❖ D'Alexis Tsipras à Marine Le Pen & Jean-Luc Mélenchon : Un point de vue grec sur la crise française
Mélenchon deviendra peut-être un Tsipras, personne ne peut en être sûr, la gauche française est peut-être vaincue, mais Le Pen, elle, est déjà devenue un Tsipras, sans même avoir attendu d'être élue
D'Alexis Tsipras à Marine Le Pen & Jean-Luc Mélenchon : Un point de vue grec sur la crise française
Il y a neuf ans, le 13 avril 2015, renversant le résultat du référendum qu'il avait lui-même provoqué, le leader de la "gauche radicale" grecque (et européenne), Alexis Tsipras, capitulait sans gloire à Bruxelles, à la stupéfaction générale du peuple grec et de l'opinion publique mondiale.
Ce fut un coup extrêmement grave porté à la crédibilité de la gauche grecque et mondiale, à la Grèce et à son peuple, aux perspectives d'une Europe démocratique. Le même soir, Marine Le Pen déclarait depuis Paris : "Tsipras a trahi". En d'autres termes, "ne faites pas confiance à la gauche, faites-moi confiance, faites confiance à l'extrême droite, qui, elle, ne vous trahira pas".
La crise grecque n'était que la première crise aussi grave parmi les nombreuses que le système de l'"Euro-libéralisme" doit subir. La façon dont la crise grecque a été "résolue" en 2015, sans l'être en réalité, a initié cette oscillation entre la gauche radicale et l'extrême droite caractéristique de l'entre-deux-guerres, préparant le terrain pour le grand conflit que l'on voit se dérouler actuellement en France.
L'article suivant, publié en Grèce et traduit ici du grec, est un commentaire sur les élections en France écrit pour le public grec par un journaliste grec, ancien membre de la direction de SYRIZA, Dimitris Konstantakopoulos, le 9 juillet.
France - des résultats électoraux truqués pour créer de fausses impressions
Par Dimitris Konstantakopoulos, le 9 juillet 2024, Defend Democracy Press
J'écoute une grande station de radio d'information à Athènes. Le "directeur des informations internationales" de la radio s'exprime. Il dit que l'extrême droite de Le Pen a obtenu 11 millions de voix et le Front populaire de gauche sept millions. Il omet cependant d'expliquer aux auditeurs que les résultats dont il parle ne reflètent pas le rapport de forces réel entre la gauche et l'extrême-droite.
Ce genre d'"informations" domine aujourd'hui en Grèce et au-delà.
La sympathie habituellement dissimulée pour l'extrême droite et l'hostilité à l'égard de la gauche sont telles que nous avons assisté, en Grèce, en France et au niveau international, à une tentative systématique de gonfler les résultats électoraux de l'extrême droite tout en sous-estimant ceux du Front populaire et en déformant également la signification du vote français.
(Selon toutes les indications, une "conspiration" est déjà en cours en France même, une tentative de renverser le résultat de l'élection, avec une sorte de défection. Parmi les scénarios "en jeu" figurent l'attribution du poste de Premier ministre à une personne extérieure à la France insoumise, la plus grande force du nouveau Front populaire ; il pourrait s'agir du chef du parti socialiste ou écologiste, ou même de l'ancien président Hollande, le tout accompagné d'une éventuelle scission du Front populaire et du ralliement d'une partie de ce dernier au camp de Macron. Dans le même temps, la quasi-totalité des médias poursuit ses attaques acharnées contre le leader du Front populaire).
Lorsque Macron a dissous l'Assemblée nationale française le 9 mai, tout le monde s'attendait à un triomphe électoral du Rassemblement national. C'était probablement l'objectif de ceux qui ont poussé Macron à dissoudre l'Assemblée nationale. Alors que toutes les prévisions ont été démenties et qu'au lieu d'un triomphe de Le Pen, nous avons eu une grande victoire politico-électorale de la gauche avec Jean-Luc Mélenchon, on est à deux doigts de nous dire que le Front populaire a perdu !
La victoire du Front populaire - une victoire, sans précédent dans les normes contemporaines, d'une force de gauche (d'ailleurs pas d'une gauche "vendue", du moins en ce qui concerne La France insoumise) dans un grand pays européen - est quasiment considérée comme une non-victoire, presque "volée" à l'extrême-droite. On prétend que ce n'est pas dû à l'énorme mobilisation populaire et, dans une large mesure, spontanée de millions de personnes. Et de temps en temps, on rappelle le chaos dans lequel la France s'enfonce, comme si elle n'allait pas s'enfoncer dans le chaos avec les fascistes au pouvoir ou avec la victoire de Macron, comme si le chaos était la faute de Jean-Luc Mélenchon ! On répète sans cesse que les écologistes, les socialistes, Glucksman, tous sont prêts à le "vendre" ; comme si la défection programmée n'était pas à elle seule une preuve que Mélenchon vaut vraiment quelque chose !
