé le retrait de 12 000 soldats sur les 38 600 que compte encore le contingent.
Alors qu'il s'agissait de punir l'Allemagne pour avoir donné son feu vert au Nord Stream 2, aujourd'hui saboté et détruit, les sondages ont montré que la plupart des Allemands n'étaient que trop heureux de leur dire "auf wiedersehen" (au revoir). En tout, 47 % d'entre eux étaient favorables à leur départ, tandis qu'un quart réclamait la fermeture permanente de toutes les bases américaines sur leur sol. Pourtant, deux semaines à peine après son entrée à la Maison Blanche, Joe Biden est revenu sur la politique de son prédécesseur en rapatriant 500 soldats qui étaient partis.
Le président a également abandonné le projet de transférer ailleurs en Europe le commandement américain pour l'Afrique, basé à Stuttgart, qui intègre effectivement Washington dans les forces armées de 53 pays du continent. Les enquêtes montrent que les programmes de formation du commandement ont précipité une augmentation significative du nombre de coups d'État militaires en Afrique. Comme l'a attesté Agee, les bases militaires américaines sont un foyer d'espions de la CIA. Berlin doit donc rester "l'une des zones opérationnelles les plus importantes pour les programmes de grande envergure de la CIA", que les Allemands le veuillent ou non.
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