❖ "Au diable le reste du monde" - stratégie à long terme & revendication unipolaire des États-Unis
Quiconque ne connaît pas précisément la politique impérialiste globale des États-Unis ne peut pleinement comprendre les événements actuels et futurs de l'histoire contemporaine.
"Au diable le reste du monde" - stratégie à long terme et revendication unipolaire des États-Unis
Quiconque ne connaît pas précisément la politique impérialiste globale des États-Unis ne peut pleinement comprendre les événements actuels et futurs de l'histoire contemporaine. Cela vaut pour les événements en Ukraine, à Taiwan, en Israël, en Amérique du Sud, en Allemagne ou dans l'UE.
Par Wolfgang Bittner, le 17 juillet 2024, NachDenkSeiten
Selon leurs élites au pouvoir, les États-Unis d'Amérique sont the land of the free and the home of the brave - le pays de la liberté et la patrie des braves -, comme le proclame également l'hymne national. Et God's Own Country - La terre de Dieu - est appelé à dominer le monde. Pour imposer cette prétention unipolaire, ils ont développé depuis le 19ème siècle une stratégie à long terme qui comprend le maintien d'une armée suréquipée et l'installation d'environ 1 000 bases militaires dans le monde entier.
Il ne faut pas oublier que la société américaine est en grande partie fanatisée par le fondamentalisme religieux, et ce jusqu'au Congrès. Jusqu'à nos jours, l'affinité élective entre le puritanisme et le capitalisme, une "doctrine de la prédestination économique" - celui que Dieu aime, Dieu le laisse s'enrichir - y est profondément enracinée. En outre, de nombreux partisans de la ligne dure estiment manifestement que tout ce qui profite aux États-Unis profite en fin de compte au monde entier, d'où cette prétention à la domination mondiale.
Une continuité depuis plus de 200 ans
Cette hubris que rien ne justifie a également guidé la politique du président Barack Obama, au sourire conquérant, qui a mené sept guerres et qui, dans un discours prononcé devant l'académie militaire de Westpoint, a qualifié les États-Unis de "seule nation indispensable", de pivot de toutes les alliances, de l'Europe à l'Asie, "inégalée dans l'histoire des nations" [1]. Obama a ainsi affirmé ce qui était depuis longtemps la politique pratiquée par les États-Unis, qui ont su imposer leur prétention impériale à l'Europe, et notamment à l'Allemagne, depuis le 20ème siècle.
Cette politique de puissance et de domination a débuté au plus tard en 1823, lorsque le président James Monroe a présenté au Congrès américain les grandes lignes d'une politique étrangère à long terme des États-Unis : ne pas tolérer l'ingérence d'autres pays sur le double continent américain, tout en revendiquant la protection et l'intervention des États-Unis en Amérique latine [2]. Les États-Unis ont ainsi mis la main sur l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud.
En 1904, Theodore Roosevelt (1858 - 1919, président de 1901 à 1909) autorisa ensuite les États-Unis à exercer en bloc un "pouvoir de police international" et à imposer sans compromis leurs intérêts économiques et stratégiques. Sa devise était : "Exprime-toi doucement et porte un gros gourdin, et tu iras loin" [3]. Après que tous les traités avec les indigènes eurent été rompus et que la dernière bataille dévastatrice eut été livrée à Wounded Knee en 1890, cela s'appliqua avant tout aux pays d'Amérique latine situés dans "l'arrière-cour des États-Unis", mais aussi au Maroc et à la Corée, puis un peu plus tard au monde entier.
Cela correspondait tout à fait à une déclaration du président suivant, Woodrow Wilson :
"Puisque le commerce se moque des frontières nationales et que l'entrepreneur revendique le monde comme son marché, le drapeau de sa nation doit le suivre et les portes verrouillées des nations doivent être forcées... Les concessions acquises par les financiers doivent être garanties par les ministres d'État, même si la souveraineté des nations récalcitrantes doit être violée" [4].