Bien sûr, la position du Front populaire n'est pas la plus facile au monde. L'establishment français entend le faire éclater et en presser une partie pour qu'elle s'allie à l'"extrême centre" en faillite de Macron, renforçant en fin de compte Le Pen elle-même. La France insoumise elle-même n'a pas encore acquis les caractéristiques d'un parti massif, démocratique et collectif, prêt à mener avec succès les grandes batailles à venir. Malheureusement, la nécessaire alliance politique de gauche n'existe pas non plus au niveau européen, encore moins après les très grandes défaites de la gauche et des peuples européens en Grèce en 2015 et en Grande-Bretagne en 2019.
Ces deux lourdes défaites de la gauche européenne ont sérieusement miné sa crédibilité et conduit ses partis (comme Linke) à de graves crises. L'alignement d'une très grande partie des forces de gauche européennes sur les positions de l'OTAN concernant l'Ukraine et la Russie, leur solidarité effective avec la guerre de l'impérialisme américain contre la Russie en Ukraine n'a pas arrangé les choses et a contribué, parfois, à faire apparaître l'extrême droite comme une force favorable à la paix !
Les deux défaites (Grèce et Grande-Bretagne) ont également favorisé le basculement à droite de tout l'axe de la "contestation" du système européen et occidental et limité les ambitions de la gauche. Mélenchon et Le Pen ont discuté de la question des traités de l'UE et de l'euro jusqu'en 2017- 2018, puis ont arrêté. Cela a également permis à Le Pen de modifier son discours. Si nous ne pouvons pas nous attaquer à ceux "d'en haut" (le grand capital financier et l'UE), il semble peut-être plus intéressant de s'attaquer à ceux "d'en bas" (les Français d'origine non "française" et les immigrés). À défaut de pouvoir changer réellement le système, pourquoi ne pas donner quelques miettes supplémentaires aux "blancs" plutôt qu'aux "arabes" qui risquent de subir bon nombre de persécutions. (Il est à noter que tout ceci constitue un renversement complet du gaullisme et on se demande quelles seront les conséquences pour les intérêts français dans l'ensemble du monde arabo-musulman). Et puis, pourquoi, au lieu de revendiquer l'indépendance vis-à-vis des États-Unis et de l'OTAN, ne pas faire la guerre à l'islam, comme l'a expliqué et théorisé Huntington et comme le fait Netanyahou ?
En vérité, le chemin de la gauche française et surtout de la France insoumise est loin d'être pavé de pétales de roses, comme celui de l'ensemble de l'Europe, de l'Occident et du monde. Nous nous enfonçons dans des crises toujours plus profondes et les "expériences" de type mitterrandien ne sont pas reproductibles aujourd'hui. Les pourcentages électoraux obtenus par l'extrême droite et l'extrême gauche en témoignent. Même si Mélenchon n'avait pas encore raison de dire, comme il l'a fait au soir du second tour, qu'"il n'y a rien entre nous et l'extrême droite", nous nous en approchons à grands pas. Les statistiques électorales françaises s'apparentent à celles de la République de Weimar, certes de manière beaucoup plus douce, tout au moins pour l'instant, que l'original, mais ce ne sont plus des statistiques de "force tranquille".
Le Centre s'effondre car la situation elle-même exige des solutions de plus en plus radicales.
Mais il est tout aussi vrai que, grâce à l'admirable et importante mobilisation du peuple français et à l'action des dirigeants de la France insoumise, on a assisté à un renversement complet de la situation et à une grande victoire de la gauche, ce qui constitue la meilleure "ouverture" possible pour la "bataille" à venir.
Du fiel pour la gauche
Voilà donc des intellectuels qui étaient peut-être de gauche il y a deux cents ans, mais qui n'ont pas jugé bon de nous dire qu'ils avaient cessé de l'être ou s'étaient droitisés, et qui rivalisent d'esprit en essayant de trouver, à la veille d'une grande victoire politique de la gauche française, les raisons pour lesquelles la gauche ne s'en sort pas ! Je suis curieux de savoir ce qu'ils écriraient si Le Pen l'emportait. Il ne leur vient sans doute pas à l'esprit qu'ils sont eux-mêmes une telle raison. Il n'y a pas de mal à chercher à la loupe les défauts réels ou imaginaires de la gauche. Mais mieux vaut travailler à les corriger, si l'on se dit de gauche, et produire, si l'on est un scientifique et un intellectuel, des travaux d'analyse sur les problèmes de son pays et du monde, au lieu de se contenter de vomir du fiel et de donner de grandes (et nullissimes) leçons de morale.
Le soir du premier tour des élections législatives, on apprenait que Le Pen obtenait 33 % et le Front populaire 28 %. En réalité, les médias avaient ajouté les résultats du Rassemblement national et d'un autre parti politiquement apparenté, l'Union de l'extrême droite, qui a obtenu près de 4 %, pour impressionner. Sur le site du ministère français de l'intérieur, Le Pen obtient 29 % et le Front populaire 28 %. Présenter le résultat comme 33% contre 28% crée une perception plus forte en faveur de l'extrême droite.
Mais ce n'est pas le plus important par rapport au braconnage opéré avec le résultat du second tour. Les analystes (malveillants) désireux de réduire à marche forcée l'importance de la victoire du Front populaire soulignent que l'extrême droite a obtenu un peu plus de 11 millions (somme de la Coalition nationale et de l'Union de l'extrême droite) contre 7 millions environ pour le Front populaire. On notera aussi que nombre d'entre eux sont souvent agacés par le fait que Le Pen est souvent étiquetée extrême droite, ce qui est effectivement le cas, et sont soucieux de trouver un autre adjectif pour la classer, mais ils ajoutent ses voix à celles de l'Union de l'extrême droite avec la plus grande facilité !
Le vrai pouvoir de l'extrême droite et de la gauche
Sauf que la comparaison constitue un braconnage trompeur et stupide. En effet, au second tour des élections, le Front populaire a retiré ses candidats de nombreuses circonscriptions pour faire barrage à l'extrême droite. Ce n'est qu'en comparant les résultats du premier tour que l'on peut tirer des conclusions sur la force réelle des formations politiques. Ces résultats sont les suivants en ce qui concerne l'extrême droite et la gauche
- 9.379.092 29,26 % Rassemblement national
- 1.268.822 3,96% Union de l'extrême droite
Somme des extrêmes droites
- 10.647.914 33.31%
Nouveau Front populaire
9.024.485 21.28%
Voilà le vrai rapport de force, pas 10 ou 11 millions contre sept.
Un fait très intéressant est également que la gauche dispose d'une majorité absolue parmi les jeunes qui sont l'avenir de la France.
Données de Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/2024_French_legislative_election et du ministère français de l'Intérieur www.resultats-elections.interieur.gouv.fr
Une victoire prétendument "volée"
Vous me direz que la loi électorale fait de la majorité relative une minorité.
60 % des électeurs grecs, c'est-à-dire la moitié des Grecs, ne deviennent-ils pas une majorité absolue au Parlement qui fait ce qu'il veut, même au détriment de la volonté établie de l'écrasante majorité du peuple grec ? Pourquoi les analystes qui utilisent cet argument ne sont-ils jamais allés dans les bars pour dire quoi que ce soit sur le système truqué qui a imposé Mitsotakis au peuple grec ? Pourquoi défendent-ils bec et ongles la représentation proportionnelle renforcée et les primes monstrueuses ? Pourquoi n'ont-ils pas reproché à Macron et aux conservateurs britanniques d'avoir été élus par des systèmes majoritaires totalement antidémocratiques ?
La seule fois où la loi électorale d'un État de l'UE les a dérangés, c'est donc lorsque, contre toute attente, une force de gauche, et non une force de gauche "vendue", a remporté une majorité relative de sièges ?
Il est évident que la loi électorale française est pipée, comme le sont de nombreuses lois électorales. Mais même s'il s'agissait d'un système de représentation proportionnelle, le Rassemblement national n'aurait pas obtenu la majorité des sièges. Ceux qui se plaignent que Le Pen n'ait pas gagné les élections voudraient que le mécanisme de truquage du système électoral majoritaire français fonctionne, afin que l'extrême droite, minoritaire dans l'électorat, devienne majoritaire au parlement et prenne le pouvoir !
En réalité, sous la pression de la révolte du peuple français à la perspective de voir les "fascistes" diriger le pays, l'alliance du Nouveau Front populaire et des macronistes a partiellement contrebalancé le caractère antidémocratique du système électoral français en posant aux Français la question suivante : "Acceptez-vous un gouvernement d'extrême droite ?" et ils ont massivement répondu "Non", au grand dam de nombreux "analystes" nationaux.