Barack Obama l'a formulé ainsi le 11 février 2016 dans une interview à la chaîne de télévision américaine Fox :
"Nous devons de temps en temps tordre le bras aux pays refusant de faire ce que nous voulons qu'ils fassent. S'il n'y avait pas les différents moyens de pression économiques ou diplomatiques ou, dans certains cas, militaires dont nous disposons, si nous n'avions pas cette dose de réalisme, nous n'obtiendrions rien non plus ... le leadership américain vient en partie de notre mentalité positive d'empoigne. Nous sommes le pays le plus grand et le plus puissant de la planète ... nous n'avons aucun égal dans le sens d'États capables d'attaquer ou de provoquer les États-Unis" [5].
L'influence de la première puissance mondiale
L'objectif d'être la première puissance mondiale a été définitivement atteint par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le président Harry S. Truman a annoncé le 12 mars 1947 devant les deux chambres du Congrès :
"Je crois que la politique des États-Unis doit être d'aider les peuples libres qui résistent à l'asservissement recherché par des minorités armées ou par des pressions extérieures. Je crois que nous devons aider tous les peuples libres afin qu'ils puissent déterminer leur propre destin à leur manière. (...) En aidant les nations libres et indépendantes à préserver leur liberté, les États-Unis concrétisent les principes des Nations unies. Les peuples libres du monde entier comptent sur notre soutien dans leur lutte pour la liberté. Si nous tergiversons dans notre rôle de leader, nous mettons en danger la paix du monde - et nous nuisons certainement au bien-être de notre propre nation" [6].
Selon les paroles altruistes de Truman, ce "soutien" des États-Unis aux peuples libres devrait certes comprendre "avant tout une aide économique et financière", "qui constitue la base de la stabilité économique et de conditions politiques ordonnées", mais la realpolitik a suivi la voie habituelle dans l'intérêt et au profit des États-Unis ainsi que et surtout la plupart du temps, au détriment et et à la défaveur des "peuples libres", comme le prouve un simple coup d'œil sur l'histoire jusqu'à l'époque actuelle immédiate [7].
L'éditorialiste Werner Rügemer a analysé les possibilités et les influences des États-Unis sur l'économie européenne, en particulier sur l'économie allemande, et en tire des conclusions consternantes :
"La principale propriété de capital d'entreprise dans le capitalisme occidental est aujourd'hui organisée par différents types d'acteurs financiers. Les plus importants en termes de capitaux engagés sont BlackRock & Co. Viennent ensuite Blackstone & Co, c'est-à-dire les investisseurs en private equity (capital-risque ou capital-investissement en Français), appelés plus communément 'sauterelles'. Depuis la fin des années 1990, ils ont racheté, exploité, revendu ou introduit en bourse environ 10 000 entreprises moyennes en Allemagne. Viennent ensuite les fonds spéculatifs, les investisseurs en capital-risque - ils font entrer les start-up dans la course -, les banques d'investissement élitistes comme Macquarie et Rothschild, les banques privées comme Metzler, Pictet, les banques traditionnelles comme la Deutsche Bank. Les États-Unis sont le plus grand foyer de capitaux et le principal bloc de pouvoir militaire, de renseignement et médiatique pour garantir ce système. Les principaux prestataires de services financiers mondiaux sont également liés aux États-Unis : les trois grandes agences de notation, les cabinets d'avocats d'affaires comme Freshfields, les conseillers d'entreprise comme McKinsey, les cabinets d'audit comme PricewaterhouseCoopers, les agences de relations publiques comme Renaissance de Soros - je les appelle l'armée privée civile du capitalisme occidental" [8].
Empêcher l'Allemagne de coopérer avec la Russie
La Russie n'a pas sa place dans le concept économique et même militaire stratégique des États-Unis. L'ancien directeur de l'influent think tank Stratfor, George Friedman, a fait une déclaration notable sur cette politique égocentrique et dangereuse pour la paix dans son discours du 4 février 2015 au Chicago Council on Global Affairs :
"Le principal intérêt de la politique étrangère américaine au cours du siècle dernier, pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale et durant la Guerre froide, était les relations entre l'Allemagne et la Russie. Parce qu'unis, ils sont la seule puissance à même de pouvoir menacer notre suprématie. Notre objectif principal était de nous assurer que ce scénario ne se produirait pas" [9].