Ainsi, il aurait mieux valu qu'ils ne le fassent pas et que nous ayons maintenant en France un gouvernement d'extrême droite basé sur un tiers des Français et auquel s'opposent deux tiers d'entre eux ? Que se passerait-il dans ce cas ?
Le fait que plus de 10,5 millions de Français aient voté pour l'extrême droite n'est pas anodin et révèle à quel point nous sommes proches de l'abîme. Mais l'extrême droite et le fascisme en son sein, même s'il s'agit d'une possibilité ou d'une éventualité dans ses rangs, sont loin d'avoir été vaincus. Neuf millions de voix de gauche, ce n'est pas rien. Et son rayonnement est plus grand, puisqu'il a aussi contraint le camp Macron à accepter des désistements réciproques (un accord qu'il n'a finalement pas tenu lorsque les candidats à la présidentielle se sont opposés à la France insoumise).
Il ne s'agit pas seulement de la menace d'un glissement vers un régime néo-fasciste. En effet, il n'y a pas que le totalitarisme "noir", il y a aussi le totalitarisme "blanc", celui de l'extrême centre. Une dimension cruciale des élections françaises est que Mélenchon est le seul homme politique de premier plan dans un grand pays européen à ne pas être contrôlé par l'argent, l'OTAN et/ou Israël et ses lobbies https://www.defenddemocracy.press/exterminez-le-apres-corbyn-et-fico-melenchon/. On peut et on doit probablement reprocher beaucoup de choses à Mélenchon, mais ce n'est pas la raison pour laquelle il est persécuté et hissé au rang d'antisémite par tous les médias en France. (Un autre homme politique indépendant est le Premier ministre slovaque Robert Fico et cela pourrait avoir contribué à la tentative d'assassinat dont il a été victime).
La Dame a déjà fait ses compromis avec la bourgeoisie française, les Bolloré et l'Israël de Netanyahou et a mis de l'eau dans son vin sur le plan économique et ukrainien en se référant à l'impérialisme russe https://www.defenddemocracy.press/french-far-right-chief-bardella-vows-he-wont-let-russian-imperialism-absorb-ukraine/ ainsi qu'en supprimant un tas de pans de son programme qui dérangent Washington https://www.defenddemocracy.press/french-far-right-pulls-manifesto-that-included-controversial-russia-nato-plans/ . Mélenchon deviendra peut-être un Tsipras, personne ne peut en être sûr, la gauche française est peut-être vaincue, mais Le Pen, elle, est déjà devenue un Tsipras, sans même avoir attendu d'être élue pour le devenir.
P.S. 1 : Entre le premier et le second tour, de nombreux membres du Rassemblement national ont laissé tomber le masque et des incidents ont été signalés dans toute la France, au cours desquels des citoyens d'origine arabe ont commencé à être harcelés et "avertis" de ce qui leur arriverait après les élections. La France compte cinq millions de citoyens français d'origine arabo-musulmane et cinq cent mille juifs. On comprend ce qui se passera si l'extrême droite française passe du stade de la rhétorique à celui de la "guerre civile des civilisations" ou plutôt de la "guerre contre la civilisation". On comprend aussi quelle impulsion peut être donnée aux dangereux plans de guerre de Netanyahou dans tout le Moyen-Orient avec l'extrême droite au gouvernement en France.
PS 2 : Les universitaires et les hommes politiques français sont divisés sur la question de savoir s'il faut ou non utiliser le terme de fascisme pour décrire les mouvements actuels de l'extrême droite européenne. Il est vrai qu'ils tirent leurs origines historiques des courants du fascisme européen et qu'ils comptent dans leurs rangs des personnes à la mentalité clairement fasciste. D'un autre côté, nous ne sommes pas - du moins pas encore - dans la situation que nous connaissions il y a un siècle. Dans le cas de la France, des bandes violentes opèrent en périphérie de la Coalition nationale et lui fournissent des cadres, celle-ci n'ayant pas de mécanisme idéologique de production de ces derniers.
Ce qui est certain, cependant, c'est que le parti de Mme Le Pen, qu'on l'appelle extrême droite ou fasciste, en s'approchant aussi près du pouvoir, dans un pays comme la France, constitue un jalon majeur dans l'histoire moderne de l'Europe et symbolise peut-être le début de la fin de la période fondée sur la victoire contre le nazisme en 1945. Une victoire de l'extrême droite française impliquerait éventuellement des composantes de "changement de régime", c'est-à-dire le remplacement du régime démocratique bourgeois par quelque chose d'autre.
Traduit du grec par Christos Marsellos
📰 https://www.defenddemocracy.press/72481-2/
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