Friedman explique pourquoi cette politique s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui comme suit :
"Pour les États-Unis, la principale préoccupation est que ... le capital et la technologie allemands s'associent aux ressources en matières premières russes et à la main-d'œuvre russe pour former une combinaison unique, ce que les États-Unis tentent d'empêcher depuis un siècle. Alors comment faire pour que cette combinaison germano-russe soit empêchée ? Les États-Unis sont prêts à abattre leurs cartes pour contrer cette combinaison : c'est la ligne entre les pays baltes et la mer Noire. (...) Le point de toute cette affaire est que les États-Unis établissent un 'cordon sanitaire', une ceinture de sécurité, autour de la Russie".
En fait, on y travaille systématiquement en secret depuis la guerre franco-allemande de 1871.
Friedman constate ensuite :
"Les États-Unis contrôlent tous les océans du monde dans leur intérêt fondamental. Aucune autre puissance ne l'a jamais fait. C'est pour cette raison que nous intervenons auprès des peuples du monde entier, mais ces derniers ne peuvent nous attaquer".
De nombreux peuples ne peuvent pas non plus se défendre, comme on l'a encore vu récemment. Ceux qui s'opposent sont ruinés ou bombardés.
La "confession" de Friedman n'a fait sensation que dans les médias dits alternatifs. Il en va de même pour les déclarations de Zbigniew Brzezinski, qui considérait l'Eurasie comme "l'échiquier des États-Unis" sur lequel ils jouaient leurs coups dans la lutte pour la suprématie mondiale. Dans son livre La seule puissance mondiale, Brzezinski a développé la stratégie géopolitique des États-Unis après la chute de l'Union soviétique :
"Mais la mesure dans laquelle les États-Unis pourront affirmer leur suprématie mondiale dépendra de la manière dont une Amérique engagée à l'échelle mondiale pourra gérer les rapports de force complexes sur le continent eurasien - et si elle pourra y empêcher l'émergence d'une puissance dominante et adverse" [10].
C'est dans ce contexte qu'il faut voir la déclaration d'Henry Kissinger du 2 février 2014, selon laquelle le changement de régime à Kiev était en quelque sorte la répétition générale de "ce que nous voulons faire à Moscou" [11].
Joseph Biden : "Je dirige le monde"
Le 6 juillet 2024, le président Joseph Biden a démontré l'état d'esprit du gouvernement américain lors d'une interview avec la chaîne américaine ABC, lorsqu'il a été interrogé sur sa condition physique et mentale après un duel électoral désastreux avec Donald Trump. Devant la caméra, il a déclaré :
"Je passe un test cognitif quotidiennement. Vous savez, je ne fais pas seulement campagne, je gouverne le monde. Cela peut paraître exagéré, mais nous sommes la nation la plus importante de la planète" [12].
Cette déclaration a été acceptée quasiment sans le moindre commentaire par les politiciens et les journalistes occidentaux, permettant à nouveau de tirer des conclusions sur la dépravation de ces acteurs.
Déjà lors d'un discours à la Harvard Kennedy School à Cambridge/Massachusetts le 2 octobre 2014, Biden, à l'époque encore vice-président des États-Unis, avait acquis une grande renommée :
"Nous avons placé Poutine devant un choix simple : Respecter la souveraineté de l'Ukraine ou faire face à des conséquences croissantes. Ce faisant, nous avons été en mesure d'amener les plus grands pays développés du monde à imposer un coût réel à la Russie. Il est vrai qu'ils [l'UE] ne voulaient pas le faire. Mais encore une fois, c'est le rôle de leader de l'Amérique et le fait que le président des États-Unis ait insisté, et même dû mettre l'Europe dans l'embarras à plusieurs reprises, pour l'obliger à se ressaisir et à encaisser les désavantages économiques afin de pouvoir imposer des coûts [à la Russie]. Et les conséquences ont été une fuite massive des capitaux hors de Russie, un véritable gel des investissements directs étrangers, le rouble à un niveau historiquement bas par rapport au dollar et l'économie russe au bord de la récession" [13].
Le fait que le gouvernement de Berlin ait suivi jusqu'à présent cette politique diamétralement opposée aux intérêts allemands, comme le montrent les prises de position d'Olaf Scholz, Robert Habeck ou Annalena Baerbock, est une honte et ne peut s'expliquer uniquement par le manque de souveraineté de l'Allemagne. Les déclarations des dirigeants américains, répétées sur plus d'un siècle, offrent une image globale de la politique impériale monopolistique des États-Unis, que Lawrence Wilkerson, ancien chef de cabinet du secrétaire d'État américain Colin Powell, a caractérisée par ces mots : "Au diable le reste du monde" [14].
L'écrivain et publiciste Wolfgang Bittner, docteur en droit, est l'auteur de nombreux ouvrages, notamment "Die Eroberung Europas durch die USA" (La conquête de l'Europe par les États-Unis), "Die Heimat, der Krieg und der Goldene Westen" (La patrie, la guerre et l'Ouest doré), "Deutschland - verraten und verkauft" (L'Allemagne trahie et vendue) et "Ausnahmezustand - Geopolitische Einsichten und Analysen unter Berücksichtigung des Ukraine-Konflikts" (État d'urgence - perspectives et analyses géopolitiques tenant compte du conflit en Ukraine), 2014-2023.
Références
[1] whitehouse.gov/the-press-office/2014/05/28/remarks-president-united-states-military-academy-commencement-ceremony
[2] Ce qu'on appelle la Doctrine Monroe. À ce sujet : amerika21.de/analyse/239008/monroe-doktrin-totgesagte-leben-laenger
[3] Voir Theodore Roosevelt : The strenuous Life. Essays and Addresses, New York 1906, sowie Lettre dactylographiée de Theodore Roosevelt signée en tant que gouverneur de New York, 26.1.1900, historical.ha.com/itm/autographs/u.s.-presidents/theodore-roosevelt-typed-letter-signed-as-governor-of-new-york-two-pages-9-x-115-albany-new-york-january-26-190/a/6054-34087.s
[4] Citation de Wilfried Röhrich : Politik als Wissenschaft - Ein Überblick, Opladen 1986
[5] Citation de RT Deutsch, 12.2.2015, deutsch.rt.com/11745/international/obamas-diplomatie-verstaendnis-wir-muessen-gewalt-anwenden-wenn-laender-nicht-das-machen-was-wir-wollen/. Voir aussi : der Freitag, 15.2.2015, freitag.de/autoren/hans-springstein/der-us-praesident-hat-wieder-klartext-geredet
[6] La soi-disant Doctrine Truman, citation de Manfred Görtemaker et autres : Das Ende des Ost-West-Konflikts ? (La fin du conflit Est-Ouest ?), S. 58
[7] À la fin des années 1940, les États-Unis ont retiré une grande partie de leurs troupes d'Allemagne pour les engager en 1950 dans la guerre de Corée, qui a fait près de quatre millions de morts et a divisé le pays.
[8] Werner Rügemer : Die Wahrheit ist auf unserer Seite (La vérité est de notre côté), Neue Rheinische Zeitung Online, 21.11.2018, nrhz.de/flyer/beitrag.php?id=25399
[9] Vgl. AntikriegTV: US-Strategie (Stratégie américaine), YouTube, 17.3.2015, youtube.com/watch?v=vln_ApfoFgw (8.7.2024)
[10] Zbigniew Brzezinski: Die einzige Weltmacht – Amerikas Strategie der Vorherrschaft (La seule puissance mondiale - La stratégie de domination de l'Amérique), Frankfurt/Main 2001, S. 15
[11] Citation de nrhz.de/flyer/beitrag.php?id=20079
[12] Voir n-tv.de/politik/Widerstand-bei-Demokraten-gegen-Kandidatur-formiert-sich-US-Praesident-Biden-ballt-die-Faust-und-gibt-skurriles-Interview-article25067731.html
[13] Citation de newscan, Zeitdokument : Wir zwangen die EU zu Sanktionen gegen Russland (Document d'époque : Nous avons forcé l'UE à sanctionner la Russie), 5.1.2015, youtube.com/watch?v=JLO7uKVarB8 (8.7.2024)
[14] Cité de Florian Linse, NachDenkSeiten, 8.8.2018, Lawrence Wilkerson erklärt USA-Außenpolitik
📰 https://www.nachdenkseiten.de/?p=118252
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